L'or de sa vapeur rouge - Jeankasa

Jean faisait tourner le verre entre ses mains.

La lune faisait danser ses reflets à travers le récipient, et le jeune homme observait cette valse silencieuse avec une attention toute particulière.

Ses pensées défilaient au rythme des tours. Celles-ci, gagnées depuis peu par l'ivresse, avaient pourtant bien de gêne à ne pas se disperser.

Ce n'était pas le genre du soldat de se laisser tenter par le doux réconfort de la boisson. Mais cette nuit, une étrange nostalgie était venue lui rendre visite. Le genre de nostalgie aigre, qui était loin d'être pesante, mais qui laissait flotter un léger nuage au dessus de ses esprits. C'était assez pour que Jean en soit agité.

C'était la première fois qu'il buvait un peu plus qu'un verre. Il pouvait sentir la sécheresse de l'alcool s'insérer sur les parois de sa gorge. Ce n'était pas une sensation désagréable. Loin de là. Même s'il était assit sur une chaise, seul, dans cette salle où il ne se rendait normalement que pour les repas avec ses coéquipiers, il avait la sensation d'être désinhibé de ce qui pouvait l'incomber le reste de son temps.

Jean appréciait le silence. Il le savourait.

Il était devenu du genre calme. Ses nerfs n'avaient plus autant de mal qu'auparavant à ne pas s'emporter lorsqu'ils étaient ébréchés. Les années lui avaient offert en sagesse. Les batailles, elles, lui avaient appris à conserver un sang froid. Et les pertes lui avaient insufflé du contrôle.

Alors, les moments où il pouvait se retrouver en tête à tête avec la tranquillité étaient devenus précieux.

De temps à autre, il percevait l'objet de son insomnie. Jean revoyait quelques visages. Il se souvenait de quelques rires. Il se remémorait les douleurs de ses enfantines bagarres.

C'étaient de bonnes histoires. De bons souvenirs. Il était chanceux d'en avoir autant.

Doucement, le soldat se sentit légèrement bercé par une toute autre envie. Ses muscles tentaient d'attirer son attention vers un différent désir qui s'emparait de lui.

Cette nuit, il avait envie de voir la femme qu'il aimait. De la serrer contre lui.

Jean savait où la trouver.

Ses membres l'emmenèrent jusqu'à elle. À pas de loup, il traversa les étroits couloirs du bataillon. Il frôla ces murs qu'il connaissait par coeur, poussait les lourdes portes qui se dressaient devant lui.

Il la trouva. Seule. Comme à ses habitudes. Comme à sa manière d'être. Il ne la vit pas toute suite. Il l'entendit. Jean fut attentif aux échos de coups qu'un sac d'entraînement recevait avec vigueur. Il perçut, sans même le vérifier de ses yeux, la force usuelle qu'elle y mettait. Même lorsque personne ne la regardait, et que ses mouvements n'étaient pas soumis au jugement attentif des généraux. Elle se donnait toujours entièrement. Elle était toujours forte.

Lorsqu'il se débarrassa de l'obscurité pour pénétrer dans la pièce, la jeune femme eut un bref sursaut. Le soldat ignorait si l'alcool était la source de cette pensée puérile, mais il fut amusé de la déstabiliser un instant. « Jean ? » . Les lèvres de cette fille murmurèrent son prénom entre quelques soupirs d'épuisement.

Celui-ci demeura encore dans l'encolure de la porte. L'ébauche d'un sourire vint dresser sa bouche. Sa vision n'était pas totalement droite. Ses regards tanguaient au travers de la salle. Mais il la voyait, interloquée, le regarder avec curiosité. Les yeux noirs qu'elle projetait sur lui raviva avec d'autant plus de ferveur l'envie qui l'avait guidé jusqu'ici.

Kirschtein savait que Mikasa se doutait qu'il n'était pas dans son état normal, bien qu'elle ne soit pas encore certaine de la cause. Leurs prunelles restèrent attachées pendant quelques secondes encore. Jusqu'à ce que l'asiatique interrompe cet échange. « Ferme la porte, s'il te plaît ». Il s'exécuta. Lorsque le claquement sonore atteignit les oreilles de Mikasa, elle ne poursuivit pas la conversation. Elle continua à frapper dans ce sac abîmé, avec autant de puissance et de précision qu'un peu plus tôt.

Son ignorance envers sa présence remua davantage encore l'attraction du jeune homme. Appuyé contre l'entrée, il se délectait de la vue de cette peau diaphane. De sa musculature apparente, qui lui donnait des attraits d'autant plus charmants. De ces cheveux noirs, qui tombaient en bataille sur son visage humidifié par la sueur. Il aimait la voir aussi sereine. La voir aussi ferme. Il chérissait le silence de cette concentration qui lui était propre.

Il l'observa encore un moment. Il attendit. Jean n'avait pas à l'interrompre. Il se ne serait pas pardonné de la déranger plus qu'il ne le faisait déjà. Lorsque les coups cessèrent, et que la respiration fébrile de Mikasa put enfin prendre congé des efforts qu'elle produisait, le jeune homme s'avança doucement vers elle. En s'approchant, il ressentit la chaleur qui se dégageait du corps de l'asiatique.

Entre deux souffles, celle-ci réorienta son regard ébène sur le soldat. « Tu ne dors pas ? ». Sa voix était caressante, parfumée de discrétion. Lorsqu'elle remarqua les yeux troubles de Jean, elle se fit enfin une idée pour la réponse à sa question. Il secoua tout de même la tête pour confirmer. « Pourquoi ? ». Elle ne demandait pas que la raison de son éveil. Il ne lui adressa pas de solution. Lui-même n'en savait rien. Il finit par lui dire « Mon cerveau et mon corps font des caprices. Je cède, depuis ».

Mikasa savait très bien que Jean n'était pas du genre buveur. Elle-même n'était pas une grande admiratrice de la boisson. Cependant, elle ne lui fit aucun reproche. Ce n'était pas le genre de personne à s'en sentir légitime.

Elle continua de lui rendre son regard. Jean était devenu grand. Sa silhouette imposante se dressait devant elle. Sa barbe décorait sa mâchoire aux traits dessinés. Ses yeux bruns, décorés par le rouge des paradis artificiels, n'en perdaient pas de leur singularité. Lorsque ses mains rencontrèrent ses joues, la froideur qu'il incorpora à son visage lui fit du bien. Quand ses lèvres charnues se penchèrent vers les siennes, elle apprécia le doux contact de sa langue qui ouvrait une danse avec elle.

Elle avait toujours aimé les gestes de Jean. Il était délicat, et s'il prenait gare à ne jamais la brusquer ni la forcer, il ne la sous-estimait pas pour autant. Mikasa était reconnaissante de cette considération intense qu'il avait pour elle. La soldate aimait s'abandonner dans l'étreinte de ses bras protecteurs, encore plus sculptés que les siens.

Un instant, il s'écarta de sa présence. Le jeune homme plongeait sa contemplation plus intensément dans ses prunelles. Comme s'il n'arrivait pas à réaliser qu'elle se trouvait là. Qu'elle lui rendait ses baisers. Qu'elle ne fuyait jamais ses yeux.

Leur étreinte continua. Leurs corps s'enlaçaient tendrement, et se rendaient une pareille attention. Jean voulait ressentir la jeune femme. Qu'elle soit le plus proche de lui possible. Il adorait les courbes que ses mains découvraient comme pour la première fois. Il était fou de cette poigne, celle qui derrière sa nuque faisait ressentir sa pression pour qu'il se rapproche toujours plus d'elle. Ses reins le chatouillaient de plus en plus douloureusement.

À cet instant, son bonheur lui sembla total.

Mais ce sentiment fut interrompu brusquement par Mikasa. Tout à coup, elle s'était dégagée. Soucieux de l'avoir bousculé, le souffle entrecoupé, il s'inquiéta. « Mikasa ? ». Une terrible peur de ce qu'il avait pu commettre prit possession de lui. Mais la jeune femme ne paraissait pas fâchée, ni offusquée. Sa mine peignait un visage soucieux. « Qu'est-ce qui t'arrives ? » articula-t-elle sans bouger. Il ne comprenait pas. « Moi ? De quoi est-ce que tu parles ? ».

Alors, sans le prévenir, sa partenaire glissa l'un de ses doigts sur sa joue. Une humidité le rencontra.

Il était en train de pleurer.

« Hein ? », ce fut tout ce qui émergea de sa bouche. Il ne comprenait pas. « Je te jure, je ne sais pas ce que j'ai... » il lui assura, gêné. Jean songea à plaisanter en prétextant pleurer de bonheur. Mais à cette pensée, les larmes ne firent que redoubler. Sa tête tournait. Son crâne le lançait. Il se sentait envahi d'un chagrin indéfinissable.

Mikasa le fixait, désemparée.

Finalement, ses esprits de début de soirée revenaient. Il avait tenté de les chasser, il n'avait réussit qu'à les amplifier. À vouloir oublier ses peurs, à essayer de les masquer, le jeune homme n'avait fait que les faire ressurgir avec plus d'intensité, et cela au moment le moins opportun. Au moment où il se trouvait devant celle qu'il aimait, celle qui semait l'anarchie sur sa poitrine depuis des années, et depuis même ce qui lui semblait être encore bien antérieur. Il était ridiculement amoureux de la femme la plus forte, mais à la fois la plus fragile qu'il lui avait été permis de rencontrer.

Mikasa lui rendait cet amour, et la plupart du temps, il se sentait comblé.

« Est-ce que s'il était encore en vie, tu m'aurais aimé ? »

Ses lèvres prononcèrent ces mots avec une amertume profonde. Ils atteignirent de plein fouet la jeune femme, qui se mit subitement à trembler. Une lueur apparut dans ses iris. Une lumière qui ne s'allumait plus. Qui s'était éteinte. Qui était partie avec lui, ce jour-là. Et pourtant, ce soir, elle semblait réanimée dans des yeux qui venaient de retrouver un semblant de vitalité d'autrefois. Une lueur à laquelle Jean n'avait jamais eu droit.

Mikasa ne prononçait pas un verbe. Elle était tétanisée. Ses oreilles étaient envahies d'une autre voix. Son coeur se serrait, comme depuis longtemps il ne l'avait pas fait.

Jean comprit. Il n'avait pas besoin d'attendre. Il ne se sentait même pas plus triste. En observant l'expression familière de la soldate, il obtint sa propre réponse. Le jeune homme essuya ses dernières larmes d'un vif geste. Il patienta, que l'asiatique revienne à elle. Que son regard ne recherche plus à travers lui le seul que ses émotions aient jamais choisi.

Lorsqu'elle le regarda à nouveau, lui, et que les yeux verts d'une enfance perdue furent remplacés par ce brun chaleureux, elle fut une fois de plus complètement désorientée. Jean souriait. Il souriait d'un amour qu'elle-même n'aurait pas soupçonné. Et alors qu'elle cherchait quoi lui dire, et que sa première question trônait encore dans sa tête, il s'avança de nouveau vers elle. Kirschtein dégagea les mèches de son front, et il y déposa ses lèvres, dans une marque de tendresse indescriptible.

Il finit par se reculer une bonne fois pour toute de sa présence enivrante. Et il lui adressa ces mots, aussi sincères que déchirés. « Je suis désolé qu'il ne soit plus à tes côtés. J'aurais aimé que tu connaisses un véritable bonheur, Mikasa. Je suis vraiment désolé. »

Il partit. Laissant la jeune femme à ses états d'âme. Lorsqu'il referma la porte, il fit quelques pas, avant de s'arrêter dans le couloir sombre, en proie à un terrible flot de sentiments dévastateurs. Et de là où il était, il put entendre la réponse que Mikasa venait enfin de formuler.

« Je n'ai jamais aimé que lui. »

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