chapitre 31 ◌ solitude

Ses mains trempées agrippèrent le bord du lavabo après être passées le long de son visage. Le cœur battant encore trop vite pour se détendre, Eren ne put que se montrer méfiant quand la porte de la salle de bain s'ouvrit derrière lui et qu'il vit, dans le reflet du miroir, la jeune femme s'approcher. Elle gardait les bras serrées contre elle comme pour protéger son corps du froid auquel il n'était plus habitué après des heures passées sous les draps, portait une chemise qui n'était même pas la sienne et ses cheveux ébène étaient bien moins disciplinés que d'habitude. Une vue plutôt inhabituelle pour le commun des mortels, mais plus pour lui.

— J'ai le sommeil léger, se justifia-t-elle en croisant son regard contrarié dans le miroir. Tu veux en parler ?

—  Il n'y a rien à dire.

— Tu as fait un cauchemar, rétorqua Ophelia après avoir levé les yeux au ciel. Je suis pas une idiote.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? se renfrogna-t-il.

Elle haussa un sourcil, perplexe.

Je crois qu'on a dépassé ce stade-, Jaeger. Si tu veux pas en parler, d'accord. Mais sache que tu peux, si t'en as envie. D'accord ?

Eren détourna le regard du reflet de sa partenaire un instant. Parler et laisser enfin sortir toutes ces choses qui le détruisaient à petit feu était tentant, maintenant. Parfois, il se pensait capable de continuer à avancer sans aucune difficulté et parvenait à s'éloigner de ses émotions pour se concentrer sur ce qu'il devait faire. D'autres fois, il se sentait plutôt comme un fruit pourri de l'intérieur, lentement rongé par d'immondes insectes. Quand les cauchemars frappaient, c'était la deuxième option qui l'emportait. Mais dire à Ophelia que ce qu'il voyait en fermant les yeux ne venait pas de son imaginaire mais bien de sa mémoire du futur ou bien de celles passées d'anciens détenteurs de ses Titans.... ne semblait pas vraiment être une bonne idée.

Ça va, affirma-t-il alors.

Mentir à Ophelia n'était pas une chose simple. Elle était trop douée pour analyser ceux qui l'entouraient et comprendre leurs mots et leurs agissements pour ça. Et pour ce qui était de lui, c'était encore pire. Elle le connaissait presque par cœur, maintenant, et de cela, il en était douloureusement conscient. Il le savait à la manière dont elle le toisait lorsqu'il lui mentait et à sa façon d'attraper sa main sans même lui parler lorsqu'il se perdait dans ses pensées.

Il ne fut donc pas surpris la sentir passer ses bras autour de lui et se presser contre son dos nu. Ses lèvres effleurèrent son épaule avant qu'elle n'y pose son menton. Quand Eren releva la tête vers le miroir, il croisa son regard et se détendit à la vue de son petit sourire tendre. Oui, il avait beau vouloir repousser l'avenir qui lui était pourtant promis, il ne pouvait jamais rien faire pour empêcher son cœur de battre un peu plus fort dès qu'il était avec elle. Cœur sur lequel elle posa d'ailleurs une main, comme elle le faisait souvent lorsqu'elle se rappelait qu'il était vulnérable au temps. Bien qu'il n'en eut jamais fait la remarque, la manière dont elle posait sa tête contre son torse certains soirs ne lui échappait pas. Elle savait qu'elle aimait quelque chose que la mort viendrait réclamer trop tôt à son goût. Ce à quoi Eren aurait rétorqué que c'était toujours trop tôt, et qu'elle était plus en danger que lui de toute manière.

Cela relevait encore de ces débats incessants qu'ils n'avaient même plus mais qui flottaient entre eux quand leurs regards se trouvaient. Pourquoi prenaient-ils la peine de faire comme s'ils pouvaient être un couple, comme si tout ce qu'ils créaient ne se retournerait pas contre eux pour leur causer plus de blessures ? Pourquoi l'impossible restait accessible, comme si la vie s'amusait à attirer les humains hors de leurs limites pour ensuite les punir d'avoir cédé à la tentation ?

Et surtout, au-delà des questions auxquelles l'évidence qu'ils étaient pouvait répondre malgré l'ironie de la situation, une autre persistait.

Qui perdrait l'autre d'abord ?

✧・゚: *✧・゚:*

Il n'y avait que lui, dans le reflet de ce miroir-ci. Lui et la morbidité de ses crimes qui ternissait ses yeux. Comme à l'époque, ses mains encore pleine d'eau se posèrent au bord du lavabo après être passées dans ses cheveux longs pour les rassembler en un chignon négligé. Il était seul, aujourd'hui, seulement entouré de murs froids et de barreaux. Pas de mains réconfortantes sur sa peau ni de sourires amoureux. Juste lui-même, et ce tas d'émotions trop emmêlées entre elles pour en faire quoi que ce soit.

Eren était prisonnier du pays pour lequel il s'était toujours battu. Un criminel aux yeux du régiment qu'il avait rêvé de rejoindre durant toute son enfance. La vie savait décidément se montrer ironique avec lui.

S'asperger le visage d'eau une seconde fois lui parut être une bonne solution pour chasser, au moins un instant, toutes les pensées bruyantes qui envahissaient son esprit. Comment était-il censé réfléchir correctement s'il n'était même pas capable de sortir une seule pensée cohérente de cette mêlée pleine de confusion ? Tout se superposait jusqu'à lui donner l'impression de pouvoir exploser au moindre geste brusque. L'attaque à Revelio, les supplications de Reiner qui était tombé à genoux devant lui pour l'implorer de le tuer, les hurlements de terreur, le sang des innocents, le regard de Mikasa et celui d'Armin, l'incompréhension de tous ceux qui avaient été ses amis et camarades les plus proches durant des années. Il ne pouvait rien à tout cela, c'était ainsi que les choses devaient se passer, alors pourquoi ne pouvait-il pas seulement être aussi froid à l'intérieur qu'il ne l'était aux yeux de tout le monde ?

Sans oublier l'atroce image du corps pratiquement inerte d'Ophelia sur le sol de l'aéronef. Son regard fatigué et son teint livide, les chiffons imbibés de sang qu'on avait pressé contre ses blessures. Il l'avait même vue tomber sous les balles qui l'avaient atteinte, de ses propres yeux. Elle s'était effondrée et sur le coup, il avait eu l'impression de la suivre dans sa chute. Peut-être la sensation de ne plus être muni de poumons entièrement fonctionnels venait-elle du fait qu'il n'avait aucun moyen de savoir si les siens se gonflaient et se vidaient toujours d'air comme ils étaient censés le faire.

Si elle était morte, elle l'était à cause de lui et sans lui laisser l'occasion de lui parler une dernière fois. Cette pensée était peut-être la plus désagréable. Si elle était vraiment partie, elle l'avait fait avec un massacre impitoyable comme dernière image de lui. Ça ne devrait pas tant le déranger, si ? C'était bien ce qu'Eren faisait de mieux : massacrer. Avancer quelques soient les obstacles, parce qu'il avait toujours pensé ainsi.

« Si on ne gagne pas, on meurt. Si on gagne, on vit. »

— Si on ne se bat pas, reprit-il à voix haute avant de relever la tête pour croiser son propre regard, on ne peut pas gagner. Alors bats-toi.

Le son de la porte du sous-sol s'ouvrant et se refermant ne le perturba pas le moins du monde. Sans prendre la peine de faire un quelconque geste pour se montrer accueillant, Eren se contenta de serrer les dents en observant son propre reflet tandis que la personne qui venait lui rendre visite s'arrêtait de l'autre côté des barreaux de sa cellule.

— Qu'est-ce que tu fais ? questionna Hanji, curieuse mais veillant à rester prudente. Tu te parlais dans le miroir ? C'est ça ?

Son manque de réaction ne l'étonna pas vraiment mais renforça son sentiment d'incompréhension. Il était si immobile qu'on aurait dit qu'il ne l'entendait pas du tout.

— Tu causais à ton reflet dans la glace, insista le major. Tu lui disais de se battre. J'ai pas rêvé. C'est ça ? J'ai clairement entendu. « Bats-toi », que tu as dit. Contre quoi ? Je peux savoir ? Allez, sois sympa, confie-toi un peu à moi.

La nostalgie l'atteignit un moment, au souvenir du temps où Eren n'était qu'un adolescent curieux et déterminé, ouvert à la conversation et proche de ses camarades. Du temps où on connaissait ses intentions et où ne pas être compris par ses amis était inenvisageable pour lui.

— Si tu me dis rien, je ne peux pas deviner. T'avoueras que c'est pas très courant de se parler à soi-même. Moi, ça m'arrive jamais. Du coup, j'ai du mal à saisir dans quel état d'esprit tu peux être. En tout cas, très chouette, ta nouvelle coupe ! Propre, sans être trop sophistiquée ! Le parfait équilibre entre l'élégance et la simplicité !

Les mains du jeune homme serrèrent plus fort le bord du lavabo. Pourquoi ne pouvait-elle pas se contenter de partir au lieu de parler sans s'arrêter, sans même lui apporter les seules réponses qu'il aurait aimé recevoir ?

— Je suis étonnée que tu ne veuilles pas savoir comment va Ophelia, reprit Hanji comme si elle avait lu dans ses pensées. On aurait dit que tu t'en souciais, quand on est rentrés de Revelio. Mais je me suis peut-être trompée.

— Qu'est-ce que tu me veux ?! craqua-t-il, trop sur les nerfs pour qu'on en rajoute une couche avec une technique de manipulation comme celle-ci.

— Eh ben... discuter, pardi ! répondit le major, à la fois soulagée d'avoir capté son attention et étonnée par son attitude. Comme lors de notre première rencontre, tu te souviens ? On avait passé toute la nuit à parler des Titans. Enfin, c'est surtout moi qui parlais... Et toi, tu écoutais.

Eren baissa les yeux pour ne plus voir son reflet mais ne se tourna pas vers elle pour autant. Pourquoi ne lui donnait-elle pas la réponse ? Fallait-il vraiment qu'il expose une telle faiblesse aussi explicitement ? Consciente d'avoir touché une corde sensible, Hanji attendit un instant qu'il se décide à poser la question. Ce qu'il ne fit pas, alors elle céda et lui apporta le soulagement qu'il cherchait malgré son envie qu'il participe un peu plus à la discussion.

— Ophelia va bien. Pour l'instant, du moins, ajouta-t-elle et elle le vit froncer les sourcils. Ses blessures ne posent plus de problème, mais sa trahison, si.

Il faillit secouer la tête tant cette accusation lui semblait stupide. Puis il se rappela que personne ne la connaissait comme il la connaissait. Aux yeux du reste du monde, elle était cette manipulatrice capable de changer de camp dès que l'un lui paraissait plus avantageux que l'autre. Il avait bien mentionné dans sa lettre qu'elle était de leur côté et qu'elle s'était infiltrée au sein de l'armée Mahr seulement pour le bien de leur mission, mais puisque lui non plus n'avait plus la confiance de ses supérieurs ou de ses amis, il était plutôt cohérent que personne ne l'ait cru. Il leur fallait des preuves. Et tant qu'ils n'en auraient pas, Ophelia ne serait pas en sécurité.

— Tu sais, continua Hanji, en fait, je savais que tu refuserais de sacrifier Historia.

La colère revint au galop. Elle lui reprochait de protéger ses amis, maintenant ? C'était ce qu'il avait toujours fait. Et elle ne savait rien, contrairement à Historia qui était en mesure de comprendre son attitude. Il avait dû lui avouer la vérité, à elle. Pour éviter qu'elle ne soit transformée et utilisée par l'armée pendant treize ans. D'un autre côté, la reine devait certainement vivre écrasée sous une lourde couche de culpabilité, maintenant. Ce qui le confortait dans sa décision de garder Ophelia dans le mensonge.

— La meilleure solution que tu as proposé de chercher lorsque nous avons reçu les Azumabito se fait toujours attendre. Le mandat de Sieg touchait à son terme, et Mahr était sur le point de lancer l'assaut. Je pensais que tu partagerais notre sentiment d'urgence. Je ne parviens donc pas du tout à m'expliquer ton initiative inconsidérée qui nous à tous mis en danger ! Serais-tu donc devenu indifférent au sort d'Historia ?

— Écoute, coupa-t-il sans savoir la patience de la laisser encore une fois dire qu'il ne réfléchissait pas assez à ce qu'il faisait, j'ai absorbé le Titan Marteau d'Armes.

— Hein..?

— Il a le pouvoir de se rigidifier à partir du sol et de créer des armes à sa guise. C'était un adversaire coriace. En d'autres termes, poursuivit Eren en se tournant enfin vers son interlocutrice, vous pouvez pas m'enfermer, peu importe à quel point cette cellule est solide et enfouie sous terre. Je peux partir dès que je le veux. Et, évidemment, vous pouvez pas me tuer puisque j'ai l'Originel. Quoi d'autre, en oubliant les menaces inutiles ? Ah oui, vous pouvez pas tuer Sieg, non plus.

Réduite au silence par l'aura menaçante qui se dégageait du jeune homme, Hanji l'observa s'approcher des barreaux jusqu'à ce qu'elle doive lever les tête pour le regarder dans les yeux. Il avait encore grandi, durant ces mois passés loin de ses camarades du Bataillon, et cet air distant qui avait été sa marque de fabrique durant quelques années avait laissé place à une expression sombre qui aurait surpris même l'adolescent qu'il avait été s'il s'était retrouvé face à lui.

— Donc, Hanji, qu'est-ce que vous pouvez faire ? Hein ?

Elle comprit trop tard qu'il était bel et bien en train de céder à sa colère, les nerfs trop à vif pour garder son calme. Le regard noir, Eren saisit sa supérieure par le col de son uniforme et l'approcha des barreaux de sa cellule avec tant de force qu'elle manqua de s'y cogner.

— Dis-moi, Hanji ! S'il y avait un autre moyen, je serais ravi que tu me l'expliques !

Il se sentit lui-même perdre le contrôle et ne fit rien pour empêcher le major de se défaire de sa prise, chassant sa main d'une vive tape et s'éloignant de lui à toute vitesse. Avec l'acquisition récente du Marteau d'Armes, il était de nouveau un gamin possédant un pouvoir qu'il n'était pas censé avoir. Non, en fait, il n'était plus du tout un gamin et la force qu'il sentait en lui le lui prouvait. Trois Titans étaient en sa possession. Trois Titans provenant de trois branches différentes de l'Empire Eldien. Des mémoires par dizaines s'accumulaient au sein de son esprit et il avait acquis des facultés assez puissantes pour venir à bout de quiconque essaierait de se mettre en travers de son chemin.

Si Ophelia était restée persuadée qu'il était humain malgré tout à l'époque où seule l'idée de ce qu'il devait faire le déprimait, il était curieux de savoir ce qu'elle pensait de lui désormais.

Nonchalant malgré sa situation, Eren balaya un instant sa cellule des yeux. Il n'avait pas menti, il pourrait la quitter dès que le moment serait venu. Mais le plan risquait d'avoir besoin d'un peu plus de temps que prévu pour se concrétiser. Ce qui voulait dire qu'il allait vivre ici durant des jours, peut-être même des semaines, et qu'Ophelia devrait certainement faire de même, coincée dans un sous-sol avec des gardes chargés de la surveiller en toutes circonstances. Elle devait être ravie.

Mais puisque désormais, tout le monde s'attendait au pire venant d'elle et s'imaginait qu'elle n'était qu'une espionne pour les Mahr, les menaces de l'armée pesaient sur elle. Pour lui, il savait que les choses prendraient du temps. Ses camarades ne laisseraient pas les hauts-gradés du gouvernement le sacrifier sans chercher à exploiter toutes les autres solutions avant, surtout pas Mikasa et Armin. Mais Ophelia ? Personne ne se soucierait d'elle, ici.

Il devrait donc s'assurer lui-même qu'il ne lui arriverait rien. Et il le ferait, quitte à compliquer encore un peu plus les choses. Il n'était plus à cela près, de toute manière.

。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆

un chapitre un peu plus court où on suit eren et ses pensées un peu bordéliques! évidemment, ophelia revient dès le prochain chapitre et ça risque d'être drôle 😎 (je sais pas en vrai je l'ai pas encore écrit)

j'espère que ça vous a plu et comme d'hab je fais au plus vite pour la suite (ça va j'suis pas trop lente eh) ✨

à bientôt !

Zoé

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