chapitre 7 ◌ instinct

Les bâtiments longeant le port peuplé se dessinaient au loin. Sur le pont du navire, un membre de l'équipage se préparait déjà à jeter l'ancre. C'était imminent ; ils allaient s'amarrer au continent Mahr.

Les mains posées contre la rambarde blanche, les yeux rivés à ce territoire qu'elle avait fui quelques années plus tôt, Ophelia fit claquer ses ongles contre le métal. Elle pouvait déjà voir les passants, tous apprêtés comme les élégants citoyens Mahr qu'ils étaient ; costumes, chapeaux, jolies robes, un festival d'hypocrisie comme elle les détestait. Aujourd'hui, elle était vêtue comme eux et, bien qu'habituée à se faire passer pour quelqu'un qu'elle n'était pas, elle n'aimait pas ça.

— Tu es nerveuse de te retrouver ici ? s'enquit Armin qui, lui, se révélait plus qu'enthousiaste face à cette nouvelle aventure.

Ophelia haussa les épaules et tourna la tête vers le blond. Pourtant, son regard se posa automatiquement sur le jeune homme qui se trouvait quelques mètres derrière lui. Il observait lui aussi le paysage, sans prêter attention aux autres ou à ce qu'il se passait sur le bateau qui atteignait enfin le port.

— Pas aussi nerveuse que ton meilleur ami, visiblement.

Surpris, Armin jeta un coup d'œil au concerné. Eren posa à son tour ses mains sur la rambarde, trop occupé à parcourir la foule des yeux pour remarquer ses deux camarades.

— Je suis sûr que ça va bien se passer, affirma le blond en reportant son attention sur Ophelia. Voir le monde extérieur... c'est ce qu'on a toujours voulu.

Malgré l'évidence du fait qu'Eren était tout sauf heureux d'être ici, elle ne prit pas la peine de rétorquer. Les sourcils froncés, la jeune femme se résigna à lâcher le Jaeger du regard lorsque le navire s'arrêta pour de bon. On déplia les escaliers pour permettre aux passagers de rejoindre la terre ferme et Ophelia suivit le mouvement, peu attentive aux conversations de ses camarades du Bataillon. À peine arrivés au port, le groupe se dispersa sans aucune compassion pour le pauvre Onyan-Kopon qui était pourtant chargé de les conduire à la résidence des Azumabito.

Sasha se fit une joie de dépenser l'argent qu'elle avait en poche pour offrir à son palais les saveurs inconnues de ce nouveau continent. Intrigués, Conny et Jean cédèrent à leur tour et se retrouvèrent vite un cône de glace à la main chacun. Armin tenta bien de partager son enthousiasme avec ses amis d'enfance, mais seule Mikasa y était réceptive. Ophelia quitta la bande lorsque cette dernière s'avança pour acheter une glace à son tour. Elle recula jusqu'à la barrière qui séparait l'avenue marchande du bord de mer et se retourna pour y poser ses mains, non loin du seul jeune soldat qui ne montrait aucun intérêt pour la découverte du continent Mahr.

— Quelque chose ne va pas ? lança-t-elle.

Adossé à la barrière, Eren ne prit pas la peine de se tourner vers la jeune femme. Au contraire, il baissa les yeux et elle aurait été prête à jurer qu'il ne le fit que pour l'empêcher de lui faire remarquer son comportement étrange, la façon dont il laissait son regard passer de visage en visage comme pour se forcer à mémoriser chacun d'entre eux.

— Pourquoi ça t'intéresse ?

— Je sais pas vraiment. Bon, je suppose que tu connais déjà certaines choses d'ici ? Grâce à la mémoire de ton père, précisa-t-elle.

— Ouais. Mais ça correspond pas vraiment à l'image que je m'étais faite, avoua Eren. Tu vas pas prendre une glace avec les autres ?

— Et toi ?

D'un seul regard, il lui fit comprendre que sa tentative de se montrer agaçante fonctionnait bien.

— J'ai grandi dans un endroit où j'avais pas le droit de manger ce genre de choses, expliqua Ophelia après avoir soupiré. C'est l'habitude. Mais toi, tu devrais profiter de l'occasion, non ?

— Profiter ? répéta le jeune homme comme s'il entendait ce mot pour la première fois. Tu veux que je profite de la liberté que des gens de ce continent n'ont pas ? Je savais pas que le déguisement allait si loin.

Étonnée, la jeune femme leva les yeux vers lui, un sourcil arqué. Eren lui jeta un regard méfiant, conscient de l'imprévisibilité de l'ancienne espionne et des analyses précises qu'elle était capable de tirer de quelques simples mots.

— Quoi ?

— Je te trouve étonnamment intéressant, admit-elle.

Il reporta son attention sur ce qu'il se passait devant lui et fit comme si de rien n'était, ce qui ne fit qu'intriguer Ophelia un peu plus. Elle qui avait trouvé Sieg difficile à cerner devait bien avouer que son demi-frère l'était d'autant plus.

Interpellée par une soudaine agitation, elle se résigna à lâcher le Jaeger des yeux pour se retourner tandis qu'il se décollait de la rambarde pour apercevoir la source de la cohue. À quelques mètres de là, Levi lâcha le poignet du garçon qu'il venait de surprendre en train de voler la bourse de Sasha et recula, laissant l'enfant au centre de la foule. Les regards hostiles des Mahr étaient braqués sur lui, et le petit ne tarda pas à se mettre à trembler lorsqu'ils se mirent à débattre pour trouver le meilleur moyen de le punir.

— Pourquoi on le balance pas à la mer ?

— Non, on devrait lui écraser la main droite.

— Pendons-le quelque part, bien en vue ! Que ça serve d'avertissement à toute cette racaille !

Sans un mot, Eren dévisagea la prochaine personne qui prit la parole pour accuser le garçon d'être Eldien et d'avoir été viré de son pays pour cette raison. Elle mentionna les analyses sanguines de plus en plus répandues, celles qui servaient à faire souffrir un peu plus des innocents pour les péchés de leurs ancêtres. Habituée au tempérament impulsif de son frère adoptif, Mikasa ne tarda pas à se faufiler jusqu'à son niveau pour s'assurer qu'il ne se fasse pas remarquer.

Mais il ne fit rien, si ce n'est baisser les yeux en direction de l'endroit où Ophelia était censée se trouver pour découvrir qu'elle n'y était plus.

Distrait par cette disparition soudaine, le jeune homme ne prêta pas plus d'attention à la conversation. Il balaya la foule du regard et fronça les sourcils en constatant qu'elle n'était nulle part en vue. Il fallut que Mikasa le tire par la manche de sa veste pour qu'il suive le mouvement lorsque Levi se libéra la cohue en vitesse, le gosse sous le bras pour empêcher quiconque de lui faire du mal. Bientôt, tout leur groupe dut courir jusqu'à la sortie de la ville pour fuir les marchands en colère et les menaces des civils.

— Où est passé le morveux ? s'étonna le caporal lorsqu'ils furent assez éloignés des étalages du marché.

— Là-haut ! signala Hanji en désignant la crête sur laquelle s'était perché le gamin, le regard larmoyant et la bourse du caporal entre les mains.

— Et Ophelia, elle est où ? intervint Mikasa tandis que Levi remettait correctement sa veste, l'air de rien.

Rendu nerveux par l'agitation, Onyon-Kopon se racla la gorge avant de prendre la parole.

— Déjà en route pour la résidence des Azumabito. Je lui ai indiqué le chemin à prendre, je crois que la foule l'a mise mal à l'aise...

— La gamine qui ment comme elle respire est partie seule alors qu'on est sur le continent Mahr, récapitula Levi dans un marmonnement agacé. Ça commence bien.

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Ses doigts glissaient sans relâche le long de l'instrument, pressaient les touches blanches et noires sans commettre d'erreur tandis qu'elle tangait doucement sur son siège, bercée par la mélodie. Ce manège dura de longues minutes, des minutes très plaisantes pour les oreilles de quiconque passait près d'elle. Les yeux fermés, elle se réfugia dans la musique un moment, seul moyen de ne plus voir ou entendre ce monde qu'elle détestait. De ses lèvres entrouvertes s'échappaient des sons à peine perceptibles, un léger accompagnement vocal inconscient et sans paroles qui se mariait pourtant bien avec les accords joués.

Un craquement du parquet la sortit de sa transe. Surprise, Ophelia rouvrit les yeux et tourna la tête vers la personne qui venait d'entrer. Elle cessa peu à peu de jouer et toisa en silence le jeune homme tandis qu'il approchait, les mains enfouies dans les poches de son costume.

— T'es partie sans rien dire, fit remarquer Eren.

— Effectivement.

Sous le regard insondable du brun, elle tourna une page de partitions et se remit en position. Pour une fois, elle avait rassemblé ses cheveux en un chignon haut et n'eut, par conséquent, pas besoin de les coincer derrière ses oreilles comme elle avait l'habitude de le faire pour ne pas être dérangée. Imperturbable, Ophelia reprit son occupation malgré la présence d'Eren et finit même par lever les yeux vers lui, satisfaite de constater qu'il suivait attentivement les mouvements de ses mains sur l'instrument.

— Qui t'a appris ? questionna-t-il sans pouvoir s'en empêcher.

— Ma grand-mère, répondit-elle avant de marquer une nouvelle pause. Tu veux essayer ?

Pour illustrer ses propos, la jeune femme se décala pour libérer de la place sur le petit banc. Sceptique, Eren la toisa un moment.

— Sérieusement ?

— Quoi, t'as peur d'un piano ?

— Non, se renfrogna-t-il. Je veux bien essayer si tu me dis pourquoi t'es partie sans rien dire.

Sa tentative de négociation amusa Ophelia plus qu'autre chose.

— J'aime pas la foule.

— Tu mens.

— T'as jamais précisé que je devais répondre sincèrement. Alors ?

Contrarié, il n'amorça aucun geste pour venir vers elle et garda le silence un instant. Elle leva alors les yeux au ciel, plus sérieuse.

— Ça m'a rappelé des mauvais souvenirs, c'est tout. Et vous étiez terriblement lents à vous remettre en marche, ironisa-t-elle. Ça te va, comme réponse ?

Il dut retenir le flot de questions qui lui vint après cet aveu. En silence, il se contenta alors d'accepter, prenant bien soin de garder un air renfrogné en s'installant aux côtés d'Ophelia. Cette dernière esquissa un sourire, et il se fit la réflexion que cela en devenait perturbant. Depuis des mois déjà elle ne souriait ainsi que lorsqu'ils étaient tous les deux, ce qui ne pouvait signifier que deux choses ; elle tentait de le manipuler lui aussi et se servait de ses charmes pour le faire, ou bien elle était plus idiote que ce qu'il pensait.

Sans prêter aucune attention aux doutes du brun, elle saisit rapidement la main de ce dernier et la positionna au bon endroit. Elle parlait, c'était certain, mais Eren n'enregistra aucune de ses paroles, déconcentré par sa jambe qui touchait la sienne et par la vision de leurs mains liées au-dessus de l'instrument. Il comprit qu'elle lui montrait quand et où appuyer avec ses doigts, mais c'était peine perdue et sa vaine tentative de suivre le mouvement lorsqu'elle reprit la mélodie de son côté le prouva. Cette fois-ci, Ophelia alla jusqu'à laisser s'échapper un rire si sincère qu'il lui valut un regard presque accusateur. À quoi jouait-elle ?

Son rire étonnamment agréable à l'oreille s'évanouit cependant à l'instant où Eren quitta le banc pour se relever et s'éloigner après quelques minutes supplémentaires de cette douce torture, comme s'il venait de recevoir un véritable coup d'électricité. Confuse, Ophelia passa sa main contre sa propre épaule, celle qui avait été positionnée contre le jeune homme une seconde plus tôt et qui paraissait désormais gelée.

À quelques mètres de là, le Jaeger la dévisagea un instant sans savoir lequel d'eux deux était le plus idiot. Pourquoi laissait-il un tel moment arriver ? Il n'était pas censé partager cette complicité avec Ophelia, et encore moins l'encourager à se rapprocher un peu plus de lui. Et elle, comment pouvait-elle oublier si facilement son masque de jeune femme imprévisible ? Parce qu'à la regarder dans les yeux, il savait qu'elle venait de se montrer sincère, qu'elle avait momentanément oublié l'air qu'elle voulait se donner.

— Où est-ce que tu vas ? questionna-t-elle lorsqu'Eren tourna les talons et quitta la pièce sans se retourner après avoir secoué la tête. Hey, attends !

Sans hésiter, la jeune femme se leva à son tour et courut presque jusqu'à la porte. Au milieu du couloir, elle s'arrêta et se retourna en direction de la porte entrouverte située au fond, là où le reste de leur groupe commençait à échanger avec Kiyomi Azumabito. Il s'agissait sans aucun doute d'une énième longue conversation qui ne l'intéresserait pas et à laquelle même Eren ne comptait pas prêter attention, à en juger par son absence.

Alors, choisissant de laisser tomber ce que l'on attendait d'elle pour suivre son propre instinct comme elle l'avait toujours fait, Ophelia prit la même direction que lui et quitta la grande demeure des Azumabito pour s'élancer à sa suite, n'ayant alors aucune idée de ce que ce choix et ceux à venir lui coûteraient.

。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆

je viens d'écrire une nda et wattpad l'a supprimée
je sais plus ce que je disais
à bientôt pour la suite je suppose 😭

Zoé

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