𝐕 | 𝐒𝐥𝐨𝐰 𝐁𝐮𝐫𝐧 (𝟏)

❝ 𝘈𝘭𝘭 𝘐 𝘩𝘢𝘷𝘦 𝘭𝘦𝘧𝘵 𝘪𝘴 𝘵𝘩𝘦 𝘢𝘴𝘩 𝘢𝘯𝘥 𝘦𝘮𝘣𝘦𝘳𝘴 
𝘗𝘦𝘳𝘮𝘢𝘯𝘦𝘯𝘵, 𝘴𝘮𝘰𝘶𝘭𝘥𝘦𝘳𝘪𝘯𝘨 ❞

𝐀𝐩𝐨𝐜𝐚𝐥𝐲𝐩𝐭𝐢𝐜𝐚, 𝑆𝑙𝑜𝑤 𝐵𝑢𝑟𝑛






𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞 𝟏


Au cœur d'une nuit encombrée de rêves tourmentés, Jimin dormait profondément, prisonnier des chaînes de la fatigue et de l'inquiétude.

Son visage marqué par des larmes séchées portait la trace d'une peine enfouie. Une étreinte robuste enserrait sa taille, tandis que son compagnon reposait pesamment à ses côtés, étendu de tout son long.

Namjoon s'était trouvé dans l'incapacité de s'abandonner au sommeil. Il ne pouvait fermer les yeux tant ses pensées résonnaient en lui avec une intensité assourdissante, créant une cacophonie terrifiante, angoissante.

Soudain, un doux carillon échappé de l'obscurité tinta contre la fenêtre, rompant la quiétude du lieu. Namjoon redressa vivement la tête, alerte, tandis que Jimin fronça les sourcils, émergeant difficilement de son sommeil à peine entamé.

Les aiguilles de l'horloge avaient quasiment atteint les cinq heures du matin lorsque l'épuisement avait enfin triomphé de l'esprit anxieux de Jimin, réconforté par les mots doux et tendres de son amant et ami. Des suppositions avaient tourbillonné sans fin dans sa tête, des questions sans réponse, des angoisses insondables sur le sort de Taehyung.

Il savait pourtant que tel était le cours inéluctable des choses.

Qu'il ne devait pas s'interposer.

Jamais.

Le son insistant finit par le forcer à ouvrir complètement ses yeux ternis par la lassitude. Il soupira alors qu'il s'étira péniblement contre le corps de Namjoon, ses doigts se refermant autour des montants de son lit et ses pieds se dégageant doucement des couvertures.

« Je vais aller voir », chuchota Namjoon en se redressant, le cœur se serrant face au regard voilé par l'épuisement physique et mental de son ami.

Jimin interrompit son élan, secouant la tête pour signifier qu'il lui était préférable de ne rien entreprendre, et qu'on était venu le voir lui.

« Fais semblant de dormir », murmura-t-il.

Comprenant le fond de sa requête, Namjoon acquiesça et dissimula légèrement sa tête pour faire en sorte d'observer sans que son sommeil feint soit remarqué.

Satisfait, Jimin regarda la vaste fenêtre qui s'étendait à quelques mètres, à gauche de son lit imposant. À travers cette paroi de verre, il ne pouvait discerner aucun détail, Namjoon ayant tiré les rideaux épais qui obscurcissaient la pièce.

Le léger tintement persistait, comme s'il avait choisi de les captiver en cet instant précis.

Il jeta un coup d'œil perplexe à Namjoon qui avait redressé sa tête, tout aussi confus.

« Jim... », chuchota Namjoon, hésitant, avant de s'interrompre, d'écouter les coups qui reprirent.

Discrets. Réguliers. Une mélodie familière.

Il écarquilla les yeux, affolant le cœur de Jimin.

« Quoi ? le pressa ce dernier, dans l'expectative, les doigts crispés sur sa couverture.

— Je manque de sommeil donc j'hallucine peut-être, mais... c'est le code de Tae, là, non ? », balbutia-t-il, alerte, pointant les rideaux du doigt.

Jimin écarquilla les yeux, tandis qu'il pivota de nouveau la tête vers ce qu'indiquait Namjoon. Il se concentra, prêtant une oreille attentive aux cognements qui reprirent, plus insistants et rapides.

Son souffle se suspendit tandis que son esprit s'éveilla. Mais oui ! Il reconnut cette mélodie qu'ils avaient façonnée tous ensemble, créant chacun un code secret que seule la bande pouvait déchiffrer pour se reconnaître.

« Mais c'est pas possible, non ? souffla Jimin, fixant de nouveau un Namjoon complètement perdu, les yeux hagards.

— Non ! répondit-il, alerte. Ça m'étonnerait, mais tu crois que Jeon l'a relâché ?

— Ou que Tae s'est échappé ? balbutia le jeune Park, au bord de la panique.

— O... ouvre et on verra bien », bégaya-t-il avant de se dissimuler de nouveau, les yeux grand ouverts pour ne rien manquer.

Sur le qui-vive, Jimin fit voler son épaisse couverture vers l'autre bout de son lit et se redressa, trébuchant presque tant son corps était éreinté. Son cœur battait la chamade, alimenté par une impétueuse lueur d'espoir et de peur qui le dévoraient, lui conférant une énergie décuplée sous l'impulsion de l'adrénaline soudaine.

Une anxiété irascible lui nouait le ventre et enserrait sa poitrine.

Cherchant à contrôler sa respiration hachée, Jimin exhala un souffle frémissant et sursauta lorsque les coups devinrent plus rapides, résonnant avec une intensité croissante. Il échangea un dernier regard avec Namjoon et, sans la moindre hésitation, il se précipita vers la grande baie vitrée, animé par l'attente fiévreuse qui faisait trembler ses mains.

Il tira vigoureusement les lourds rideaux.

Son souffle se coupa en même temps que son cœur bondit furieusement dans sa poitrine.

« ...Oh, putain », chuchota-t-il, ses yeux écarquillés rivés dans les siens.

Dissimulé, Namjoon s'était fait violence pour ne pas se redresser. Il ressentit une tension dans son corps mêlant anxiété et joie, son cœur martelant sa poitrine avec ferveur. Il s'imposa aussitôt l'immobilité, maîtrisant sa respiration qui menaçait de s'emballer davantage.

Sur la large terrasse de Jimin, ayant grimpé sur l'échelle dissimulée pour leurs visites nocturnes, Taehyung se tenait debout, les bras croisés sur son buste, les épaules voûtées par le froid, esquissant un petit sourire contrit.

Il était là, devant lui, si exténué, tremblotant de froid.

Plus que tout, aucune animosité ne brillait dans son regard.

Fébrile et le cœur au bord des lèvres, Jimin tourna la poignée, manquant de la briser sous l'intensité de son geste, et fit aussitôt glisser la lourde porte fenêtrée.

« Taehy... ! », s'écria-t-il avant qu'une main froide s'écrase aussitôt contre ses lèvres, lui intimant le silence.

Sans le lâcher, Taehyung enroula un bras autour de ses épaules et enjamba les rails de l'ajour, aussi silencieux qu'une ombre. Sa main quitta lentement la bouche de son ami, ce dernier demeurant pantois et silencieux.

Ils se regardaient, leurs yeux s'emplissant d'une douce brume. Les lèvres de Jimin frémirent et son visage se plissa sous le poids du soulagement et d'une joie amère. Si amère qu'elle l'étouffa presque. Taehyung se contentait de le contempler, le cœur léger de le retrouver malgré la querelle qui les avait séparés quelques heures plus tôt.

Néanmoins, il se mordit la lèvre, ressentant un profond regret d'être la cause de cette expression, de lui infliger un chagrin si poignant, d'être l'architecte des rougeurs colorant ces petits yeux qu'il affectionnait.

Jimin laissa échapper un souffle tremblotant, se blottissant contre lui et l'enlaçant avec une étreinte furieuse. Taehyung suivit, comblé par la réunion de leurs âmes qui se reconnaissaient dans une embrassade retrouvée.

« T'as rien ? chuchota Jimin contre son cou avant de se reculer légèrement, ses mains venant prendre son visage en coupe. J'arrive pas à croire que t'es là... ! », geignit-il.

La joie de le revoir irradiait de lui, sincère, amplifiée par la disparition de la froideur que Taehyung avait affichée plus tôt dans la soirée.

Mais il ne comprenait pas sa présence ici et maintenant.

« Il faut que je réveille Na...

— Non, laisse-le, le stoppa-t-il dans son élan en resserrant légèrement sa poigne. J'ai pas beaucoup de temps, souffla-t-il, malheureux de le voir aussi émotif.

— Comment ça ? », s'enquit-il aussitôt, fronçant les sourcils.

Au fond, Jimin comprenait déjà la tournure que prenait ce début de conversation.

Taehyung se tint là, incertain de la manière dont il devait amorcer son récit. Le temps lui manquait cruellement.

Il était attendu.

« Réponds-moi, gronda Jimin, son visage s'assombrissant sous une peur irascible. T'es là, mais t'as pas le temps. J'ai peur de comprendre. »

En dépit de tout, il incombait toujours à Jimin d'incarner son rôle avec aplomb. Il devait feindre l'ignorance, se draper dans le manteau de l'ami soucieux face à son enlèvement.

Je me hais, putain.

Taehyung déglutit, son cœur se mit à tambouriner fébrilement.

« Jim, commença-t-il avec douceur. Je suis venu te voir parce qu'on s'est quittés en mauvais termes, et ça me bouffait. Je te demande pardon », dit-il d'une traite, pressé par le temps.

Jimin ouvrit la bouche, mais seul le silence s'en échappa, lourd du fardeau écrasant du mensonge. Ses yeux s'embuèrent et ses lèvres tressaillirent.

C'est moi qui dois te demander pardon, Tae.

Il se laissa néanmoins embrasser sur le front, étouffant un sanglot déchirant alors que les lèvres de Taehyung prolongeaient tendrement le contact sur sa peau.

« Je viens aussi te dire que tout va bien. Étonnamment, il m'a rien fait, j'ai rien, poursuivit Taehyung, les mains de part et d'autre la mâchoire de Jimin, verrouillant leurs regards. Tu peux dire à Nam que je vais bien ? Et je sais que Hye-Jin et Hoseok te feront confiance si tu leur dis de ne pas essayer de me retrouver. D'ailleurs, ils sont pas là ? Y'a que Nam avec toi ? »

Il passa une main fatiguée dans ses cheveux pour éclaircir sa vue dans la légère obscurité, ses yeux se posant sur le corps allongé sur le lit, reconnaissant Namjoon.

Alors qu'il s'apprêtait à lui avouer que leur bande s'était déchirée, Jimin s'immobilisa, emporté par un bref moment de stupeur.

« Tu as quoi sur le front ? demanda-t-il en dégageant davantage la peau griffée.

— ... Rien, souffla Taehyung, gêné, dissimulant ses plaies de ses ondulations décoiffées.

— Crache le morceau, il t'a fait quoi ? lui intima-t-il, sérieux, la voix vacillant légèrement quand bien même son ton fut sec.

— Il m'a rien fait, OK ? grogna doucement Taehyung, sur les nerfs. J'ai vraiment pas envie de m'embrouiller avec toi, là.

— Tae, c'est quoi cette griffure ? », réitéra-t-il en le regardant d'un air sérieux.

Taehyung soupira bruyamment.

« C'est moi, j'avais mal au crâne et je me suis gratté le front, avoua-t-il, sincère.

— Encore un de tes maux de tête subits... ? », demanda-t-il, indécis.

Taehyung acquiesça. D'un pas léger, Jimin s'avança vers sa table de chevet, échangeant un discret regard avec Namjoon, avant de saisir sa petite trousse de soins. Revenant vers le ténébreux qui l'attendait, il entreprit de nettoyer la plaie avec une concentration silencieuse et pensive.

« Tu as mis mon choker... », souffla Taehyung en fixant le poignet de son ami.

Un silence s'étendit entre eux, s'étirant doucement alors qu'ils revivaient la soirée où, emporté par la colère, Taehyung avait jeté le bijou aux pieds de Jimin. La honte pesa sur Taehyung tandis que la culpabilité enveloppa Jimin.

« Reprends-le. C'est plus safe, au cas où, dit doucement Jimin, s'apprêtant à le retirer.

— Non, garde-le, murmura Taehyung. Comme ça, je serais toujours avec toi », taquina-t-il.

Jimin pouffa légèrement.

« C'est d'un niais, ça te ressemble pas », souffla Jimin d'une petite voix, amusé.

Taehyung esquissa un bref sourire, réjoui d'avoir égayé l'atmosphère, ne serait-ce qu'un peu.

« Je vais te mettre un pansement Harry Potter », déclara-t-il d'une voix douce avec un léger sourire triste, alors qu'il fouillait dans sa trousse.

Taehyung ne put réprimer un léger rire, alors qu'il méditait sur la valeur inestimable de son amitié avec Jimin.

« Alors, j'ai Hedwige, Croûtard... ah, j'ai même Pattenrond ! J'ai un hippogriffe ailé, pouffa-t-il. Aussi Buck... Tu choisis quoi ?

— ...T'as pas un animal digne de moi ? Genre Naguini, grommela-t-il, amusé.

— Non, il est à moi. Tiens, je te mets ta crush Fleur Delacour, décida-t-il. Puisque t'as un kink pour les sorcières françai...

— La ferme, gronda-t-il en le coupant, rieur. Mets-moi Hermione, à la rigueur !

— T'arrêtes ou je te colle Pansy Parkinson ? Ou... s'interrompit-il en fouillant parmi les innombrables pansements. J'ai même Luna Lovegood ? lâcha-t-il, dubitatif, avant de pouffer.

— ...Mets-moi Fleur », ronchonna-t-il.

Ils se regardèrent, chacun arborant un sourire sincère et ému.

Dans l'air flottait le poids des épreuves, mais en cet instant suspendu, ils goûtaient à la liberté éphémère. Leur amitié, robuste comme un roc face aux vagues impétueuses de la vie, restait inébranlable. Une fierté mêlée d'émotion illuminait leurs regards, emplis de gratitude pour ce lien précieux, refuge patiemment tissé avec tendresse au fil des ans.

Ils transcendaient les faiblesses humaines, offrant le pardon malgré la blessure encore vive.

Ils avaient grandi côte à côte ; Jimin sans Taehyung, ou l'inverse était comme une mélodie amputée de sa note essentielle. Leur séparation équivalait toujours à un vide béant, un abîme où ils se perdaient.

« J'aime pas me disputer avec toi... souffla-t-il, tandis que Jimin finissait de mettre un pansement sur son front. Je me suis énervé contre toi, j'étais un peu pris par surprise, avec tout ça. Et l'autre connard qui me colle, là, pesta-t-il en repensant à Jungkook.

— J'ai rien à te pardonner. Et je ferais la même chose, à ta place », plaida-t-il, la voix vibrante de regrets.

La mine attristée, Taehyung hocha la tête, malgré tout satisfait.

« Je te demande pardon, Tae. Pour cette nuit. Je... »

Jimin déglutit en baissant les yeux, indécis quant à la manière de formuler ses raisons, tandis qu'il jouait distraitement avec la fermeture de sa trousse de soins.

« Je me dis que t'as tes raisons, éluda Taehyung en le voyant chercher ses mots. Mais j'ose espérer que tu t'es pas fourré dans des emmerdes qui te forcent à agir comme ça. Comme ton oncle, par exemple », argumenta Taehyung, la mine grave.

Les yeux baissés, Jimin esquissa un sourire dépourvu de joie. Il aspirait à parler, à se justifier, à expliquer, mais ses lèvres ne parvenaient qu'à effleurer le murmure, ses mots se refusant à éclore dans le silence lourd qui les enveloppait.

« Ne dis rien, on aura le temps d'en parler plus tard, souffla Taehyung. Je te pardonne. »

Pour cette fois.

Jimin ferma les yeux, un soupir mêlé de soulagement et de honte lui échappant.

« Comment ça se fait que tu sois là ? demanda-t-il en relevant la tête, lançant habilement la trousse sur son bureau. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— On a parlé, souffla-t-il, la mine fatiguée. Longtemps. »

Jimin serra les dents et resta coi devant le sang-froid dont faisait preuve Taehyung. Comme s'il n'avait pas été enlevé il y a quelques heures à peine. Comme si le canon d'une arme n'avait jamais été pointé sur sa tempe. Comme si les retrouvailles avec son frère après trois longues années n'avaient pas été les plus traumatisantes de sa vie.

Pourtant, Jimin décelait une lueur particulière qui troublait les yeux rougis par la fatigue de son ami. Il y voyait des fissures supplémentaires.

Il a pleuré. Qu'est-ce qu'il a bien pu vivre pour être aussi épuisé ? Jungkook lui a révélé quelques secrets sur sa famille ? Je l'ai jamais vu aussi anéanti.

« Dis-moi juste s'il t'a fait du mal », chuchota Jimin, le ton suppliant.

Même si je doute qu'il lui fasse quoi que ce soit.

« Non, à part me provoquer et m'énerver, grommela-t-il. Je sais pas pour qui il se prend, mais il m'a donné à boire ? clama-t-il, subjugué. On a discuté, il a répondu à quelques-unes de mes questions, enfin, quand il accepte de répondre », grommela-t-il.

Dans l'ombre du silence, Namjoon clôt les paupières, profondément rassuré.

« C'est... dit-il avant de s'interrompre, feignant la surprise.

— Ouais. Et c'est lui qui a accepté que je vienne te voir, avoua-t-il, la mine perplexe. Il est aussi énervant que bizarre, ce type. Je l'ai peut-être cerné, mais il reste trop complexe. Et putain d'incroyablement chiant et énervant, pesta-t-il, les sourcils froncés, accentuant les derniers mots en serrant les dents.

— Attends... balbutia Jimin qui, au fond, était tout de même soulagé. Tu lui as juste demandé de venir me voir, et il a dit oui ?

— Plus ou moins, je lui ai pas laissé le choix. Même moi, j'y crois toujours pas, lâcha-t-il, stupéfait.

— Je sais que tu peux convaincre n'importe qui quand tu t'y mets sérieusement, commença-t-il, provoquant un léger sourire chez Taehyung. Mais t'as réussi face à un gars comme lui... ? », s'enquit-il, sincèrement étonné.

Taehyung haussa les épaules, ne sachant que répondre.

« De quoi vous avez parlé ? interrogea Jimin, son appréhension revenant au galop.

— Principalement du passé. Tu sais qu'il a connu ma famille ? C'est ce qui me rend fou : ses actions et réactions envers moi m'ont l'air basées sur ce passé, comme si je lui rappelais des souvenirs. Mais je sais toujours pas qui il est. Et le pire de tout ça, Jim, il parlait de maman comme si... »

Taehyung se tut, ses yeux rivés sur Jimin, se demandant s'il connaissait le Jeon parce qu'il l'avait croisé autrefois, dans leur enfance commune.

Mais pourquoi me mentir en me disant qu'il le connaît pas ? À moins qu'il mente pour préserver une vie ou un clan ? Ou un secret ? Ou bien...

« Comme si quoi ? demanda Jimin avec impatience, désireux de savoir si Taehyung avait identifié l'ami qui avait disparu de leur enfance.

— Écoute, Jim, abandonna-t-il lorsqu'il vit l'heure sur l'horloge murale, j'ai vraiment plus beaucoup de temps. C'est compliqué, mais ce mec, aussi tordu soit-il, me fera pas de mal. Et j'aimerais que tu dises rien aux autres. Je dois le rejoindre.

— Le rejoindre ? Mais merde, Taehyung ! explosa Jimin en se reculant de son ami, soudainement irrité. Il t'a assommé devant nous et il t'a emmené Dieu sait où ! Comment ça, tu vas le rejoindre ? Tu sais ce que c'est que de te voir te faire enlever sous nos yeux ? Hye-Jin avait été inconsolable et les gars complètement énervés et effrayés ! Et tu veux le rejoindre ? », s'exclama-t-il, laissant son désarroi profond contrôler son esprit.

Silencieux, Namjoon fronça les sourcils, hébété. Les mots de son amant et ami flottaient dans l'air, incompréhensibles. Les mains crispées sur les draps, il luttait contre l'envie de se lever et de briser ce torrent d'accusations injustes avec la violence d'un coup de poing.

Il grinça des dents, incapable de libérer des mots trop longtemps retenus.

Mais qu'est-ce qu'il fout ? Jimin, reprends-toi !

Jimin avait le souffle court. Il était noyé dans les méandres de sa double vie. Privé de sommeil, accablé par le stress et le fardeau de son rôle. Il perdait le contrôle de ses paroles, laissait échapper ses pensées sans filtre et voyait sa lucidité se dissiper comme un rêve au réveil.

Il ne se rendait pas compte qu'il accusait injustement son meilleur ami, la réelle victime.

Mais, là, face à Taehyung, il se trouvait captif de ses propres remords tenaces. La confusion l'envahissait, troublant son esprit au point de lui faire perdre le fil de ses pensées, incapable de discerner leur ordre.

Ses mots, nés de la rage contre lui-même, avaient résonné comme le cri désespéré de son cœur.

Alors, dès qu'il avait entendu « je dois le rejoindre », une sensation poignante l'avait envahi, comme si une flèche l'avait transpercé, le rappelant à sa propre trahison.

Je me hais tellement.

Derrière, Namjoon se faisait toujours violence pour ne pas bondir du lit et secouer Jimin.

« Jimin, je suis désolé, mais c'est pas de ma faute, balbutia-t-il, sur le seuil de l'effusion larmoyante, peignant dans son esprit l'agonie qu'ils avaient sans doute endurée. Pourquoi tu...

— Non ! le coupa-t-il. Tu es là et tu vas le rester. Demain, on ira voir Yoongi et...

— Jimin ! », prononça-t-il, porté par un souffle exigeant et teinté d'une irritation à peine contenue.

Sa voix avait résonné avec une explosion brusque.

Même Namjoon n'avait pu retenir son sursaut.

Le jeune Park se figea, les yeux perçant à travers une mosaïque d'émotions contradictoires. Percevant son tumulte, le visage de Taehyung s'adoucit, conscient que son meilleur ami était chamboulé au point de ne plus mesurer la portée de ses mots.

Dans un élan incontrôlable, le ténébreux le prit vivement dans ses bras, nichant son front contre son cou, respirant profondément le parfum qui avait bercé son enfance. Il trouva un apaisement fugace dans cette étreinte lorsque Jimin resserra ses bras autour de lui, férocement.

La douceur et la délicatesse de cette fragrance suave, au concentré de vétiver et d'ylang-ylang envahirent Taehyung d'une telle intensité qu'il fut sur le point éclater en sanglots à tout moment. Leurs étreintes se resserrèrent encore, tandis que Jimin tremblait contre lui, retenant avec force l'ouragan de larmes qui menaçait de le submerger.

« Ce sont pas des adieux, hein... ? balbutia Jimin, la peur habitant l'entièreté de son être.

— Quoi ? Non ! s'exclama Taehyung en se reculant légèrement pour prendre le visage de Jimin en coupe. Non, Jimin, ma vie est pas menacée. »

Enfin, j'espère.

Il frémit.

« Promets-le-moi, souffla-t-il, l'âme en peine.

— Je te promets que mes jours sont pas en danger. Il m'a proposé un marché et on y trouve tous les deux notre compte, tenta-t-il d'expliquer tout en prenant le soin de rester vague.

— Putain, mais... grogna-t-il entre ses dents, avant de se reprendre, contrôlant difficilement ses émois tumultueux. C'est quoi le marché entre vous ? s'enquit-il, complètement désorienté, ses mains frottant nerveusement son visage puis ses cheveux sombres.

— C'est trop compliqué et j'ai pas le temps. J'ai une question, et j'aimerais que tu sois honnête, persista-t-il, le ton presque ferme. S'il te plaît, ne me mens pas, cette fois... », acheva-t-il, la voix plus douce.

Jimin déglutit, son cœur s'élançant dans une course cadencée. Muet, il hocha la tête, dans l'expectative.

« Tu connais ce Jeon Jungkook depuis le début, on est d'accord ? », questionna-t-il, la mine sérieuse.

Jimin détourna les yeux, au bord du précipice de l'angoisse.

« Oui », souffla-t-il.

Pendant ce temps, Namjoon ferma les paupières avec force, pestant en silence.

« ... Pourquoi tu fais comme si tu le connaissais pas ? Qui il est, pour toi ? », s'étrangla-t-il, visiblement toujours heurté par le mensonge de son ami.

Jimin s'apprêta à se défendre, à libérer les mots qui le brûlaient en lui partageant ce qu'il pensait de cette mascarade, mais un bref coup de klaxon fendit l'air, ébranlant l'instant. Jimin sursauta, Namjoon frémit, et Taehyung se paralysa sur place, dont le frisson fit naître un accroc à sa respiration.

« Faut que je parte, souffla précipitamment Taehyung laissant un baiser fugace sur le front de son ami qui ne pouvait que le regarder, scandalisé et profondément inquiet.

— C'est lui ? », grinça Jimin, se retenant de se chausser et descendre dévoiler le fond de sa pensée à Jungkook, simplement pour alléger le fardeau qu'il supportait.

Le silence de Taehyung fut sa seule réponse.

Avant de s'en aller, Taehyung s'approcha précipitamment de Namjoon et le découvrit dissimulé sous les couvertures, « endormi ». Un sourire tendre se dessina sur ses lèvres tandis qu'il saisit doucement sa main, caressant sa paume de son pouce, avant de déposer un baiser délicat sur le creux de son poignet.

Puis il retourna vers Jimin, pressé.

Jamais il ne perçut les yeux écarquillés de Namjoon ni sentit le rythme frénétique de son cœur. Il demeura aveugle à la blessure de son âme qui le foudroya, aux larmes imprégnées d'un amour profond, de remords lancinants et du dégoût envers lui-même. Car à cet instant précis, Namjoon aspirait à mourir pour mettre fin à cette douleur qui le consumait.

Face à cette scène d'une douceur poignante, Jimin se trouva submergé par un sanglot étranglé, éclatant dans sa gorge telle une explosion retenue.

Au moment où Taehyung se préparait à reformuler son interrogation portant sur Hye-Jin et Hoseok, Jimin interrompit son élan.

« Est-ce que je vais te revoir... ?

— Évidemment, Jimin », souffla Taehyung, le cœur lourd, tandis que la promesse s'élevait dans l'air.

Au fond de lui, il portait le pressentiment que sa vie n'était pas véritablement en danger, peu importait s'il honorait sa part de l'accord ou non, mais ses jours venaient de basculer d'une manière si inattendue qu'une terreur l'envahissait sans le moindre répit.

Il n'avait pas encore conscience des révélations qui s'étaient produites ni de l'ampleur de la sinistre trajectoire que venait d'emprunter son existence.

Une seule conviction persistait, une flamme vacillante dans l'ombre épaisse de l'incertitude : c'était son aversion viscérale, une répulsion profonde, un frisson glacial parcourant son être à la simple idée de souiller ses mains immaculées de l'indélébile écarlate.

À l'idée de faire couler le sang.

Chaque fibre de son être rejetait cet acte profane, comme si l'univers tout entier conspirait pour préserver ce qui restait de sa fragile pureté.

Cette pensée le fit tressaillir, un frisson que Jimin ne manqua pas de remarquer. Il ne réfléchit pas ; il agrippa la veste en cuir de Namjoon et s'approcha de Taehyung qui reculait lentement vers la baie vitrée, prêt à se dissoudre dans l'éther. Les mains tremblantes, Jimin l'habilla, les yeux embués et les lèvres pincées.

« Je suis désolé », souffla Jimin, la mine terriblement navrée.

Taehyung sentit son âme se briser à la vue de la larme solitaire qui perla de l'œil de Jimin. Son cœur suspendit son rythme et laissa couler un flot de tristesse incommensurable.

« Putain... », souffla Taehyung en se prenant le visage dans la main, sur le point de céder à une colère portée par l'injustice qu'il ressentait.

Un second klaxon et Taehyung releva la tête vers l'horizon, paniquant de nouveau. Les sourcils de Jimin se froncèrent, retenant le rugissement de sa fureur. Tremblant d'émotion, Taehyung traversa de nouveau les rails de la baie vitrée, se tournant ensuite vers son ami.

« Ne faites rien, ou il le saura. Dis-leur de ne rien tenter. Je vais négocier avec lui pour que je puisse vous revoir. Crois-moi, il va accepter, il a compris à qui il avait affaire. Il m'a déjà cédé une fois, il le fera les prochaines fois », promit Taehyung, la mine sérieuse.

Jimin acquiesça d'un léger mouvement de tête, tandis qu'il essuyait ses yeux, cherchant à dissiper la brume qui floutait sa vision.

« C'est tout toi, ça, balbutia Jimin, plongeant son regard chagriné dans le sien. Mais fais attention, c'est un... il peut être dangereux.

— T'inquiète, il peut être tolérant quand tu sais comment lui parler. Puis il a l'air de vouloir me faire peur juste pour me contraindre, je crois. Je vais donc pas me priver de lui casser les couilles jusqu'à ce qu'il regrette de m'avoir enlevé », pesta-t-il, irrité.

Si Jimin n'était pas autant noyé dans ses émois, il aurait ricané. Au lieu de cela, il ferma brièvement les yeux, cherchant à reprendre le fil de son calme évanescent.

« Dans combien de temps, je te reverrais ?

— Laisse-moi minimum un mois ? », hasarda Taehyung, indécis.

La mine de Jimin se fit plus désespérée. Le klaxon résonna de nouveau, les faisant de nouveau sursauter tous les trois.

« Je vais le buter... », cracha Taehyung en assistant, impuissant, au chagrin de son ami.

Il soupira, attristé, prenant un instant précieux pour contempler son ami, l'une de ces âmes qui lui étaient chères et inestimables.

Je dois découvrir ce que me cache Jimin.

Ses yeux s'emplirent de larmes et Taehyung se détourna brusquement, sentant son cœur se comprimer jusqu'à l'étouffer. Faisant fi des appels désespérés de Jimin avec une grande douleur, il se précipita vers l'échelle en métal comme s'il était poursuivi par le diable lui-même, descendant habilement les trois étages, maudissant le bruit qu'il produisait dans le silence nocturne.

Impuissant et frustré, Jimin le regarda rejoindre le pion dans son plan, tandis que ses larmes se libéraient en une douce pluie. Cette séparation lui fut douloureuse, il souffrait de le voir s'en aller à nouveau. Le choc brutal de son enlèvement violent ressurgit dans son esprit, se mêlant à sa vision actuelle.

Il était impuissant, incapable d'agir.

Hormis subir de nouveau sa disparition.

Et de se trouver dans l'obligation de garder le silence, quoi qu'il arrive, portant un lourd fardeau sur ses épaules.

Une rage contre lui-même s'empara de lui lorsque, du sommet du troisième étage de la demeure Park, il reconnut la somptueuse Bugatti noire baignant sous la lueur des réverbères, stationnée non loin du chemin de sortie.

Puis lorsque Taehyung apparut dans son champ de vision, ses pleurs se firent plus déchirants, les discrètes lamentations s'élevèrent dans le silence profond de la nuit avancée. Il le vit s'approcher prestement de la voiture, ouvrir la portière et s'y engouffrer.

Avec un supplice insupportable, il se retint de hurler son prénom dans l'obscurité de cette nuit cauchemardesque et il se laissa choir au sol, écrasé par le poids accablant de son chagrin.

Deux bras l'entourèrent tendrement, tandis qu'un corps vibrant d'un désespoir partagé se pressa contre son dos.

« Ça va aller. Ne pense qu'à ta vengeance qui approche », souffla Namjoon contre son cou, là où son visage était niché.

Jimin inspira profondément, le souffle tremblant. Un silence enveloppant les entourait. Avec tendresse, Namjoon pressa ses lèvres contre son cou, l'enlaçant plus étroitement, lui procurant un calme réconfortant. Jimin se laissa emporter par cette étreinte, son dos trouvant refuge contre la chaleur du torse de son amant.

« Il m'a pardonné, Nam, il est inconscient... balbutia-t-il. Il est le plus rancunier de nous tous, et il m'a pardonné, putain...

— Que dire de moi, quand il découvrira qui je suis vraiment...

— Il va nous haïr. Tous.

— Je suis sûr qu'il comprendra qu'on fait pas ça par bonté de cœur. Je lui fais confiance, malgré tout.

— Nam, Taehyung se sentira trahi de la pire des manières, tu le connais... souffla-t-il, assailli par une peur indicible. Sa réaction sera pire que cette nuit.

— Putain, j'ai pas hâte », dit Namjoon, la voix étranglée.

J'ai si peur qu'il coupe définitivement les liens avec nous.

« Peut-être qu'on peut compter sur Jeon pour le canaliser, avança Namjoon, hésitant.

— C'est ce qu'a dit Seong*, mais Tae est un électron libre. Jungkook va morfler, avec lui. »

Jimin renifla bruyamment, s'invectivant silencieusement d'être si émotionnellement investi dans une situation où la neutralité était de mise.

Mais comment pourrait-il faire autrement ?

« Je me charge de biper Seong pour qu'il nous dise quand l'appeler. Viens, allonge-toi », murmura tendrement Namjoon en l'aidant à se relever.

Lorsque Jimin fut assis sur son propre lit, Namjoon s'éloigna, cherchant son bipeur.

« Où est ma veste, Minnie ?

— Bah t'as pas vu ? Je l'ai donnée à Tae, j'ai pas réfléchi. Il tremblait de froid et aucun de mes manteaux ne lui ira, de toute façon... répondit-il d'une voix faible, avant de renifler.

— Jimin, t'as pas fait ça ! paniqua-t-il aussitôt, les yeux écarquillés.

— Quoi ? J'ai fait quoi ? répliqua aussitôt Jimin, angoissé par la soudaine panique de son amant.

— Y a mon bipeur dans ma poche, putain ! s'étrangla-t-il.

— ... Oh non, geignit-il en se relevant d'un mouvement vif, comme s'il était prêt à aller récupérer la veste.

— Perds pas de temps, appelle Ijung* qu'il le désactive en espérant qu'il ne tombe pas entre les mains de Jeon. Ou pire... »

Le cœur au bord des lèvres, Jimin acheva sa phrase, le souffle court, saisi par l'effroi.

« Dol... »


Ce simple nom suffit à distiller la terreur dans leurs cœurs.



Le souffle court et l'âme en lambeaux, Taehyung prit lourdement place sur le siège passager. À peine inspira-t-il qu'une voix froide vînt alourdir son accablement.

« Qu'est-ce que j'avais dit, Kim ? l'avertit aussitôt Jungkook avec une sévérité palpable, le bras tendu sur le volant et le regard portant une menace latente. J'étais à deux doigts de venir te chercher.

— Et moi, je suis à deux doigts de vous arracher les yeux. Conduisez en silence s'il vous plaît, je suis vraiment pas d'humeur à vous entendre », cracha Taehyung, à bout.

Épuisé jusqu'au bout des nerfs, son cœur battait avec une douleur furieuse et une tristesse déchirante. D'une main tremblante, il effleura ses cheveux, tressaillant sous l'assaut de ses émotions accablantes.

Furibond, Jungkook était sur le point de le menacer lorsqu'il se stoppa dans son élan. Ses paroles heurtèrent le seuil de ses lèvres scellées, se perdant à jamais.

Une sensation de malaise s'éveilla en lui, une émotion qu'il peina à apprivoiser.

Il venait de prendre conscience des larmes silencieuses de Taehyung qui reprenait son souffle tremblant. Il remarqua également un pansement ornant son front sous ses épaisses mèches, et la veste en cuir. Taehyung en humait longuement le parfum sur le col, les yeux dans le vague, frémissant discrètement.

Taehyung se reprit et, essuyant furieusement ses perles salées d'un revers de la main, jusqu'à faire rougir sa peau, il laissa échapper un lourd soupir. Il était lassé de pleurs. Il aspirait à regagner son foyer et s'abandonner à un long sommeil.

Il aspirait, ne serait-ce que pour un court instant, à balayer de son esprit le poids accablant de la trajectoire sinistre que son destin venait d'emprunter, une voie pavée de ténèbres.

Il leva les yeux vers Jungkook, plongeant dans ceux brillants d'une étrange lueur tandis que les muscles de sa mâchoire s'animaient en un rythme continu. Éprouvé, Taehyung renonça à toute idée de provocation ou de confrontation, se contentant de lui témoigner une gratitude silencieuse, même si une rancœur tenace subsistait en lui.

S'il avait pu revoir Jimin à sa demande qui, de manière inespérée, avait miraculeusement obtenu une réponse favorable, c'était grâce à son entêtement au temple. Taehyung ne lui avait pas laissé le choix. Il se doutait également que le blond avait décidé d'être plus souple avec ces dix minutes de liberté accordées.

Pourtant, Taehyung était conscient qu'il aurait pu lui refuser cette visite.

C'était se tirer une balle dans le pied après tant d'efforts pour capturer le plus jeune.

Mais il ne lui ferait jamais le plaisir d'exprimer sa gratitude en mots. Même si ce Jeon lui paraissait anormalement commode malgré son activité immorale et la haine qu'il nourrissait envers son frère, il n'oubliait pas avec qui il interagissait.

En guise de réponse à cette faible lueur de grâce, Jungkook détourna simplement le regard vers la route, ignorant le malaise qui ceignait sa poitrine. Il était conscient d'avoir offert à Taehyung un fugace retour à son passé avant de le précipiter dans un futur indésirable et semé d'embûches.

Il l'avait fait pour apaiser sa conscience. Encore et toujours cette conscience. Parce qu'il venait de sculpter la destinée de son captif, lui insufflant une existence renouvelée. Mauvaise. Déplorable.

Il se retint de soupirer, accablé par ces pensées qui remettaient en question une partie du précieux plan qu'il avait méticuleusement échafaudé durant de longues années, guidé par l'injustice, la rage et la haine.

Inconsciemment, il avait cherché à apaiser la peine de Taehyung, comprenant combien ce dernier devait se sentir déphasé et seul.

Parce que Jungkook avait vécu le même soudain précipice, lorsqu'il était enfant.


Taehyung exerçait sur lui une réelle influence, un pouvoir indéfinissable qu'il ne pouvait que ressentir. C'était quelque chose d'étrange pour un homme de sa trempe, un homme qui avait dû s'en remettre uniquement à lui-même et sceller son cœur face au reste du monde par peur de s'attacher et de souffrir.

Mais il ne pouvait que reconnaître qu'il agissait étrangement en sa présence, son esprit mettant en évidence qu'il se trouvait en la présence du fils préservé d'Eun-Ae.

La voilà, peut-être, la cause de cette faiblesse soudaine.

Je dois me rendre à l'évidence que, Taehyung, je ne l'ai jamais véritablement détesté. Je me suis miroité une haine injustifiée dans l'espoir de rendre les choses plus simples.

Jungkook ricana silencieusement.

Simples ? Quelle erreur. Tout s'est doublement complexifié.

Tout prenait une tout autre tournure, son plan minutieux se parant de complexités qui s'entremêlaient sous tant de failles. Cette situation était source d'une frustration extrême. Rien ne se déroulait conformément à ses attentes, même s'il était conscient que tout projet comportait une part d'imprévu. Ou une petite faille.

Juste une ou deux, selon son expérience.

Pas une dizaine qui contrariait à ce point le cours de ses prévisions.

Jamais.

Il serait plus juste de dire que son masque s'abaissait de moitié en sa présence, comme si un livre secret s'ouvrait en lui, et ce, depuis le temple. Il se perdait dans son propre plan, échappait à son propre contrôle, se redécouvrant une âme, un cœur qui réagissait pour une personne autre que son cousin.

Les émotions sont traîtres.

J'aimerais tant pouvoir les dompter à nouveau, les réduire au silence.

Pourquoi ça m'échappe, désormais ?

Comment ce pauvre enfant fait-il pour me tenir en son pouvoir ?

Le doux ronronnement du moteur s'éleva dans le silence de la nuit avant de vrombir puissamment tandis que Jungkook conduisait vers la demeure des Kim, son esprit empli par des pensées perturbatrices.

Après quelques minutes dans un climat avare de paroles, il se permit de briser l'harmonie électrique de l'instant.

« J'espère pour toi que tu as tenu parole et que tu n'as rien révélé à Park », avança Jungkook d'une voix grave et profonde, son regard fixé droit devant lui, sans jamais dévier de l'horizon.

Taehyung sursauta légèrement, ayant été plongé dans ses pensées sombres et mélancoliques, tandis que la réalité le saisissait brusquement par la main.

« Fallait me coller un micro si vous vouliez savoir », marmonna Taehyung, les bras croisés, les yeux regardant sans le voir, le paysage défilant à sa droite.

Il ignora son cœur et sa gorge qui se compressaient de nouveau au souvenir du visage baigné de larmes de Jimin, à son regard suppliant et à ses appels désespérés.

Jungkook grinça des dents.

« C'est peut-être ton ami, mais il est avant tout un Park. Je me méfie de son oncle qui semble le manier à sa guise. Il peut contrecarrer mon plan et t'exposer involontairement à des risques inutiles. »

Taehyung fronça les sourcils, perturbé par cette affirmation. Pourtant, la fatigue l'envahissait, son esprit était devenu un vase plein à craquer, incapable d'accueillir la moindre nouvelle parcelle de connaissance sans risquer de se fissurer.

« Oui, parce qu'avec vous, je coure zéro risque, ironisa-t-il entre ses dents. Et alors quoi ? Votre plan est tellement médiocre qu'un gamin pourrait le ruiner ? », le provoqua-t-il, acerbe.

Jungkook soupira, las.

Tu es celui qui l'a partiellement ruiné, Kim.

Un quart d'heure plus tard, il se gara devant le manoir des Kim et éteignit le moteur. Dans un silence complet, Taehyung, détacha sa ceinture et s'apprêta à ouvrir la portière avec empressement, désireux de se blottir dans l'écrin de ses draps, échappant ainsi à la présence troublante et ambiguë de ce Jeon qui l'horripilait.

« Je n'ai pas terminé », releva Jungkook en verrouillant rapidement sa voiture, retenant ainsi toute possibilité de fuite.

Tout en s'interdisant de porter son regard vers le majestueux manoir.

Taehyung laissa échapper un juron entre ses dents et le regarda, sa main se crispant autour de la poignée en cuir.

« Je veux m'assurer que tu ne tenteras rien de stupide. »

Un ricanement froid emplit l'habitacle.

« C'est votre domaine d'expertise ça, pas le mien, cingla-t-il. Bon, je veux juste rentrer chez moi, c'est trop demander ?

— Donne-moi ton portable et ôte la veste de ton ami. Il est possible qu'il y ait quelque chose dissimulé à l'intérieur.

— Pas question, je garde mon tél, dit-il, la furie lui titillant lentement la poitrine.

— Donne », répéta lentement Jungkook en présentant sa main, sans animosité.

Le ténébreux grinça des dents et se pencha pour légèrement pour extraire son téléphone portable de la poche arrière de son pantalon. Il prit le temps de regarder son écran et faillit s'étouffer en voyant les nombreux messages et appels manqués qui lui avaient échappé.

Il clôt douloureusement les paupières puis, avec mauvaise foi et agacement, il le claqua contre la paume de Jungkook qui ne réagit guère, comprenant son état.

« La veste, exigea-t-il de nouveau.

— Mais vous voulez me dépouiller ou quoi ? contesta-t-il. C'est pas ma veste !

— Je vais l'inspecter puis te la rendre, répondit-il, stoïque. Dépêche-toi, le temps m'est compté. »

Irrité, Taehyung glissa sa langue sur sa joue, expira profondément, avant de retirer la veste et de la jeter négligemment sur les genoux de Jungkook. Il ne lui accorda aucun regard, ses yeux obstinément fixés sur l'horizon qui s'étendait devant lui, la mâchoire crispée et les jambes tressautant nerveusement.

Jungkook contempla simplement la veste sur ses genoux, avant de relever son regard vers Taehyung. Il demeura imperturbable malgré le geste impoli et rustre du cadet.

« Kim, je sais que tu es à bout de ner... commença-t-il.

— Sans blague, le coupa-t-il.

— Mais je te conseille à garder ton calme », poursuivit-il d'un ton empreint d'avertissement, comme si Taehyung n'avait jamais parlé.

Taehyung rit jaune.

« Oh, vraiment ? Merci du conseil, capitaine Obvious. Vous voulez peut-être aussi m'apprendre à respirer ? », siffla-t-il d'un air dédaigneux.

Je vais lui arracher les yeux et lui faire gober.

« En es-tu seulement capable ? », demanda Jungkook, légèrement amusé.

Taehyung fronça les sourcils.

J'ai pensé tout haut ?

« Vous serez surpris.

— Et moi qui te croyais fervent défenseur de la non-violence, murmura-t-il avec une pointe d'ironie. Me voilà surpris.

— Je ferai exception pour vous, cracha-t-il, le regard glacial fermement ancré dans celui allègre du blond, augmentant l'irritation du plus jeune.

— Quel honneur, mais ça ne fonctionne pas. Tu es inoffensif et ta pureté m'empêche de te trouver intimidant.

— Et vous n'êtes qu'une vermine qui se croit au-dessus de tout, riposta-t-il avec dédain.

— Tu es pitoyable, réfuta Jungkook, désinvolte.

— Et vous détestable, rétorqua-t-il avec dédain. Continuez à me prendre de haut, en attendant, vous savez pas jusqu'où je suis prêt à aller pour vous faire payer.

— J'en tremble déjà », s'amusa-t-il.

Taehyung fixa le plus âgé avec un regard glacial, où brillaient des éclats de mépris et de défi. Un fin sourire ourla ses lèvres, dévoilant une résolution froide et inébranlable. Conscient que les mots n'étaient pas toujours essentiels pour communiquer un message, dans son regard incandescent résidait la promesse implicite d'une vengeance et d'une détermination inflexibles.

Je vais rendre la vie dure à ce connard.

Jungkook arqua un sourcil narquois. Son arrogance exacerba l'irritation de Taehyung.

« Bon, je peux me casser, maintenant ? grogna-t-il, agacé. Je supporte plus de vous voir ni respirer le même air que vous viciez. »

Ni sa tête impassible qui m'horripile. Ni sa voix, ni son parfum, encore moins sa présence. Et son sourire en coin que j'ai juste envie d'arracher. Je veux le détruire, putain.

Le léger repli des lèvres de Jungkook murmurèrent un récit plus évocateur qu'une simple menace.

« Baisse d'un ton, jeune homme. J'ai peut-être une patience considérable, mais elle ne s'étend pas indéfiniment », fit-il remarquer avec une courtoisie feinte.

Les narines de Taehyung frémirent, puis il clôt les paupières tout en se mordant l'intérieur de la joue. Il en avait assez de cet homme.

« Bien. »

Grinçant des dents, Taehyung tourna la tête vers lui à l'entente de sa voix grave.

« Je récupère ton téléphone par simple prévoyance, expliqua Jungkook en montrant l'objet avant de le ranger dans la poche intérieure de sa veste en cuir. Les iPho...

— Vous pouvez aussi vérifier mon historique de recherche pendant que vous y êtes, le coupa-t-il.

— Pas intéressé. Les iPhone sont équipés d'un système de localisation très sophistiqué, je préfère écarter les risques, poursuivit-il dans son explication, imperturbable.

— Super. J'espère que ça vous fait sentir important, Sherlock », lâcha Taehyung, le regard noir.

Après une journée éprouvante et une nuit cauchemardesque qui avaient mis ses nerfs à rude épreuve, Taehyung avait perdu toute retenue. Jungkook comprenait son état, mais il lui était impossible d'éviter consciemment de le provoquer davantage lorsqu'il montrait de l'irritabilité.

C'était un élan irrépressible.

Leurs échanges de joutes semblaient s'ancrer dans une routine, un jeu d'adresse entre eux.

Et Jungkook trouvait un certain plaisir dans cette dynamique autant qu'elle le perturbait.

Il prit la veste en cuir de ses genoux, amorçant une exploration méticuleuse sous le regard exaspéré du cadet. Il découvrit pas moins de dix poches, six extérieures et quatre intérieures. De la première, il extrait trois préservatifs, qu'il replaça sans réel intérêt, prêt à inspecter la seconde poche.

Ce fut seulement à l'entente d'un timide toussotement que son regard se porta vers Taehyung.

Rougissant d'embarras et les yeux fuyants.

Jungkook arqua un sourcil, intrigué par cette étrange timidité qu'il trouva curieusement charmante, bien qu'elle le laissât perplexe.

« Quoi ? Pourquoi vous me regardez comme ça ? aboya Taehyung entre ses dents serrées, rougissant davantage. On était en boîte, c'est normal qu'il...

— Du calme. Je n'ai absolument rien dit », répondit-il d'une voix posée, bien qu'étonné.

Contrarié d'avoir loupé une occasion de se taire, Taehyung détourna le regard vers le manoir qui se dressait à sa droite, grommelant son mécontentement à voix basse.

« Il est prude, ou quoi ? »


Un briquet.

Un petit sachet de gâteau vide.

Un ticket de caisse à l'encre à demi effacée.

Trois assortiments différents de sauces mayonnaise, ketchup et moutarde.

Un sourire à peine perceptible, mais étonné effleura les lèvres de Jungkook, tandis que Taehyung, amusé malgré une irritation brûlante, se retenait de pouffer face aux découvertes. Le blond entreprit d'explorer les poches internes.

« J'ai l'impression de déballer le sac de Mary Poppins, grommela Jungkook.

— Vous êtes bien parti pour un long moment », dit Taehyung, bien conscient de la manie de Namjoon de remplir ses poches de mille et une choses.

Le visage de Jungkook exprima la lassitude tandis qu'il retirait un sachet de chewing-gum fossilisé.

Puis de nombreuses pièces de monnaie.

Un emballage de bonbons vide.

Un stylo-plume.

« Il se prépare à une pénurie ? s'étonna Jungkook d'un ton léger, posant son regard sur le plus jeune. Une apocalypse imminente dont je n'aurais pas été informé ? »

Taehyung dévia aussitôt le regard, voilant son amusement manifeste, mais involontaire, perceptible dans ses yeux rougis par la fatigue.

Jungkook extrait un paquet de mouchoirs non entamé.

Un ticket de loterie.

Du baume à lèvres.

« Bon sang, ça me semble infini, soupira Jungkook avec un mélange de lassitude et d'amusement. Pourquoi transporter seize objets séparément alors qu'un sac ferait l'affaire ?

— Fallait pas insister pour fouiller, y a pas à se plaindre comme ça, hein », marmonna-t-il, alors que Jungkook retirait un bout de papier plié en deux.

Avec un air grave, il parcourut les lignes à voix haute, espérant trouver des informations cruciales.

« Envoyer un texto à mon ex pour lui demander où est passée ma Nike bleue », lut-il d'une traite.

Puis, le front plissé et clignant des yeux, il exprima son étonnement après quelques secondes de silence. D'emblée, Taehyung se pinça l'arête du nez, se laissant emporter par un esclaffement spontané. La neutralité du ton de Jeon avait donné aux mots lus une teinte cocasse, presque burlesque.

« Qu'est-ce que c'est que ce truc ? », marmonna Jungkook, se renfrognant.

Poussé par une curiosité étrange, Jungkook poursuivit sa lecture, son visage exprimant un mélange subtil d'amusement, d'incompréhension et de contrariété, légèrement chiffonné par cette perte de temps.

« Faire des selfies avec chaque objet de la cuisine. lut-il avant de grimacer, incrédule. Créer un compte insta pour ma plante verte. Insta : "pornesian... para..." », s'interrompit-il, incapable de poursuivre.

Sidéré, Jungkook battit des paupières, tandis que Taehyung émit aussitôt un rire discret en secouant la tête, dépité.

« Son imagination a dû être très... stimulée, fit remarquer Jungkook, d'une voix posée.

— Arrêtez de lire, c'est bon, c'est de l'atteinte à la vie privée, là.

Écrire une lettre à mon moi sobre pour me conseiller sur comment baiser Ji... s'interrompit-il brusquement, parcourant silencieusement le reste de la phrase farfelue. Il est délirant », grogna-t-il avec stupéfaction, mêlant irritation et incrédulité dans sa voix.

Un doux ricanement s'éleva dans l'habitacle, éveillant un sourire subtil aux lèvres de Jungkook. Il continua sa lecture en silence, arquant légèrement les sourcils et grimaçant davantage, attentif à tout message dissimulé.

« Bien », soupira Jungkook.

Il lui tendit ensuite la liste saugrenue.

« J'espère que ça te déridera davantage. Je m'inquiète néanmoins pour sa santé mentale. Il prétend avoir aperçu un cerbère... », dit-il d'une voix atone avant de reprendre son inspection.

Sans relever la pique, Taehyung se hâta de parcourir la liste, découvrant avec chaque nouvelle lecture une excentricité plus prononcée. Affichant un sourire mélancolique, il ne put s'empêcher de pouffer discrètement de manière intermittente.

« Il était ivre, rassure-moi, dit Jungkook en poursuivant sa fouille.

— Non, bien sûr, Namjoon qui veut acheter cent ballons et les attacher à la chaise du salon pour voir si elle vole est sobre comme un pape, ironisa Taehyung, le cœur compressé en repensant à Namjoon et à ce qu'il représentait pour lui.

— Namjoon ? Cette veste n'appartient pas à Park ?

— Jimin ? s'étonna Taehyung. Bah non, c'est trop grand pour lui, il flotterait dedans. »

Jungkook fronça les sourcils lorsqu'il contemplait sa dernière trouvaille.

Son visage changea du tout au tout, y inscrivant une gravité troublante, saisissant aussitôt Taehyung d'un frisson d'inquiétude.

« Ça, Kim, tu me l'as bien caché, reprocha Jungkook en lui montrant l'objet.

— J'ai rien caché du tout, OK ? se défendit-il, confus.

— Tu n'as donc aucune explication sur la présence de ce bipeur dans sa poche ni sur le fait qu'il te confie sa veste avec ses effets personnels ? demanda-t-il, suspicieux. Même son bipeur ? insista-t-il, sceptique.

— Puisque je vous dis que non, assura-t-il, le visage sérieux. C'est Jimin qui m'a rapidement passé la veste en voyant que j'avais froid, et Namjoon dormait. Pourquoi vous tirez une tête comme si c'était une bombe ? Je sais même pas ce qu'est un bipeur, moi. »

Jungkook se tut et le scruta intensément, en quête d'une lueur trahissant la sincérité de ses dires.

« Kim. Cet objet est inhabituel.

— C... comment ça ? balbutia-t-il, troublé.

— Ce bipeur est utilisé pour une communication discrète et sécurisée pour contourner les systèmes de surveillance, expliqua-t-il, le ton dur et le regard d'un sérieux imperturbable. Il est surprenant qu'un étudiant doive recourir à un tel dispositif, d'autant plus qu'il est difficile et très cher à obtenir sur le marché clandestin du dark web. Tu comprends l'enjeu ? Son usage est réservé à des affaires d'une confidentialité extrême. Principalement illégales. J'en possède un, aussi. »

Le cœur de Taehyung s'emballa dans sa poitrine, un tambourin frénétique dans le silence de sa stupeur. Il fixait le bipeur de ses yeux écarquillés, perdu dans les limbes de ses pensées enchevêtrées.

« Nam aussi nous cache des choses, alors... ? souffla-t-il, peiné.

— Que sais-tu sur ce Namjoon ? Tu as déjà été soupçonneux à son égard ? »

Taehyung se perdit momentanément dans ses pensées.

Assez pour que je me pose parfois des questions.

« Faites vos propres recherches », murmura-t-il d'une voix éraillée, légèrement tremblotante.

Silencieux, Jungkook lui rendit la veste en cuir que Taehyung s'empressa de revêtir. Il inspira doucement le parfum imprégné dans le col, les yeux clos, les sourcils légèrement froncés, digérant difficilement ce qu'il venait d'apprendre, une fois de plus.

Nam, ne me déçois pas. Je t'en supplie, pas toi.

« Bien, lâcha Jungkook avec un soupir éreinté. Finissons-en.

— C'est Noël en avance, youhou, enfin une bonne idée de votre part, lâcha Taehyung, sarcastique, les yeux rivés sur l'horizon, sa main agrippant la poignée de la voiture.

— Regarde-moi, Kim. Et écoute-moi attentivement », exigea-t-il, ignorant sa pique.

Taehyung obéit, non sans lui offrir un regard noir, accusateur et perçant, vibrant de rancœur.

« Je veux vérifier si on est toujours sur la même longueur d'onde, commença Jungkook. Je te permets de demeurer au manoir plutôt que de venir chez moi, comme je l'avais initialement prévu pour ta sécurité. J'espère que tu comprends que toute tentative de ta part, que ce soit en alertant les autorités ou tes voisins, ne passerait pas inaperçue. Tu es censé avoir disparu, cette nuit. Ce n'est pas pour...

— Vous souffrez de paranoïa ou quoi ? le coupa-t-il avec un regard acéré, sa poigne se resserrant encore plus sur le cuir de la poignée. Je vous ai déjà dit que j'allais jouer selon vos règles. »

Pour l'instant.

Il désirait s'éloigner, quitter le véhicule et échapper à son ravisseur afin de ne plus être contraint de s'immerger dans ses regards profonds et chargés de multiples énigmes qu'il préférait éviter d'élucider.

Jungkook le fixa de manière plus appuyée, sa mâchoire tressautant.

« Kim, ne te joue pas de moi. J'ai gentiment consenti un arrangement bien que je le considère comme peu avisé et imprudent de ma part. Il est donc normal que je veille sur tes agissements.

— Vous veillez sur mes agissement ? Quel dévouement, cracha-t-il. Peut-être que je devrais vous envoyer un rapport quotidien pour vous rassurer ? »

Les prunelles de Jungkook exprimaient un mélange de lassitude et d'exaspération. Il détourna son regard et consulta brièvement l'heure sur le tableau de bord. Résolu à ne guère s'enliser dans une querelle vaine, laissa échapper un énième soupir.

Ce n'était pas un manque de volonté de provoquer son cadet, mais simplement le poids écrasant de la fatigue qui pesait sur lui.

« Passons, grogna légèrement Jungkook. Je te conseille de faire profil bas, tes voisins auront bientôt écho de ton absence, alors joue le jeu. En ce qui concerne tes amis, tu ne devras plus assister aux cours afin d'éviter tout contact avec eux. Prends également garde à ton frère, au cas où il aurait des intentions hostiles envers toi. Efface-toi autant que possible, ne sors que si c'est pour des besoins de première nécessité. La nuit, tu désactives les lumières automatiques, si ce n'est une pièce sans fenêtre, et tu n'ouvres à personne. »

Taehyung pensa à Yoongi qui lui rendait régulièrement visite et à son « travail ». Il déglutit en prenant conscience qu'il était empêtré dans une situation des plus délicates et, qu'à moins de maintenir une vigilance constante, il risquait de s'attirer les foudres du Jeon.

Le ténébreux leva les yeux vers le manoir et sentit aussitôt une forme de reconnaissance lui titiller le ventre.

Au moins, je peux rester chez moi...

Étonné par cette émotion, il s'empressa de la chasser de son esprit en se rappelant qu'il avait été assigné à résidence par un assassin conciliant aux exigences souples, mais hautement contraignantes. Il n'était même plus sûr de savoir si les actions du Jeon à son égard étaient normales ou s'il lui accordait certains privilèges en vue de sa collaboration pour mettre en échec Seokjin.

Ou parce qu'il connaissait ma famille.

« Il y a un homme et une femme dissimulés autour du manoir. Tu les vois ? », indiqua Jungkook d'un geste subtil du menton.

Ébahi et intrigué, Taehyung tourna aussitôt son regard vers le manoir. Les yeux plissés, il tenta de discerner des silhouettes invisibles.

« Sur le toit et près de la statue », entendit-il.

Il les vit.

« Mais c'est une blague ? », pesta Taehyung, stupéfait.

Deux silhouettes noires dressées en sentinelles chez lui qui auraient échappé à toute détection si Jungkook ne les avait pas désignées avec précision.

Déconcerté, il se tourna vers son aîné, dont le visage impassible dissimulait toute émotion.

« C'est ça, votre surveillance ? siffla le ténébreux. Deux intrus chez moi ?

— Non, c'est du babysitting, rétorqua-t-il avec sarcasme.

— C'est qui ? l'ignora Taehyung, trop préoccupé pour répondre à sa pique. Des gars dangereux comme vous ?

— J'ai dû engager deux mercenaires en urgence. Par chance, ils étaient disponibles, mais un service d'urgence coûte cher.

— Mais j'ai rien demandé ! s'offusqua-t-il. C'est vous qui me faites pas confiance !

— Je ne suis pas un novice pour m'en aller sans assurer une surveillance. »

Taehyung le gratifia d'un regard noir avant de poser ses yeux sur ses nouveaux gardiens.

« Non, mais l'autre sur le toit... grogna-t-il, stupéfait. Déjà, comment ils ont pu entrer ? C'est impossible même en escaladant le portail ! La sécurité du manoir aurait alerté les flics et une alarme serait...

— J'ai momentanément désactivé la sécurité du manoir pour leur permettre d'entrer, se contenta de répondre le blond avec une élégance nonchalante.

— Vous avez quoi ?! hurla-t-il en se tournant vers lui, scandalisé. Vous avez pas le droit ! »

Jungkook se contenta de le fixer, imperturbable, et Taehyung rit nerveusement.

« Écoutez, j'en veux pas, OK ? Putain, des mercenaires, je suis pas un... »

Un clappement de langue agacé emplit l'habitacle.

« Ça commence à bien faire. Tu as voulu rester chez toi, ce qui n'est pas sans conséquence. Sinon, on reviendra à l'idée initiale : que tu séjournes chez moi pendant dix mois.

— Mais oh ! Des mercenaires sont chez moi, vous croyez que je vais me taire ? Vous auriez pu embaucher des gens moins dangereux ! rétorqua aussitôt Taehyung, la voix grondante. Et s'ils décident sur un coup de tête de...

— Kim. Ils ne te feront rien. Il sont sous mes ordres. »

Le plus jeune perçut l'irritation naissante chez le blond à travers la gravité de sa voix et l'éclat acéré de son regard. Son calme vacillait.

« Ah parce que vous les contrôlez avec votre souffle ? Après, oui, c'est connu qu'on peut toujours compter sur la rationalité des mercenaires », grinça Taehyung, ironique et acerbe.

Jungkook prit le temps d'inspirer, puis d'exhaler doucement, la mâchoire tressautant légèrement sous l'effet de l'agacement.

« Moi comme ton tuteur avions déjà fait appel à eux, ils sont excellents. Ils me tiendront au courant de tes déplacements et te suivront comme ton ombre. Ils sont autant chargés de ta surveillance que de ta protection. C'est clair ?

Quoi ? s'écria-t-il aussitôt, hébété. Comment ça Yoongi ? Qu'est-ce qu'un flic...

— Les mercenaires collaborent avec l'État, pour vulgariser, l'interrompit-il.

— Mais... ah bon ? lâcha-t-il, incrédule. Vous aussi ? »

Jungkook dévoila ses fossettes dans un simulacre de sourire avenant, un geste que Taehyung trouva effrayant.

« Je n'agirais jamais en faveur des chiens de l'État », dit-il d'une voix affable.

Pourtant, Taehyung fut pétrifié par ce regard d'une profondeur insondable, où scintillaient mille fragments de ténèbres lugubres.

Taehyung cligna des yeux et déglutit difficilement, figé face à la faible intensité hostile dans la voix du blond.

« Je comprends, j'aime pas le gouvernement, non plus », dit-il d'une voix ténue.

Étrangement, cela eut le pouvoir d'adoucir les prunelles du plus âgé. Ils échangèrent un regard entendu, Jungkook acquiesçant doucement. Taehyung observa de nouveau ses gardes, constatant leur absence, certainement dispersés dans la propriété pour poursuivre leur tâche.

« Tant que je reste chez moi... capitula Taehyung, acceptant à demi-mot la présence de ces mercenaires, les yeux mélancoliques braqués sur le manoir éclairé par des lumières de veille.

— C'est ainsi que tu l'as souhaité.

— Oui, j'ai compris, j'assume et bla-bla-bla, grommela Taehyung, las.

— Bien. »

Au temple, lorsque le blond lui avait dévoilé qu'il allait vivre chez lui, Taehyung avait farouchement décliné pour, à la place, formuler deux requêtes : revoir Jimin dont l'éloignement lui pesait et demeurer au manoir, son refuge.

L'ampleur de ces requêtes avait été telle que les yeux de Taehyung empreints de colère et de larmes s'étaient intensément fixés sur ceux incrédules de Jungkook. Ces sollicitations menaçaient dangereusement son plan, surtout le jeune Kim.

Jungkook n'avait pu ignorer la puissance de ce regard. Surtout vis-à-vis de ses propres remords et son désir de soulager un tant soit peu sa conscience.

C'était constamment cette pensée qui le troublait et le motivait à prendre des décisions en faveur de son captif.

Le passé... quelle faiblesse. J'aurais volontiers fait sans.

Bien qu'il fût conscient des périls que cette décision comportait, il l'accepta, regrettant aussitôt sa complaisance. Mais Taehyung lui avait offert un premier sourire, contrit, faible, douloureux. Reconnaissant. Avant de pleurer en silence et crouler sous la fatigue, tandis que Jungkook l'observait, navré.

« On a fini ? », souffla Taehyung en le sortant de ses pensées, se tournant avant de s'acharner sur la poignée, attendant que la voiture se fasse déverrouiller.

Une poigne ferme agrippa son avant-bras pour le retourner de force.

« Ne casse pas ma voiture et je n'ai pas fini », lâcha sombrement Jungkook.

Taehyung réagit immédiatement, se libérant abruptement de la poigne forte qui le retenait. Son regard courroucé se figea sur Jungkook, son cou traversé de veines palpitantes, révélant la bataille intérieure pour contenir un flot d'invectives sous le poids de la colère.

Cette expression ne fit qu'effleurer Jungkook, qui répondit par un regard agacé. Épuisé par cette nuit interminable, les nerfs à vif, son esprit tourmenté par mille pensées tumultueuses, il ne prononça pas un mot.

Le silence s'installa entre eux, laissant place à un duel silencieux, leurs regards s'accrochant avec une intensité déraisonnable, encore une fois.

Jungkook fut le premier à réagir, rompant ainsi l'étrange atmosphère.

« Demain, je te retrouve devant ta fac. Je t'attends tôt. Poste-toi à l'abri des frondaisons du parc adjacent et tu m'y attends, je passerai à huit heures moins vingt. Je vérifierai le contenu de l'enveloppe que tu glisseras ensuite dans la boîte aux lettres extérieure en expliquant les raisons de ton absence pour une durée indéterminée. Ça devrait dissiper tout soupçon qui pourrait peser sur toi si jamais tes amis venaient à évoquer ton absence subite. »

Taehyung se crispa en constatant les mesures prudentes que le Jeon prenait pour maquiller son enlèvement.

Jungkook se tut tandis qu'il se penchait vers le petit coffre situé devant le siège passager qu'il déverrouilla. Il en retira une enveloppe blanche, sous le regard à la fois épuisé et intrigué du ténébreux. Il était étonné de ne pas y découvrir d'arme dissimulée, mais simplement trois paquets de cigarettes, un chargeur de téléphone et de nombreux documents soigneusement rangés.

« Voici le modèle. Tu le retranscriras au propre avant demain matin. Le contenu de cette lettre est simple : tu es contraint de t'absenter pour une raison de santé et que tu leur enverras un certificat médical le lendemain. Je te le fournirai tamponné et signé dans la journée, je n'ai pas encore eu le temps de l'imprimer », articula-t-il d'une éloquence parfaitement claire et limpide.

Taehyung se contenta de le fixer, intégrant les informations sans le moindre problème. Constatant que le jeune Kim ne manifestait aucune réaction et ne prenait pas l'enveloppe qu'il lui tendait, Jungkook passa sa langue contre l'intérieur de sa joue, son irritation grandissante.

« Kim. Est-ce que c'est clair ? », s'enquit-il d'un ton péremptoire.

Taehyung le fixa avec un regard d'une intensité presque hostile, les muscles de sa mâchoire tressautant avant qu'il lui arrache l'enveloppe des mains. Là où Jungkook aurait pu en tirer un amusement, il éprouva plutôt un sentiment désagréable.

En cet instant précis, il n'aima pas son regard.

« J'ai dit : est-ce que c'est clair ? », répéta-t-il d'une voix plus sombre et plus profonde en s'inclinant vers Taehyung.

Il rapprocha leur visage, un bras sur le volant et l'autre sur l'appuie-tête côté passager. Taehyung se sentit encerclé, son malaise augmentant.

« Reculez, putain... siffla Taehyung, les dents serrées, légèrement penché en arrière.

— Ce n'est pas la réponse que j'attends, dit-il sans accéder à sa demande.

— Oui, c'est bon ! répliqua-t-il sèchement. Maintenant, si vous pouvez arrêter d'envahir mon espace vi...

— C'est pour ta sécurité, tu en es conscient ? l'interrompit-il, sérieux, son souffle caressant le visage de son vis-à-vis, tant il était proche.

— Ma sécurité ? Épargnez-moi vos excuses bidon, grogna Taehyung en détournant le regard sur la feuille, refusant de plonger et de lire le reflet de ses propres émois dans celui du blond.

— Et si tu tentes de glisser un autre courrier, je le saurai également, poursuivit-il en l'ignorant, tandis qu'il se redressa. Sans parler des gardiens que je t'ai affectés, j'ai des yeux partout, je suis capable de tout vérifier. »

En silence, Taehyung releva la tête de sa lecture et plongea des yeux agacés dans ceux calmes et sérieux.

« Kim. J'apprécierais une réponse », soupira-t-il, de plus en plus las, son expression se lissant sous la fatigue.

Taehyung le perçut et en fut un instant perturbé, l'intensité de son regard s'adoucit également, bien que ses sourcils restèrent froncés.

Pour seule réponse, il consentit à hausser les épaules.

« Bien. Va, maintenant », dit-il d'une voix basse en s'enfonçant nonchalamment dans son siège dans un doux crissement du cuir.

Il détourna son regard du jeune homme et mit le moteur en marche, plaçant l'intérieur de son poignet gauche sur le volant et sa paume droite sur le levier de vitesse, prêt à s'en aller.

Taehyung répondit immédiatement à la demande, les mouvements nerveux, hâtifs, les yeux intensément fixés sur Jungkook. Il ne supportait pas l'ascendant qu'exerçait aisément sur lui, mais il ne pouvait guère contrôler son corps, contraint de lui obéir.

Cet homme lui insufflait toujours une légère crainte autant qu'il l'agaçait.

Et il l'intriguait autant qu'il le répugnait.

Puis Taehyung ne supportait pas ces contradictions qui bataillaient en lui. Il était censé le haïr beaucoup plus que cela parce qu'il venait bouleverser sa propre existence, tout cela sans la moindre once de culpabilité, ou presque.

Surtout parce qu'il l'utilisait pour traquer son frère.

Comme si j'allais le laisser faire.

Détachant son regard de ce profil parfait, le ténébreux se retourna promptement et manœuvra la poignée qui ne céda pas.

« La porte », grogna-t-il, faiblement.

Jungkook battit simplement des cils et la déverrouilla sans un mot, sans un regard de plus, voyant son cadet se lever dans sa vision périphérique.

La portière claqua vivement à tel point que la voiture remua légèrement, agaçant Jungkook qui pivota vivement la tête vers lui, tombant sur son dos, à l'extérieur. Son visage se crispa sous la contrariété avant de perdre toute trace d'émotion, lorsque Taehyung fut assez loin.

Et qu'il le vit.

Le manoir.

Jusque-là, il avait réussi à s'interdire d'y poser le regard. Il venait d'échouer lamentablement.

Inévitablement, ses yeux furent irrésistiblement happés par l'architecture de cette somptueuse demeure. Il avait une connaissance intime des espaces intérieurs, chaque pièce lui étant familière. Ce manoir était porteur d'une histoire dans laquelle il avait joué un rôle éphémère au cours d'une brève période de sa vie.

Il se remémora l'immensité de cette maison luxueuse.

Il doit s'y sentir si seul...

Il grogna, s'obstinant à ne pas se laisser emporter par la mélancolie, à résister à cette compassion qui semblait s'accrocher à lui chaque fois que Taehyung était concerné.

Il verrouilla son cœur et son esprit, crispant ses mains et sa mâchoire, tandis qu'il ravalait péniblement ses émotions.

Il luttait.

Il démarra en trombe, s'élançant à toute allure, quittant ce lieu chargé de souvenirs anciens sous l'œil du plus jeune qui contemplait la voiture disparaître avec une vélocité fulgurante, le vrombissement du moteur montant dans la quiétude nocturne.

Devant le portail, dans le calme complet de la nuit avancée, Taehyung laissa libre cours à ses pleurs, exténué, les larmes roulant doucement sur ses joues.

Les étoiles scintillèrent au-dessus de lui, comme pour témoigner de sa peine silencieuse, tandis qu'il se laissait submerger par la tristesse qui avait étreint son âme, sous les yeux attentifs de deux ombres dissimulées.



À l'aube naissante, Taehyung s'était levé avec l'intention de rejoindre l'université, emportant dans ses mains cette lettre d'excuse.

Avant d'y apposer le moindre mot, il avait songé à y glisser une missive secrète, un appel à l'aide. Mais son ravisseur avait surgi dans son esprit. Ce blond d'une minutie sans faille qui ne laisserait aucun détail échapper à son attention implacable.

Sans oublier les deux mercenaires rôdant autour du manoir.

Inévitablement, il s'était ravisé, frustré d'être ainsi pris dans un dilemme, aussi contraint alors que ce Jeon n'était nulle part à proximité. Mais il avait senti son regard perçant vibrer dans l'air, une présence que seule son âme pouvait ressentir.

Et c'eut été hautement agaçant.

Il était néanmoins conscient qu'il se trouvait dans une position délicate. Toute tentative de son côté comportait le risque imminent de voir Seokjin réapparaître à tout moment, malgré les résolutions du blond.

Il voulait éviter de revivre les événements de la nuit précédente et il préférait même ne pas songer au paradoxe de la situation : les frères Kim s'étaient ironiquement unis avec le Jeon pour atteindre leurs objectifs respectifs.

Cela l'avait rendu perplexe.

Indubitablement, une dissonance émanait de cette histoire. Il voulait toucher la faille du doigt, la saisir et l'examiner afin de dévoiler la vérité qui résidait en son sein.

En marchant d'un pas rapide vers l'université, Taehyung était bousculé par ses pensées.

J'ai vraiment passé un marché avec un chasseur de primes pour capturer Jin ?

Comment l'empêcher de s'en prendre à mon frère ?

Mais qu'est-ce que lui a fait Jin pour mériter une telle fin ?

Et si Jin cachait en réalité autre chose et fait tout ça pour me mener à un but précis ?

Depuis son réveil, ces interrogations tournaient inlassablement dans son esprit. La veille, une fatigue accablante l'avait submergé, le précipitant immédiatement dans un sommeil profond dès son entrée dans le manoir. Des larmes avaient ruisselé en abondance sur ses joues et ses tempes, sa poitrine palpitant sous l'emprise de pleurs déchirants.

Puis il s'était endormi à même le canapé, trop accablé pour se soucier des deux gardiens rôdant autour de sa propriété.

Taehyung s'immobilisa sous l'ombre des troncs d'arbres robustes qui ornaient le paisible parc en face de l'université. Il priait pour passer inaperçu, enveloppé dans une écharpe en laine immaculée et drapé d'un élégant manteau beige.

Son anxiété montait en flèche, tandis qu'il redoutait la tournure que prendrait cette journée aux côtés de son ravisseur.

De là où il était, Taehyung pouvait voir les étudiants très matinaux attendre d'ores et déjà l'ouverture de l'établissement. Il savait qu'il ne prendrait pas le risque de croiser ses amis, ayant tous l'habitude d'arriver bien plus tard, surtout si la veille était festive.

Il ne devait pas les croiser et il ne voulait en aucun cas les mêler à ses histoires.

Il se demandait si Hye-Jin, Hoseok et Namjoon relayeraient l'information dans l'espoir de le retrouver, même à une échelle modeste.

Peut-être que Jimin fera quelque chose de son côté. Peut-être qu'ils contacteront Yoongi.

Mais c'était vain, il le savait. La lettre qu'il s'apprêtait à poster, sans parler de la preuve médicale, allaient anéantir leurs efforts. Il plaçait son maigre espoir en Jimin pour maintenir le silence.

En inhalant profondément, il s'efforça de refréner ses pensées excessives, prévenant toute défaillance face à ses émotions débordantes. Il était las de sombrer dans la colère, de réprimer sans relâche la boule qui se formait dans sa gorge, de faire face aux palpitations affolées de son cœur et d'endurer l'angoisse lancinante nichée au plus profond de ses entrailles.

Il refusait de penser à la fatalité qui s'était abattue sur lui et aux nombreuses révélations qu'il avait apprises pas plus tard qu'hier. Ces réflexions tournoyaient dans son esprit tel un vinyle éraflé, lui causant à la fois préjudice et contrariété, car dépourvu des réponses à ses multiples interrogations, et plongé dans un profond désarroi.

Cependant, un profond malaise l'assaillit lorsque, encore, la question de prendre également des vies lui traversa de nouveau l'esprit.

Il frissonna d'horreur.

Jusqu'à ce qu'une voix soudaine le tire brusquement de ses pensées lugubres.

« Je m'attendais à une rébellion. »

Taehyung sursauta légèrement au timbre à la fois doux et rugueux de la voix. Avait-il été si plongé dans ses pensées moroses au point de ne pas l'avoir entendu approcher ? Ni senti ?

Il pivota lentement, son cœur palpitant sous le poids de l'appréhension. Il éprouvait pourtant une forme particulière d'excitation. Il ignorait la véritable raison de cette poussée d'adrénaline. Tout ce dont il était conscient, c'était de la façon dont son corps était crispé sous le poids de la crainte.

Son regard retrouva instantanément celui de Jungkook, mais fut captivé par des scintillements délicats reflétant la lueur de l'aurore. Un anneau d'argent ornementait le septum nasal du blond, un bijou singulier, une lueur rebelle dans cette aube paisible.

Prisonnier de son propre regard curieux, Taehyung ignorait que ses yeux scrutateurs pourraient troubler son aîné.

Même s'ils faisaient sensiblement la même taille, Taehyung se sentait écrasé devant autant de prestance. Hier, ils avaient été réunis dans un temple à la lueur douce et apaisante des bougies et de la lune, mais sous la lumière du jour, Jungkook lui paraissait différent.

Toujours aussi magnétique et énigmatique, mais moins menaçant.

Il avisa son long manteau noir ouvert sur un pull bleu pâle, sa posture à la fois droite et nonchalante, les mains enfouies dans les poches de son jean bleu foncé, une écharpe bordeaux entourant son cou.

Le ténébreux battit doucement des cils.

À la vue du Jeon paré de la sorte, sa chevelure blonde caressée par la brise, il ne se sentit plus en présence d'un meurtrier. Devant lui se dessinaient un visage épuré, des sourcils non froncés, un homme qui ne cherchait plus à le troubler ou à le provoquer, mais qui offrait un regard neutre et calme.

Il n'apercevait plus la tempête qui avait dansé toute la nuit dans ses orbes, telle une compagne fidèle dans laquelle le blond s'était enfoncé, la veille.

Jungkook refrénait un sourire et résistait à l'envie de hausser un sourcil alors qu'il se sentait scrupuleusement observé sous tous les angles. Son captif le contemplait toujours, les yeux brillants, mais les sourcils froncés.

Comme s'il était ensorcelé par sa présence tout en la repoussant.

Jungkook ne mentirait pas s'il avouait qu'il l'examinait de la même manière, superposant le doux visage d'enfant du passé à celui, plus mature, du présent.

« Tu es ponctuel. C'est bien », le congratula Jungkook d'une voix nonchalante.

Il espérait dissiper cette étrange aura qui semblait figer le temps lui-même.

Tel un rêveur éveillé, Taehyung papillonna des paupières, regagnant le monde tangible. Il s'éclaircit la voix, nerveux. Venait-il de lorgner cet assassin irritant et détestable ? Son maître chanteur, qui plus est ?

Secouant la tête, il tenta de réorganiser ses pensées, priant pour que le plus âgé oublie cet instant qu'il jugeait impromptu et troublant.

« On peut pas en dire autant de vous », marmonna-t-il, dans le but d'occulter son embarras et son appréhension.

Jungkook haussa un sourcil tandis que Taehyung dardait encore ses grandes prunelles sur son visage, et ne manqua pas les ridules au coin de ses yeux ainsi que l'éclat léger qui animait les perles noires du Jeon.

« Et de surcroît en forme, de mieux en mieux. Je suis arrivé en avance pour te surveiller. Maintenant, l'enveloppe », exigea-t-il, tendant sa main gantée de cuir noir vers Taehyung qui fronça les sourcils en réponse à ses propos.

Il refrénait avec une grande maîtrise l'envie de proférer une réflexion mordante tout en lui remettant son bien. Jungkook prit son temps pour le récupérer, plongeant son regard dans le sien pour le scruter avec une finesse intimidante.

Une technique qui lui permettait de discerner si Taehyung avait entrepris quelque chose en son absence, bien qu'il l'eût observé attentivement de loin, dissimulé dans sa voiture aux vitres teintées.

Lorsque l'enveloppe ouverte fut entre ses mains, Jungkook en ressortit la feuille et la déplia, sans quitter les orbes à la fois nerveux et un brin agacés du ténébreux. Les yeux légèrement plissés, il en parcourut attentivement le contenu, satisfait en reconnaissant ses propres mots.

Il ne put s'empêcher d'esquisser un fin rictus en pensant que la jolie écriture de Taehyung était assez chaotique et que la feuille était légèrement froissée.

Il supposa qu'il avait dû la rédiger dans un état de contrariété certaine.

Taehyung s'était inconsciemment retenu de respirer. Il ne put dévier ses prunelles de son expression fermée et concentrée. Il respira de nouveau lorsqu'il le vit esquisser ce sourire presque invisible avant de hocher la tête avant de la relever, verrouillant de nouveau son regard dans le sien.

Avec une tranquillité presque hypnotique et sans le quitter des yeux, Jungkook plia délicatement la lettre et la glissa soigneusement dans l'enveloppe. Il retira la protection de la bande d'adhésif, l'humidifia de sa langue – grimaçant légèrement – et scella l'enveloppe.

Le tout, sans dévier une seule fois son regard.

Puis, il la tendit au ténébreux avec une lenteur délibérée, qui la récupéra d'un geste agacé.

« Je vais m'assurer que tu ne caches rien dans tes poches, le prévint Jungkook sans esquisser le moindre mouvement.

— Vous me toucherez pas, cingla Taehyung, craignant tout contact avec lui en se retenant fortement de reculer d'un pas.

— Palper un gamin n'est pas dans mes projets. Ôte ton manteau, soupira-t-il.

— C'est pas possible d'être aussi... », pesta le plus jeune sans terminer sa phrase tout en se dévêtant avant de lui jeter son bien.

Jungkook le réceptionna habilement et calmement après l'avoir longuement fixé jusqu'à le troubler, bien que Taehyung ne détournât guère les yeux, trop fier pour s'avouer vaincu.

Tout en maintenant un contact visuel inébranlable, Jungkook refréna son amusement pour maintenir une expression sérieuse appropriée à la situation. Avec une grande minutie, il inspecta méticuleusement chaque poche du manteau avant de le garder, ignorant les effluves aux senteurs douces qu'il trouvait fort plaisantes émanant du tissu qu'il tenait entre ses mains.

Dans la brume parfumée qui émanait de Taehyung, il perçut soudain l'arôme familier de l'encens d'Eun-Ae.

Son cœur fit un bond douloureux.

Il aurait reconnu cette fragrance parmi des milliers.

C'était une senteur qui avait bercé ses jeunes années, un parfum évanoui dans les méandres de sa mémoire et qui, maintenant, ressurgissait avec une force troublante.

« Vide tes poches.

— Non, désolé, j'ai oublié que mes secrets étaient là-dedans, pas dans ma tête, persifla-t-il.

— Kim.

— Ou alors, non. J'y cache sûrement le remède contre la bêtise humaine.

Kim, gronda-t-il doucement, s'empêchant de s'esclaffer.

— Quoi.

— Tes poches, réitéra-t-il, imperturbable.

— Bon, c'est bon là ! Vous trouvez pas que vous abusez ? clama Taehyung, la mine offensée. Vous vous attendez à quoi ? Que je cache un canif, peut-être ?

— Tu en caches un ?

— Non ! s'écria-t-il, outré et irrité. Tes potes m'ont fouillé ! J'en ai déjà marre.

— Tu regrettes ta condition ? Tu aspires finalement à partager mon foyer ? », le taquina-t-il.

Jungkook s'humecta les lèvres, s'abandonnant à un amusement non feint.

« Plutôt crever ! s'exclama-t-il.

— C'est regrettable, dit-il en réprimant un rictus. Et obéis quand je te demande quelque chose, le temps nous presse », déclara-t-il avec une douce autorité.

Taehyung se retint de l'invectiver d'injures et obtempéra, de mauvaise foi, sans oublier de lâcher un râle hérissé.

« Tes poches arrière, ajouta-t-il, intérieurement amusé de le voir s'y plier tout en dardant sur lui un regard noir.

— C'est bon, là ? Ou faut-il que je me déshabille pour votre inspection ? s'emporta le plus jeune, exaspéré de devoir se soumettre à ses ordres. Pas question que je me laisse tripoter comme un...

— Rhabille-toi », le coupa-t-il en lui tendant son manteau, les yeux légèrement rieurs.

Taehyung s'empressa de lui prendre des mains, mais Jungkook, déterminé à le faire sortir de ses gonds, retint fermement le manteau, défiant Taehyung du regard. Surpris par cette résistance, Taehyung s'arrêta net, leurs yeux se plongeant dans un échange silencieux.

« La colère ne mène nulle part », dit le blond avec calme.

Avec un soupir d'exaspération, Taehyung lui arracha son bien avec un léger grognement. Il se vêtit rapidement, le froid s'infiltrant aisément à travers les mailles de son pull couleur crème.

« Facile à dire quand vous avez pas mon niveau de patience. Vous avez la première place de la liste des choses qui m'énervent, aujourd'hui », pesta-t-il.

Avec un fin rictus, Jungkook acquiesça comme s'il comprenait parfaitement la réaction de Taehyung, mais choisit de ne pas s'engager dans un débat, bien qu'il savoura silencieusement ses reparties cinglantes aussi recherchées que sophistiquées.

« Bien, je t'attends, lui dicta-t-il en montrant la boîte aux lettres externe de l'université du menton. Tu as une minute pour la glisser. Pas une de plus. »

Avec un soupir irrité, Taehyung retint le flot de commentaires acerbes qui menaçait de jaillir de ses lèvres contre celui pour qui il nourrissait une belle aversion.

Lui et ses ordres à la con.

« Rien à foutre de votre minute. Je suis pas à votre service », cingla-t-il.

Espèce de tyran à deux sous de merde.

Un souffle rieur lui répondit, éveillant son agacement. Le ténébreux lui lança un dernier regard noir, exaspéré par cette moquerie persistante.

Il exécrait cette manière qu'il avait de le dévisager, comme s'il se nourrissait de chacune de ses réactions. La sérénité insolente du Jeon, en contraste cruel avec la tempête de rage qui grondait en lui, lui donnait envie de hurler jusqu'à déchirer le ciel.

Il pivota, se dirigea lentement vers la boîte aux lettres, prolongeant sa marche par rébellion et mauvaise foi.

Devant la boîte bleue, il hésita un instant, puis y glissa finalement l'enveloppe, le cœur lourd, et les yeux admirant la bâtisse dans laquelle il avait les meilleurs souvenirs.

Jungkook songeait à la remarquable personnalité de ce jeune Kim, conscient de la fierté qui l'accompagnait et qui, sans aucun doute, serait un défi à surmonter. Lorsque Taehyung fut de retour avec son regard hostile, l'expression de Jungkook se fit cette fois légèrement blasée, bien que toujours un brin amusé.

« Je crains que me regarder ainsi ne change rien à ta situation.

— Et vous croyez que votre remarque va la changer, peut-être ? », rétorqua-t-il, aussitôt.

Jungkook soupira en fermant les yeux, légèrement dépité.

« La foule commence à croître, éluda Jungkook en relevant la tête. On y va.

— Vous m'emmenez où ? s'enquit Taehyung, sur ses gardes.

— Chez moi. »

Taehyung plissa les yeux, comme s'il voulait sonder les profondeurs de son âme.

« Pour quoi faire ?

— Discuter en toute confidentialité, le rassura-t-il aussitôt. Puis tu dois récupérer le certificat médical falsifié.

— On n'a pas assez discuté, hier ? Et vous avez pas pu m'apporter le certificat ? rouspéta-t-il.

— Je n'ai toujours pas eu le temps de l'imprimer, répondit-il en ignorant la question précédente. Et il te faut te familiariser avec l'endroit que tu fréquenteras assidûment chaque jour. »

Puisque tu t'y entraîneras et recevras tes ordres de mission.

Taehyung émit un clappement irrité de la langue.

« Dites simplement que vous voulez garder un œil sur moi, ce serait plus simple.

— Je ne m'en cache pas, admit Jungkook en dardant sur lui un regard lourd de sens. Garde à l'esprit que ta volonté de rester au manoir complique les choses.

— Alors quoi, vos potes vont me suivre partout où j'irais ? protesta-t-il, agité en pensant au fait d'être suivi alors qu'il irait "travailler".

— Il fallait bien que je me conforme à tes caprices.

— Bah, fallait pas être indulgent. »

L'expression faussement calme, Jungkook se gratta un sourcil, s'efforçant de reléguer au second plan l'irritation suscitée par sa réplique.

Quelle regrettable erreur de ma part d'avoir été clément avec cet emmerdeur.

« Considère que je te témoigne un soupçon de confiance, mais sois vigilant, avertit-il, le visage grave et solennel. À la moindre trahison, tous tes privilèges seront révoqués. J'espère que c'est clair. »

Taehyung battit des paupières. Bien qu'il n'en montrât rien, son angoisse augmenta en même temps que sa surprise apparut en apprenant cette forme de confiance inattendue.

Cet assassin se révélait incontestablement énigmatique, une incarnation même du paradoxe, trop nuancée pour être aisément appréhendée par son esprit. Il était conscient que ce Jeon était loin d'être un novice et qu'il ne confierait jamais une confiance à n'importe qui, même minime, mais Taehyung ne pouvait s'empêcher de remettre en question les véritables intentions de cet homme.

Il est un peu indulgent peut-être parce qu'il a jamais eu l'intention de me tuer ? Ou alors, c'est une ruse pour me faire baisser ma garde. Ou peut-être sa sollicitude vient du souvenir qu'il a de maman, puisqu'il m'a dit la voir en moi.

Taehyung esquissa un sourire en coin, sous le regard suspicieux de son vis-à-vis.

C'est peut-être ça qui joue à mon avantage. Il est plus humain que ce qu'il veut bien montrer, j'en suis presque rassuré.

« Vous me faites presque peur avec votre discours menaçant. Presque.

— Ça suffit. On n'est pas ici pour jouer à qui a le plus de repartie, s'insurgea aussitôt Jungkook d'une voix grondante, légèrement exaspéré.

— Comme vous voulez, Jeon. Mais n'oubliez pas que je sais toujours comment jouer au même jeu, juste au cas où vous auriez besoin d'un rappel. »

Jungkook lâcha un bref rire désabusé, se pinçant l'arête du nez.

Quel impertinent.

« Après toi », l'invita Jungkook avec un soupir, ouvrant le chemin afin que le plus jeune passe devant.

Taehyung roula légèrement des yeux, sachant que ce geste était loin d'être assimilé à une quelconque galanterie. Le Jeon souhaitait le garder un œil sur lui. Il obéit, n'ayant pas l'intention de prendre la fuite et mettre en jeu le risque qu'une balle se loge dans sa jambe.

Dans un grommellement inintelligible, Taehyung ouvrit la marche, suivi de près par Jungkook qui observait subrepticement les alentours.

Les yeux fixés droit devant, Taehyung reconnut le bolide noir garé en double file et s'y dirigea d'un pas rapide et rigide, le plus âgé le suivant plus tranquillement, et s'y installèrent.

Dans un calme absolu, Jungkook les conduit prestement jusqu'à sa résidence pendant que Taehyung se perdait dans ses réflexions. Ses yeux suivaient distraitement le paysage qui défilait devant lui sans véritablement l'apercevoir.

Jungkook envisagea de lui dévoiler l'existence d'un apprentissage sous sa tutelle, et évaluer s'il était disposé à l'entamer ce matin même. Mais un simple coup d'œil suffit à lui faire comprendre que Taehyung demeurait perturbé et tendu.

Il serait peut-être avisé de lui accorder un moment pour retrouver son calme et se préparer mentalement. Il aurait tout le loisir d'aborder le sujet avec lui une fois à l'abri dans son appartement.

Garé dans sa place attitrée dans le parking privatif du complexe dont il était le propriétaire, Jungkook éteignit le moteur et déverrouilla les portes. Se tournant vers le profil immobile de Taehyung, il constata qu'il était toujours emprisonné de ses songes, le menton supporté par sa main, semblant ne pas s'être rendu compte qu'ils étaient arrivés à destination.

Ses yeux étaient vagues, si vides que Jungkook se questionnait sur la profondeur des abysses où l'esprit de Taehyung avait trouvé refuge pour ignorer à ce point le monde qui l'entourait.

Peu étaient ceux capables de cette... déconnexion.

« Kim », l'appela-t-il de sa voix naturellement forte.

Son timbre grave eut le don de faire sortir Taehyung de ses pensées saisissantes. Confus, son regard erra autour de lui, constatant l'absence du doux ronronnement du moteur. Tournant la tête vers Jungkook, ce dernier se contenta de lui lâcher un laconique « Sors » avant de quitter le véhicule.

Taehyung regardait l'imposante structure qui se dressait avec élégance sur sa droite lorsque son observation se retrouva interrompue par un manteau noir et un pull bleu pâle. La portière s'ouvrit et il releva le menton vers Jungkook, ressentant l'angoisse affluer en lui de manière prégnante.

« Allez », le pressa-t-il en lui faisant un signe de tête strict afin qu'il s'exécute.

Taehyung serra la mâchoire et se releva, sortant du véhicule et se planta devant le blond ,le port altier. Jungkook darda sur lui un regard appuyé tandis qu'il refermait la portière, l'air de lui dire « on ne claque pas violemment les portières ». Taehyung fut surpris de comprendre ses propos silencieux et arqua un sourcil narquois, ne s'empêchant guère d'esquisser un sourire goguenard.

Jungkook plissa les yeux et lui fit un signe de tête vers l'entrée du complexe tout en verrouillant sa voiture à distance. Taehyung se mordit l'intérieur de la joue et avança à reculons, scrutant nerveusement les alentours. Il reconnut le riche quartier à quarante minutes du sien.

Ses sens étaient submergés dans une atmosphère de prestige et de raffinement. Il fut enveloppé par un silence doux, interrompu seulement par le murmure lointain des voitures de luxe glissant sur le bitume impeccablement entretenu. Il était enivré par les effluves envoûtants de parfums mêlés et de fleurs exotiques, émanant des jardins somptueux qui encadraient les majestueuses demeures alentour.

L'air était imprégné de cette magie olfactive douce et familière ; le parfum réconfortant du petit-déjeuner et du café fraîchement préparé. La faim lui nouait le ventre, lui rappelant l'angoisse oppressante qui, logée dans sa gorge, l'avait privé de repas, transformant la simple pensée de manger en un acte impossible.

Il fut un instant captivé par l'éclat doré du soleil se reflétant sur les devantures immaculées des bâtiments, ornées de décorations élégantes et de finitions impeccables.

Son regard s'éleva vers l'édifice qui se dressait devant lui. Cette imposante structure s'élançait très haut. Il compta rapidement dix-sept étages. Sa beauté était indéniable. Ses yeux curieux et vifs parcoururent le verre poli de la façade, capturant la lumière du soleil éblouissant qui les incita à se plisser légèrement.

Les détails artistiques s'entrelaçaient, formant des lignes et des ornements élégants, tandis que de vastes baies vitrées baignent l'intérieur de lumière naturelle. Une palette dominée par le blanc conférait à la structure une élégance pure.

L'entrée, encadrée de jardins soigneusement entretenus et de deux fontaines, insufflait à ce luxueux écrin une touche de verdure et de quiétude.

Ayant néanmoins baigné dans le luxe depuis sa tendre enfance, Taehyung fut modérément impressionné. Il tomba sur des lettres blanches en majuscule formant fièrement les mots français « PALAIS D'ICARE » au-dessus de l'entrée.

Il émit un souffle rieur.

« Icare, hein. Son mythe est tragique, mais j'aime bien la leçon qu'il donne sur les dangers de l'orgueil démesuré et ses conséquences dramatiques. »

Taehyung le regarda.

« N'est-ce pas, Jeon ? », ajouta-t-il d'un air faussement innocent.

Le blond saisit l'ambiguïté de ses paroles et se trouva charmé par son esprit vif et intelligent.

« Tu connais donc son histoire ? s'enquit-il, choisissant d'ignorer sa pique et de ne pas relever son impolitesse en n'usant jamais de suffixe pour l'aîné.

— Évidemment, pour qui vous me prenez, grommela-t-il, ses yeux retrouvant la beauté autour de lui.

— Généralement, les jeunes de ton âge ne montrent pas d'intérêt pour les mythes et en tirent rarement des enseignements.

— Bah écoutez, moi, si », marmonna-t-il en haussant négligemment les épaules.

À la fois rieur et dépité, Jungkook secoua légèrement la tête en signe de négation.

« Le temps presse », l'invita-t-il à nouveau.

Taehyung s'avança avec une grâce mesurée, suivi de près par Jungkook, qui avait patiemment observé le plus jeune, ayant constaté à quel point ses prunelles étaient éclatantes d'expressivité.

Après avoir actionné les portes vitrées coulissantes grâce à un bip, le propriétaire des lieux le laissa entrer avant lui. Par simple précaution, il attendit que les portes se verrouillent avant de dépasser son « invité ».

Derrière le blond, Taehyung s'efforçait de dissimuler son émerveillement, mais il fut irrésistiblement captivé par la splendeur du hall joliment orné et épuré.

Tout en marchant derrière Jungkook sur le long et large corridor, son regard tomba sur deux immenses miroirs, tels des portails mystiques, habillant les murs qui les encadraient. Un tapis d'un bleu roi majestueux déroulait son étoffe sous leurs pieds, étouffant leurs pas.

Drapé de nuances immaculées et d'or chatoyant, le plafond était paré de joyaux de décoration, tandis qu'au centre de cette voûte trônait un lustre en cristal impressionnant, semblable à une étoile suspendue, conférant à l'ensemble une aura de royauté enchanteresse.

Par-delà le miroir, Jungkook se surprit à fixer l'éclat fasciné dansant dans les grandes prunelles de Taehyung, absorbées par la magie du lieu. Il sourit en lisant sur ses lèvres un « mais putain » silencieux.

Luttant pour se détourner de cette vision qui le captivait curieusement, il prit un virage à droite, débouchant sur un court couloir portant les boîtes aux lettres des résidents.

Rapidement, il s'empara des quelques enveloppes et fit volte-face, tombant sur Taehyung qui regardait ce qu'il tenait, le visage neutre, refusant de se montrer trop curieux et impressionné devant Jungkook.

Ce dernier fut intérieurement amusé de le voir aussi maître de ses expressions, alors qu'il l'avait surpris en train de s'émerveiller envers le lieu, à son insu.

Son arrogance est amusante et son orgueil démesuré est presque attendrissant.

Il contourna silencieusement Taehyung tout en classant ses courriers et, en moins de cinq pas, le ténébreux découvrit deux lourds et larges paliers gris. Un ascenseur. Jungkook appuya sur le bouton d'appel sans lever le nez de ses missives, mordillant distraitement la peau intérieure de ses lèvres.

Les portes métalliques s'ouvrirent, et Taehyung se figea, surpris par cette soudaine apparition enchanteresse.




𝐴̀ 𝑠𝑢𝑖𝑣𝑟𝑒...







Relu par 

𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤

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