Chapitre 2 : Gavriel Michaëlis


C'était la deuxième fois que Gavriel Michaëlis était qualifié d'enfoiré aux oreilles de Diana.

Gavriel était un homme comme nul autre dont le nom résonnait à la fois comme une totale inconnue de l'esprit et une légende. Il provoquait ce sentiment de confusion, et alors que vous pensiez le connaître depuis votre naissance, son mystère tout entier vous attrapait à la gorge en ne laissant que curiosité et peine. Il était le fils aîné des Michaëlis, un fils orgueilleux, héritier d'une fortune qui était finalement déjà sienne.

C'était ce qu'avait raconté Eronn Karnal au sujet du frère de Gabrielle. Il ne l'avait rencontré qu'une seule fois, et c'était il y avait deux ans. Diana s'en souvenait comme si c'était hier, tellement la réaction de son père l'avait marqué. Il était entré en trombe dans le salon alors qu'elle était en pleine lecture d'un de ses romans favoris. La porte d'entrée avait claqué si fort que les murs avaient tremblés, tout comme les majordomes qui avaient dû récupérer les effets humides de l'homme qui était presque aussi déroutant que la tempête à l'extérieur, retournant ciel et terre.

John, avait grogné son père à son assistant, je veux que tu coupes court à toutes les négociations avec les Michaëlis.

Je vous demande pardon, monsieur ? s'était interloqué son interlocuteur.

Diana avait levé les yeux de sa lecture, un sourcil haussé alors qu'elle ne bougeait pas d'un cil sur le canapé de satin bleu marine. Le feu de cheminé à ses côtés éclairait les lueurs curieuses dans son regard alors que son père desserrait sa cravate en palabrant.

Je refuse que cette famille soit associée à ce salop. Il faudra que j'en meurs avant que mon entreprise lui cède des parts sur le futur centre commercial.

Chéri, enfin, que s'est-il passé ?

Ophélia Karnal avait fait son entrée, vêtue d'un peignoir de soie couleur crème alors que son doux visage encadré de mèches blondes adressait un sourire compatissant à son mari. Ce dernier avait soupiré lourdement, accrochant ses mains au dossier de son fauteuil favori alors qu'il baissait la tête. Finalement, Diana avait refermé d'un coup sec son livre, trop intriguée par l'homme qui avait mis dans cet état celui qui la répugnait tant.

Cet enfoiré m'a pris de haut. Ce... ce garçon a-t-il cru que nous étions égaux ?! J'ai au moins deux fois son âge, il me doit le respect !

Diana s'était retenue de lever les yeux au ciel tellement l'argument était absurde. Ophélia passa sa main dans le dos de son mari et lui caressa délicatement celui-ci.

Si tu n'as pas envie de faire affaire avec lui, rien ne t'y oblige. Nous avons tous les investissements qu'il nous faut, celui des Michaëlis n'était qu'un plus qui nous aurait permis de nouveaux contrats pour l'avenir. Mais nous en trouverons d'autres.

Ophélia, tu ne comprends pas.

Eronn s'était écarté de la caresse de sa femme d'un geste agacé, avant de s'assoir dans son fauteuil en soupirant. La journée l'avait sûrement épuisé. Diana était restée sans bouger, attendant qu'il continue. Elle savait qu'il allait le faire. Il adorait se plaindre au monde entier pour passer pour la victime de sa propre histoire.

Il... Ce gars est bizarre. On dirait que le monde entier lui appartient. Quand il te regarde... C'est comme s'il ne te voyait pas comme une véritable personne. Plus comme un vulgaire jouet.

Oui, Diana s'en souvenait parfaitement, de cette soirée là. Alors finalement, quand elle releva son regard intrigué vers Gabrielle qui souriait de toutes ses dents, elle ne put s'empêcher de nourrir sa curiosité. Et cela, la rousse le vit parfaitement puisqu'elle se saisit de sa main sans aucune hésitation.

Est-ce que l'on devrait aller le trouver, mon lapin ?

Nous en sommes déjà aux surnoms ?

Sans répondre, la jeune femme lâcha un rire enfantin avant de se mettre à trotter parmi les invités, tractant sa nouvelle compagnie. Diana ne dit rien, la laissant faire alors qu'étrangement, son cœur se mettait à battre plus fort. Depuis ce soir de tempête, depuis que son père avait parlé de Gavriel comme d'un être à part, la brune n'avait pas pu s'empêcher de s'en créer une image. Avait-elle peur d'être déçue par celui qui avait fait trembler Eronn Karnal ?

La salle des jeux était enveloppée par un épais nuage de fumée à l'odeur étouffante. Cigarettes ou cigares, chacun trouvait son bonheur alors que des rires gras et des discussions passionnées rendaient la salle plus bruyante qu'elle ne devrait l'être. Sur le coup, Diana ne put s'empêcher de se cacher un peu derrière Gabrielle : elle n'aimait pas être ici, très peu de femmes se trouvaient là, souvent congédiées par leur mari. Et la brune savait pertinemment que c'était ici que parfois, des manigances se construisaient dans l'ombre.

Mais Gabrielle n'en avait que faire. Elle lâcha la main de Diana et posa les siennes sur ses hanches, le menton relevé et l'air fier alors qu'elle baladait son regard sur la foule. Certains étaient assis, en train de jouer, d'autres se tenaient juste debout avec un verre d'alcool fort dans la main.

Hm, il devrait être ici. Diana, dites-moi si vous l'apercevez.

Mais je ne sais pas à quoi il ressemble, souffla la brune en se mettant aux côtés de la rousse.

Ne vous inquiétez pas, quand vous le verrez, vous le saurez.

Diana ne répliqua pas, plissant les yeux pour regarder les visages qui s'offraient à elle. Les paroles de Gabrielle étaient bien curieuses et elle ne voyait vraiment pas comment elle allait pouvoir reconnaître quelqu'un qu'elle n'avait jamais vu. Mais étrangement, elle la crut et se contenta donc d'attendre qu'une révélation lui parvienne lorsqu'elle verrait le visage de Gavriel Michaëlis.

Diana !

L'interpellée sursauta et se retourna avant de se retrouver devant un associé de son père : Daniel Erwin. Et de toutes évidences, il était bien trop près d'elle, sentait l'alcool et avait les yeux rouges, sûrement irrités par la fumée de son cigare qui donnait envie de vomir à Diana. Retenant une toux, elle se racla la gorge et détourna un peu la tête pour se donner de l'air.

Monsieur Erwin.

A ce stade, Diana n'avait même pas envie de sourire ou de faire la conversation pour être poli. Tous les amis et associés de son père n'étaient pas des gens qu'elle portait dans son cœur. Ce monde, la haute société, n'était pas un endroit où elle se sentait chez elle. Tout puait la corruption, les plans tordus et la cupidité. Et Daniel Erwin ne faisait pas exception à la règle malgré ses faux airs de gentil.

Je vois que ton père a encore ton éducation à revoir, pesta-t-il quand il constata qu'elle n'allait pas entretenir leur conversation.

Je vous demande pardon ?

Il faisait chaud, ici. Et petit à petit, elle sentait les regards de ceux qui étaient autour d'eux se poser sur elle. Chacun ici savait qui elle était, ils l'avaient tous vu jouer du piano quelques instants plus tôt. Et pourtant, personne n'intervint pour la défendre. Mais Diana s'y attendait. Elle n'était qu'un petit bijou de la famille Karnal, du genre que l'on sortait pour les grandes occasions puis qu'on rangeait sagement à la fin de la soirée. Daniel eut un rire rauque alors qu'il tirait sur son cigare, soufflant son crachat de fumée sur le visage de la jeune femme.

Je viens de te dire que tu étais une gamine malpolie. A la place de ton père, je t'aurais dressé depuis bien longtemps.

Diana eut presque un haut-le-cœur en apercevant le regard perverti de l'homme. Il était totalement saoul et sa conscience ne lui imposait aucune limite. Sa main attrapa soudainement la mâchoire de la Karnal alors qu'il faisait pencher son visage d'un côté et de l'autre, comme il observerait un animal prêt à acheter.

L'esprit de la brune était en ébullition. Elle serrait les poings, ses dents grinçaient. Si elle réagissait maintenant, c'était tout un contrat qu'elle détruirait, entre son père et Daniel. Et bien qu'elle détestait son père, elle n'avait pas envie de s'attirer ses foudres. Alors était-elle condamnée à se laisser souiller ainsi ?

Vous me le paierez, murmura-t-elle, les yeux embués de larmes.

La seule chose que je paierai ce sera l'honneur d'avoir ton petit cul rien que pour moi.

Lâchez.

Diana sursauta, figée sur place. Dans son dos, un homme avait parlé et elle pouvait presque sentir son torse contre elle tellement il était prêt. Son parfum boisé aux notes de vanille l'enveloppait alors qu'elle regardait droit devant elle, tendue à l'extrême. Son cœur était prêt à sortir de sa poitrine. Elle avait une sensation étrange, qui la prenait aux tripes. Pourquoi...

Pourquoi était-elle convaincue qu'il s'agissait de Gavriel Michaëlis ?

Daniel leva le regard pour confronter l'homme, toujours avec son air suffisant sur le visage.

Je peux savoir qui tu es, mon garçon ?

Je ne me rappelle pas avoir l'obligation de me présenter.

— Je te trouve bien à l'aise.

Daniel tira sur la mâchoire de Diana pour l'attirer à lui mais en réponse, l'inconnu posa sa main sur son ventre et la tira vers lui. L'associé d'Eronn en fut tellement surpris qu'il la lâcha. Diana s'efforçait à respirer doucement. La paume contre son abdomen semblait l'embraser sans aucune raison et elle se disait que si elle arrêtait de bouger, cette sensation s'apaiserait jusqu'à disparaître.

Je peux savoir ce que tu fais ?! grogna Daniel.

— Je vous retourne la question. Vous êtes en train de vous donner en spectacle, Monsieur Erwin. Et je vous assure que vous n'allez pas apprécier la suite si vous continuez à jouer les sales gosses.

Sa voix était calme et tellement grave que l'air semblait racler les parois de sa gorge. Quand il parlait, le corps entier de la brune vibrait en réponse. Elle avait ce côté hypnotique qui calmait peu à peu Diana qui ne pouvait être que témoin de la scène. Bien que le contact de Daniel lui avait été insupportable, cet inconnu contre lequel elle était... ne provoquait aucun dégoût.

Tu vas me le payer, petit !

Un rire. Ce rire à damner un saint.

La seule chose que je paierai ce sera l'honneur d'avoir ton petit cul rien que pour moi.

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