chapitre 3 ◌ complices

Maintenant que Paradis disposait des transmissions radio des mercenaires qui avaient trahi Mahr, il ne fut pas difficile de prévoir le prochain débarquement. Yelena se chargea de la communication. Elle n'eut qu'à dire que leur navire s'était échoué sur une crique pour que le capitaine avoue qu'ils étaient nombreux et répartis dans deux bateaux. L'information fit le tour des troupes et atteignit l'adolescent encapuchonné qui attendait le signal pour faire son entrée.

Perchée sur une crête, fusil en main, Ophelia observa à travers son viseur les barques qui se dirigèrent vers le véhicule marin censé avoir fait naufrage.

— On peut pas dire qu'ils soient très futés.

Surprise, la jeune femme se détourna un instant de sa cible pour se tourner vers Eren. Lui ne quittait pas des yeux ce qu'il se passait en contrebas, prêt à intervenir si son ami d'enfance rencontrait un problème lors de sa transformation. Un vif éclair aux teintes orangées apparut alors et, une seconde plus tard, la forme impressionnante du Titan Colossal se montra. Ophelia reporta son attention sur les soldats ennemis qui se mirent à hurler de terreur. Elle réprima un sourire amusé à cette vue. Savoir que le garçon qui animait cet être destructeur était en fait le plus pacifiste de l'armée de Paradis rendait la situation plutôt ironique.

— Bon, le plan se déroule comme prévu apparemment, fit-elle remarquer quand les Mahr passèrent par-dessus bord pour atteindre la rive à la nage.

— Jusqu'à quand ? Tu crois qu'ils vont se lasser de nous attaquer, à force d'essayer ?

Ophelia tourna à nouveau la tête vers Eren, qui la regarda à son tour. Les sourcils éternellement froncés dans une expression contrariée, il semblait attendre une vraie réponse. Y avait-il un moyen de les arrêter sans tous les tuer ?

— J'en sais rien, avoua-t-elle. Mais si on veut avoir la conscience tranquille, il vaut mieux essayer des méthodes plus douces avant de les exterminer, non ?

Le Jaeger secoua la tête, pensif mais loin d'être en accord avec cette vision des choses.

— Je préfère encore être le méchant de l'histoire si ça veut dire que ceux auxquels je tiens et l'endroit où je suis né sont en sécurité. Pour toi, avoir la conscience tranquille vaut la prise de risque ?

— Non, répondit Ophelia sans cesser de réfléchir. Non, je comprends ton point de vue. Mais je continue à penser qu'on a une chance d'arranger les choses d'une autre manière. C'est pas encore la guerre. Ces navires sont que des missions de reconnaissance, pour voir ce que devient Paradis. Je sais qu'ils ont envoyé les guerriers pour attaquer, il y a six ans, mais vous avez pris votre revanche depuis. Ne sois pas le premier à relancer les hostilités. Attends de voir.

Eren garda le silence, et elle fut incapable de savoir s'il prenait en compte ce qu'elle disait ou s'il n'en avait rien à faire. Plus loin, elle vit la carcasse du Colossal s'effondrer tandis qu'en contrebas, on escortait les soldats Mahr pour les enfermer avec les précédents.

— Au fait... Je suis désolée pour ce que j'ai dit, la dernière fois. C'était insensible, je comprends que tu refuses de laisser Historia se sacrifier. C'est ton... amie, non ?

Surpris, l'adolescent la dévisagea un moment. Ce dernier mot sonnait étrange dans sa bouche, et il était difficile de deviner si elle cherchait à savoir si Historia était seulement son amie, ou si Ophelia n'avait juste aucune idée de ce qu'était réellement l'amitié.

— Oui..? hésita Eren, mal à l'aise.

La jeune femme acquiesça rapidement tout en détournant le regard.

Ils ne s'adressèrent plus la parole pour le restant de la journée. Ils ne se croisèrent plus, à vrai dire.

Les jours passèrent et Eren ne se montra ni à la présentation des plans du futur port de Paradis, ni à la célébration du début des travaux. Ce fut pourtant plutôt comique de voir Onyankopon tenter d'expliquer le but d'une telle infrastructure à des gens qui n'avaient découvert l'existence de la mer que quelques mois auparavant. Sasha, elle, parut plus intéressée par la raison pour laquelle le Mahr avait la peau noire. Son discours sur le Créateur qui avait décidé d'offrir aux humains des différences physiques comme celle-ci par amour pour la diversité intéressa beaucoup Armin.

Pour le début du chantier, Yelena chargea Nicolo de concocter ses meilleurs plats pour les Eldiens de Paradis, qui restèrent dubitatifs face aux fruits de mer. Sasha fut la première à se lancer. Elle se jeta sur un homard sans chercher à comprendre et se mit à pleurer tout en répétant sans cesse au cuisiner à quel point c'était délicieux. Ophelia eut du mal à retenir son sourire lorsque le visage de Nicolo prit une teinte écarlate, tant les compliments de l'adolescente le touchaient.

Les jours devinrent des semaines, et Paradis évolua plus dans ce court lapse de temps qu'en cent ans passés à se croire tout ce qu'il restait de l'humanité.

Volontairement tenu à l'écart de l'agitation et des mercenaires venus du continent Mahr, Eren fut étonné de constater qu'Ophelia eût besoin d'autant de temps pour se décider à engager une nouvelle conversation. Il se demanda s'ils avaient fini par lui ordonner de ne pas approcher les mercenaires, elle aussi, et se dit que c'était fort probable au vu des soldats prêts à l'accuser de trahison au moindre faux pas. Alors, une après-midi comme une autre, elle l'approcha enfin et il n'aurait su dire s'il en fut satisfait ou non. Cette fille était agaçante, certes, mais aussi terriblement intrigante. Il avait encore du mal à croire qu'elle avait été autorisée à rejoindre leurs rangs. Hange en savait certainement plus que les autres sur son passé, autrement, lui faire confiance aurait été une décision incompréhensible. Lui savait à quoi s'attendre, mais il était bien le seul.

Agenouillé derrière la barrière improvisée du stand de tir, fusil tendu devant lui, il l'entendit avant de la voir.

— Le recul va te faire mal à l'épaule, si tu le tiens comme ça.

Ophelia s'avança jusqu'à se retrouver à côté de lui, alors il leva les yeux vers elle, découvrant par la même occasion la miche de pain qu'elle tenait dans sa main et dont elle mâchait un morceau. Sans qu'il n'eût besoin de prononcer un mot, elle en découpa une part pour la lui tendre.

— T'en veux ? Il paraît que tu manges pas beaucoup, ces derniers temps.

— Comment tu pourrais savoir ça ? rétorqua Eren avec scepticisme.

— Je suis douée pour tout savoir.

Contrarié, il s'empara de la part qu'elle lui donnait et la remercia brièvement. Après un court moment passé dans le silence, il désigna alors son fusil d'un signe de tête ennuyé.

— Je suis censé le tenir comment, alors ? Puisque tu sais tout mieux que tout le monde.

Contre toute attente, Ophelia esquissa un léger sourire. Elle posa le reste de sa miche de pain sur la table à côté d'elle et frotta ses mains entre elles pour chasser les miettes, sous le regard attentif d'Eren qui termina sa part et attendit qu'elle se décide à étaler ses vastes connaissances devant lui une nouvelle fois.

— J'ai pas dit que tu t'en sortais mal, fit-elle remarquer en s'accroupissant à ses côtés. Tu t'en sors même plutôt bien, puisque t'as touché presque toutes tes cibles.

Le brun se mura dans le silence, fusil en main et regard rivé auxdites cibles. Il se garda bien de lui avouer que ses quelques échecs étaient seulement liés à son esprit qui avait tendance à s'égarer de temps à autres, et que cet entraînement n'en était pas vraiment un. C'était idiot, pourquoi voudrait-il être bon au tir s'il ne risquait pas d'occuper une position de tireur durant un combat ?

— Enfin bref, c'est juste une question de confort, reprit Ophelia. C'est mieux de caler la crosse contre le muscle, pas l'os de ton épaule. Vu que t'es pas tout à fait un humain banal, tu risques certainement pas grand chose, mais... C'est plus... confortable.

— Tu te répètes.

— J'avais remarqué. Bon, donc...

Insondable, Eren la laissa lever une main jusqu'à la crosse de l'arme qu'il tenait encore. Son autre paume se posa brièvement contre son omoplate, juste le temps de déplacer le fusil de quelques centimètres. Peu sûre qu'il apprécie être touché par une personne en qui il n'avait même pas confiance et ne cherchant pas à s'attirer une nouvelle fois sa colère alors qu'elle n'avait que pour objectif de le comprendre, Ophelia s'empressa d'abaisser ses mains et le jaugea du regard.

— Une démonstration ? ironisa-t-elle.

L'air renfrogné, Eren retint un soupir agacé et se contenta de coller sa joue contre l'arme, un œil fermé pour viser. La jeune femme l'entendit réguler sa respiration pour éviter les tremblements lors du tir. Elle plaqua ses mains contre ses oreilles par réflexe lorsqu'il pressa la détente, puis haussa les sourcils en se tournant vers la cible.

— Dans le mille ! Alors ?

Il baissa son arme de quelques centimètres pour tourner la tête vers Ophelia, qui l'observait encore de ses grands yeux azur et brillants de curiosité.

— C'est... plus confortable, l'imita-t-il.

Amusée, elle eut du mal à retenir son rire et, en voyant le visage du jeune homme se détendre et le bout de ses lèvres se redresser en un sourire à peine discernable, elle ne put s'empêcher de frapper gentiment son épaule avec la sienne. Ce court moment de complicité naturelle les étonna tous les deux mais ils n'en firent aucun commentaire.

Ils retrouvèrent leur sérieux à l'instant même où Mikasa et Armin les rejoignirent dans le stand de tir. Ophelia se redressa pour récupérer sa miche de pain et se tint un peu plus à l'écart, surprise par la tension qui semblait s'être installée du côté d'Eren. Il ne leur jeta même pas un regard et se contenta de tirer une nouvelle fois. Maintenant, elle comprenait mieux la raison de sa présence ici. Il n'avait pas besoin de vérifier ses compétences au tir, mais d'un moyen d'extérioriser ses émotions sans hurler sur les premiers venus.

— Tu vas tirer aussi, O' ? s'enquit Armin.

— Non, j'en n'ai pas besoin, répondit-elle avec un sourire poli. Vous êtes passés au port ?

— Oui ! La construction sera bientôt achevée. Grâce aux ingénieurs Mahr, les travaux ont avancé très vite !

— Surprenant qu'ils aient accepté d'y participer, fit remarquer Mikasa tandis qu'Eren rechargeait son fusil sans un mot.

— Au départ, évidemment, ils étaient réticents et y mettaient beaucoup de mauvaise volonté. Mais petit à petit, à force d'égards et d'attentions, nous sommes parvenus à rompre la glace. Je suis sûr qu'on peut s'entendre.

En silence, Ophelia termina son dernier morceau de pain. Toujours aussi optimiste, Armin avait un léger sourire accroché au visage. Eren l'observa un instant du coin de l'œil, mais il était impossible de deviner ce qu'il en pensait vraiment. Même Ophelia, douée pour prédire ce que cachaient les gens qui l'entouraient, n'aurait su dire s'il était préoccupé ou bien véritablement en colère.

— Armin, tu as eu accès à des souvenirs de Bertolt ? intervint-il alors.

— Non... Du moins, rien d'intéressant.

— Le temps presse. Sieg n'a plus que trois ans devant lui.

L'ancienne espionne fronça les sourcils à l'évocation du précédent détenteur du Titan Colossal. Elle savait parfaitement que le Bataillon d'Exploration n'avait pas eu le choix de le mettre hors d'état de nuire après tout ce qu'il avait fait, mais savoir qu'il était mort à cause des fausses idées qu'on lui avait mises dans la tête était intolérable. Néanmoins, elle préférait savoir que son pouvoir avait sauvé Armin et n'était pas revenu à un énième enfant Eldien de l'autre côté de la mer, à qui on aurait lavé le cerveau pour le convaincre d'attaquer Paradis.

Perturbée, Ophelia croisa ses bras sous sa poitrine en se rappelant l'état d'Armin après leur opération de reconquête du mur Maria. Il avait été entièrement carbonisé par l'onde de chaleur du Colossal. Cela avait été sa première rencontre avec ces soldats qu'elle cotoyait maintenant tous les jours. Elle se souvenait aussi de la détresse d'Eren. Alors volontairement prisonnière et contrainte d'assister à la scène, elle avait été témoin de sa peine. Elle l'avait vu se dresser face à son supérieur, subir la douleur, pleurer, supplier qu'on ramène son meilleur ami à la vie.

Difficile de croire que le jeune homme froid et distant aujourd'hui posté devant elle était la même personne que celui qu'elle avait vu ce jour-là.

— Oui, fit Armin. D'ailleurs, à propos de tout ça... Je me demande s'il faut vraiment appliquer tel quel le plan que nous a soumis Jelena.

— Quel est le problème ? s'étonna Mikasa.

— Eh bien... Déclencher le Grand Terrassement, ce serait précipiter le monde dans le plus effroyable des cauchemars... Il n'y a pas une autre solution pour sauver notre peuple ? Avant de recourir à une telle extrémité, on pourrait au moins essayer de discuter, non ? Une fois que le port sera prêt, on pourra établir des relations aussi bien avec Mahr qu'avec le reste du monde, et dissuader le malentendu...

— Le malentendu ? répéta Eren. De quel malentendu tu parles ?

— Ben... Les gens nous considèrent comme une menace, alors que c'est pas le cas.

— Pour eux, on est des monstres capables de se transformer en Titans. Où est-ce que tu vois un malentendu ?

Perplexe, Ophelia tourna la tête vers le Jaeger qui les observait encore du coin de l'œil. Visiblement, les conseils qu'elle avait tenté de lui apporter des semaines plus tôt ne l'avaient pas intéressé. Du moins, il restait persuadé qu'un massacre était inévitable.

— Cela dit, c'est aussi vrai qu'on a sympathisé avec des Mahr, dit Mikasa.

— Combien ? rétorqua Eren. Pour l'énorme majorité, les prisonniers sont toujours en train de fixer les murs derrière lesquels ils sont enfermés.

— D'accord, mais... Si on prenait le temps...

— C'est ça ! coupa Armin. On a besoin de temps.

Ophelia vit le brun se repositionner et fermer un œil, désormais bien loin de l'humeur légère qu'elle lui avait connue quelques minutes plus tôt. Le doigt déjà posé contre la détente, il ne prononça qu'une phrase simple avant de la presser, mettant fin à tout débat possible.

— Oui, et le meilleur moyen d'en gagner... C'est de les neutraliser.

。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆

eh ils se sont pas disputés cette fois 😳
il y a du mieux

je vous avoue que j'ai très hâte de poster le chapitre 4 parce que j'ai beaucoup aimé l'écrire, donc il arrivera certainement demain !
(j'avais dit que je posterais pas tous les jours mais je fais jamais ce que je dis)

en attendant, j'espère que ce chapitre vous a plu !
à demain <3

Zoé

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