chapitre 24 ◌ erreurs
Était-ce une chose normal que de pouvoir la reconnaître à la seule manière dont elle toquait à la porte après quatre ans sans l'avoir vue ?
Porco n'en était pas certain, mais il avait depuis longtemps cessé de se torturer l'esprit avec des questions comme celle-ci.
Dos à la porte, la bouche pleine d'un morceau de sandwich et penché sur ce qu'il était en train d'écrire, il se contenta d'un vague marmonnement pour lui indiquer qu'elle pouvait entrer lorsqu'elle posa la question - non pas qu'elle eût l'intention de faire demi-tour si sa réponse était négative, il le savait.
— Qu'est-ce que t'as encore fait ? questionna le guerrier sans se retourner.
— Je me suis probablement mis Calvi à dos, avoua Ophelia tout en s'asseyant au bord du lit qui se trouvait à quelques mètres de celui de Reiner.
— C'était pas déjà le cas ?
— Si, je suppose.
Il y eut un moment de silence, seulement brisé par l'agitation de Reiner qui semblait plongé en plein cauchemar. Ophelia haussa un sourcil dans sa direction, mais Porco se contenta de lever les yeux au ciel, visiblement loin d'envisager le sortir de là.
— Ça leur passera, dit-il avec ennui. Si tu continues à te comporter comme ils le veulent. Ils ont rien à te reprocher, si ?
— Ils ont toujours eu des choses à me reprocher, sourit-elle. Et toi, ça te passera ? reprit-elle ensuite avec curiosité. Ou tu comptes éviter de me regarder jusqu'à la fin de tes jours et me parler seulement quand tu te sens forcé de le faire ?
— C'est pas ce que je fais.
Étonnamment calme mais aussi bien plus froid qu'elle ne l'avait connu, il prit une nouvelle bouchée de son sandwich sans faire attention à elle. Elle attendit qu'il continue, mais il ne le fit pas.
— On était amis, non ?
— Amis, répéta-t-il sur le ton de l'ironie. Très amis, oui. Avant que tu disparaisses pendant quatre ans, j'imagine. Dis rien. J'ai pas envie d'entendre tes mensonges encore une fois, et j'ai pas non plus envie d'entendre la vérité.
Reiner choisit ce moment précis pour se réveiller en sursaut, une main tendue vers le plafond alors qu'il criait désespérément à quelqu'un qui n'était pas ici d'attendre quelque chose pour laquelle il était de toute évidence trop tard. Ophelia se contraignit à lâcher Porco du regard pour se tourner vers leur camarade déboussolé qui, le front couvert de sueur, se redressa en portant une main à son visage.
— T'avais l'air de faire un rêve sympa, ironisa Porco. J'ai pas voulu te réveiller, du coup.
Habitué, Reiner ne prit pas la peine de lui reprocher son comportement envers lui. Il chassa d'un vague geste de la main les brèves excuses d'Ophelia qui affirma qu'elle venait d'arriver.
— Tu m'as sauvé la mise, Galliard, dit-il seulement une fois que son esprit fut plus clair. Sans toi, j'étais foutu.
Le concerné se redressa sur sa chaise pour se tourner vers son camarade, l'air de réfléchir, peut-être à la raison pour laquelle il avait réagi si vivement lorsque le canon s'était tourné en direction de Reiner. Il chassa nonchalamment une miette de main du coin de sa bouche puis reprit son stylo comme si de rien n'était.
— Me remercie pas. C'est pas vraiment pour toi que j'ai fait ça. Je voulais surtout éviter qu'on perde le Cuirassé par ta faute. À vrai dire, on n'en serait pas là si c'est moi qui avais été choisi, il y a neuf ans... pour devenir le réceptacle du Cuirassé et mener l'opération sur l'île du Paradis. Sans compter que mon frère ne se serait pas fait bouffer bêtement en voulant te protéger.
Assis au bord de son lit, Reiner se figea. Ophelia baissa les yeux sur ses genoux, peinée de prendre conscience une fois de plus que Porco n'avait aucune idée de la raison pour laquelle il n'avait pas été choisi.
— Tu as vu les souvenirs de Marcel ? questionna le blond.
— Pas tout, malheureusement. J'ai pas encore vu le moment où tu te tailles en l'abandonnant.
— C'était qu'une bande de gamins, intervint Ophelia sans pouvoir s'en empêcher. Tu blâmes un enfant d'avoir eu peur pour sa vie.
— Un enfant capable de se transformer en Titan et entraîné à réagir à ce genre de situation depuis des années, rétorqua Porco, s'attirant un regard noir de la jeune femme. Mais reste en dehors de ça, Hawk, on connaît tes opinions controversées. En revanche, j'ai pu en apprendre un peu plus sur la fille qui m'a précédé. Ymir. La pauvre, c'était pas un nom facile à porter. Si j'ai bien compris, c'était sa volonté de me rendre le Mâchoire, pas vrai ?
— Si, c'est vrai, répondit Reiner.
— Au final, t'as pas été foutu de réussir quoi que ce soit, et comme toujours, il a fallu que les autres te sauvent les miches.
Loin de regretter les mots qu'il prononçait, d'autant plus face au silence coupable du concerné, le Galliard se retourna pour le dévisager tout en ignorant l'agacement palpable d'Ophelia.
— Je t'ai aperçu dans les souvenirs de cette fille, reprit-il. Étonnant, je dois dire. Le rôle que tu jouais avait pas l'air de te déplaire. J'ai eu l'impression que tu te prenais carrément pour mon frère.
Peu certaine que ramener maintenant l'esprit troublé de Reiner sur le tapis était une bonne idée, la jeune femme fut soulagée de voir la porte s'ouvrir lorsque l'accusé avoua que Porco avait tout à fait raison. La nouvelle venue s'avança dans la pièce, sa béquille raclant le parquet au passage.
— Allons, Pock ! Arrête de lui chercher des poux. Il a encaissé des tirs de canon, quand même.
— Je t'ai déjà dit de plus m'appeler comme ça, Pieck.
Poussant un soupir fatigué, la guerrière referma la porte avant de se diriger vers le lit où Ophelia était assise. Cette dernière grimaça discrètement à la vue des yeux plus que cernés de sa camarade.
— T'as pas l'air fraîche, fit remarquer Reiner.
— Ça faisait deux mois que j'avais pas repris forme humaine. À chaque fois, il me faut un temps de réadaptation à la marche. Au fait, Reiner... Gabi et les autres s'inquiètent beaucoup pour toi, tu sais ? Ils seraient contents de voir que tu es rétabli. Tu devrais aller les rassurer.
Porco garda le silence tandis que le concerné acquiesçait et quittait la pièce. Quand Ophelia secoua la tête avec ironie, il se contenta de boire une longue gorgée de son café en la regardant du coin d'œil. Pieck, elle, se laissa tomber sur le lit en soupirant de satisfaction alors que la jeune femme précédemment assise se levait pour prendre la même direction que Reiner.
— Pas la peine de chercher une excuse pour me faire partir, vous en faites pas, dit Ophelia. Je vais vous laisser.
— Sois pas comme ça, Lia, fit sa collègue.
La porte claqua derrière elle, ce qui eut le don d'agacer un peu plus Porco. Elle avait encore le culot de se faire passer pour la victime de l'histoire, l'incomprise, la martyr. Et puis quoi encore ?
— Tu es toujours en colère contre elle, remarqua Pieck.
— Bien vu.
Trop épuisée pour réfléchir à des arguments cohérents, elle riva son regard au plafond et l'entendit continuer à boire. Puisque les deux principales raisons de son agacement venaient de s'éclipser, il finit par se détendre et se trouva même content de revoir sa plus proche amie.
— J'ai l'impression qu'on s'était pas vus depuis une éternité, avoua-t-il.
— Vraiment ? s'étonna la petite brune. On était tout le temps ensemble sur le champ de bataille, pourtant.
— On devrait avoir un peu de répit, maintenant.
— Espérons.
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— Ophelia ?
L'intéressée ne prit pas la peine de se retourner, frottant seulement sa main abîmée à force d'avoir trituré le caillou qu'elle venait de jeter à l'eau. Derrière elle, Reiner la jaugea avec méfiance. Elle avait beau lui tourner le dos, sa colère était palpable. Venant de quelqu'un habituellement si impassible, c'était surprenant.
— C'est à cause de Galliard ?
— Non. Tu comprendrais pas, ajouta-t-elle froidement, le regard tourné vers l'océan.
— Hm, fit Reiner en avançant. Je pense que si, puisque c'est pas à cause de lui. Toi et moi, on est les seuls à avoir vécu là-bas pendant des années. Je suis plutôt bien placé pour comprendre ce que tu penses.
Ophelia esquissa un sourire narquois qu'il ne vit pas.
— Tente toujours.
— Tu te dis qu'ils sont pas si différents de nous, pas vrai ? Tu as autant de raisons de les détester que de te demander si tout ça n'est pas un peu trop injuste. Tu sais plus vraiment quoi penser. Ce genre de trucs, ça retourne le cerveau, ajouta-t-il avant de baisser la tête.
Malgré sa colère et sa frustration bien présentes, ces mots reveillèrent sa curiosité.
— C'est comme ça que tu penses ? voulut-elle s'assurer.
— Pas toi ?
Non. Elle, elle savait parfaitement que tout ça était injuste, elle n'en doutait pas. C'était autre chose qui hantait son esprit, même après des semaines. Mais elle ne pouvait pas avouer à qui que ce soit qu'elle ne prenait tous ses risques que pour retrouver une personne trop spéciale à ses yeux, que si elle était là, c'était pour le chercher, et qu'elle désespérait et se sentait plus perdue que jamais.
— Si, c'est ça. C'est exactement ça, acquiesça Ophelia sans quitter des yeux l'océan qui s'étalait à perte de vue devant elle.
Une larme roula le long de sa joue.
Elle ne pouvait pas non plus exprimer la douleur qui reposait en elle, ni crier sa peine lorsque l'image du corps inanimé de sa petite sœur apparaissait devant ses yeux. Elle ne pouvait pas être vulnérable. Pas avec tous ces regards braqués sur elle, attentifs au moindre potentiel faux pas de sa part. Il ne lui restait qu'à garder la tête haute alors que tout son monde s'était écroulé et qu'elle avançait dans le noir sans aucun moyen de trouver le bout du tunnel ou un brin de lumière pour la guider.
Ophelia n'avait plus rien. Plus personne.
Pour la première fois de sa vie, elle sentait le poids de la solitude sur ses épaules. Il était là, constamment, et, de jour en jour, il se faisait plus lourd et l'écrasait un peu plus encore. Peut-être que bientôt, ses os céderaient sous lui et broieraient ses organes jusqu'à ce qu'il ne reste d'elle qu'une bouillie indistincte de sang et de regrets.
Peut-être mourrait-elle seule, aplatie par la charge de ses propres erreurs.
Ça se terminait comme ça, dans ses cauchemars.
— Hawk !
Même après quatre ans, cette grosse voix qui, pendant son enfance, avait paru plus grosse encore, forçait les mêmes réflexes. Malgré sa fatigue, Ophelia se retourna en parfaite synchronisation avec Reiner et, le dos bien droit, ils saluèrent leur supérieur en bonne et dûe forme.
— Tu peux y aller, Braun, dit Magath tout en approchant. C'est avec elle que je dois discuter.
Silencieuse, Ophelia observa Reiner tourner les talons après un dernier geste respectueux de la tête. Une cigarette entre les lèvres, le Mahr vint alors s'asseoir au bord de l'eau avant de désigner la place à côté de lui.
— Fais pas la gamine méfiante, je compte pas te tuer aujourd'hui.
— C'est à propos du général Calvi ? lança la jeune femme sans préambule tout en rejoignant son supérieur.
— Je vois que tu es toujours aussi perspicace. Je pense pas que tu aies eu tort dans tes propos, avoua Magath avant qu'elle n'ait le temps de poser une question supplémentaire. Mais c'est pas une manière de parler à un général.
— Vous êtes d'accord avec moi ? releva-t-elle, confuse. J'ai accusé l'armée d'avoir-
— Je sais ce que tu as dit.
Perplexe, Ophelia attendit qu'il poursuive, mais il prit son temps pour tirer sur sa cigarette et en recracher la fumée tout en réfléchissant.
— On peut pas revenir en arrière, mais ce que je veux dire, c'est qu'on devrait te foutre la paix tant que tu fais rien de travers. Et t'es exemplaire, pas vrai ? Après tout, sans toi, on n'aurait pas pu savoir que des démons insulaires s'étaient infiltrés sur le continent.
Magath la dévisagea ouvertement, cherchant une quelconque réaction instinctive qui aurait pu contredire ses paroles ou confirmer sa trahison envers Mahr, mais ne remarqua rien d'anormal.
— Tu peux me répéter encore une fois les infos que tu nous as données ? Histoire d'être sûr que ton discours ne change pas.
— Bien sûr, capitaine, répondit Ophelia sans hésiter. Les missions de reconnaissance envoyées aux abords de l'île du Paradis ont toutes été réceptionnées grâce à l'Assaillant et au Colossal, comme le pensait Sieg. Les passagers de ces bateaux sont prisonniers. Pas maltraités, les conditions de vie sont plutôt bonnes, mais ils sont enfermés depuis quatre ans maintenant. J'étais avec eux, mais j'ai fini par réussir à m'enfuir. Les démons préparaient une expédition secrète en direction du continent avec l'un des navires volés. Je me suis cachée sur le bateau et c'est comme ça que j'ai pu revenir sans qu'ils ne le sachent.
— Combien de ces saletés dans cette expédition ?
— Six.
— L'Originel est parmi eux ?
— Non, affirma-t-elle avec un sérieux déconcertant. Ils ne voulaient pas prendre le risque d'envoyer qui que ce soit d'important ou un trop grand nombre de soldats. Je suis partie trop tôt pour savoir où ils se cachent, et je m'en excuse encore. Mais si aucune autre expédition de ce genre n'a été lancée depuis, ils devraient être inoffensifs, une simple mission de reconnaissance. Même si ce serait imprudent d'écarter l'hypothèse que d'autres soient arrivés, depuis.
Le Mahr acquiesça, satisfait de recevoir les mêmes réponses qu'il y a quelques semaines et de ne constater aucun signe de déloyauté ou de malhonnêteté chez elle. Il se releva alors et jeta ce qu'il restait de sa cigarette sur les pavés pour l'écraser sous sa semelle.
— Bien. J'espère que tu sèmes pas la pagaille au sein de l'unité des guerriers, Hawk. Une nouvelle guerre approche, on aura besoin de chacun d'eux. Spécialement de Galliard, alors mets de côté ta tendance à créer des problèmes à absolument tout et tout le monde, compris ?
Cette remarque arracha un sourire en coin à la jeune femme.
— À vos ordres, capitaine.
Alors qu'il s'en allait, elle secoua la tête avec ironie et reporta son attention sur le coucher de soleil qui lui rappelait autant de bons souvenirs que de mauvais.
Après tout, Ophelia n'avait jamais eu besoin de créer des ennuis.
Elle les attirait par poignées sans même avoir besoin de les chercher.
。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆
je suis très moyennement satisfaite de ce chapitre 😬
mais vous connaissez désormais le semi-mensonge d'ophelia qui lui a permis de repasser du côté mahr sans trop de problème !
n'hésitez pas à me laisser vos potits avis comme d'habitude 🥰
je fais au plus vite pour la suite!
à bientôt les oiseaux
Zoé
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