chapitre 34 ◌ risque
- Où est-ce qu'on va, exactement ?
Le regard rivé à la petite fenêtre de la calèche, Eren ne répondit pas. Le regard d'Ophelia se fit plus froid tandis que l'agacement montait en elle. Pourquoi ne disait-il rien ? Elle n'avait aucune idée de la direction dans laquelle ils allaient ou bien de ce qu'il préparait pour la suite et, elle avait beau lui faire confiance, ne pas savoir commençait vraiment à la contrarier.
- Tu me fais pas confiance.
Surpris qu'elle prononce ces mots comme un constat et non une question, le jeune homme se tourna enfin vers elle.
- Si.
- Alors pourquoi est-ce que tu me dis rien ? insista Ophelia sans parvenir à cacher sa frustration. Tu crois que je ferais quelque chose pour te nuire si je connaissais tes plans ?
Elle haussa un sourcil en croisant son regard presque ironique.
- Non, justement.
Avant qu'elle n'ait le temps de continuer, Eren se pencha en avant et extirpa une fine lame de la botte de la jeune femme. Cette dernière écarquilla les yeux, étonnée qu'il la connaisse si bien, au point où il était capable de savoir où est-ce qu'elle cachait ses armes. Sa surprise se transforma néanmoins rapidement en une expression horrifiée lorsqu'elle le vit entailler sa propre paume dans toute sa longueur sans même ciller.
- Bordel, arrête ça ! Pourquoi tu...
- Au cas où.
- Eren, qui est-ce que tu comptes menacer comme ça ? questionna-t-elle prudemment tandis qu'il observait son propre sang disparaître de la lame et s'évaporer.
- C'est juste pour qu'on m'écoute au lieu de m'arrêter directement.
Ophelia grimaça à la vue de sa main entaillée puis détourna le regard vers l'extérieur, les doigts enfouis dans la fourrure de l'animal qui dormait sur ses genoux. Il n'avait pas totalement tort, puisqu'il devait probablement être recherché par toute l'armée à l'heure qu'il était. Au moins, ainsi, personne ne l'approcherait impulsivement.
- O' ?
Le doute dans la voix d'Eren la prit de court. Assis sur la banquette d'en face, les coudes appuyés contre ses genoux, il garda la tête baissée quelques longues secondes, comme pris dans un conflit intérieur. Non, il était toujours en conflit intérieur. Mais cette fois-ci, il hésitait à lui dire quelque chose et elle n'aimait pas la tournure que prenait cette conversation.
- Quoi ?
- Quand on y sera, si tu vois une quelconque bouteille de vin... N'y touche pas, d'accord ?
- Pourquoi ? demanda-t-elle immédiatement, d'une voix plus froide qu'elle ne l'avait prévue.
- Tu peux pas te contenter de faire ce que je dis ? râla Eren.
- Tu me connais mal, si tu crois ça. Réponds-moi. Qu'est-ce qu'il y a dans le vin, Eren ?
Le jeune homme se redressa et leurs regards se trouvèrent. En temps normal, il pouvait passer des minutes entières à observer le bleu océanique des yeux d'Ophelia, mais dans les moments comme celui-ci, il avait seulement l'impression qu'elle lisait tous ses mensonges à travers ses iris et ne rêvait que de fuir son abilité à comprendre même ce qu'il ne disait pas.
- Du liquide cérébro-spinal de Sieg, répondit-il honnêtement.
Le sang d'Ophelia ne fit qu'un tour. Elle savait que cela voulait dire, même mieux que quiconque. Les Mahr avaient assez exploité cette particularité pour qu'elle ne comprenne pas ce qu'il avait osé tolérer en un clin d'œil. Son regard se fit plus dur mais Eren ne cilla pas.
- Si tous les hauts-gradés en ont bu et que Sieg crie alors que...
- C'est le but, oui.
- Tu as pris le risque de mettre tes propres amis en danger, lui reprocha-t-elle. Ça te ressemble pas.
- Il le fallait pour obtenir la confiance de Sieg et Jelena, rétorqua-t-il. J'avais pas le choix, et il fallait un moyen de garder les hauts-gradés sous contrôle, de toute manière. Normalement, personne d'autre n'y a touché.
Quelques secondes s'écoulèrent et Eren eut l'impression de sentir son sang se glacer dans ses veines quand un éclair de compréhension traversa les yeux d'Ophelia. Il vit ses lèvres s'entrouvrir sans qu'aucun son ne passe entre elles, l'information encore en cours de traitement dans son cerveau. Elle se sentit stupide de ne pas avoir deviné avant. Puisqu'il avait voulu devancer Sieg pour gagner sa confiance en lui faisant croire qu'il adhérait à son plan, il en avait forcément eu un autre de son côté, et ce, avant même que les mercenaires anti-Mahr entrent dans l'équation. Il avait seulement besoin de son demi-frère pour activer les pouvoirs de l'Originel, mais s'il n'était pas pour cette éradication douce prévue par Sieg... Il n'existait pas mille autres possibilités pour mettre fin à ce cycle infernal.
Quand Ophelia ouvrit à nouveau la bouche, la calèche s'arrêta et Eren mit fin à leur échange visuel pour quitter le véhicule, soulagé de ne pas avoir à l'entendre formuler ses pensées. Perturbée par sa propre prise de conscience, elle accepta la main qu'il tendit vers elle pour l'aider à descendre et le laissa la guider vers le reste du groupe. Une fois arrivés à destination, la jeune femme leva la tête vers le bâtiment qui leur faisait face et fronça les sourcils. Que faisaient-ils au restaurant où travaillait Niccolo ?
- Les hauts-gradés ne sont pas censés être là ? questionna Ophelia.
- Non, Jelena s'occupent d'eux.
- Tu pourrais enfin me dire ce qu'on fait là, alors ? lança-t-elle avec agacement, sa main lâchant la sienne au passage. Et pourquoi l'autre rouquin de malheur a l'air si content de sortir son arme ?
- Il fera rien, affirma Eren tandis qu'ils entraient dans le grand hall. Je dois juste discuter avec les autres pour savoir où est Sieg.
Très peu confiante depuis que cette théorie affreusement plausible s'était immiscée dans son esprit, elle s'apprêta à lui demander qui étaient exactement « les autres » mais fut interrompue par l'arrivée d'un jeune homme qu'elle reconnut comme étant celui qui l'avait laissée s'échapper de sa cellule.
- Les deux gamins de Mahr sont là aussi, ils se sont enfuis, annonça Brone. C'est un peu la pagaille mais tout le monde est bien là, comme prévu.
- On part de ce côté, signala Floch au grand désarroi d'Ophelia qui ne comprenait plus rien à la situation.
Eren se contenta d'acquiescer et de les regarder s'éloigner en silence. Il n'avait pas croisé le regard de la jeune femme une seule fois depuis qu'il avait compris qu'elle savait. Trop perdue pour réagir rapidement, Ophelia n'eut même pas l'occasion de le retenir lorsqu'il prit la direction d'un des couloirs du grand bâtiment, chargeant Brone de rester avec elle. Elle prêta peu d'attention à ce dernier mais se résigna à le suivre lorsqu'il lui proposa de l'aider à changer le pansement de son épaule encore blessée et vérifier que la cicatrisation évoluait correctement. Ils rejoignirent alors l'étage du restaurant et Ophelia dut poser son chat sur le sol brillant lorsqu'il finit par se lasser de ses bras.
- Alors, que devient ta réputation depuis que tu soutiens Eren ? ironisa-t-elle après de longues minutes de silence.
- Personne n'est encore au courant, pour moi, avoua le rouquin. Mais ça devrait pas tarder à se savoir. Les hauts-gradés ont décidé de nous appeler les pro-Jaeger. Ils sont pas vraiment fans, apparemment.
Elle haussa un sourcil en entendant ce nom qu'elle jugea ridicule. Voilà qu'Eren se retrouvait gourou d'une secte, maintenant.
Arrivés dans la salle qu'il cherchait, Brone s'occupa de trouver le matériel nécessaire. Ophelia se demanda un instant ce que faisait du matériel médical dans un restaurant, avant de se rappeler qu'il était tout de même situé dans la zone d'un site militaire et que même des bureaux de hauts-gradés se trouvaient ici. Un autre point éveilla alors sa curiosité quand l'adolescent commença à enlever le vieux pansement pour inspecter la plaie.
- Tu t'y connais en soins médicaux ?
- Un peu. Je viens d'un petit village et ma mère en est un peu la doctoresse locale, alors...
Pensive, Ophelia hocha la tête et vérifia d'un seul coup d'œil que son chat était bien dans les parages. Prudent, il faisait le tour de la pièce pour explorer le lieu du bout de son museau. À la vue de l'animal innocent, elle songea à tous ceux qui devaient encore traîner dans les rues, partout dans le monde. Il n'y avait pas que des humains ignorants, au-delà de la mer.
- Tu sais ce qu'Eren prépare vraiment, pas vrai ?
- Oui, répondit Brone avec honnêteté.
- Et tu es d'accord avec ça ?
- Oui.
- Pourquoi ?
Les sourcils froncés dans une expression soucieuse, le roux s'appliqua pour désinfecter la blessure tout en réfléchissant à la question.
- J'ai trop vu le Bataillon laisser ses soldats souffrir pour le bien de gens qui ne leur veulent que du mal. On peut pas protéger notre île et nos proches et être passifs quand il faut prendre des décisions pour s'assurer que ça reste le cas. Je dis pas que les Mahr sont les grands méchants de l'histoire parce que, d'après ce que j'ai compris, nos ancêtres leur en ont bien fait baver, mais ils ont eu l'occasion de mettre fin à tout ça quand une partie de notre peuple s'est réfugié ici. Au lieu de ça, ils ont relancé les hostilités il y a neuf ans.
- C'est encore un peu plus compliqué que ça, sourit légèrement Ophelia. Il y a aussi des Eldiens de l'autre côté de la mer, et eux aussi, ils ont souffert aux mains des Mahr pendant un siècle. Mais je te rejoins sur l'idée qu'on ne puisse pas protéger tout le monde. Tu as quelqu'un qui t'es proche dans les rangs du Bataillon ? ajouta-t-elle ensuite, intriguée et observatrice.
- Ma sœur, avoua Brone avec une grimace contrariée. Elle fait partie des idiots qui préfèrent continuer à risquer leur vie inlassablement plutôt que de prendre des décisions trop actives.
Lâchant un soupir ennuyé, il se redressa pour attraper le pansement propre tandis que la jeune femme surveillait de près sa gestuelle et ses expressions faciales. Il pouvait dire ce qu'il voulait, elle voyait bien qu'il était préoccupé par ce qu'il racontait. Elle ne l'interrompit pas, certaine qu'il n'avait pas fini.
- J'ai passé trop de temps à la regarder rendre nos parents malades en se prenant pour une héroïne alors qu'elle est incapable d'agir pour de vrai. C'est à se demander si c'est pas moi, l'aîné des deux. Pardon, je devrais pas te dire tout ça, finit-il par conclure.
- Ne t'excuse pas, c'est intéressant. Et tu t'occupes de me soigner, alors je me dois bien de t'écouter, plaisanta-t-elle. J'avais une sœur, aussi.
Brone ralentit dans ses mouvements, surpris par cette confession. Il leva les yeux vers la jeune femme qui esquissa un mince sourire au souvenir d'Aida. Elle aussi s'était déjà rendue malade à force de s'inquiéter pour son aînée et avait fini par se demander si elle n'était pas la plus mature des deux.
- Tu devrais garder la tienne près de toi et profiter de sa présence autant que possible, tant que tu le peux. Je sais ce que c'est de perdre une sœur. Et je sais aussi que tu n'as pas envie de vivre ça.
Le jeune soldat acquiesça lentement et termina sa tâche en silence. La plaie de la jambe d'Ophelia était bien moins importante et ne nécessitait pas autant de soins, bien qu'elle la fasse encore parfois souffrir. Ils répartirent alors dès que tout fut en ordre, et, bien qu'elle ne fût absolument pas en accord avec la vision des choses de Brone, elle se trouva satisfaite d'avoir eu l'occasion d'en discuter avec lui. Avoir les points de vue différents de ceux qui l'entouraient, c'était ce qu'Ophelia avait toujours cherché partout où elle allait.
Une fois redescendus au rez-de-chaussée, la jeune femme râla lorsque son chat voulut à nouveau quitter ses bras, mais elle obtempéra et le déposa au sol pour le laisser visiter comme il le voulait.
- Où sont les autres ?
Brone n'eut pas à répondre à cette question qu'elle posa alors qu'ils prenaient un nouveau virage. Les traits arrogants de Floch furent la première chose qu'elle vit. Ensuite, elle remarqua les autres pro-Jaeger et toutes leurs armes, puis le groupe de personnes qu'ils entouraient. Ses lèvres s'entrouvrirent de stupéfaction quand son regard croisa celui d'Hanji. Les mains attachées dans le dos, celle-ci suivait le cortège, précédant ses soldats et la famille Braus dans son entièreté. Un soldat tenait Falco dans ses bras, inconscient.
- Qu'est-ce que...
Son accompagnateur du jour attrapa gentiment Ophelia par le bras pour l'inciter à laisser passer Floch, ce qu'elle fit par manque d'alternative. Impuissante, elle observa Jean et Conny se faire escorter jusqu'à la sortie et soutint les regards accusateurs qu'ils lui lancèrent. Puis elle fut prise d'une nouvelle réalisation et fronça les sourcils de désapprobation. Brone fut incapable de l'arrêter lorsqu'elle se remit en marche avec l'objectif de trouver celui qui tenait les ficelles de tout cet affreux spectacle.
Elle le trouva dans le même couloir, à quelques mètres de là, mais ralentit quand son regard se posa sur les trois derniers prisonniers qu'on emmenait hors de l'enceinte.
- Hawk ? s'étonna Gabi, les yeux écarquillés.
La jeune femme ne trouva rien à lui dire, trop concentrée sur le visage tuméfié d'Armin et les yeux de Mikasa, rougis par les larmes et baissés en direction du sol. Cette fois-ci, elle dut inspirer longuement par le nez pour rester calme et ne pas céder à la nervosité que l'incompréhension commençait à lui créer. Elle ne croisa que le regard du blond, celui qui avait été le premier à se montrer agréable avec elle quand elle avait rejoint les rangs du Bataillon d'exploration, et fit de son mieux pour lui faire comprendre qu'elle était désolée. Ensuite, tous trois furent escortés plus loin et Ophelia eut à affronter l'homme qu'elle aimait et dont les pensées lui échappaient complètement.
Sa gorge se noua quand ils furent face à face et qu'il lui offrit un regard digne de la dernière image qu'il lui avait laissée avant de partir seul pour s'infiltrer chez les Mahr, des mois auparavant. De nouveau, elle ne se trouvait plus capable de lire dans ses yeux ce qu'il ne disait pas avec des mots. Le vert émeraude de ses prunelles lui parut bien plus sombre qu'à l'accoutumée, alors elle recula d'un pas comme pour subir moins de dégâts s'il venait à exploser comme la grenade qu'il était, loin de se douter de ce que cette mince distance qu'elle choisit d'instaurer entre eux provoqua chez lui. Elle aurait pu lui envoyer son poing en plein visage, le sentiment aurait été moins désagréable.
Ils ne dirent rien, pendant quelques interminables secondes. Elle voulait comprendre, et elle savait qu'elle en était capable. Le comprendre, c'était ce qu'elle faisait de mieux. Le sortir du gouffre dans lequel il sombrait, par contre, elle n'était pas certaine de pouvoir le faire et rien ne pouvait plus l'attrister. Au final, voilà ce qu'Eren cherchait à travers ses actes : renier tout ce qui faisait de lui l'humain qu'il était. L'humain qu'elle aimait et que ses meilleurs amis voulaient sauver.
- Tu... T'as pas besoin de faire ça, prononça Ophelia d'une voix si faible qu'elle se demanda s'il avait pu l'entendre.
Son attention se porta sur la main du jeune homme. Quelques gouttes rougeâtres glissaient encore de sa paume et le sang tâchait les articulations abîmées de ses doigts. Elle déglutit en l'imaginant user de ce poing contre Armin. S'il y avait bien quelque chose qu'elle n'aurait jamais envisagé de sa part, c'était de s'en prendre à son meilleur ami d'enfance ou à Mikasa. Elle préféra donc ne pas imaginer ce qu'il lui avait dit pour faire tomber le masque fort qu'affichait toujours la jeune femme.
Quand les larmes lui vinrent, la main d'Eren dégagea un mince filet de fumée et les plaies disparurent. Elle leva à nouveau la tête vers lui et la secoua sans un mot comme si elle avait déjà deviné ses prochaines paroles. Elle savait, désormais, et elle était plus que capable de le confronter. Bien sûr qu'il ne pouvait plus la laisser errer ainsi, ni même affronter son regard plus que nécessaire.
- Emmenez-la avec les autres.
Il la connaissait par cœur, ou presque, il en était certain. Ses réactions, il était capable de les prévoir, ou du moins plus qu'avant. Alors il s'attendit à une remarque cinglante, un regard froid ou bien un de ces légers rictus ironiques dont elle avait le secret. Rien de tout ça ne vint. Ophelia ne fit rien contre les pro-Jaeger qui l'encerclèrent pour l'emmener. Son regard croisa seulement le sien et Eren n'y vit qu'une peine immense qui lui tordit l'estomac bien qu'il n'en montrât rien.
Il le fallait. Il fallait qu'elle reste loin de lui, parce qu'il ne pouvait pas la laisser tenter de le raisonner. Ce serait trop compliqué, trop douloureux, autant pour elle que pour lui. Il ne pouvait pas prendre le risque. C'est mieux comme ça, songea-t-il alors quand Ophelia disparut dans un virage et qu'il ne resta plus que lui et ce maudit chat blanc qui le regardait avec insistance...
...l'air de dire « Tu la sous-estimes. »
。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆
un peu optimiste comme move ça mon p'tit eren 😳
je suis pas 100% satisfaite de ce chapitre, mais bon
d'ailleurs je risque peut-être de mettre un peu + de temps à poster le prochain chap (pas trop trop longtemps quand même normalement) parce que je veux vraiment qu'il me plaise et je travaille aussi sur d'autres projets en ce moment, donc voilà voilà!
enfin brefouille, j'espère que ça vous a plu et puis à bientôt les loulous 😎
Zoé
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top