L'autre paradis - Niccosasha

« Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ? »
ᴮᴬᵁᴰᴱᴸᴬᴵᴿᴱ

La semaine venait de commencer.

Sous la demande de son père, Niccolo s'était levé aux aurores, afin de lui offrir son aide pour la boutique.

Il n'appréciait jamais cette partie de son travail. Le lever lui était insoutenable. Le soleil à peine réveillé abîmait ses pupilles endormies, et la voix peu discrète de son géniteur lui offrait un mal de crâne conséquent. Il savait que ce dernier attaquait le travail encore plus tôt, et que lorsque la succession se déroulerait, il devrait en faire de même. Mais le jeune homme n'était pour le moment que trop paresseux pour se projeter jusque là.

Néanmoins, l'ardeur s'emparait toujours de lui quand ses pas l'emmenaient en salle de cuisine. L'odeur de la pâte, du pain qui dorait dans les fours, et des quelques viennoiseries qui patientaient dans un coin, toutes ces petites choses remplissaient son grand coeur d'une satisfaction que rien d'autre ne pouvait provoquer. Son tablier sur le torse, il s'attelât à la tâche dans un sourire soudainement motivé, que son père observa avec fierté.

Lorsque les préparations furent suffisantes, ils commencèrent à installer leurs mets sur les stands, où Niccolo allait probablement passer la plus grande partie de sa journée. Tu es plus charmant que moi, lui affirmait toujours son père. C'est pas pour rien que les clients réguliers augmentent ces temps-ci.

En déposant les croissants au devant de la vitrine, le garçon croisa son reflet au sein de celle-ci. Ses cheveux blonds étaient collés sur son front, la sueur qui émanait des fours ayant ratatiné ses mèches dans un noeud disgracieux. Sa peau était pâle, un peu trop pour un mois de juillet. Sûrement parce qu'il ne faisait que travailler. Il se trouvait bien maigre, bien frêle, pour un boulanger.

Ses yeux finirent par se détourner de ces occupations, et ces remarques volèrent au dessus de son esprit quelques secondes plus tard. Il ne savait pas s'il plaisait aux clients, mais leurs visites n'avaient jamais dépendu d'un soin quelconque sur son physique. Niccolo souhaitait juste travailler, et échanger des sourires, d'anodines paroles durant ces maigres échanges. C'est à cela que son bonheur se résumait.

Lorsque huit heures sonnèrent, la pancarte sur la porte d'entrée changea de sens. Le mot « ouvert » accueillit les premiers clients de la journée, qui faisaient, pour la plupart, parties de ces fameux habitués. Leur clochette commença à chanter.

Les salutations s'enchaînèrent. Niccolo prit des nouvelles de ce cher Hans, qui avait du mal à supporter la chaleur étouffante propre à la saison. Madame Jaeger, elle, acheta cette fameuse tarte aux pommes dont son fils raffolait tant, et qu'elle passait toujours prendre une fois par semaine, en guise de tradition. Peak passa à la volée lui demander son pain au chocolat, avant de sortir quelques secondes plus tard, pressée par son retard au travail. Niccolo lui souhaita bonne chance dans un rire franc, avant que le tintement ne marque son départ.

Un petit duo vint acheter quelques friandises à la sortie de leur école, et le vendeur offrit à Gaby quelques chouquettes qu'elle pourrait partager avec Falco. Un grand sourire avait immédiatement illuminé le visage de la jeune fille, et elle le remercia chaudement par la lueur enfantine qui fit rayonner ses yeux noisettes.

Une fois de plus, au bout de cette journée, où les visages et les voix n'avaient cessé de tourner, Niccolo se voyait empli d'un sentiment d'accomplissement. La fatigue marquait pourtant ses traits, et lorsque son père lui somma de rentrer pour se reposer, le garçon ne débattit guère longtemps avant de regagner leurs appartements.

Il prit une douche, où l'eau chaude détendit avec dextérité ses muscles, et avala quelques restes de la veille, avant de tomber dans ses draps. Le sommeil l'emporta presque instantanément, et son géniteur, au cours d'une petite visite, vint discrètement lui ramener la couverture sur ses épaules et éteindre la lumière de sa chambre en le découvrant si profondément assoupi.

C'est à cela que se résumait le quotidien du jeune homme. Un quotidien simple, dont il avait été habitué depuis son enfance, où il aidait déjà quelques fois à l'entretien. Niccolo avait toujours été fasciné par le contact avec les autres, et la joie qui s'était emparée de lui lorsqu'il avait fait ses premières créations ne l'avait jamais quitté. L'adolescent aimait cuisiner, mais ce qu'il préférait par dessus tout, c'était partager. Voir la réjouissance sur les traits des autres. Et c'est pour cela que dès ses plus jeunes années, sa destinée avait été, pour lui, toute tracée.

Mais cet après-midi là, quelque chose changea.

La fin de la semaine approchait à grand-pas, et les recettes avaient été bonnes. Tous les soirs, le gérant faisait ses comptes, et était chaque fois rassuré de constater que la boulangerie marchait toujours aussi bien. Ils avaient eu des difficultés à démarrer en s'installant ici, surtout après la mort de la mère de Niccolo. Le chagrin avait dû être mit de côté pour permettre à la famille restante de subsister, et année après année, même si la douleur ne pouvait jamais s'en aller, celle-ci s'était atténuée. Et la boutique avait fini par brillamment fonctionner.

Niccolo réfléchissait à tout cela avec un sourire attendri, le regard dans le vide. La mélodie d'un nouvel arrivant lui remit les idées sur terre. Il secoua la tête, et afficha son expression enjouée habituelle pour accueillir le client qui venait d'entrer.

Le client en question était une cliente. Hésitante, celle-ci semblait légèrement perdue au sein de ce lieu qu'elle ne connaissait point. Ses cheveux bruns, tombant dans une queue de cheval basse, irradiaient de reflets vermeilles avec la lumière brûlante du soleil. Niccolo remarqua instantanément la teinte de ses prunelles, qu'il trouva particulière. Comme de l'or, ils faisaient briller les traits de son visage fin.

Il l'observa s'avancer vers lui en silence, sans prononcer ses mots de bienvenue habituels. Lorsque cette jeune femme atteignit le stand derrière lequel il se tenait, son expression changea radicalement. Émerveillée, sa vision se perdait sur les délicieux mets qu'elle avait devant elle.

Je veux tout prendre.

Ce furent ses premiers mots. Non certain d'avoir compris le sens de sa demande, Niccolo demeura quelques secondes sans lui répondre, hébété.

Vous... quoi ? Il buta sur sa phrase, toujours sur le coup de la surprise.

Je voudrais un exemplaire de tout ce que vous avez ! Elle réitéra, cette fois avec une détermination qui soulignait son ton décidé.

Le vendeur n'en revenait pas.

Vous êtes sûre ? La questionna-t-il, tout en s'interrogeant sur la sainteté d'esprit de cette jeune fille. Ça va vous revenir extrêmement cher...

J'économise toujours pour m'acheter à manger, c'est à ça que me sert mon argent, monsieur ! Elle lui expliqua, toujours butée sur son projet.

Elle parlait fort, et avait un petit accent qu'il devinait provenir d'une autre région. Le grand blond était décontenancé, mais également impressionné par ce caractère peu anodin.

Il la trouva amusante.

J'aimerais pouvoir vous dire oui, se décida-t-il enfin. Un sentiment d'attendrissement le gagnait peu à peu, et parcourait son visage. Mais vous avez quelque chose pour tout emporter ? Tout risque de s'abîmer, en plus, dans un sac.

Une prise de conscience s'empara de cette jeune femme. Ses yeux s'agrandirent, et exprimèrent leur désarroi.

Oh non, c'est vrai... lui accorda-t-elle. Vous avez raison, je ne peux pas me permettre d'abîmer tout ça ! Elle s'exclama. Ça a l'air beaucoup trop bon, faut pas gâcher.

Je vous remercie, il lui adressa un sourire.

Comment est-ce que je peux faire du coup... Ohlala, je ne peux pas me décider. Elle faisait des allers retours le long de la vitrine, et Niccolo aurait pu jurer distinguer un léger filet de bave sur le coin de sa bouche.

Il fut touché de cette indécision, et de l'égard que cette cliente témoignait pour chacune de leurs préparations. Le vendeur se sentait quelque peu ridicule, mais l'amour que cette fille semblait avoir pour la nourriture lui provoqua un petit tumulte au sein de son buste. Il avait l'impression de se voir plus jeune devant les créations de son père, et trouvait ainsi à la future acheteuse un côté très touchant.

Je sais ce que je vais faire ! Elle hurla presque ces paroles d'un seul coup, après quelques instants à méditer sans ouvrir la bouche. C'est quoi votre nom ? Lui demanda-t-elle alors.

Euh... prit de court, il dut faire le tri dans son esprit pour lui donner une réponse. Niccolo, je m'appelle Niccolo.

Bonjour Niccolo, je suis Sasha ! Sasha Braus. Se présenta-t-elle alors, encore plus énergiquement. Retenez bien mon prénom, c'est important.

D'accord, Sasha...

Écoutez ce qu'on va faire, Niccolo, elle débuta. À partir d'aujourd'hui, je vais venir tous les jours ! Je propose que vous me gardiez au moins un exemplaire de vos produits, et j'achèterai celui que vous me proposerez. Et il faut que ce soit un différent à chaque fois !

On ne peut plus ébahi, il ne put se retenir de lâcher quelques esclaffements devant cette demande. Il la trouvait de plus en plus surprenante, et une affection familière gagnait déjà les parois de sa poitrine.

J'accepte votre requête, mademoiselle Sasha, lui répondit-il entre quelques rires. Une petite teinte rosée peignait ses pommettes.

Le ravissement qui vint colorier l'expression de la jeune Braus ne fit qu'accentuer cette émotion. Un imposant sourire vint faire resplendir son charme tout particulier.

Je vais juste prendre un croissant pour commencer alors, monsieur Niccolo, elle lui tendit quelques pièces en même temps qu'elle articula sa commande.

La joie ne les quitta pas même après son départ de la boulangerie. Elle n'avait même pas attendu de sortir pour croquer dans sa viennoiserie, et lui avait affirmé que c'était le meilleur croissant que sa bouche ait rencontré.

De son côté, Niccolo se dit que c'était la personne la plus merveilleuse qu'il eut jamais croisé.

Il repensa à cette visite tout au long de la journée, gardant un bref espoir qu'elle reviendrait avant même le lendemain pour réclamer un autre met. Lorsque la soirée gagna l'horloge, un sentiment de déception s'empara de lui pour la première fois depuis qu'il travaillait ici. Mais elle fut bien vite remplacée par la hâte. Impatient, il souhaitait que le temps accélère, que la nuit fasse une course pour permettre au soleil de se lever plus rapidement.

Malheureusement pour lui, il ne trouva pas la fatigue. Les heures passèrent avec une lenteur inimaginable, et lorsqu'il vit enfin le chiffre quatre s'afficher sur son réveil, il se débarrassa de ses draps avec une vitesse sans mesure. Il se débarbouilla, s'habilla, et pour la première fois, le jeune homme se regarda. Son reflet dans le miroir lui renvoya un portrait peu flatteur. Ses cernes n'avaient jamais été aussi conséquentes. Ses cheveux étaient étalés sans sens sur les deux côtés de son crâne.

Comment je peux me coiffer ?

Finalement, il se contenta de les brosser pour leur donner meilleur allure. Ses mèches blondes tombaient joliment, et lui donnait un air plus soigné. Il savait que cela allait forcément être gâché par la chaleur étouffante des fours, mais il prendrait le temps de les replacer avant de se mettre derrière le stand.

Il ne se rendait même pas compte de son comportement. Son corps et son esprit, en accord, dirigeaient sa personne sans lui demander sa permission. Il ne mettait pas de mot sur les raisons de cet engouement. C'était juste ce qu'il devait faire. Et il l'exécutait avec un plaisir inouï.

Son père crut avoir affaire à une apparition surnaturelle lorsqu'il vit son fils de si bonne heure. D'habitude, il allait le réveiller vers les coups de six heures, puisque le garçon avait tant de mal à sortir de son lit.

Tout va bien, fiston ?

Une certaine inquiétude peignait sa question, mais celle-ci fut bien vite terrassée quand il rencontra la mine de Niccolo. C'est avec surprise que son géniteur lui trouva une expression que jamais il n'avait arboré auparavant.

Nom de dieu, qu'est-ce qui s'est passé ?

Coiffé et complètement réveillé, un sourire inouï sur les lèvres, il ne reconnaissait pas son fils si négligent de son apparence et si paresseux en cette horaire matinale. La solution ne mit évidemment pas très longtemps à faire son chemin dans l'esprit de son père. Quand il comprit d'où venait certainement ces changements, il fut presque ému de réaliser cela.

Niccolo n'avait toujours vécu que pour l'aider et pour faire vivre la boulangerie, et ne s'était jamais vraiment préoccupé de s'attacher aux autres, ou de prendre du temps pour lui, pour sortir. Si son garçon venait de trouver la fameuse voie qu'était l'amour, son envol commencerait alors, sans aucun doute. Le buste gonflé de bonheur, il l'accompagna aux cuisines, pour la première fois ensemble pour le début des préparations.

La matinée passa sans que Sasha ne fasse son apparition. Malgré lui, Niccolo était dans le brouillard avec les autres clients. Un espoir sans nom s'emparait de lui lorsque le tintement de leur clochette retentissait, mais il ne pouvait s'empêcher d'être chagriné lorsqu'il ne voyait pas les yeux d'or de la jeune fille traverser la boutique.

Toutefois, il fit moult efforts pour accomplir son travail avec efficacité, quand bien même ses pensées voguaient sempiternellement ailleurs. Les acheteurs n'avaient pas l'air de remarquer son comportement, sauf ce pauvre Floch, un autre habitué, qui se retrouva avec un baguette complètement grillée, censée finir aux déchets. Le boulanger lui adressa mille excuses devant son regard abasourdit.

L'après-midi finit par commencer. Les visites furent moins nombreuses, bien que toujours présentes. Les clients venaient principalement le matin et le soir.

Et comme promis, Sasha revint.

À nouveau, ils étaient seuls dans la boulangerie. Lorsque Niccolo comprit qu'elle était là, les battements de son coeur cognèrent sa cage thoracique avec virulence. Leurs regards se croisèrent, et le jeune homme se sentit aspiré indubitablement par cet échange visuel. Son souffle s'en retrouva coupé un instant, qui lui sembla éternité.

J'ai si faim !

Ce furent ses premières paroles. Les premiers mots de leur nouvelle conversation. Instinctivement, un immense sourire étira les lèvres du vendeur, et il accueillit Sasha avec le produit qu'il avait gardé de côté pour elle.

J'espère que ça calmera au moins un peu votre faim, alors.

Il lui tendit un paquet que la jeune femme saisit comme s'il s'agissait de son cadeau de Noël. Ses pupilles brillaient de curiosité et d'impatience. Finalement, elle découvrit un appétissant chausson aux pommes, brillant du soin accordé à la préparation.

Elle dirigea alors instantanément ses yeux sur Niccolo.

Vous êtes le sauveur de ma journée, vous savez ?

Et elle fit ce fameux sourire dont le garçon s'était ressassé la vision toute la nuit. Il pouvait sentir son visage rougir violemment, et pria alors pour que Sasha ne le remarque point. Mais la grande brune était si absorbée par son met qu'elle se contenta de le payer, pour tout de suite recadrer son attention sur sa viennoiserie.

Ils ne vous nourrissent pas, chez vous ? Plaisanta-t-il.

Les repas au centre aéré sont si ignobles, si vous saviez, elle se plaignit. J'ai envie de changer de job d'été juste pour ça, tellement ça me déprime.

Niccolo rit à cette remarque. Elle correspondait tout à fait au peu qu'il connaissait de la jeune fille.

Au moins, ça me garantie de pouvoir respecter mon marché tous les jours, il lui adressa ces mots tendrement. Il ne contrôlait pas les émotions qu'il renvoyait, et tâchait simplement de faire durer cette conversation le plus longtemps possible.

Ils discutèrent encore quelques minutes, même après que Sasha eut finit de déguster son chausson aux pommes. Il n'aurait jamais pu le lui avouer, mais ce chausson avait été préparé tout spécialement pour elle. Il l'avait méticuleusement cuisiné en pensant à lui donner le meilleur rendu et le plus parfait goût qu'il pouvait créer. Et Niccolo savait que désormais, il allait s'adonner à cette activité tous les matins, dans l'esprit que celle qui faisait chavirer ses pensées découvrirait chaque met avec bonheur.

Ils évoquèrent le boulot d'été de Sasha, qui lui prenait presque tout son temps. Elle le faisait avec plaisir, appréciant la compagnie des enfants qui se battaient tous pour faire partie du groupe dont elle allait s'occuper.

Un gamin m'a poussé dans la piscine parce que je n'avais plus de place pour le prendre dans mon groupe ! Elle s'esclaffa en se remémorant ce moment. J'étais toute habillée, donc ce sale gosse m'a obligé à porter un short de mec trois fois trop grand pour moi, et un t-shirt Winnie l'ourson, vu qu'ils n'avaient que ça en stock.

Niccolo explosa de rire. Il ne savait pas si la chance le bénissait, mais l'entrevue se passait mieux que ce qu'il n'aurait jamais pu se figurer.

Vous l'avez disputé ? Finit-il par l'interroger.

Je n'ai pas eu le coeur à le faire, elle avoua, tout en resserrant sa queue de cheval. Il m'a fait un câlin en me demandant pardon dès que je suis sortie de vestiaire, et ma nouvelle tenue m'a valu encore plus de succès !

Leur conversation fut interrompue par le bruit de la sonnette, qui fit tinter le coeur de Niccolo de désappointement. Sasha se rendit compte qu'elle devait vite retourner au travail, et lui adressa de nouveaux remerciements pour le délicieux chausson aux pommes qu'elle avait eu le plaisir de manger. Alors qu'il commençait à s'occuper du nouveau client, bien que peu concentré sur celui-ci, Sasha lui lança un au revoir qui fit trembler son coeur d'une caresse naïve.

À demain, Niccolo !

Les journées s'enchaînèrent de cette façon. Tous les jours, les deux jeunes gens se retrouvaient dans ce rendez-vous particulier, où tous deux semblaient s'en aller hors du monde, en l'espace de quelques minutes. Sasha avait toujours quelque chose à raconter, une anecdote de son travail, ou des questions à lui poser sur son métier de boulanger.

Elle admirait le jeune homme avec une force à laquelle il n'était pas habitué. D'ordinaire, ce n'était pas une vocation qui faisait bien rêver. Mais Sasha l'écoutait toujours avec une attention religieuse, presque passionnée. Elle le complimentait, et lui, rougissait.

Peu à peu, les sentiments prirent totalement possession du quotidien de Niccolo. Il ne voyait qu'elle. Il la cherchait dans tous les visages qui passaient, chaque jour. Ses rêves lui montraient son sourire, lui faisaient connaître la chaleur de sa main, et goûter la douceur de ses lèvres.

Il chérissait ces moments avec une dépendance inouïe. Ses repas lui semblaient fades, le sommeil s'était envolé depuis bien longtemps désormais. L'amour avait tout remplacé.

Le pire était cette sensation. Cette familiarité. Cette vive émotion, qui lui provoquait une nostalgie qu'il était pourtant certain de n'avoir pas de raison de ressentir. Il ne comprenait pas tout ce qui se passait dans ses esprits quand il s'agissait d'elle. Mais le fait d'avoir l'impression de retrouver ce qu'il avait autrefois perdu s'emparait de plus en plus de lui, et le désorientait tout à fait.

Un jour, ils étaient devenus tous les deux assez complices pour s'échanger des paroles plus intimes. Ils ne parlaient plus que des bonnes choses. Il leur arrivait de se confier l'un à l'autre. Sasha avait peur, terriblement peur pour son avenir. L'été allait se terminer, une année allait recommencer. Elle se rendait sur sa vingtième année, et ne savait pas où elle en était.

J'ai l'impression de complètement me tromper dans le choix de mes études, lui avait-elle avoué. Mes parents ont tout de suite su ce qu'ils voulaient faire de leur vie, et moi je suis juste... paumée.

Ses bras tombaient le long de son corps. Ses yeux étaient tristes, et faisaient transparaître les tréfonds de ses soucis.

Des fois, j'aimerais bien être à ta place, elle se confia. Avoir une entreprise familiale, prendre la relève, et que ça soit tout de même ma véritable passion.

Son visage était baissé, chagriné. Elle ne le regardait plus.

Prit d'une peine si intense de la voir dans cet état, Niccolo contourna le stand. Il fit le tour, et se dirigea vers elle. Pour la première fois, rien ne les séparait. Ils étaient côte à côte.

Sasha...

Impulsivement, il saisit sa main pour qu'elle braque à nouveau ses prunelles d'or sur lui. Cela marcha. Il remarqua l'éclat de son regard, qui ne brillait cette fois non pas d'appétit, mais d'abattement.

La jeune femme serra sa paume contre la sienne.

Tu penses que je suis nulle, Niccolo ? Lui demanda-t-elle avec affliction.

Sa question, si sincère, donna envie de pleurer au jeune homme.

Il resserra sa poigne.

Je pense que tu es merveilleuse, Sasha. Il ne contrôlait plus ce que sa bouche prononçait.

Ne dis pas n'importe quoi, elle lâcha tout de même un bref rire à ces mots.

Je le pense vraiment. C'est la première chose que je me suis dis quand tu es entrée dans cette boulangerie, il y a quelques semaines.

Le buste de Niccolo était à la fois relâché d'admettre ce qu'il ressentait véritablement depuis leur premier échange, mais également gonflé d'une pression sans nom, de crainte de la réaction de celle dont il était profondément amoureux.

Avec surprise, il découvrit un sourire sur le visage de cette dernière. Le garçon se sentit plus atteint par cette femme que jamais.

Merci d'être là, Niccolo.

Le jeune homme fut envahi par le désir de la serrer dans ses bras, mais aussi par celui, plus brûlant encore, de déposer sa bouche contre la sienne. Son autre main vint timidement se poser sur le visage de Sasha, qui sursauta légèrement, mais qui ne quittait pas le grand blond des yeux. Leur corps paraissaient soudainement aimanté l'un vers l'autre avec une force irrationnelle. La jeune fille était hypnotisée par la présence de Niccolo, et s'apprêtait à lui rendre ce qu'il souhaitait lui offrir.

Malheureusement, une fois de plus, quelqu'un les interrompit avant que cela ne puisse se produire. Madame Jaeger venait de pénétrer dans la boulangerie, sans d'abord remarquer ce qui se passait entre les deux jeunes gens.

Ces derniers se séparèrent brusquement, prenant conscience de ce qu'ils étaient sur le point de faire ensemble. La cliente remarqua vite leur gêne, et pensa à rebrousser chemin, mais Sasha s'en chargea avant même qu'elle ne puisse faire un pas un arrière. L'adolescente sortit comme une furie du lieu, sans regarder en arrière.

Désespéré, Niccolo la regarda partir sans pouvoir prononcer un mot, ni bouger. Sa bouche resta ouverte de désarroi, et son coeur avait toujours l'allure effrénée que ce rapprochement avait provoqué. Il ne vit pas le malaise de Carla Jaeger, qui sortit elle aussi, presque sur la pointe des pieds.

Le jour suivant, Sasha ne vint pas.

La fin de la journée fut désastreuse pour le jeune homme. Lorsque la tranche d'horaires durant laquelle Sasha venait avait été dépassée, un énorme poids s'était étalé sur l'entièreté de son corps. Il avait la sensation de traîner un boulet d'une charge incommensurable, qui rendait chacun de ses pas douloureux. Au fur et à mesure que les heures passaient, il était de moins en moins capable d'afficher une quelconque trace de bonne humeur pour les autres clients. C'est à peine s'il les voyait, s'il se rendait compte de leur présence.

Lorsque l'horaire de fermeture sonna, il eut un mal infini à quitter la boutique, et cela malgré les appels de son père. Il avait peur. Terriblement peur. Il avait l'impression qu'il l'avait définitivement perdue, que son geste avait été bien trop osé et déplacé, et que désormais, plus jamais elle ne reviendrait discuter avec lui. Le garçon avait été bien trop impoli, et avait même profité d'un moment de faiblesse où Sasha se sentait mal. Elle devait lui en vouloir. Elle devait le détester. Il se détestait. Il s'en voulait.

Lorsque la nuit tomba, et que le père et le fils rentrèrent à leurs appartements, Niccolo se sentit nauséeux. La crainte lui écartelait la peau, et frappait son ventre avec une violence sans merci. Il ne pensait qu'à Sasha. Il se demandait si elle viendrait le lendemain, si elle avait simplement eu un empêchement aujourd'hui. C'était ce qu'il se répétait pour se rassurer.

Malheureusement, elle ne revint pas le jour d'après. Ni le surlendemain. Les mets que Niccolo préparait spécialement pour elle s'entassaient. Ils séchaient, inutiles, dans un coin de la boutique.

Le quatrième soir, les premières larmes coulèrent. Le jeune homme se sentait misérable. Il la connaissait depuis quelques semaines à peine, mais elle avait prit une telle place en si peu de temps que son absence arrachait une partie de lui. C'est à peine s'il se sentait capable de gérer de nouveau la boutique le lendemain, lui qui n'avait vécu que pour cela depuis sa tendre enfance.

Son père, malgré lui, surprit les lamentations de son garçon.

Il toqua à sa porte, et entra sans attendre de réponse de sa part. Il le trouva au pied de son lit, le visage écrasé au creux de ses mains, prit aux hoquets de ses sanglots.

Il s'installa à côté de lui, et passa un bras au dessus de son épaule. Niccolo était grand, bien plus que lui, mais il se ratatina tout de même dans l'épaule réconfortante de son père, qui accueillit sa tristesse avec une compréhension et un réconfort sans limite.

Ils demeurèrent quelques minutes comme cela, sans qu'aucun des deux n'échangent un verbe. Les larmes continuaient de rouler sur la peau claire de Niccolo, mais les pleurs se calmaient peu à peu, laissant place à une tristesse plus tranquille, à laquelle son coeur s'était déjà accoutumé.

Qu'est-ce qui ne va pas, fiston ?

La voix chaleureuse de son géniteur donna de nouveau envie au jeune homme de pleurer. Cependant, il se retint, et se dégagea doucement de sa présence pour se redresser sur son lit. Il renifla, et essuya le reste des perles de chagrin toujours présentes.

J'ai... commença-t-il d'une voix cassée par ses émotions. J'ai fais du mal à quelqu'un.

Son père arqua un sourcil. Niccolo était plus doux qu'un agneau, il était compliqué pour lui d'envisager une telle probabilité.

C'est plutôt toi qui semble blessé, il répondit prudemment.

Je suis blessé parce que je ne voulais pas lui faire de mal, il expliqua douloureusement. J'ai été trop loin, et maintenant elle ne veut plus me voir.

Le pronom elle mit fin aux suspicions de son père, qui comprit instantanément la situation. Il s'en était évidemment douté, surtout depuis qu'il avait surprit son fils être si joyeux. Si la raison de cette joie transcendante, que Niccolo affichait depuis plusieurs semaines, était une fille, celle de sa peine ne pouvait être provoqué que par la même provenance.

Qu'est-ce que tu as fait qui a pu lui enlever l'envie de te voir ?

Le garçon rougit.

J'ai voulu l'embrasser.

Son père sourit, attendrit.

Elle n'était pas d'accord ?

Je ne sais pas. Je ne sais plus, il avoua. Sur le moment, je pensais que.. c'était justement, le bon moment..

Il passa une main dans ses cheveux blonds, encore coiffés de cet effort qu'il faisait spécialement pour elle en se levant chaque matin.

Elle t'a repoussé ? Il continua les questions. Il sentait que son fils avait besoin d'en parler.

Non, enfin, je ne crois pas. Je pensais même qu'elle allait me rendre mon baiser. C'est une autre cliente, en rentrant, qui nous en a empêché. Et... elle est partie en courant la seconde suivante.

Il voyait bien que son garçon se triturait l'esprit sur l'éthique de ce qu'il avait commit. Mais à travers ce qu'il lui racontait, il avait bien l'impression que Niccolo se trompait de chemin pour trouver ses réponses. Le vieil homme n'était pas un spécialiste de l'amour, ni des femmes en général. En vérité, il n'avait connu que la sienne, et ne souhaitait pas aimer qui que ce soit d'autre même des années après son départ. Mais son intuition lui chuchota tout de même la fausseté des remords de son fils.

Écoute, fiston, il attira son attention. Cette fille, c'est toujours elle qui est venue te voir, n'est-ce pas ?

Interpellé, le grand blond hocha la tête, sans savoir où il souhaitait en venir.

Si vous étiez sur le point de franchir cette étape, peut-être qu'elle a simplement eu peur après coup. Ou peut-être qu'elle est gênée.

Niccolo l'écoutait, bouche bée.

Mais c'est moi qui ai tenté de l'embrasser...

Son père lâcha un rire franc.

Ça doit peut-être la terrifier de venir après ça, il supposa. Tu sais, on agit toujours bizarrement, en amour. On ne se reconnaît pas forcément, et on a même parfois envie de se mettre une bonne paire de claques.

L'adolescent souffla du nez, amusé. Il se reconnaissait parfaitement dans ces dires.

Tu l'aimes vraiment, cette fille ? Lui demanda-t-il alors.

Sans une once de honte, Niccolo répondit positivement d'un geste de la tête.

Depuis que je la connais, j'ai l'impression d'entendre les mots de maman, lui avoua-t-il.

Lesquels ?

Le jeune homme sourit en y repensant.

Elle m'avait dit qu'en te croisant, elle n'avait pas eu l'impression de te rencontrer, mais de te retrouver.

Le vieil homme se sentit émergé par un flot d'émotions à l'égard de sa défunte épouse. Elle avait prononcé ces paroles le jour de leur union, et avait fait versé des larmes de bonheur à son mari, qui ressentait bel et bien le même sentiment depuis leur premier échange.

Va la voir, fiston.

Niccolo le dévisagea, surprit.

Quoi?... Comment est-ce que...

Tu dois bien avoir une idée de où tu pourrais la trouver, non ?

Il réfléchit. Ses idées ne mirent pas longtemps à effectivement toucher le fils d'une solution. Il n'y avait qu'un seul centre aéré dans toute la ville, et il connaissait presque les horaires de Sasha par coeur. Il s'était déjà imaginé aller la voir, par surprise, mais n'avait jamais osé. Le projet même s'était tout à fait évaporé de son esprit lorsque leurs derniers gestes avaient sonné, pour lui, comme un adieu déchirant.

Prends ta journée, demain. Et vas la voir.

Niccolo remercia son géniteur de tout son coeur. Ce dernier lui attribua une dernière accolade avant de se lever de nouveau, et de quitter la pièce. Il était heureux d'avoir pu soulager ne serait-ce qu'une infime partie du chagrin de son fils. Et celui-ci, pour la première fois depuis quatre longues journées affligeantes, put enfin trouver le sommeil dans le réconfort des mots que son père lui avait offert.

Le lendemain matin, Niccolo se réveilla une fois de plus aux aurores. Malgré les protestations du gérant, il lui offrit tout de même son aide pour la finition des préparations pour la journée. Il ne pouvait guère quitter l'établissement en laissant tout le travail au vieil homme. Une fois que tout ceci fut achevé, il prit enfin congé de la boutique.

Lorsqu'il émergea de celle-ci, l'adolescent se rendit compte qu'il n'avait pas mit les pieds hors de la boulangerie depuis un long moment. Il s'était attelé à la tâche durant tout l'été, sans prendre la peine de sortir, d'admirer le ciel bleu sans nuage qui coloriait le paysage. Les passants étaient bronzés, la plupart souriaient de leur sortie sous le soleil brûlant. Les enfants riaient, et les commerçants aux alentours discutaient ensemble de leurs affaires.

Ce beau tableau encouragea Niccolo à débuter sa route jusqu'au centre aéré. L'établissement n'était pas très loin, seulement à une quinzaine de minutes à pieds. Il prit néanmoins conscience de l'effort que Sasha devait faire pour venir jusqu'à la boulangerie sous de telles températures. Il se sentait abusivement transpirant au bout de quelques minutes de marche sous les trente degrés de la saison.

Lorsqu'il parvint à l'entrée du centre, le stress vint fulminer sa poitrine. Il entendait les coups de son coeur, prit d'un assaut virulent. Le jeune homme resta quelques secondes sur place, sans parvenir à bouger. Mais finalement, son corps prit le dessus sur ses craintes, et il traversa la grande barrière enfantine où lui-même avait passé du temps étant jeune.

Ses pas le guidèrent, hasardeux, entre divers endroits remplis de gamins. Personne ne semblait faire attention à lui, jusque'à ce qu'une main l'interpelle en se posant sur son épaule.

Hé, mec, t'es perdu ?

Une voix masculine venait de lui poser cette question. Niccolo fit volte-face. Il se retrouva devant un garçon d'à peu près son âge, le crâne rasé. Au badge qu'il portait, la grand blond devina qu'il était lui aussi animateur ici. Il ne sut pas quoi répondre à cette interrogation, cherchant ses mots pour expliquer la situation.

Tu devrais répondre vite, sinon, je vais penser que t'es un pédophile venu pour mater les gosses, plaisanta le jeune homme qui travaillait ici.

Aah ! Niccolo, surprit, fut prit de panique. Non non, c'est pas ça du tout, euh.. je cherche quelqu'un.

Son interlocuteur arqua un sourcil.

T'as un fils ici ? Un p'tit frère ?

Non plus, euh...

Le boulanger lâcha un soupir. Il devait tâcher de se calmer s'il ne souhaitait pas se faire virer de cet endroit dans les secondes qui allaient suivre.

Je cherche Sasha, déclara-t-il enfin. Une Sasha Braus.

Ses joues étaient teintées de gêne. Ses sentiments étaient si transparents que le garçon qui travaillait ici n'eut besoin que d'un instant pour déterminer l'identité de cet inconnu.

Oh putain, lâcha-t-il soudainement. T'es Niccolo, pas vrai ?

Étonné, les yeux noisettes de l'interpellé s'écarquillèrent.

Oui, c'est moi... Comment est-ce que-

Sasha est derrière la cabane après la piscine et les toboggans, l'informa-t-il sans lui laisser le temps d'achever sa phrase. Va la retrouver.

Incapable de comprendre ce qui était en train de se produire, Niccolo demeura béat, immobile. Bien trop d'informations traversaient en même temps ses méninges, et il ignorait comment toutes les trier tout en se rendant également vers l'endroit où Sasha lui était indiquée.

Il secoua finalement la tête pour se débarrasser de ses futiles questionnements. Tout ce qui importait était Sasha. Il devait la retrouver.

Merci beaucoup.

Il délaissa alors son informateur sans se retourner. Il suivit le chemin indiqué en longeant la piscine, sous le regard rassuré de celui qui venait de l'aider. Il faillit renverser quelques enfants à cause de ses grandes jambes maladroites, et du contraste de taille entre eux. Il s'excusa à maintes reprises pour traverser les lieux où il dérangeait, pour enfin parvenir à cette fameuse cabane.

Elle était logée dans un coin à l'ombre, où le soleil s'arrêtait sur les feuilles presque brûlées. Les pas de Niccolo firent craquer l'herbe sèche, ce qui rendit impossible une quelconque discrétion. Dès lors qu'il fut proche du lieu, il put entendre la voix si familière de celle qui lui avait tant manqué :

Connie, je t'ai dis que je voulais pas de ton vieux sandwich au thon.

Mais lorsque la jeune femme qui prononçait ces mots se rendit compte qu'elle faisait erreur, l'expression ennuyée qu'elle arborait changea radicalement à la vue du grand blond. Sa bouche s'ouvrit en grand. Presque certaine de voir un mirage à cause de la chaleur, elle secoua la tête, comme pour tenter de chasser une vile illusion. Mais le garçon était là. Devant elle. Et il souriait avec cette tendresse qui avait toujours eu le don de faire fondre ses résistances.

Niccolo était incroyablement heureux de l'avoir en face de lui. Même s'ils ne parlaient pas, il la revoyait. Leur relation n'allait pas s'achever si bêtement, si tristement. Il allait enfin pouvoir lui avouer tout ce qui pesait sur son coeur.

Mais la jeune femme eut une réaction qu'il ne put prévoir : elle se mit à dévaler à toute vitesse.

Quand bien même l'hébètement s'empara une nouvelle fois de lui, cette fois-ci, il se se permit aucune hésitation. Le regard que Sasha lui avait rendu lui avait gonflé la poitrine d'espoir. Elle ne le détestait pas. Elle ne lui en voulait pas. Elle courait de peur. Elle courait, effrayée par des sentiments dont lui-même s'était retrouvé submergé. Elle était tétanisée, comme lui, par la violence de leur inclination.

Niccolo courut, sans se soucier de ce à quoi cette scène pouvait ressembler. En un rien de temps, il la rattrapa, bien que celle-ci dévalait à une bien plus grande vitesse que ce à quoi il aurait pu s'imaginer au premier abord. Sa poigne enserra sa main, empêchant la jeune fille d'aller plus loin et de continuer sa course.

Sasha, arrête de me fuir !

Je ! Ne ! Fuis ! Pas ! Peina-t-elle à articuler entre toutes ses respirations acculées.

Elle évitait désespérément son regard. Elle avait peur d'être ridicule. Qu'il vienne lui annoncer la terrible sentence dont elle était tant soucieuse. L'adolescente ne voulait pas découvrir, sur le visage du garçon qu'elle aimait, une émotion différente de la sienne. Elle s'était tellement vite rendue compte de ses émotions à son égard que tout semblait hors de contrôle désormais.

Sasha... regarde-moi.

Non, elle refusa.

Sasha !

Je n'ai..pas envie.

Hé.

Pourquoi est-ce que tu es venu ?

Cette question faisait enfin sens dans l'esprit du boulanger. C'était quelque chose qu'il s'était demandé tout au long du trajet, tout au long de son chemin jusqu'à elle.

Ce n'est pas la peine, j'ai compris, l'empêcha de répondre la grande brune d'un ton sarcastique. Je sais que tu regrettes, que c'était juste un moment de faiblesse parce que j'étais triste.

C'est vraiment ça que tu penses ? Niccolo était abasourdit.

Je peux pas t'en vouloir, même moi, j'aurais probablement envie de me rouler une pelle pour me consoler, elle continua ironiquement sans écouter son intervention. Je méritais pas de recevoir ton affection et de profiter de toi comme ça.

Sasha.

Je vais juste arrêter les viennoiseries et manger des glaces tous les soirs, si ça peut te rassurer un p-

Elle n'eut pas l'occasion d'achever la fin de sa phrase. Niccolo venait de saisir délicatement son visage, avant de passer l'une de ses mains derrière la nuque de la jeune fille. Ses lèvres vinrent alors compléter les siennes.

Avec surprise, Sasha découvrit le goût de la bouche de son bien-aimé, en même temps que son odeur, qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de sentir jusque-là. Leur baiser s'approfondit, et l'adolescente finit par entourer le garçon de ses bras chérissants.

Ce fut le plus merveilleux moment de leur été. Le plus parfait. Il leur semblait que l'éternité traversait leur échange, que des milliers de vies et d'années s'écoulaient au sein de leur proximité.

Les deux jeunes gens finirent par rompre cet instant, et par se détacher l'un de l'autre. Mais ils plongèrent à nouveau dans leurs bras à peine leur première étreinte terminée.

Excuse-moi de ne pas être revenue, fit Sasha. J'avais peur.

Excuse-moi de ne pas être venu plus tôt, lui répondit Niccolo. J'avais peur, moi aussi.

Ils finirent par se sourire. Leurs prunelles étincelaient d'une tendresse infinie où tous deux se perdaient. Ils auraient souhaité que les secondes ralentissent. Que leur corps restent pour toujours accrochés l'un à l'autre, enfin complétés par l'âme qui leur manquait.

Je t'aime, chuchota alors timidement Niccolo. Il avait besoin qu'elle l'entende.

Le coeur de Sasha se gonfla de ravissement. C'était la première fois que quelque chose la rendait plus heureuse que la nourriture. Niccolo semblait être la personne qu'elle avait toujours cherché. Avec qui elle pouvait tout partager. Cette évidence l'avait tant effrayé qu'à la moindre difficulté, elle avait fui, prise d'une crainte dévastatrice. Mais désormais, elle se sentait apaisée. Aimée.

Et le garçon était aimé en retour.

Je t'aime aussi, elle lui confia sa réciprocité. Presque autant que tes chaussons aux pommes.

Tout deux rirent aux éclats. N'importe quoi pouvait leur donner l'envie de s'esclaffer, de s'embrasser. Ils paraissaient trop heureux pour que cela soit vrai.

Tu le sens aussi ? Le questionna-t-elle soudainement.

Quoi donc ?

Elle lui sourit. Elle détourna les yeux, gênée.

C'est bizarre, depuis que je suis rentrée dans ta boutique, j'avais l'impression de te connaître.

Niccolo écouta ses mots sans vraiment réaliser ce qu'elle était en train de paraphraser.

Comme si je t'avais retrouvé, après t'avoir longtemps perdu.

Et un éclair déchira le ciel. La froideur d'un autre monde flotta sur leurs esprits. Des formes abstraites couraient autour d'eux. Des sentiments de haine, de peur, d'affliction. Des lames. Des armes. Des cris. Du sang. Et au milieu de cela, deux jeunes gens. Deux jeunes personnes, partageant un repas. Deux adolescents, que la mort avait séparé. Deux êtres, qui n'avaient pas encore eu le temps de s'aimer.

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