chapitre 33 ◌ demain
— Donc... elle en est toujours au plan de Sieg et Jelena, ou est-ce qu'elle sait ?
— Ni l'un ni l'autre, répondit froidement Eren.
Sans prendre la peine de cacher le fait que la présence d'Ophelia le contrariait, Floch lança un regard ennuyé à la concernée. Elle ne le remarqua pas, trop occupée à discuter avec un groupe de jeunes soldats et soldates, assise dans l'herbe et son chat sur les genoux. Eren fronça les sourcils en remarquant la manière dont les autres la regardaient. Qu'est-ce qu'elle leur racontait, pour attirer autant leur attention ?
— Je comprends pas pourquoi elle doit être là.
— Si tu réfléchissais un peu plus, tu te rendrais compte qu'elle est quand même au courant du plan de Sieg et qu'elle serait capable de le raconter à tout le monde, dit le Jaeger sans même regarder son camarade. Le Bestial serait directement donné à quelqu'un d'autre et plus aucun plan ne fonctionnerait.
Le rouquin releva le menton lorsqu'il se tourna enfin vers lui, sceptique quant à cette excuse. Il avait beau se réjouir de retrouver en Eren le démon qu'on avait laissé mourir en Erwin, celui qui prenait des décisions radicales pour le bien de son peuple, il ne pouvait pas oublier la nature sentimentale d'Eren. Au fond, il était toujours le garçon qui avait supplié qu'on ramène son meilleur ami à la vie sans vraiment penser plus loin que sa propre douleur.
— Si elle apprend ce que tu prépares vraiment et qu'elle décide de nous trahir, ce sera-
— En fait, je me souviens pas t'avoir demandé ton avis sur la question.
— Est-ce que tu lui fais vraiment confiance ? insista Floch.
— Oui.
Surpris par cette réponse spontanée et dénuée de tout doute, le soldat inspira longuement par le nez avant d'acquiescer malgré sa frustration.
— Occupe-toi de gérer tout le monde au lieu de te mêler de ce qui te regarde pas, ajouta Eren en désignant d'un vague signe de tête le groupe de déserteurs qui les entourait.
Sur ces mots, il tourna les talons sans perdre plus de temps et se dirigea vers le petit regroupement jovial à quelques mètres de là. Occupée à conter son épopée chez les Mahr - sans oublier d'ajouter quelques détails croustillants et définitivement exagérés parce qu'elle faisait face à des jeunes bien trop influençables et qu'il fallait bien en profiter - Ophelia fut surprise de sentir une main familière se poser sur son épaule valide. Les regards curieux et admiratifs auxquels elle avait droit depuis de longues minutes se levèrent vers la personne derrière elle et plusieurs jeunes reculèrent, presque mal à l'aise d'avoir été surpris en train de s'intéresser autant à son récit. Elle leva les yeux au ciel sans pouvoir s'en empêcher et tourna la tête vers Eren en haussant un sourcil. Il se contenta de lui faire signe de le suivre, ce qu'elle fit sans objection.
— T'as pas peur de le perdre ? s'enquit Luise lorsqu'Ophelia se remit debout et que son chat se retrouva seul dans l'herbe.
— C'est pas un objet, il ne m'appartient pas. S'il a envie de rester, il restera, répondit-elle en haussant les épaules. Sinon, c'est son choix.
Elle doutait sincèrement que l'animal décide de partir à tout jamais après le temps qu'il avait passé avec elle en cellule et le traumatisme du chaos à Revelio, pour être honnête.
Silencieux, Eren attendit qu'Ophelia le dépasse pour se mettre à marcher en direction de la lisière du bois près duquel le camp temporaire s'était établi. Elle ne dit rien avant d'être certaine qu'ils fussent bien hors du champ de vision des autres, et quand elle prit enfin la parole, elle garda les yeux rivés à ses pieds tandis qu'elle écrasait volontairement les brindilles sur son chemin.
— Je suppose que tu veux pas me parler du plan pour la suite.
— On a le temps. On peut plus passer quelques heures sans parler stratégie ? lança-t-il, et elle perçut sa nostalgie pour le temps où il n'y avait qu'eux, dans une petite auberge près de Revelio.
— Si, on peut, répondit Ophelia avant de s'arrêter pour se tourner vers lui. Mais il y a des choses importantes dont on doit parler quand même.
— Comme ?
— Sasha.
Malgré son talent grandissant pour l'art de rester impassible en toutes circonstances, elle sut qu'il s'agissait bien d'un sujet sensible lorsqu'il se redressa et détourna le regard, juste une seconde. Les mains enfouies dans les poches de son sweat, Eren ne dit rien et attendit seulement qu'elle poursuive, le souvenir du corps inerte de son amie encore en tête. Celui des mots de Jean, aussi, qui lui avait fait remarquer qu'il était responsable de cette perte.
— Je t'interdis de te blâmer pour sa mort, prononça Ophelia d'un ton étonnamment sec. D'accord ?
— Ça marche pas comme ça, O'. C'est moi qui ai fait venir tout le monde à l'improviste pour attaquer Revelio. Je compte pas nier ma part de responsabilité.
— Si tu n'avais pas fait ça, à l'heure qu'il est, les armées du monde entier seraient aux portes de Paradis. D'autres gens seraient morts ! Tu n'as fait que-
— Ça sert à rien, de réfléchir à ce qui aurait pu être, coupa Eren. C'est fait, c'est tout. Ne perds pas ton objectivité.
Cette dernière phrase heurta durement la jeune femme. Il avait raison, elle cédait trop à ses sentiments. Elle voulait se convaincre qu'il n'avait rien fait de mal uniquement parce qu'elle savait qu'il souffrait. Elle ne pouvait pas faire ça. Le bien universel n'existait pas, après tout. Eren avait beau faire ce qui lui paraissait juste et elle avait beau l'aimer et vouloir le préserver de ses propres atrocités autant que de celles du reste du monde, il était aussi le méchant de l'histoire dans bien des versions.
— Tu te blâmes aussi pour la mort d'Aida, devina-t-il.
— Je compte pas nier ma part de responsabilité, répéta-t-elle alors. Mais on peut pas faire grand chose à part assumer nos choix et continuer à avancer, pas vrai ?
Le cœur du jeune homme se serra à la vue du mince sourire fatigué qu'elle lui adressa. Lui aussi était épuisé, il savait qu'il le ressentirait s'il s'en laissait le droit. L'époque où Ophelia n'était qu'une adolescente qui avait trahi les guerriers pour se joindre à Paradis et enfin assouvir sa soif de réponses paraissait bien lointaine. Elle était passée d'une simple soldate intriguée à un membre à part entière de cette guerre naissante. Et il était bien placé pour savoir qu'elle n'était pas au bout de ses peines.
Loin de se douter de ce qui se tramait dans la tête de son partenaire, Ophelia continua à marcher entre les arbres et s'arrêta à quelques pas de la rivière lorsqu'elle la remarqua. Le soleil était en train de se coucher et elle n'avait aucune idée de ce qu'il se passerait lorsqu'il se montrerait à nouveau. Les quelques rayons capables de passer à travers les feuillages se reflétaient encore doucement sur l'eau. Ils devaient être loin du campement improvisé, maintenant. Elle s'en fit la réflexion lorsque la main d'Eren trouva sa taille. Après des mois entiers à se tenir loin de lui, l'idée de retrouver cette proximité fit bondir son cœur dans sa poitrine si fort que c'en fut désarçonnant.
— Est-ce que ça va ? s'enquit-il pour être certain de ne rien faire qui la dérangerait.
La froideur de ses doigts ne le surprit pas lorsqu'elle les lia aux siens. En guise de réponse, elle l'incita à approcher un peu plus, jusqu'à ce que son torse touche le dos de la jeune femme, et pencha légèrement la tête sur le côté pour le laisser embrasser sa joue. Une fois, puis deux, puis trois, jusqu'à lui en arracher un frisson qui la fit rire. Glissant sa main libre jusqu'à son ventre, il perçut sa respiration devenue irrégulière tandis que ses lèvres deviaient le long de la mâchoire d'Ophelia et, en s'aventurant un peu plus haut, sentit les battements erratiques de son cœur sous sa paume. Le sien n'était pas beaucoup plus calme, enfin mis à l'épreuve par autre chose que la nervosité ou le deuil, et ne fit que s'emballer toujours plus lorsqu'elle laissa sa veste quitter ses épaules et tomber au sol.
Avide de plus d'elle pour oublier le reste, Eren dégagea doucement sa courte et inégale chevelure ébène pour embrasser la peau laiteuse de son cou et de son épaule seulement couverte par la bretelle de son débardeur. Alors qu'il continuait son manège incessant tout en se débarrassant de son sweat avant d'agripper le bas de ce fameux débardeur qui se mettait en train de son chemin, Ophelia esquissa un sourire amusé, imaginant déjà les marques qu'il lui laisserait comme il l'avait toujours fait, même involontairement. Elle aimait aussi le fait qu'ils se connaissent si bien, parce qu'il savait précisément sur quelle parcelle de peau s'attarder pour obtenir une réaction, et elle savait qu'elle lui rendrait la pareille sans souci dès qu'elle en aurait l'occasion.
Ils étaient ainsi ; un duo trop fusionnel pour leur propre bien.
⋇⋆✦⋆⋇
— Putain de chat de-
— Hey !
Le regard si noir qu'on n'en voyait plus la clarté de son bleu habituel, Ophelia pressa le pas jusqu'au rouquin qui maintenait une boule de poils familière par la nuque pour la garder loin de lui. Elle n'hésita pas un seul instant à récupérer le chat pour le laisser se blottir dans ses bras sous le regard plus qu'ennuyé de Floch.
— Surveille-le au moins, qu'il évite de se jeter sur des gens au hasard !
— Au hasard ? répéta la jeune femme en repérant sa main striée de griffures. Au contraire, il sait très bien ce qu'il fait, crois-moi !
En retrait, Eren aurait probablement ri de la tête que fit Floch lorsqu'elle embrassa la tête du chat en lui répétant qu'elle était fière de lui s'il en avait été capable. Mais rire ne semblait plus faire partie de ses talents, alors il se contenta d'observer la scène et d'en être silencieusement amusé.
Cet amusement s'évanouit pourtant bien vite.
— Tu devrais faire attention à toi, Hawk.
— Ah ? fit la concernée d'un ton léger, bien consciente de son regard assassin. Merci du conseil ! Autre chose ?
Loin d'être patient, le rouquin avança d'un pas supplémentaire dans sa direction, sa haine envers elle bien visible dans ses yeux. Il se fichait pas mal de savoir si elle était de leur côté ou non, parce que quand il posait les yeux sur elle, il ne voyait qu'une fille qui avait choisi de laisser les guerriers décimer le Bataillon d'Exploration au lieu de les trahir au bon moment. Elle était parfaitement consciente de cette vision des choses, autant que de l'incapacité de Floch à comprendre que si elle en avait eu l'occasion, elle aurait agi autrement.
— Je plaisante pas.
— Moi non plus.
Brisant le contact visuel une seconde, Ophelia déposa son chat dans les bras d'Eren - qu'elle avait senti se rapprocher - avant qu'il n'ait le temps de dire quoi que ce soit. Ce geste lui valut un regard contrarié en retour.
— Tu me menaces, je l'ai très bien compris, reprit-elle avec un léger sourire qui - d'après Eren - n'annonçait rien de bon. Et tu en as tous les droits, pas vrai ? Qu'est-ce que je pourrais faire, moi ? Je suis encore en convalescence, et certainement une soldate bien moins douée que toi. Donc tu as raison, oui, je devrais faire attention à moi. Il faut toujours se méfier des gens qui ont une arme en leur possession, non ? Et tu en as une, si je ne me trompe pas ?
Toute l'attention se porta sur Floch qui, moins sûr de lui bien qu'il n'en montrât rien, dirigea sa main vers l'endroit où son arme était censée être accrochée. Le sourire d'Ophelia s'agrandit lorsqu'il constata qu'elle n'y était pas. Les soldats qui les entouraient retinrent leur souffle et Eren dut cacher un élan de satisfaction. Il aimait toujours autant la voir à l'œuvre.
— Comment..?
— Attends, qu'est-ce que c'est que ça ? fit-elle mine de réfléchir tout en tirant un objet coincé dans son dos, sous sa veste. Oh !
Floch observa avec stupéfaction le revolver qu'elle tenait dans sa main, sûr et certain qu'il s'agissait du sien. Le Jaeger, lui, se demanda brièvement où est-ce qu'elle avait trouvé le temps de le lui voler étant donné qu'il y a encore peu, elle n'avait pas de veste ou de pantalon où cacher cette arme sur elle, puis décida de ne pas chercher à comprendre. Garder une part de mystère n'était pas une mauvaise chose, quand il s'agissait d'Ophelia.
— Qu'est-ce que je disais, déjà ? Ah oui, toujours se méfier des gens qui ont une arme en leur possession. Tu devrais t'en souvenir aussi, à l'avenir.
Sous les regards abasourdis de tous leurs alliés, Ophelia adressa un clin d'œil au rouquin avant de lui lancer l'objet de toute cette mise en scène. Il le rattrapa habilement malgré la colère qui revenait au galop. Le message était plutôt clair : elle n'avait pas besoin d'être munie d'un fusil pour se montrer dangereuse, et il ferait mieux de ne pas l'oublier.
Et il ne l'oublierait pas, parce qu'il savait être dangereux, lui aussi.
— Merci pour les rations, au passage, ajouta-t-elle avant de tourner les talons, le dîner de Floch à la main. Et bonne soirée à tous ! Tu viens avec moi, Jaeger, on a encore des trucs à se dire.
Sans prêter attention à aucun des soldats présents, le concerné la suivit tandis qu'elle retournait à la lisière du bois, s'arrêtant cette fois près d'un arbre peu éloigné. Il faisait nuit, de toute façon, alors les regards indiscrets auraient du mal à repérer quoi que ce soit. Lâchant le chat pour le reposer dans l'herbe, Eren observa sa partenaire s'asseoir et ouvrir sa ration.
— On a vraiment des trucs à se dire ou..?
— Pas que je sache, avoua Ophelia. Je voulais juste pas te décridibiliser devant tout le monde en avouant que je voulais juste qu'on mange tous les deux.
Le grand sourire qu'elle lui lança lui fit lever les yeux au ciel. Le jeune homme la rejoignit alors et accepta les biscuits secs qu'elle lui tendit. Après toutes les conditions de vie désastreuses qu'il avait connues, il n'allait certainement pas faire le difficile. Une ration militaire, un tronc d'arbre où s'adosser et la tête d'Ophelia contre son épaule... La nuit s'annonçait plutôt correcte.
Puisque le silence ne leur avait jamais posé de problème, ils ne s'adressèrent pas la parole durant de longues minutes. On n'entendit alors plus que les discussions lointaines des jeunes soldats et les sons discrets de la nature tandis que flottaient entre eux des mots - des rêves, peut-être - qu'ils ne prononceraient jamais. À quoi ressemblait un couple banal, à leur âge ? Ce devait être plutôt commun de planifier un avenir, de s'imaginer un mariage ou de réfléchir à un endroit où s'installer. Et eux, ils ne pouvaient rien faire de tout cela. Parce que la guerre arrivait, parce qu'ils n'étaient pas un couple banal, parce que le temps les pourchassait. Ophelia déglutit avec difficulté à cette pensée et posa la question qui la hantait, bien que consciente qu'aucune réponse ne lui parviendrait.
— Qu'est-ce qu'on fait, demain ?
Parce que, des lendemains, peut-être qu'ils n'en connaîtraient pas beaucoup plus ensemble.
。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆
je sais pas si je gère trop bien cette fic ou si je suis en impro totale, ou un peu des deux
la moitié de ce chapitre était pas prévue tho 😭
mais BON, on va bientôt passer aux choses sérieuses, ça va être fun haha
haha
*pleure*
Zoé
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