chapitre 32 ◌ supplication

Eren ?

Hm ?

T'aurais pas vu mon bloc-notes, par hasard ?

Celui- ?

Occupée à chercher l'objet concerné dans les moindres recoins de la chambre depuis pratiquement dix minutes, Ophelia haussa un sourcil en se retournant. À son grand désarroi, son bloc-notes était bien dans la main du jeune homme qu'il tendait vers elle. Méfiante, elle avança pour le récupérer et plissa les yeux lorsqu'il leva le bras pour l'en empêcher.

Sérieusement ?

Qui est imprévisible, maintenant ? la nargua-t-il.

— Pas toi, triple idiot. Comment t'as su que je le cherchais ?

Visiblement d'humeur à la provoquer, Eren planta son regard dans le sien et avança de quelques pas supplémentaires, l'obligeant à relever la tête pour ne pas rompre le contact visuel.

Parce que t'es prévisible.

Jusqu'ici, il pensait avoir déjà fait face à toutes les réactions possibles de sa part. Pourtant, elle le surprit lorsqu'elle se contenta de lui jeter un regard noir avant de tourner les talons. Depuis quand se vexait-elle si facilement ? Perplexe, Eren fronça les sourcils et la suivit des yeux sans parvenir à comprendre son comportement.

C'est juste une blague, O', c'est bon, tenta-t-il.

Craignant qu'elle décide de quitter la chambre maintenant pour l'éviter, il la rattrapa par le bras sans même réfléchir. Il la prenait définitivement trop pour acquise. Ça, il le comprit quand elle se dégagea de sa prise, en croisant son regard plus qu'amusé alors qu'elle pointait un couteau dans sa direction, fière de son coup. Cette idiote était même à deux doigts d'éclater de rire face à son visage surpris, comme si elle n'était pas en train de le menacer ouvertement.

— Bon sang, d'où tu sors ça ?

Trop imprévisible pour toi ?

La lueur de défi qui illumina son regard azur manqua de briser la façade neutre qu'il tentait de garder et lui arracher un sourire. Il y avait aussi autre chose, derrière cet air narquois. L'affection qu'elle ressentait pour Eren était flagrante et elle ne faisait rien pour la cacher. Du moins, elle ne la lui cachait pas, à lui. Elle semblait même plus souvent vouloir s'assurer qu'il en était bien conscient.

Jamais trop. Mais je reste plus doué que toi pour ce genre de choses, alors fais attention, lança-t-il sans lui laisser le temps d'être surprise. T'as pas de fusil pour te protéger, .

Comme si t'étais capable de m'attaquer, ricana Ophelia. Et j'ai un couteau.

Un couteau, mais toujours pas ton bloc-notes.

C'était censé t'impressionner au point tu arrêtes de m'embêter, râla-t-elle.

— Pourquoi je ferais ça ?

Parce qu'on pourrait être en train de faire quelque chose de plus intéressant que se disputer pour un bloc-notes ?

Comme quoi ? fit Eren, trop fier pour se montrer intéressé dès la première tentative.

— Eh ben, donne-le moi et je te montrerai.

Elle se redressa lorsqu'il tendit enfin l'objet vers elle, le regard encore rivé au sien. Prudente, Ophelia fit tourner son couteau dans sa main avant de le poser sur la petite commode non loin d'eux. Elle approcha et tenta de s'emparer du carnet, peu surprise de voir Eren reculer et faire passer le fruit de ce demi-conflit dans son dos. Néanmoins, elle ne se laissa pas abattre et continua à essayer de l'attraper par des gestes vifs mais vains qui finirent par provoquer ses propres éclats de rire.

T'es vraiment insupportable quand tu t'y mets !

Tu abandonnes ? la provoqua-t-il lorsqu'elle se retrouva entre le mur et lui, les joues un peu plus roses que d'habitude à force de bouger dans tous les sens.

Moi ? Abandonner ? répéta Ophelia en haussant un sourcil. Tu me connais mal, Jaeger.

Qu'est-ce que t'attends, alors ? Je commence à m'ennuyer.

Je vais le récupérer, affirma-t-elle. J'ai juste un truc à faire, avant.

Confus, Eren l'interrogea du regard et s'apprêta à lui demander de quoi s'agissait-il lorsqu'une main familière l'attrapa par la mâchoire, suivie d'une bouche qu'il aurait reconnue entre mille se pressant contre la sienne. Soudain, ce petit jeu stupide ne fut plus qu'un souvenir et il ne resta dans son esprit plus que le sourire qu'elle esquissa entre deux de leurs baisers et la douce brûlure de ses doigts sur la peau de son visage. C'était toujours compliqué de garder les idées claires dans des moments pareils, quand tout ce qui menaçait de les séparer disparaissait et qu'il ne restait plus qu'eux et le solide lien invisible qui les unissait.

Mais... ce sourire était trop satisfait pour qu'il ne cache rien. Reliant les points entre eux, le jeune homme se fit violence pour se détacher de ses lèvres et, en baissant les yeux vers l'expression amusée d'Ophelia, se rendit compte qu'il tenait sa taille à deux mains.

Qu'est-ce que...

— Tu cherches ça ?

Un demi-sourire discret lui échappa lorsqu'elle brandit le carnet sous ses yeux. Il avait toujours détesté perdre, mais la joie presque enfantine qui illuminait ses prunelles océaniques en valait la peine.

Impressionné ?

Dans tes rêves, rétorqua Eren. Pourquoi tu le cherchais, d'ailleurs ?

Aucune idée, avoua Ophelia.

Sur ces mots, elle attira à nouveau son visage près du sien et reprit possession de ses lèvres, envoyant valser le bloc-notes et tout le reste tandis que le monde et ses injustices disparaissaient pour les laisser s'élever un instant.

✧・゚: *✧・゚:*

— Ah, des temps simples, pas vrai ? Ça me manque aussi.

— Elle parle encore au chat ?

— Visiblement. C'était peut-être pas une bonne idée de le lui laisser.

Depuis son lit peu confortable, Ophelia émit un grognement mécontent qui résonna entre les murs froids de sa cellule. Une main toujours enfouie dans le pelage blanc de l'animal couché sur son ventre, elle leva les yeux vers le plafond en poussant un soupir exagérément ennuyé.

— C'est pas parce que je peux pas me redresser toute seule que je vous entends pas et que je ferai pas de votre vie un enfer si vous touchez à un seul poil du pelage de ce chat.

— J'aimerais bien voir ça, ricana l'un des deux gardes chargés de la surveiller.

La jeune femme esquissa un sourire que personne ne vit, impatiente d'être en meilleure forme pour prouver à ces idiots de soldats qu'ils n'avaient aucune autorité sur elle. Elle aurait bien le temps de s'amuser, de toute façon, puisqu'on semblait vouloir la garder enfermée ici pour une durée encore indéterminée. L'armée ne voulait certainement plus s'encombrer d'une soldate qu'ils pensaient capable de les trahir à tout moment.

Alors qu'elle réfléchissait à sa situation actuelle, la porte du sous-sol s'ouvrit et elle entendit les gardes s'éloigner tandis que d'autre pas approchaient.

Curieuse, Ophelia releva la tête autant que possible et haussa un sourcil en voyant les deux femmes qui se trouvaient devant sa cellule. Sans un mot, Hanji enfonça la clé dans la serrure et laissa entrer celle que la prisonnière devina être une doctoresse.

— Vous refermez pas la grille ? s'étonna-t-elle alors qu'elle s'approchait de son lit.

— Tu n'es pas en capacité de t'enfuir, alors je ne m'inquiète pas trop, plaisanta la femme.

— Vous croyez ça ?

— Je le sais. C'est mon métier, de savoir ce que ton état te permet de faire ou non.

Agacée, la blessée marmonna une réponse inintelligible qui fit sourire la professionnelle. Encore secoué par son sauvetage et par le voyage de Revelio jusqu'à Paradis, le chat feula et sortit les griffes dans la direction de la visiteuse lorsqu'elle voulut le toucher et - pire encore - approcher Ophelia pour l'aider à se redresser. Cette dernière n'en fut pas surprise, il se comportait ainsi depuis son réveil. Peut-être qu'être témoin de sa presque-mort l'avait assez marqué pour qu'il se sente menacé dès qu'on tentait de toucher la jeune femme.

— J'avais encore jamais vu un chat de garde, ironisa-t-elle nerveusement. Est-ce que vous pouvez..?

Quittant à contrecœur la chaleur que sa boule de poils préférée lui apportait depuis des heures, Ophelia se débrouilla pour se défaire de sa prise et accepta l'aide de l'inconnue pour s'asseoir sur son lit. Néanmoins décidé à ne pas quitter sa maîtresse des yeux, le chat resta à ses côtés et observa toute la suite des événements sans broncher. À l'extérieur de la cellule, Hanji demeura silencieuse tandis qu'on changeait les pansements de la traîtresse et vérifiait ses points de suture. Le regard d'Ophelia croisa brièvement le sien et elle dût se retenir de demander maintenant quelles terribles nouvelles elle était venue lui annoncer. Une Hanji silencieuse, c'était forcément mauvais signe.

— Tout m'a l'air correct, conclut la médecin après quelques minutes d'observation supplémentaires. Pas de signe d'infection. Évitez les mouvements brusques pour ne pas défaire les points, et tout devrait revenir à la normale dans quelques semaines.

— Quelques semaines ?

— Deux ou trois, je dirais. Ce n'est pas comme si vous aviez quelque chose de prévu, de toute manière, plaisanta-t-elle. Je reviendrai régulièrement pour changer les pansements. C'est tout. À dans quelques jours !

Bouche bée, Ophelia l'observa repartir comme elle était arrivée. Bon sang, combien de temps allait-elle passer ici? Son fidèle animal de compagnie vint immédiatement frotter sa tête contre la main de la jeune femme, lui rappelant sa présence avec la subtilité qui lui était propre.

— Je vous aurais bien saluée comme il se doit, major, mais ça risque d'être compliqué, ironisa la prisonnière lorsqu'il ne resta plus qu'Hanji et elle. Alors, dites-moi, qui est mort ?

— Quelques uns de nos soldats, dont... Sasha.

Sa première pensée cohérente concerna Eren. Non, toutes ces pensées le concernaient, en fait. Comment allait-il, si l'une de ses amies avait été tuée dans une attaque qu'il avait lui-même orchestrée ? Les autres le blâmaient-ils ? Il fallait qu'elle sache. Lui, il devait se sentir responsable, coupable, et elle refusait de s'imaginer qu'il puisse laisser tout le monde le convaincre qu'il avait causé ce désastre.

— Comment ?

— Deux gamins de l'unité des guerriers ont réussi à monter à bord de l'aéronef. La fille a tiré sur Sasha. Ils sont enfermés, maintenant, comme Eren et toi.

— Eren est enfermé, répéta Ophelia sans parvenir à dissimuler sa désapprobation. Jusqu'à quand ?

D'un sérieux déconcertant, Hanji ne cilla pas face à son regard accusateur. Elle avait assez fréquenté l'ancienne espionne pour ne plus être surprise par le bleu transcendant de ses yeux, que la colère assombrissait et rendait plus intimidant encore.

— Comme pour toi, je ne sais pas. On doit être certains de pouvoir vous faire confiance, et je dois t'avouer... que c'est mal parti. Vous menacez tous les deux de vous enfuir dès que vous en aurez l'occasion, ce qui va nous forcer à doubler la sécurité. On doit s'assurer qu'Eren n'est pas manipulé par-

— Je peux vous poser une question, major ?

— Je t'écoute, Ophelia.

— Est-ce que vous êtes vraiment derrière ces décisions ou est-ce que vous n'êtes qu'un pantin des plus hauts-gradés de votre gouvernement ?

Toujours aussi perspicace, il fallait l'avouer. Toutes deux savaient qu'Hanji ne dirigeait pas grand chose. Autrefois méprisé, autant par les autres régiments que par le peuple, le Bataillon d'Exploration représentait maintenant le plus beau bijou de l'armée du Paradis. Si le major avait tous les droits sur ses soldats à l'époque puisque personne ne s'en souciait, ce n'était plus le cas aujourd'hui et l'élite des Brigades Spéciles se faisait une joie de prendre discrètement le contrôle de tout ce qu'ils n'aimaient pas.

— C'est bien ce que je pensais, reprit Ophelia. Vous savez très bien qu'on ne sortira jamais d'ici. Ils vont donner les Titans d'Eren à quelqu'un d'autre, livrer Sieg à Historia et m'exécuter discrètement juste pour la forme, voilà ce qu'il va se passer.

— Personne ne touchera à Historia tant qu'elle sera enceinte, rétorqua Hanji.  Pour le reste, je cherche justement à l'éviter. Et peu importe ce que tu as l'air de croire, j'ai un droit de regard sur tout ce qui concerne mes soldats, et vous êtes encore tous les deux des membres du Bataillon d'Exploration. Mais si tu veux te tirer d'affaire, tu n'as qu'à me parler. Dis-moi. Pourquoi est-ce que vous êtes partis ? Pourquoi cette attaque soudaine ?

— Parce que le reste du monde allait attaquer votre île, peut-être ? Écoutez, tout n'est pas si facile que ce que vous pensez. C'est infini, ces trucs. Je pourrais vous dire que Willy Teyber est le fautif pour avoir décidé de déclarer la guerre à Paradis et qu'Eren n'a fait que se défendre, mais on passe trop de temps à chercher qui a commencé et pourquoi les conflits sont lancés. Et vous voulez savoir pourquoi on est partis ? continua-t-elle. Pour comprendre et agir. Vous avez passé des bonnes vacances, dans la résidence des Azumabito, à découvrir les glaces, la musique et les voitures ? Pendant ce temps-là, on a souffert pour trouver un moyen de ramener Sieg et de faire bouger les choses à votre place. Sans Eren, à l'heure qu'il est, les armées entières du monde extérieur serait en route pour décimer Paradis. On ne peut pas défendre ce qui nous est cher et garder les mains propres, vous devriez le savoir.

— Je reconnais que j'ai été trop passive. Mais tu es intelligente, alors tu sais que je suis en mesure de me douter que vous cachez quelque chose. Et ça a un rapport avec les mercenaires anti-Mahr, n'est-ce pas ?

— Eren vous en a parlé ?

— Non. Je lui ai rendu visite hier, et depuis, il se mure dans le silence.

— Alors je ne suis au courant de rien, sourit Ophelia.

Consciente que chercher plus longtemps à la faire parler ne mènerait à aucune conclusion différente, Hanji se contenta d'approcher un peu plus des barreaux d'un air curieux.

— Toutes ces choses que tu as citées. Tu veux que ça arrive ?

— Ça n'arrivera pas. Désolée, major, vous ne contrôlez rien du tout et vos supérieurs du gouvernement ne sont pas beaucoup mieux.

Cette phrase résonnerait dans l'esprit d'Hanji pendant un long moment. Elle ne contrôlait rien du tout, en effet. Ni ses jeunes soldats qui, tout juste deux jours plus tard, s'amusèrent à faire fuiter l'information concernant l'emprisonnement d'Eren, ni les civils qui encerclèrent le site militaire pour contester cette décision, et encore moins Ophelia qui tint parole et fit vivre un enfer à tous les gardes chargés de sa surveillance.

Il lui fallut de nouveaux points de suture lorsqu'elle tenta de s'échapper - et y parvint presque - et décida de ne pas reculer face aux ordres d'un soldat prêt à en venir aux mains. Dans le sous-sol, elle se plaisait à faire rebondir la balle qu'on lui avait donnée pour la rééducation de son bras contre le mur, jusqu'à ce que quelqu'un lui en fasse la réflexion. Même d'ici, elle entendait le peuple, les civils qui criaient dans les rues et tiraient sur les grilles du site. Ils ne faiblissaient pas. Leur motivation semblait même croître, jour après jour.

— Pourquoi vous vous mettez toujours tous sur les côtés ? questionna Ophelia après un énième rebond de sa balle contre les briques froides de sa cellule. Vous voulez pas que je vous voie, ou quoi ?

— La dernière fois que quelqu'un s'est placé face à la cellule, tu lui as pratiquement brisé le nez avec ta foutue balle.

— C'est vrai. Faut avouer que c'était vachement bien visé. Pas facile avec les barreaux, pourtant.

— J'ai vraiment hâte qu'ils se décident à se débarrasser de toi, Hawk, continua le deuxième garde.

— Méchant, ça. Pourquoi ?

Plus insolente que jamais, elle haussa les sourcils lorsqu'il changa sa position pour passer devant la cellule, arme à la main. Il la dévisagea avec froideur et elle cessa de jouer pour s'approcher malgré sa jambe encore douloureuse. Pensait-il vraiment l'intimider ? Décidée à lui faire comprendre que ce n'était pas le cas, Ophelia planta son regard dans le sien et garda la tête haute malgré l'œil au beurre noir encore visible que son altercation avec l'autre soldat lui avait coûté et les quelques fines cicatrices qui décoraient sa peau pâle, souvenir des bouts de verre qui l'avaient atteinte lors de l'attaque à Revelio.

— Je crois que j'ai jamais connu une garce pareille.

— Je le prends bien. Autre chose ?

— Tu sais que ton copain va pas faire long feu non plus, pas vrai ? Il serait temps que tout le monde se rende enfin compte de ce qu'il est.

— Et qu'est-ce qu'il est, exactement ? rit Ophelia. Mis à part si effrayant que t'oses même pas prononcer son nom, je veux dire. Sinon, je sais pas toi, mais moi j'ai plutôt l'impression que le peuple est de son côté. Tiens, écoute un peu.

Encore souriante, elle leva un doigt vers le plafond pour lui faire signe de tendre l'oreille vers ce qu'il se passait à l'extérieur. Le peuple scandait le nom d'Eren Jaeger et réclamait sa libération immédiate, pour le bien d'Eldia. Face à l'agacement palpable de son interlocuteur, Ophelia se joignit un instant au chœur, seulement pour l'embêter un peu plus.

— Votre armée est en train de se scinder en deux, reprit-elle ensuite. Et personne ne fait rien pour régler ça, puisque vous êtes encore trop occupés à envisager la mort de celui en qui votre peuple a confiance. Vous vous dirigez droit vers votre propre perte.

— Et de quel côté tu es ?

— Le mien, répondit Ophelia avoir besoin d'y réfléchir.

Le soldat n'eut pas l'occasion de lui répondre, et n'avait de toute manière rien à ajouter. L'armée ne l'avait pas enfermée pour rien, Ophelia était trop maligne pour qu'on prenne le risque de la laisser vagabonder dans les rangs du Bataillon comme si de rien n'était. Même privée de tout contact extérieur, elle avait deviné ce que préparaient les hauts-gradés et compris le rôle qu'avait joué Floch et les jeunes soldats qui le suivaient dans le soulèvement du peuple. Toute sa vie, elle avait vécu sur un échiquier, à observer les pièces bouger jusqu'à être en mesure de jouer elle-même. Les stratégies secrètes décidées entre militaires, elle en avait l'habitude, tout comme les rébellions lentes et subtiles qu'elle jugeait toujours intéressantes à regarder.

— C'est notre tour de garde, annonça l'un des deux nouveaux venus.

Ophelia ne quitta pas des yeux son interlocuteur avant qu'il ne se décide à acquiescer dans la direction des deux autres soldats. Son camarade et lui quittèrent alors le sous-sol et la jeune femme fronça les sourcils, certaine de percevoir une différence radicale dans l'attitude de ses nouveaux geôliers. Méfiante, elle reprit alors son jeu incessant et sourit légèrement lorsque son chat se posta près du mur, le museau vers le haut pour observer les allers-retours de la balle.

— Vous êtes pas très bavards, vous, fit-elle remarquer après quelques longues minutes de silence.

Instantanément, le son d'une explosion se fit entendre au sein même du bâtiment, au-dessus de leurs têtes. La bouche entrouverte de surprise, Ophelia leva les yeux en direction du plafond et jeta un coup d'œil confus aux deux jeunes hommes qui ne montrèrent aucune réaction. Dehors, les cris des civils redoublèrent d'intensité. Ils ne scandaient plus le nom d'Eren mais une phrase simple et connue de tous, à la signification trop forte pour être ignorée ainsi.

Offrez votre cœur ! Offrez votre cœur !

— Qu'est-ce que c'était ? questionna-t-elle tout en s'approchant de ses barreaux. L'explosion, qu'est-ce que c'était ?

— Zackley.

— Zackley ? répéta la prisonnière, les yeux écarquillés. Comme... Darius Zackley, le général en chef de votre armée ?

L'un des soldats quitta sa position pour lui faire face tandis qu'elle attrapait une des barres de métal de sa main libre. Elle devina qu'il devait provenir de la même brigade d'entrainement que Luise, bien que visiblement un peu plus âgé qu'elle. Il restait un adolescent, malgré son regard sombre teinté d'une maturité précoce. Peu de soldats gardaient longtemps leur innocence, elle était bien placée pour le savoir.

— Il prévoyait en secret de sacrifier Eren pour donner l'Originel à quelqu'un d'autre.

— Je m'en doutais, acquiesça Ophelia. Vous êtes avec Eren, alors ?

Le rouquin face à elle hocha la tête, et son camarade l'imita lorsqu'elle se tourna vers lui. Satisfaite de savoir que, jusque-là, Eren dominait la partie et qu'il faudrait attendre encore un moment avant que cela ne risque de changer, elle reporta ensuite son attention sur le premier.

— Tu t'appelles comment ?

— Brone, répondit-il. Brone Flynn.

— Quel est le plan, alors, Brone ?

— Pour l'instant... Je dirais que tu devrais rester loin de ce mur.

Perplexe, Ophelia se retourna pour regarder l'amas de briques froides qu'il venait de désigner. Comme demandé, elle resta près des barreaux et s'arrangea pour attraper son chat au passage lorsque le mur concerné se mit subitement à trembler puis à s'ouvrir en deux.

— Qu'est-ce que...

Elle ferma les yeux par réflexe et serra son meilleur ami du moment contre elle lorsqu'une vive lumière se fit apercevoir dans la faille qui grandissait encore et encore. Un véritable tunnel était en train de se former et, en soulevant prudemment une paupière, Ophelia ne tarda pas à apercevoir les constructions cristallisées qui élargissaient le trou seconde après seconde.

En bien moins de temps qu'elle ne l'aurait imaginé, le passage fut entièrement dégagé, soutenu par quelques piliers brillants qui se solidifièrent pour de bon et tinrent en place sans problème.

Elle s'était plusieurs fois imaginée la manière dont elle le retrouverait, mais le voir débarquer dans sa cellule, torse nu et les joues striées de ses marques de transformation, après avoir creusé lui-même un tunnel jusque-là n'avait jamais été une éventualité à laquelle Ophelia avait pensé. Elle s'était aussi dit qu'elle serait capable de garder une certaine contenance comme elle l'avait toujours fait, et elle avait eu tort à ce niveau-là aussi puisqu'elle ne parvint pas à se retenir de se ruer dans sa direction pour passer ses bras autour de sa nuque et le serrer contre elle, abandonnant le chat sur le sol de la petite pièce et se fichant éperdument des deux soldats encore présents.

Elle ne les entendit même pas adresser quelques mots à Eren et partir comme ils étaient arrivés. Le visage niché dans le cou du jeune homme, elle le sentit seulement l'enfermer dans une étreinte particulière avec hésitation, pris de court par le flot d'émotions qui le saisit. Ils s'étaient déjà enlacés, évidemment, mais jamais ainsi. Jamais au point d'en avoir les larmes aux yeux et des flammes au cœur. Après tout ce qui était arrivé, ils se retrouvaient enfin. Il était dans ses bras, entier, et elle était contre lui, bien vivante. Ce constat mutuel les poussa à s'enserrer un peu plus fort et suffit à Ophelia pour rayer définitivement de sa mémoire les mensonges qu'il avait prononcés pour la faire fuir. Ce qu'ils étaient l'un pour l'autre était tout sauf insignifiant, rien ne lui ferait croire le contraire.

— On doit pas traîner, souffla Eren contre ses cheveux, de peur de troubler la quiétude de ce moment s'il parlait plus fort.

— Je sais.

Incapable de le lâcher complètement, Ophelia ne s'écarta que pour prendre son visage entre ses mains et coller son front au sien. Il jaugea d'un regard contrarié son œil au beurre noir puis finit par l'oublier quelques secondes, trop concentré sur la douceur de sa joue sous sa paume lorsqu'il posa à son tour une main sur elle et sur son souffle qui s'échouait contre ses lèvres entrouvertes. Elle ne paraissait même pas avoir l'intention de l'embrasser, mais respirer un autre air que le sien ne semblait pas l'intéresser pour le moment et il devait bien avouer qu'il partageait ce sentiment.

Mais la jeune femme se fit un plaisir de le laisser incliner son visage vers le sien et approcher ses lèvres des siennes jusqu'à pouvoir les goûter comme pour la première fois. Elle nota pourtant une différence dans sa manière de l'embrasser, entre cette fois-là dans leur petit hôtel de la côte Mahr et aujourd'hui. Si, à l'époque, il avait été frustré par son incapacité à lutter contre son propre futur et qu'elle avait senti dans ses baisers ses excuses en avance pour ce que ce dérapage lui coûterait, maintenant, elle avait l'impression d'embrasser une supplication. Il la suppliait. Il la suppliait égoïstement de ne pas croire ce qu'il disait, de ne pas changer de regard sur lui, de le garder humain comme il aurait rêvé de pouvoir le rester.

En comprenant son état d'esprit, Ophelia s'éloigna et le força à la regarder dans les yeux. Rien n'avait changé. Eren le voyait. Elle le regardait toujours de la même manière, même après Revelio et tous les dégâts qu'il avait causés. Elle comprenait, et il en était autant soulagé que terrifié.

— Il faut qu'on y aille, avant qu'ils se rendent compte de quelque chose, dit-elle ensuite, si proche de son visage que leurs lèvres se touchèrent presque à nouveau.

Le jeune homme acquiesça sans un mot et elle planta un dernier baiser contre ses lèvres avant de glisser sa main dans la sienne. Automatiquement, un miaulement les rappela à l'ordre. Eren baissa les yeux vers le chat occupé à se frotter à sa jambe et, lâchant à contrecœur Ophelia, il se baissa pour l'attraper et le lui confier.

— Tu l'aimes bien, finalement, remarqua-t-il lorsqu'elle déposa un baiser sur le haut de sa petite tête poilue.

— Je l'ai toujours bien aimé ! se défendit la jeune femme tout en se dirigeant vers le tunnel improvisé.

Le Jaeger leva les yeux au ciel dans son dos et l'observa un instant s'éloigner, leur chat dans les bras et la démarche encore peu assurée à cause de sa jambe blessée.

Le reste pouvait maintenant mal tourner. Ça n'avait plus vraiment d'importance, puisqu'elle était saine et sauve.

⋇⋆✦⋆⋇ 

Le soleil commençait à disparaître derrière l'horizon lorsque le couple rejoignit l'endroit de rendez-vous. Une quinzaine de soldats les attendaient. Enfin, attendaient Eren. Bien consciente que sa présence allait en agacer certains en particulier, Ophelia adressa un grand sourire à Floch lorsque leurs regards se croisèrent. Elle savait que tous ces gens avaient participé de près ou de loin à son évasion aussi, mais les ordres d'Eren ne satisfaisaient pas forcément l'intégralité de ses troupes de rebelles.

— Ça en fait, du monde, observa-t-il lorsqu'ils furent au niveau du regroupement. Vous êtes combien, en tout ?

— Plus que ce que tu vois là, répondit Floch. D'autres camarades restent infiltrés dans l'armée. Les gardes qui nous ont aidés à nous évader, ceux qui vous ont indiqué de nous rejoindre ici, ou encore ceux qui se sont chargés d'éliminer Darius Zackley parce qu'il s'apprêtait à se débarrasser de toi en transmettant l'Originel à quelqu'un de plus commode pour eux. Alors que toi seul est à même de sauver notre Empire Eldien... Eren Jaeger.

Ophelia le jaugea d'un air sceptique tandis qu'il tendait un sweat à Eren comme s'il s'agissait d'un véritable trésor. Le principal concerné attrapa le vêtement pour l'enfiler tout en dépassant le rouquin sans trop lui prêter attention, à peine conscient de tous les regards braqués sur lui alors qu'il prenait la tête du groupe.

— On a qu'une chose à faire. Il faut trouver Sieg.

。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆

pfiou je pensais pas que ce chapitre serait si long

je sais pas ce que je fous avec ce chat, je me souviens même pas avoir décidé qu'il y aurait un chat dans l'histoire mais bon tout va bien
au moins ophelia a un ami 😭

aussi, brone flynn est un de mes oc qui appartient à une autre fiction en cours d'écriture, comme ça vous savez 😎 j'aime beaucoup caser mes personnages un peu partout, si jamais vous l'aviez pas encore compris 😭

j'espère que ce chapitre vous a plu !! il y a quand même les retrouvailles officielles d'erelia même s'ils ont encore pas mal de trucs à se dire 👀
j'attends vos petits avis les bg 👊

à bientôt pour la suite !!
(si je survis à l'épisode de demain)

Zoé

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