chapitre 27 ◌ échiquier

Son autorisation de sortie bien en main, Ophelia ne fut pas surprise d'entendre une voix familière l'interpeler alors qu'elle traversait le marché du camp Eldien en direction du grand portail. Elle hésita à l'ignorer, mais fit l'effort de se retourner et de ralentir pour laisser Porco la rattraper.

- Pas la peine de t'excuser, fit-elle en le voyant ouvrir la bouche. Par contre, je veux bien ce café que tu as probablement préparé pour te faire pardonner.

Mal à l'aise, le jeune homme acquiesça et lui tendit l'un des deux récipients qu'il tenait. Ophelia lui adressa un mince sourire qui n'atteignit pas ses yeux et tourna les talons sans perdre plus de temps, intriguée par la signification de ce rendez-vous improvisé entre les guerriers. Elle en avait reçu l'information quelques heures plus tôt et s'était étonnée de ne pas être convoquée par ses supérieurs Mahr mais bien par Sieg qui souhaitait apparemment rassembler toute l'équipe.

- Tu sais que je te déteste pas, pas vrai ? voulut néanmoins s'assurer Porco tandis qu'ils progressaient entre les étalages du marché.

- Tu peux. Ça change pas grand chose pour moi.

- Ouais, j'avais compris, marmonna-t-il.

Légèrement en retrait, il eut soudainement l'impression que la situation était improbable. Ophelia était juste là, elle avançait dans les rues de Revelio la tête haute alors qu'il avait passé des années à la croire morte. Ces mêmes rues qu'ils avaient si souvent traversées ensemble pendant leur enfance et leur adolescence, main dans la main. Si ses sentiments étaient toujours là, leur complicité n'avait pas survécu à ces quatre ans d'absence, elle. Tout comme les moments où Ophelia se montrait joviale, qui avaient été remplacés par une constante aura intimidante, froide.

En pensant à ce qu'avait été leur amitié si particulière, Porco prit conscience que dans beaucoup des souvenirs qu'il avait de leur enfance, Aida était là. Pendant longtemps, ils avaient été un trio. Et maintenant qu'un maillon manquait, la chaîne entière était irréparable.

Une fois arrivés au grand portail, le regard glacial d'Ophelia dissuada les deux officiers qui s'y trouvaient de lancer une quelconque plaisanterie dans sa direction. Elle se contenta de leur montrer son autorisation sans un mot puis quitta le camp, suivie de près par Porco. Dans la grande cour du site militaire, les enfants étaient déjà en train de s'entraîner. Ophelia leur offrit un regard compatissant et pressa le pas jusqu'à la porte qu'ils devaient emprunter. Ces gamins se tuaient à la tâche en pensant bien faire alors qu'ils n'étaient que des futures armes pour Mahr. Elle allait finir par en être malade.

Perdue dans ses pensées quant à l'atrocité des conditions de vie de ces enfants, la jeune femme dut se retenir à la rambarde pour ne pas tomber dans les escaliers lorsque Porco sursauta devant elle et s'arrêta brusquement. Agacée, elle jeta un coup d'œil au-dessus de son épaule avant de hausser les sourcils.

- Salut, Pock, Lia.

- Pieck... On peut savoir à quoi tu joues ?

L'air de rien, la guerrière se remit à avancer à quatre pattes sous les regards confus de ses camarades.

- À force, cette position est devenue plus naturelle pour moi. Excusez-moi si je vous ai fait peur.

Ophelia laissa le blond se charger de l'aider à se remettre sur pieds pour marcher correctement, encore surprise de constater que les transformations lui laissaient ce genre de séquelles. Quand Pieck fut plus stable, elle put avancer seule malgré sa démarche moins naturelle que celle d'une humaine normale comme Ophelia.

- Bonjour ! sourit Colt lorsque la porte s'ouvrit sur le trio.

- Ah, ça y est, tout le monde est là ? s'enquit Sieg tout en venant s'installer en bout de table.

Naturellement, Pieck alla s'allonger sur le divan, les jambes repliées et les mains croisées devant elle. Ophelia prit place dans le fauteuil voisin à celui de Porco, curieuse d'entendre ce que le Jaeger avait à dire de si important.

- Une réunion dans votre bureau, c'est plutôt inhabituel, capitaine Sieg, fit d'ailleurs remarquer Porco. Pas d'officiers Mahr ?

- Pas dans cette pièce, en tout cas.

Le léger sourire de Sieg et le regard discret qu'il lança à la jeune femme suffit à lui faire comprendre qu'ils étaient sur écoute. Ce n'était pas surprenant, de la part de leurs supérieurs. Surtout si une nouvelle mission en direction de l'île du Paradis se profilait. Ils devaient s'assurer que tout le monde était prêt à coopérer. Discrète comme elle l'avait toujours été, Ophelia échangea un regard avec Reiner qui semblait avoir compris lui aussi. De toute évidence, ils étaient les deux plus surveillés en raison de leur séjour prolongé sur Paradis.

Concentrée, elle écouta attentivement le plus âgé de leur bande tandis qu'il résumait leur dernière réunion avec les hauts-gradés, celle à laquelle elle avait assisté. Néanmoins, un point différait. Sieg était Eldien et se souciait de ce que deviendrait leur peuple une fois que le reste du monde ne craindrait plus du tout Mahr pour leur utilisation militaire des Titans. Tous ces Eldiens gardés captifs comme des animaux en cage en attendant de servir d'armes à l'armée n'auraient alors plus aucun intérêt à leurs yeux. L'éradication pure et simple serait envisagée et appliquée, c'était certain.

- Comment est-ce qu'on pourrait éviter ça ? questionna Colt.

- Notre seul et unique espoir réside sur l'île du Paradis. Nous devons aider Mahr à faire main basse sur ses ressources naturelles et à s'emparer au plus vite du Titan Originel. Ce faisant, Mahr assiéra sa suprématie et nous réglerons du même coup la menace que représente cette île pour le monde entier.

Ophelia fronça les sourcils, peu certaine de comprendre le double-jeu de Sieg. Ce n'était pas son plan, elle était bien placée pour le savoir. Pourquoi tenait-il donc tant à rediriger l'attention vers Paradis et l'Originel ? Agacée, elle mordit l'intérieur de sa joue pour ne pas risquer de dire n'importe quoi et de se faire remarquer. La frustration de ne pas être dans la confidence et ne pas connaître la stratégie des deux Jaeger commençait à lui taper sur les nerfs.

- Le souci c'est que, même si on réussit, l'hostilité à notre égard est devenue si radicale que ça ne suffira pas à convaincre nos détracteurs de tirer un trait sur les déviances passées, intervint Pieck.

- Bien vu, Pieck ! s'exclama le Jaeger en claquant des doigts dans sa direction. Belle perspicacité ! D'où l'importance de bien présenter les choses ! Nous devons construire un scénario bien ficelé et convaincant ! Tout d'abord, il faut rappeler au monde entier quel effroyable danger représente cet endroit pour l'ensemble du globe. Pour cela, nous ferons appel au clan Teyber. Celui-là même qui détient le Titan Marteau d'Armes.

- Le Marteau d'Armes ? s'étonna Porco.

L'ancienne espionne secoua discrètement la tête. Déplacer une famille si importante pour un simple discours ? Non, Mahr cachait quelque chose d'autre et cela concernant forcément la présence des soldats de Paradis sur le continent. Le Titan Marteau d'Armes n'avait jamais été mentionné, on ne l'avait même pas réclamé pour une guerre de quatre ans. Il ne pouvait que s'agir d'une extrême urgence si l'on en venait à rassembler ce genre d'arme secrète.

- Tout à fait. Il y a cent ans, les Teyber ont été la première famille noble à s'opposer au roi Fritz. Ils ont été déclaré citoyens d'honneur par le gouvernement Mahr et n'interviennent ni dans la politique ni dans les combats, mais cette fois, c'est notre avenir commun qui se trouve sur la sellette.

- C'est vrai que les Teyber n'ont jamais utilisé leur pouvoir contre une puissance ennemie. D'ailleurs, ils sont connus et estimés à l'étranger pour leur rôle contre le roi Fritz durant la Grande Guerre des Titans. Ce sont sans doute les meilleurs porte-parole qu'on peut trouver.

- Tout juste, Pieck ! Décidément, quelle sagacité !

Sceptique, Porco tourna un instant la tête vers Ophelia qui ne prit pourtant pas la parole. Surprenant, venant d'elle.

- Attendez, reprit-il alors. Alors qu'ils détiennent le Marteau d'Armes, les Teyber n'ont jamais participé à l'effort de défense, et alors que les Eldiens vivent parqués dans un camp, eux sont confortablement installés dans une luxueuse résidence au milieu d'une immense propriété. Du coup, qu'on les présente tout à coup en grands héros... C'est pas un peu dur à avaler ?

- Le reste du monde les écoutera, intervint enfin la jeune femme. C'est tout ce qui importe.

- D'accord, mais est-ce que...

- Tout ce qui importe, coupa Reiner, c'est qu'eux et nous agissons pour le bien de la patrie.

Le Galliard jeta un coup d'œil perplexe à son camarade, puis à Ophelia qui agissait elle aussi bien trop calmement. Ils tentaient de le faire taire à coup de mots que leurs supérieurs adoreraient entendre, c'en était perturbant.

- Notre devoir est de leur apporter notre entier soutien. Ensemble, nous restaurerons la gloire de la grande Mahr !

- Précisément, confirma Sieg. Une cérémonie sera bientôt organisée.

- Une cérémonie ? répéta Ophelia, veillant à ne pas se montrer trop silencieuse et désintéressée.

- Le clan Teyber fera une déclaration devant la presse et les représentants du monde entier. Il annoncera notre intention de prendre contrôle de l'île du Paradis dans l'année. Le destin des Eldiens comme celui des Mahr dépend de la réussite de cette opération. Nous n'avons plus le droit à l'échec. Plus que jamais, l'heure est à la cohésion ! Nous devons unir nos forces pour notre avenir à tous !

La traîtresse quitta la pièce dès qu'elle en eut l'occasion.

Dans la cour d'entrainement, Gabi venait de mettre Falco à terre, le bout de son fusil pointé en direction de sa poitrine et le regard noir. Cette vue lui donna la nausée. Une enfant transformée en machine à tuer. Gabi Braun était tout ce dont l'armée Mahr rêvait.

Quand elle rejoignit le camp dédié aux Eldiens et traversa une nouvelle fois les rues dans le sens inverse, l'idée de se diriger droit vers l'hôpital ne mit pas longtemps à s'estomper. Le regard d'Ophelia se posa sur une jeune femme aux yeux foncés et aux courts cheveux bruns, et elle sut qu'elle ne pouvait pas seulement la dépasser comme si de rien n'était.

- Iris !

La concernée s'arrêta mais prit son temps pour se tourner dans sa direction, loin de se montrer ravie de la voir. Nerveuse, la dernière des Hawk prit soin de laisser une certaine distance entre elles.

- Qu'est-ce que tu me veux ?

- Te remercier, répondit-elle sans hésiter malgré son manque de réflexion sur la question. Pour Aida.

Entendre ce prénom leur provoqua la même douleur. Iris serra les dents et plongea son regard noir dans celui de son interlocutrice sans prendre la peine de faire la conversation.

- Elle m'a... laissé des lettres, et elle parlait de toi, dedans. Elle disait que tu la rendais heureuse, alors qu'elle avait du mal à l'être depuis mon départ. Alors je voulais dire que... je sais ce qu'elle représente pour toi, et je suis contente qu'elle t'ait eue à ses côtés. Et je suis désolée, ajouta Ophelia après un moment de silence.

- Je sais.

Surprise, elle fronça les sourcils et s'attendit à ce qu'elle compatisse, à ce qu'elles puissent communiquer comme Aida aurait voulu qu'elles le fassent. Mais cela n'arriva pas.

- Et tu mérites de l'être jusqu'à la fin de ta vie.

Ces mots lui firent l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. Consciente qu'elle avait bien visé, Iris lui jeta seulement un dernier regard empli de rancœur avant de tourner les talons pour se remettre en marche, laissant Ophelia seule au milieu de la rue, le cœur en miettes. Les lèvres serrées pour ne pas trahir son émotion, elle acquiesça dans le vide et baissa les yeux.

- Je le serai.

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Le grand sourire de Falco disparut à l'instant où il se cogna à une silhouette familière. Une excuse vola hors de sa bouche tandis qu'il levait les yeux vers Ophelia. Elle ne s'était jamais montrée mauvaise envers lui, mais son aura intimidante ne rendait pas vraiment service à sa réputation.

- Falco ?

- Désolé ! répéta-t-il. Je t'avais pas vue !

- Ça va, gamin, c'est rien, s'empressa-t-elle d'assurer avant de froncer les sourcils. Où est-ce que tu vas comme ça ? Et.... D'où est-ce que tu viens ?

L'enfant déglutit bruyamment, conscient qu'elle saurait dire s'il mentait ou non. Comment était-il censé répondre avec calme alors qu'elle le toisait ainsi ? Comment faisaient-ils tous pour lui adresser la parole alors qu'elle avait cette manie de planter son regard dans celui de son interlocuteur comme si elle essayait de lire son âme à travers ses yeux ? Elle était terrifiante même sans essayer de l'être.

- Eh, Falco, répéta la jeune femme avec un sourire amusé. Je suis la plus détestée par l'armée Mahr ici à cause des rumeurs qu'on fait circuler sur moi, alors tu peux être sûre que je te dénoncerais pas si tu faisais quelque chose d'illégal. Alors, pour qui tu vas poster cette lettre ?

Se rappelant la présence de l'enveloppe dans sa main, Falco ouvrit la bouche avant de la refermer. Il n'était pas censé en parler, si ? Mais c'était Ophelia, elle savait garder les secrets et elle n'irait pas attirer des ennuis à des Eldiens incapables de se défendre. Sans compter qu'elle ne ferait jamais rien qui puisse nuire à sa famille, puisque les Gleis et les Hawk avaient rencontré les mêmes problèmes. Lui aussi était devenu aspirant pour laver les erreurs d'un membre de sa famille qui s'était joint à la résistance Eldienne aux côtés de Grisha Jaeger.

Et il n'avait surtout aucune idée de comment lui mentir.

- Je... C'est pour rendre service à un des blessés qui habitent à l'hôpital. Il veut contacter sa famille mais le courier est surveillé alors... Tu vas pas me dénoncer, hein ?

Ophelia dut se retenir de frapper sa paume contre son front. Quel blessé de l'hôpital pouvait bien vouloir « contacter sa famille » sans que ses lettres ne soient vérifiées par qui que ce soit ? Falco était trop gentil pour son propre bien.

- Bien sûr que non ! répondit-elle. C'est bien que tu veuilles rendre service. Allez, file avant qu'on te remarque !

Le sourire du gamin réapparut aussitôt sur son visage abîmé - Gabi n'y était pas allée de main morte aujourd'hui.

- Merci ! s'exclama-t-il tout en se remettant en route.

La jeune femme l'observa partir avant de laisser retomber son faux sourire pour se pincer l'arrête du nez et secouer la tête. Décidément, Revelio s'était transformée en véritable plateau de jeu d'échecs. Les hauts-gradés Mahr, Sieg, Ophelia, ils avançaient tous leurs propres pions un à un tout en gardant leurs véritables intentions bien à l'abri des regards indiscrets.

Mais un joueur supplémentaire venait de s'immiscer dans la partie.

Un joueur qui, calmement installé sur un banc de la cour ouverte de l'hôpital, ne fut pas surpris de la voir arriver.

Ophelia prit soin de ne pas le regarder plus nécessaire en allant s'asseoir à ses côtés, après avoir demandé la permission pour ne recevoir qu'un long silence en retour. Elle se força à ne pas jeter un coup d'œil à l'endroit où son pantalon était noué, juste en dessous de son genou, là où il avait dû couper et là où sa jambe attendait seulement qu'il cesse de retenir le processus pour repousser.

- Qu'est-ce que tu fous ici ? demanda-t-elle sans préambule.

- Je pourrais te poser la même question.

Entendre sa voix après des semaines la fit pratiquement sursauter. Pourtant, Eren s'exprimait d'un ton monocorde, fatigué. Ce changement lui noua la gorge.

- J'ai croisé le gamin dont tu te sers pour envoyer ton courrier, ironisa-t-elle malgré sa nervosité. C'est quoi, le plan ?

- Pourquoi je te le dirais ?

Le regard rivé à ses propres genoux, Ophelia ravala difficilement le cri de rage qui lui démangeait la gorge. C'était trop.

- J'ai pas trahi Paradis, souffla-t-elle tout en vérifiant d'un seul coup d'œil que personne ne pouvait les entendre. Je leur ai filé des fausses infos pour me faire accepter. Tu devrais le savoir.

Les dents serrées et les yeux rouges de fatigue et de désespoir, elle ne fit rien pour tourner la tête vers lui lorsqu'il daigna enfin la regarder de son seul œil encore valide. Impassible, les mains nonchalamment appuyées sur la poignée de sa béquille, Eren détailla son apparence inchangée qui lui semblait pourtant inconnue. Elle était à bout de nerfs - chose très rare chez elle. Et elle disait la vérité, il serait injuste de continuer à dire le contraire. Quand il reporta son attention sur l'autre bout de la cour face à lui, ses doigts serrèrent un peu plus fort le manche en bois.

- Qu'est-ce qui est arrivé à Aida ?

La question arracha à Ophelia un sourire narquois. Qu'il ait deviné ne l'étonna même pas. Au point où elle en était, il était certainement plus à même de lire en elle comme dans un livre ouvert que l'inverse.

- Ça dépend, tu veux quelle version ?

- La tienne.

Le soulagement qu'elle ressentit en entendant ces mots la surprit. Après toutes ces semaines à entendre tout le monde tenter de la faire passer pour une folle à cause de cette histoire, quelqu'un voulait enfin écouter ce qu'elle avait à dire sans remettre en question sa version des faits.

- Elle a été tuée par l'armée pour me faire comprendre que mes mensonges concernant mon séjour sur Paradis ne sont pas passés inaperçus. Ils font... passer son meurtre pour un suicide.

- Tu sais qui l'a fait ?

- J'aimerais bien.

- Et tu es encore visée ?

- Pourquoi est-ce que ça t'intéresse ?

Cette fois, ce fut plus fort qu'elle. Ophelia tourna la tête dans sa direction bien qu'il ne regarde pas et chercha une quelconque réaction de sa part - qu'elle ne trouva pas. Il était seulement plus tendu qu'à son arrivée, à en juger par la manière dont il tenait sa béquille.

- Est-ce que tu pensais tout ce que tu as dit ? questionna-t-elle avant même d'y avoir réfléchi.

Elle déglutit lorsque le souvenir de leur dernière conversation lui revint.

- Ou est-ce que tu savais juste que je te laisserais pas partir si tu me blessais pas sans que je puisse le voir venir ?

Il lui sembla apercevoir l'ombre d'un sourire à peine discernable sur le visage du jeune homme, l'espace d'une seconde. Lorsqu'il se tourna vers elle et que leurs regards se croisèrent enfin, Ophelia retint son souffle sans s'en rendre compte. Son apparence en elle-même représentait une réponse suffisante. Le voir ainsi et imaginer ce qu'il avait fait pour en arriver là était sans aucun doute plus douloureux que les mots qu'il lui avait adressés, et il l'avait prédit. Il avait voulu lui éviter cette peine qu'elle ressentait pourtant aujourd'hui.

- C'est toi qui es douée pour savoir ce que les gens pensent, non ? dit-il. Sauf si t'es tellement abattue que cette capacité a disparu et que t'es plus qu'une simple fille perdue qui attend de pouvoir suivre le troupeau.

Surprise, elle fronça les sourcils et réprima un sourire trop sincère pour être adressé dans ces circonstances.

- Pas mal, cette tentative de manipulation. Mais il me semble t'avoir demandé quel était le plan.

- Et je pense que t'es capable de le deviner toute seule, rétorqua calmement Eren.

Incapable d'observer autre chose que lui maintenant qu'ils se regardaient dans les yeux, Ophelia prit un instant pour réfléchir, relier tous les points entre eux. Il n'avait pas tort, elle s'était perdue de vue depuis leur retour de la guerre. Elle restait Ophelia Hawk, la fameuse super souris trop maligne à qui l'on avait injustement volé son associée. N'était-ce pas son rôle de garder la tête haute et de se montrer plus intelligente que les gros matous qui lui servaient d'adversaires ? C'était ce qu'elle avait appris à Aida. Il lui fallait avoir confiance en elle pour ne pas devenir une proie facile dans l'arène qui s'établissait autour d'elle.

Une arène pleine d'ennemis aux idéologies variées. Le centre de l'échiquier.

- La cérémonie des Teyber, souffla-t-elle.

Eren ne montra aucune réaction, mais elle sut qu'elle en était venue à la bonne conclusion.

- C'est une impasse. Ils savent que tu es là et que tu attaqueras. Ils cherchent à prouver au monde que Paradis est une menace parce qu'ils savent que tu n'auras pas le choix de dissuader le monde entier de lancer une offensive maintenant, expliqua-t-elle à toute vitesse. Tu as contacté les autres pour qu'ils interviennent le soir de la cérémonie ! Et Sieg est au courant de tout et prétend être pour une déclaration de guerre alors que c'est une occasion pour lui de rejoindre Paradis.

- Pas mal.

- Eren, on est dans la ville où tous les guerriers sont réunis, reprit-elle avec sérieux. Si tu attaques, c'est toute l'unité qui sera après toi, sans compter tous les soldats et leur artillerie. Et le Marteau d'Armes des Teyber ! T'es complètement-

- Ça ira, l'interrompit-il. Tu me sous-estimes ?

- Je suis presque sûre que c'est ma réplique, ça.

Se retenant au mieux de sourire, elle plissa le nez dans une expression trop adorable pour le caractère qu'elle se payait. Eren ne l'avait toujours pas quittée des yeux et, encore trop éloignés à leur goût malgré le fait qu'ils étaient assis côtes à côtes, tous deux pouvaient sentir leur envie commune de se retrouver. S'étaient-ils au moins vraiment perdus ? Ç'aurait été comme demander si une évidence pouvait être remise en question. Ce qui les reliait ne mourrait pas, ils l'emporteraient avec eux jusque dans la tombe et étaient tous les deux conscients de ce fait.

Mais leurs peaux qui s'appelaient et se réclamaient, elles, devraient attendre pour se rencontrer à nouveau.

Eren fut le premier à remarquer la personne qui avançait vers eux. Il brisa instantanément leur contact visuel et se mura dans le silence tandis que la jeune femme laissait un juron lui échapper à la vue du guerrier à l'air perplexe qui arrivait.

- Falco m'a dit que t'étais par ici, dit ce dernier avant qu'elle ne pose la question. Qu'est-ce que tu fais ?

- Je me fais des amis, comme l'a dit Koslow, ironisa-t-elle.

Porco coula un regard sceptique en direction de l'ami en question.

- Il peut pas parler et souffre d'amnésie, cherche pas, ajouta Ophelia. Tu voulais me voir ?

- Ouais. Est-ce qu'on peut parler ? À propos d'Aida, avoua-t-il après un temps d'hésitation.

Attentif malgré son silence, Eren vit la jeune femme serrer les dents et ne put que mépriser un peu plus le blond en entendant les mots qui suivirent.

- On n'a pas besoin de revenir là-dessus. J'ai très bien compris où tu te plaçais, Galliard.

- Non, justement. Est-ce qu'on peut parler, Hawk ? répéta-t-il.

Ophelia lui offrit l'un de ses regards les plus glacials, loin de la vulnérabilité dont elle avait fait preuve depuis deux jours. Elle acquiesça néanmoins, non sans agacement, et désigna la sortie de la cour d'un seul signe de tête.

- Je te rejoins.

Porco opina du chef à son tour et pivota pour s'en aller après un dernier regard pour l'estropié qui, cette fois, le lui rendit avec froideur. Ophelia soupira lorsqu'il fut hors de vue et secoua la tête, contrariée d'avance. Rester sur ce banc pendant encore une heure, voire deux, aurait été une activité bien plus intéressante. Mais non, la réalité les rappelait toujours à l'ordre.

- Je dois y aller, dit-elle alors. Sois prudent, d'accord ?

Eren dut se retenir de lui faire remarquer à quel point lui donner ce conseil était stupide.

- Toi aussi.

- C'est pas mon genre, sourit Ophelia tout en se levant. Mais je suis plutôt douée pour survivre alors ça devrait aller. Enfin bref, je reviendrai alors tiens-toi à carreau en attendant.

Il acquiesça sans un mot et elle commença aussitôt à s'éloigner. Il ne fut pas surpris de la voir revenir sur ses pas en claquant des doigts dans sa direction, l'air à la fois satisfaite et menaçante de par son sourire et son regard insolent.

- Au fait, la prochaine fois que tu oses me dire que je ne vaux rien, c'est mon poing que tu te prendras dans la gueule, Jaeger.

- Je sais.

- Bien, conclut-elle avec un clin d'œil. À bientôt, alors !

Le jeune homme l'observa tandis qu'elle s'éloignait de son habituelle démarche si confiante qu'elle dissuadait facilement quiconque de l'approcher, et sut d'avance que la partie allait se compliquer.

Après tout, Ophelia n'avait jamais été du genre à jouer dans les règles.

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je déteste ce chapitre aled

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