𝐉𝐨𝐮𝐫 𝟐𝟓 : 𝐌𝐢𝐜𝐡𝐚𝐞𝐥 𝐊𝐚𝐢𝐬𝐞𝐫.
𝐋𝐀 𝐑𝐄𝐈𝐍𝐄 𝐑𝐎𝐔𝐆𝐄
𝐌𝐢𝐜𝐡𝐚𝐞𝐥 𝐊𝐚𝐢𝐬𝐞𝐫
𝐗𝐕
Aujourd’hui, le glas sonnera le Coup d’État.
Les soldats de la Reine Rouge forment une mare écarlate autour du château royal. Amassés en une pluie d’armures vermeilles, ils inondent les alentours. Comme si le sang qu’avaient fait couler leurs lames siégeait aujourd’hui à leurs pieds. Il auréole leurs silhouettes d’une funeste légende.
— Vous êtes bien sûre, mon commandant ?
À ma droite, la figure austère de Nanami Kento est rivée en direction du palais. Le dos raide, son regard ferme posé sur la silhouette de la bâtisse, il affiche une expression déterminée. Voire impatiente.
Tout comme moi, cela fait des années qu’il attend la chute de la Reine Rouge.
— Plutôt deux fois qu’une.
Dix ans. Une décennie que la Reine Rouge martyrise son propre peuple.
Il y a un peu moins de temps que cela, Kento Nanami, Eren Jaeger, Petit Jean et Choso se sont réunis pour fonder la Ligue Rouge, un groupe de résistance. Un mois après, je les ai rejoints.
N’ayant pas été présente lors de la signature du traité de fondation, mon nom se perd parmi les leurs. Mais, je fais partie de ce que les nouvelles générations de résistants ont nommé « la vieille des vieilles gardes ».
La première génération de combattants.
— Savourez ce moment, commandant, lance une voix féminine à ma gauche.
Assise sur un cheval similaire au mien, Petit Jean dissimule son visage derrière un foulard comme elle l’a toujours fait. À sa gauche, son fiancé Choso semble ne pas nous écouter, ses yeux ancrés sur l’armée royale nous faisant face, au loin.
La femme tourne la tête vers moi.
— Aujourd’hui et après des années de lutte, nous allons renverser la Reine Rouge. Regardez tous les résistants autour de vous et la maigre armée de la monarque en face. Elle ne fera pas le point.
— Elle dit vrai, résonne une voix, à droite de Nanami. Elle n’a aucune chance de s’en sortir.
Je tourne la tête vers l’homme assis sur le cheval. Les longs cheveux bruns amassés en un chignon dégagent les yeux émeraude d’Eren Jäger.
Ainsi donc, les cinq « vieux de la vieille » sont réunis.
— Ma femme dit vrai, commandant, résonne alors la voix de Choso. Vous devriez savourer ce moment. Après tout…
Il se tourne vers moi.
— …C’est vous qui allez lancer l’attaque qui marquera la fin de la monarchie.
Ma poitrine se gonfle de fierté.
Dans quelques instants, je brandirais mon épée dans le ciel avant de hurler l’ordre le plus important de l'histoire de notre pays. Celui que notre armée de milliers de résistants affronte l’armée considérablement amaigrie de la Reine Rouge.
Dans un sourire, je prends une profonde inspiration. Les mains serrées sur les rênes de mon cheval, je lève le menton quand je regarde l’armée de la reine, à quelques cinquantaines de mètres, nous attendre de pied ferme en bas du château.
Ils ne nous attaquent même pas. Ils savent qu’il est inutile de nous provoquer. Nous viendrons à eux de toute façon.
Nous reprendrons notre royaume.
Alors, prenant une grande inspiration, j’observe les milliers de personnes armées réunies autour de moi.
— CHERS RÉSISTANTS ET RÉSISTANTES !
Les têtes se tournent dans ma direction. Je reconnais quelques visages familiers. Mais, ce qui me frappe surtout est la diversité de cette armée.
Là-bas, ils sont tous pareils. Âgés d’une vingtaine ou trentaine d’années, grands, musclés, masculins… Ici, tout est différent.
Femmes, vieillards, adolescents et mêmes infirmes. Nous n’avons rien organisé. Nous n’avons pas trié une armée sur le volet pour ne garder que les meilleurs. Nous nous sommes contentés de dire que nous allions mener un Coup d'État. Et les civils nous ont rejoints.
Car le peuple, plus que jamais, veut s’émanciper de ce règne de terreur.
— QUI QUE VOUS SOYEZ, NOUS SALUONS VOTRE PRÉSENCE AUJOURD’HUI À NOS CÔTÉS.
Des visages acquiescent.
— APRÈS DES ANNÉES, LA RÉSISTANCE EST AU SEUIL DE LA VICTOIRE. GRÂCE À VOUS, GRÂCE À VOUS TOUS, ELLE A PASSÉ LES DERNIERS MOIS À RÉCUPÉRER DE PLUS EN PLUS DE TERRITOIRE.
En chœur, le peuple crie, levant la main pour marteler mes paroles
— NOUS AVONS TUÉ LES NOBLES QUI VOUS ASSERVISSAIENT ET RÉCUPÉRÉ VOS TERRES, VOTRE ARGENT !
Un cri de victoire collectif retentit.
— NOUS AVONS ASSAINI LES LACS EMPOISONNÉS DONT LA REINE SE SERVAIT POUR VOUS RENDRE MALADE !
À nouveau, ils hurlent.
— NOUS AVONS LUTTÉ CONTRE L'OPPRESSION. NOUS AVONS AFFAIBLI SON ARMÉE.
De plus belle, ils crient.
— ET AUJOURD’HUI, NOUS RENDONS LE POUVOIR À CELUI QUI DOIT RÉELLEMENT LE DÉTENIR ! LE PEUPLE ET LUI SEUL !
Les poings sont levés et les regards, voraces. La population affamée par un règne d'oppression a soif de justice et faim de respect.
Enfin, ils peuvent espérer vivre dans la dignité.
— ALORS, COMME LE DIT SI BIEN CELLE QUI CHUTERA AUJOURD’HUI…
Tous se taisent.
Les souffles se coupent. Les muscles se bandent. Les regards se durcissent. Les genoux fléchissent.
Notre armée est nombreuse et le vent peut être violent. Pourtant, le silence est abyssal, à présent.
Déterminée, je tire mon épée de son fourreau. Le bruit du métal résonne dans la clairière.
La tension est à son comble.
Ma lame pointe vers le ciel, au bout de mon bras tendu.
Distinctement, j’entends le battement de cœur de chacun. Ils forment un concerto que nul n’osait plus faire résonner. Mais aujourd'hui, ce chant est entonné par nos organes vitaux.
L’harmonie de l'insurrection.
Alors, dans un sourire vorace, je prononce ces derniers mots :
— QU’ON LEUR COUPE LA TÊTE !
Les chevaux s’élancent au galop, accompagnés du cri brutal que pousse le peuple. Les résistants courent, des armes de fortune à la main. Dans un beuglement, vestige de multiples souffrances essuyées ces dernières années, le prolétariat fond sur le symbole même de la monarchie.
Loin devant, l’Armée de la reine s’active. Chacun s’empare de son arme, prêt à riposter. Mais cela est peine perdu et ils le savent.
Pendant des années, ils nous ont oppressés. Massacrant les frères des uns, violant les sœurs des autres, emprisonnant les fils, torturant les filles, persécutant les mères, écorchant les pères, harcelant les doyens, tétanisant les doyennes…
Nous étions cinq à la fondation de la Ligue Rouge. Cependant, nous n’avons pas créé la Résistance.
Ils l’ont fait.
Elle l’a fait.
Notre création rime à leur destruction. Elle n'existe que pour ce faire.
Alors, aujourd’hui, la couronne tombera.
♔
Les corps s’échouent sous le poids des armes. Un pêle-mêle de couleurs se fond dans la mare du sang. Le cri du peuple s’élève, aspirant le souffle de la monarchie. Ils s’effondrent les uns après les autres.
L’armée meurt.
— Magnifique, n’est-ce pas ?
Eren se place à côté de moi et regarde à travers la fenêtre du château.
Il y a dix minutes, les portes ont cédé et nous sommes entrés. Les ouvrant à la volée, les cinq fondateurs de la Ligue Rouge ont pénétré le palais royal.
Nous allons chercher la Reine Rouge en personne.
— En effet, je réponds à l’homme. Enfin, ce n’est pas tout cela, mais nous ne sommes pas venus regarder la population tuer l’armée. Nous devons nous attaquer à la grosse tête.
— Une idée d’où elle peut se tenir ?
— Là où jamais vous ne la trouverez, résonne une voix dans notre dos.
D’un même geste, Eren et moi nous tournons.
Personne n'est visible. Les colonnes de rubis se succèdent dans le couloir paré de tableaux en l’honneur de la dynastie de la Reine Rouge. Au plafond, les lustres d’or pendent. Un foisonnement de détails vertigineux constitue ce corridor. Cependant, aucun être humain n’est visible.
Ma paume se pose sur mon épée.
— Oh, attaque-moi, je t’en prie. Je rêverais de t’apprendre comment on manie réellement une arme, retentit à nouveau la voix.
Le brun se tend à ma gauche. Je lui fais signe de s’arrêter au moment où il s'apprête à dégainer son épée.
Un léger sourire étire mes lèvres.
— Le célèbre homme invisible qui suit la reine comme son ombre, je murmure à moi-même, me souvenant des rapports que me dressaient mes espions sur l’entourage de la monarque.
Chacun d’entre eux a d’abord soupçonné une maladie attaquant l’esprit de la dame. Ils racontaient comment, lorsqu’elle s’asseyait sur son trône, elle penchait régulièrement la tête sur le côté pour discuter avec le néant.
Oui. Tous étaient convaincus qu’elle parlait seule.
Cependant, j’ai étudié la magie durant de longues années. Je sais très bien qu'il existe un pouvoir rare, que tous apparentent à des légendes, mais qui est bel et bien réel. Un pouvoir des plus redoutables.
L’invisibilité.
— Lui-même, rit-il doucement de sa voix malicieux. Quelqu’un d’un peu plus remarquable que deux pécores de pacotille s’imaginant pouvoir prendre le dessus sur moi.
La mâchoire d’Eren se contracte. Il sait que le nouveau venu dit vrai.
Nous ne sommes pas en capacité de lutter contre un être invisible.
— Oh, vous avez vaincu l’armée de la reine ? Je suppose que vous pouvez vous lancer des fleurs. Pour des échecs sur pattes comme vous, cela doit être remarquable…
Il rit.
— Mais comprenez que pour des gens réellement talentueux… Cela n’est qu’une broutille. Une peccadille.
Si le brun fulmine, ce n’est pas mon cas. Un léger sourire étire mes lèvres.
Et cela, notre ennemi l’a remarqué.
— Êtes-vous sensible à ma voix ? Est-ce elle qui vous pousse à minauder comme une adolescente amoureuse, commandant ?
Penchant la tête sur le côté, je me contente d’un léger rire.
L’homme invisible… Des années que j’ai compris son existence, que j’argumente qu’il existe et que la reine n’est pas simplement folle. J’ai passé des mois à expliquer qu’elle était saine d'esprit, mais qu’elle comptait à ses côtés un secret des plus dangereux.
Caché. À la vue de tous.
— J’avais raison, je chuchote, satisfaite de ma découverte.
— Il est vrai…
Alors, je ne parviens pas à être vexée.
Qu’importe sa puissance, cet homme ne pourra pas lutter longuement contre une horde de résistants assoiffés de justice. Qu'il le veuille ou non, nous vaincrons.
— Je dois dire que nombreuses ont été les réunions de la résistance auxquelles j'ai assisté grâce à mes capacités… Et, tandis que vous expliquiez à tout le monde que j’existais et que personne ne vous croyait, je vous observais.
À nouveau, il laisse échapper un rire malicieux.
— Oh ! Que c’était frustrant, que c’était grisant ! Vous voir ainsi vous débattre avec cette bande d’imbéciles qui refusait de vous écouter…
Je sens un souffle sur ma nuque. Il est derrière moi.
— …Que vous étiez impressionnante lors de ces réunions, chuchote une voix dans le creux de mon épaule.
Brutalement, je me retourne, brandissant mon épée. Celle-ci fend l’air, ne trouvant aucune chaire à perforer. Seul un rire résonne.
Il m’a évitée.
— Oh ! Bien tenté, mais… loupé !
— Il suffit, tonne Eren entre ses dents serrées. Soit un respectable combattant et montre ton visage.
Je pince les lèvres, dubitative. Attaquer un homme au service de la Reine Rouge sur ses valeurs est… particulièrement inutile. Cela revient à se moquer des bottes terreuses d’un agriculteur.
— Oh, mais c’est qu’il essaye de me faire sortir de mes gongs…, chantonne la voix de son ton malicieux. Les valeurs, ce n’est pas l’angle d’attaque idéal, mon cher. Tu aurais dû écouter le commandant et tu aurais peut-être eu le temps d’étudier mon profil pour mieux me provoquer.
— Évidemment que les valeurs ne sont pas un angle d’attaque pour toi, grommelle Eren dans un regard mauvais. Tu n’en as pas.
— Je préfère ne pas en avoir que de les trahir…
Il s'esclaffe bruyamment.
— …N’est-ce pas, l’anti-bourgeois qui fornique avec une noble ?
— Qu'as-tu dit ? s’insurge aussitôt le brun, sa main se raffermissant sur son épée.
Brandissant ma paume, je lui intime de se taire.
L’homme invisible… Il discute de nous et se moque, et pourtant, il ne nous attaque pas. Il pourrait nous annihiler rapidement, profitant du fait que nous ne le voyons pas, mais il n’en fait rien.
D’ailleurs, cela fait des années qu’il ne fait rien…
La principale raison pour laquelle les résistants réfutent l’hypothèse de son existence est que cela ne fait pas vraiment sens… Comment un homme qui est capable de disparaître et d'écouter les conversations qu’il souhaite, se rendre dans n’importe quel lieu, n’en aurait pas profité pour cerner les profils de chaque résistant et les tuer, une fois seul avec eux ?
La Ligue Rouge aurait disparu aussi vite qu’elle est apparue.
J’entends toutefois qu’il nous connaît. Il dit avoir assisté à des réunions et connaît nos prénoms ainsi que nos grades…
— Pourquoi es-tu resté aux côtés de la reine, durant toutes ces années ? je demande soudain, mes sourcils se fronçant.
— Quelle question ! Pour le pouvoir !
Je remue la tête de droite à gauche, suspicieuse.
— Je n’en suis pas certaine… Sinon, tu aurais tout fait pour protéger ce pouvoir et la monarchie. Après tout, sans la monarchie, tu perds ton statut. Pourtant, tu n’as strictement rien fait contre nous. Jamais.
Eren se détend, réalisant que je dis vrai.
Assurément, l’homme invisible a une autre motivation. Il n’est pas l’allié de la reine. Il n’aurait sinon jamais laissé le peuple aller jusque devant le château.
— La vérité c’est que tu n’as pas du tout l’intention de protéger la reine, je déclare en fronçant les sourcils. Ou plutôt, tu te fiches de la garder au trône…
Soudain, quelque chose change dans l’air. Brutalement, il devient plus froid. L’atmosphère se fait plus légère, mais une énergie chaleureuse qui l’animait à l’instant se dissipe.
Cela signifie qu’une force magique existait, il y a quelques secondes, mais qu’elle s’est évanouie. En d’autres termes, l’homme invisible s’est enfui.
— Il est parti, j’en informe alors Eren.
— Tu as manifestement tapé dans une zone sensible, fait-il remarquer.
J'acquiesce doucement.
— Ce gars-là a l'air d’en cacher un rayon sur sa relation avec la reine…
Pour toute réponse, le brun éclate d’un rire froid :
— On s’en fout. Elle sera morte dans une heure, de toute façon.
Je ne peux m’empêcher de sourire quand j’acquiesce.
— Allons-y, je chuchote simplement.
Là-dessus, Eren et moi prenons les escaliers menant à la salle du trône.
♔
Même face à la mort, elle demeure fière.
Tête haute, la reine ne nous regarde pas. Les bras échoués sur les accoudoirs de son trône, ses yeux rivés devant elle, la femme sourit presque. Dans son dos, les dorures des ornements de son siège grimpent, formant une auréole précieuse autour de sa silhouette.
Choso. Kento. Petit Jean. Eren. Moi.
Jaillissant parmi les colonnes, nous approchons lentement. Armes à la main, le regard droit, nous nous refermons sur elle à la manière d’un cercle létal.
Des hyènes guettant leurs proies.
Pourtant, elle ne bouge pas. Digne, jusque dans ses ultimes instants, elle n’affiche qu'un rictus énigmatique. Sans un regard pour nous. Sans un regard pour le peuple.
Comme elle l’a toujours fait.
— Même jusqu'à la fin, vous ne nous témoignerez que du mépris, prononce soudainement Petit Jean, la main solidement fermée sur sa hache.
Le sourire de la reine croît.
À sa main, une coupe brille. Elle la porte à ses lèvres rouges, buvant une gorgée de vin. Un ultime breuvage pour saluer son trépas.
— Moi non plus, tu ne me salues pas ? demande soudainement Nanami.
À peine perceptible, un spasme parcourt le visage de la reine. Il se crispe un instant, si fugace que je ne le vois presque pas.
La colère de la trahison.
Durant des années, Kento Nanami s’est fait passer pour son bras droit avant de la trahir. Après cela, démunie, elle s’est tournée vers le seul autre homme qui pouvait lui venir en aide, son dernier allié. Un certain Barbe-Bleue.
Mais la femme de ce dernier l’a empoisonné avant de fuir avec son amant.
Elle est seule. Du moins, nous le croyons.
Soudainement, l’air s’échauffe. Un brin de malice allume le regard de la reine. Il est là.
L’homme invisible l’a rejoint.
— Inutile de sourire, Votre Majesté, je chuchote calmement, aucune expression n’étirant mes traits. Si nous sommes arrivés jusqu' ici, c’est bien que nous n’avons pas peur de mourir.
Son sourire fane quelque peu.
— Je crois que vous ne réalisez pas que, quoi qu’il nous en coûte, même si un seul parmi nous ne tient pas assez longtemps pour le faire, on vous tuera.
Enfin, elle daigne tourner la tête.
Ses yeux se posent vers moi. Noires comme les profondeurs de l’abyssal cachot dans lequel s’est engouffrée notre démocratie.
— Vous ne survivrez pas aujourd’hui, Votre Majesté, je murmure d’une voix douce, presque empathique. Est-ce que vous l’avez compris, au moins ?
Il n’y a aucun jugement dans ma voix. Aucun ton moqueur.
Je ne ressemble qu’à une femme se penchant sur le lit de mort d’une agonisante âme. Les sourcils froncés, la mine soucieuse, je l’interroge avec douceur.
— Je… Si ça vous fait plaisir de le croire, rétorque-t-elle en secouant la tête dans une moue hautaine.
Cette conversation ne mène à rien.
— Trêve de bavardages, résonne soudain la voix de Choso.
D’un même geste, nous acquiesçons. Nos mains se resserrent sur nos armes tandis que nos genoux fléchissent. Parés, nous bandons nos muscles.
— Qu’on lui coupe la tête.
Eren est le premier à s’élancer. Une force agrippe alors son bras, repoussant violemment son coup. Il tente bien de lutter, mais sa tête bascule soudain en arrière et du sang jaillit de son nez.
Qu’à cela ne tienne, Chosa glisse entre ses jambes, un couteau entre ses dents. Mais il n’a pas le temps d’approcher à moins d’un pas le trône. Immédiatement, une force cogne sa tête, la sonnant.
Petit Jean saute par-dessus son corps, un cri rageur franchissant ses lèvres. Mais elle est soudain projetée sur le côté dans un hurlement de douleur. Aussitôt, Choso abandonne le combat, se précipitant sur elle.
Seuls Nanami et moi n’avons pas bougé. Et nous savons précisément pour quelle raison.
Soudain, le rire de la reine résonne. Narquois, il s’élève et vient cogner contre la surface des colonnes, provocateur.
— Je vous l’avais dit ! Vous ne me tuerez pas… Qu’importe votre armée. Il est trop fort. Il vous arrêtera. Comme il vient de le faire.
Se penchant en avant, elle nous gratifie d’un regard mauvais.
— Toi, le traître, crache-t-elle à l’intention de Nanami avant de se tourner vers moi. Et toi, la peureuse qui se cache dans l’ombre des quatre autres.
Ses yeux s’écarquillent, injectés de sang. Je remarque alors les cernes violacés sous son regard et ses expressions exagérément marquées.
Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans l’allure qu’a cette femme. L’ivresse du pouvoir a marqué indéniablement ses traits. Inhibant chaque notion du contrôle, elle l’a complètement déséquilibrée sans qu'elle ne s’en aperçoive.
Par exemple, elle n’a pas compris qu’elle était sur le point de chuter. Soit, Choso, petit Jean et Eren sont sonnés.
Mais Nanami et moi sommes encore debout.
— Oui, je te connais ! s’exclame-t-elle en me regardant dans un rire tremblant. Tu te croyais cachée, mais je sais qui tu es ! Il me l'a dit ! Il t’a observée toutes ces années ! Il te connait ! Il connait tes faiblesses !
Tapant du pied sur le sol, elle éclate de rire. Sa tête bascule en arrière.
— Vous ne pouvez rien pour moi ! Mon chien est entraîné et sa laisse, détachée !
Penchant la tête, je tilte à cette phrase.
Les quelques paroles échangées avec l’homme invisible m'ont permis de comprendre quelque chose. Il est déséquilibré par son imposant égo. Jamais il ne tolérerait qu’une alliée le qualifie de chien.
Assurément, il n’est pas du côté de la reine. Il se sert d’elle.
— Eh bien, commandant, n’avez-vous rien à me dire ? demande soudainement Nanami dans un rictus énigmatique.
J’en esquisse un à mon tout.
— Si, mais… Je ne voulais pas interrompre Notre Majesté.
Un grognement étouffé retentit quand Eren se retourne sur le dos, tenant son nez. De l’autre côté de la pièce, Choso a ramené la tête de Petit Jean contre sa poitrine et chuchote quelques paroles à son oreille.
— Avez-vous déjà entendu parlé des attaques-essaie de la résistance, Votre Majesté ? je demande soudainement.
Son visage se froisse en une moue méprisante. Je ris doucement.
— Et oui… Vous aimez vous vanter de nous connaitre, mais vous n’avez pas pris la peine de vous pencher réellement sur nos techniques et là a été votre plus grande erreur, ma chère.
Penchant ma tête sur le côté, j'ajoute :
— Enfin, mes chers.
Mon discours s’adresse aussi à l’homme invisible.
— Si vous aviez passé moins de temps à essayer de savoir qui composait les cinq membres fondateurs de la résistance et que vous vous étiez concentré davantage sur la résistance en tant que tel, que vous aviez observé ses techniques… Vous auriez appris que les plus débrouillards, les plus prolifiques, ce sont les moins hauts gradés…
Elle ne comprend pas. Je le vois à son air ennuyé.
— Et oui. À force d’observer les cinq fondateurs qui organisent les attaques, vous n’avez pas inspecté les techniques de ceux qui mènent ces attaques.
Eren, Choso et Petit Jean se sont levés. Mais, ils n’essayent plus d’attaquer.
— Si vous l’aviez fait, vous auriez compris pourquoi seuls trois d’entre nous viennent de vous attaquer et surtout, pourquoi ils ont abandonné si facilement.
Elle se redresse soudainement sur son trône, réalisant que cela devient intéressant et devrait sans doute titiller son attention.
— De quoi parlez-vous ? réagit-elle aussitôt, une pointe d'appréhension perçant sa voix.
— Du fait que je suis observatrice. Mais ça, je suppose que vous le savez, puisque vous m’avez fait surveiller toutes ces années.
Elle doit même connaître mon surnom.
L’Œil.
— Alors ces quelques secondes de combat m’ont suffi à comprendre comment votre… Comment vous dites déjà ? Ah oui ! Votre « chien ». Eh bien, je sais comment votre chien se bat.
Elle se tend sur son siège. Petit Jean, Choso et Eren se sont levés et ont repris leur position initiale. Debout entre chaque colonne.
— Alors maintenant, lorsqu’ils vont vous attaquer, je vous garantis que vous n’allez pas en réchapper.
Ses yeux s’écarquillent. J’esquisse un léger sourire doux avant de déclarer dans une voix infiniment tendre :
— Bonne nuit, Votre Majesté.
Aussitôt, ils se jettent sur elle.
De mon côté, je me rue sur eux.
Ma main file devant le visage d’Eren, repoussant les doigts qui s’apprêtaient à s’enfoncer dans ses yeux. D’un pas de côté, je projette ma jambe dans le vide, expulsant un corps à l’instant où il se refermait autour de Choso. Bondissant par-dessus ce dernier, ma main se referme sur ce qui paraît être rien, mais agrippe quand même des cheveux avant de les tirer en arrière, loin de Petit Jean qui atteint le trône. Et, passant derrière Nanami, je frappe le néant, repoussant le pied qui s’apprêtait à le percuter.
Dans une roulade, je me jette sur le sol. Cependant, sous mes genoux et mes bras ne se trouvent pas la surface dure du carrelage.
Non, quelque chose de mou et chaud se situe entre nous.
Un corps.
Mes fesses sont assises sur le bas d’un dos et mes genoux, posés sur des poignets. Ma main se referme sur une gorge tandis que l’autre pose un couteau sur un cou.
Je ne vois pas l’homme invisible, mais je le sens.
— Votre pouvoir vous a rendu arrogant… Si arrogant que cela vous a précipité vers votre défaite, je ris doucement. Je remarque bien là vos similitudes avec la reine.
Mes yeux se posent d’ailleurs sur elle en entendant son cri de rage.
À genoux, Nanami tient l’un de ses bras. Dans l’exacte même position de l’autre côté, Choso retient l’autre. Derrière, Eren garde les bras croisés, observant la scène se déroulant devant le trône.
Et, devant la monarque à genoux, Petit Jean brandit une épée.
— NON ! hurle l’homme sous moi.
Mais, ma prise est trop forte. Il ne peut pas bouger. Il a beau se débattre, cela est vain.
— LÂCHEZ-LA ! VOUS NE POUVEZ PAS LA TUER !
Seul un rire méprisant lui répond. Petit Jean ne le regarde même pas quand, caressant sa lame de son doigt, elle chuchote :
— Je vais me gêner, tiens…
Mes sourcils se froncent. J’avoue ne pas comprendre celui se tenant sous moi.
De toute évidence, il n’a aucune affection pour la reine. Toutes ces années, il n’a pas cherché à endiguer la résistance. Et, pourtant, aujourd'hui, il ne veut pas la voir mourir. Je peux sentir son cœur battant à tout rompre contre moi.
— NE LA TUEZ PAS !
— C’est drôle, ricane Petit Jean, c’est exactement ce que j’ai dit quand les soldats de la reine ont attaqué un village et pendu une gamine de huit ans qui avait osé les regarder dans les yeux.
Penchant la tête sur le côté, la guerrière observe son reflet dans l’épée.
— Et c’est aussi ce qui m’est venu à l’esprit lorsqu’ils ont lapidé sa mère… Sur les ordres de ta chère reine qui n’avait pas aimé les poèmes caricaturaux que celle-ci avait écrits sur elle.
Tremblante de rage, la reine la fusille du regard. Mais un sourire mauvais étire ses lèvres.
— Et qu’aurais-je pu faire d’autre ? gronde-t-elle méchamment. Cette pécore croyait pouvoir insulter sa monarque ! Il fallait bien que…
— Il ne fallait rien du tout.
Le regard de la reine s'assombrit encore davantage.
— Je vous interdis de me couper la parole.
— Vous m'interdisez ? répète Petit Jean dans un rire.
L'homme panique sous moi. Mais je le maintiens. Mon cœur bat à tout rompre en voyant la guerrière tourner autour de la monarque, tel un lion s’amusant des derniers instants de sa proie.
Interdire quelque chose à Petit Jean… C’est le meilleur moyen qu’elle le fasse.
— Oui ! gronde la reine en s’agitant, aussitôt maîtrisée par Nanami et Choso. Je vous int…
Sa voix meurt aussitôt, avalée par l’épée de la femme qui perfore sa gorge.
Les yeux de la reine s'écarquillent. J’ai le temps de voir le choc allumer son regard un instant. Bref.
Aussitôt, ses yeux se révulsent. La lueur s’éteint dans son regard quand la vie quitte son corps.
Nanami et Choso la relâchent. Petit Jean achève son geste avec force.
La tête de la reine reste quelques instants sur ses épaules avant de tomber dans un bruit sourd sur le sol, juste à côté.
— Qu’on lui coupe la tête, chantonne Petit Jean dans un rire.
Le silence se fait. Abyssal.
Sous moi, l’homme a cessé de se débattre. Chacun de ses muscles s'est tendu et il semble avoir cessé de bouger. Je baisse les yeux, sans trop savoir pour quelle raison.
Un hoquet de stupeur me prend apercevant le corps d’un soldat, sous moi.
Il a levé son invisibilité.
À la manière d’une auréole, ses cheveux d’or traînent autour de son visage fin. D’abord blonds, ils évoluent en une teinte bleutée semblable à du cyanure. Celle-ci contraste avec le trait rouge mercure traversant ses paupières, juste au-dessus de ses cils. Une marque écarlate que je reconnais bien là.
L’homme devant moi… Il porte l’emblème d’un autre groupe de résistants. Un qui a disparu il y a plusieurs années à la mort de son chef.
Un homme qui, selon les légendes, était capable de devenir invisible.
— Michael Kaiser.
Toutes les têtes se tournent vers nous. Les yeux s’écarquillent en apercevant le visage de l’homme qui nous a attaqués, tantôt.
— QU’AVEZ-VOUS FAIT ? hurle-t-il dans un cri effroyable.
Mon cœur bat à tout rompre et je n’ose même pas bouger. Quelque chose dans sa voix se brisant, dans la façon qu’il a de hurler les mots ébranle mes sens jusqu’au plus profond de mon être.
Il ne se débat pas. Il a renoncé. Il ne tente même pas de se relever.
Une larme coule sur sa joue.
— Qu’avez-vous fait ? répète-t-il tandis qu’un hoquet de désespoir l’étreint.
Avec horreur, je me relève. Mes genoux tremblent tandis que je recule, découvrant le visage de l’homme qui a inspiré la Ligue Rouge.
Autour de moi, les silhouettes sont figées.
La Reine Rouge est morte. Pourtant, personne ne rie ou ne festoie. Car, de toute évidence, quelque chose de plus grave encore se profile à l’horizon.
— Qu’avez-vous fait ? répète-t-il à nouveau, ses yeux écarquillés fixant le vide.
Mon regard croise celui de Petit Jean. Nous comprenons immédiatement.
Nous avons gagné cette bataille.
Mais, nous avons perdu la guerre.
♔
— Est-ce une façon de traiter un grand nom de la résistance ? je maugrée, les bras croisés.
Devant moi, une vitre sans teint me permet d’observer Michael Kaiser. Les mains attachées dans le dos, assis sur une chaise et la tête baissée, il ne laisse rien voir de son visage.
Seuls ses longs cheveux dorés se terminant en teinte cyanurée sont visibles. Ils chutent devant lui à la manière d’une ombre… ou d’une lumière.
Rien n’est réellement défini chez lui.
— Grand nom ou pas, l’intégralité de son mouvement est décédée il y a cinq ans et, quand on le recroise, il se trouve à côté de la Reine Rouge. Avouez que c’est curieux, commandant.
Nanami observe lui aussi la silhouette assise. Ses traits émaciés traduisent sa grande fatigue.
Maintenant que la reine est morte, les grands noms de la résistance organisent les prochaines élections démocratiques. Le peuple est en effervescence et la fête bat son plein. Même ici, à l’intérieur du manoir de la Ligue Rouge, nous pouvons entendre les fanfares défilant dans la rue.
Le peuple est heureux, il se détend. Mais tout n’est pas fini. À présent, il nous faut rebâtir une cité plus saine. Un royaume sûr.
Je souris en découvrant le regard affligé de Nanami.
— Vous êtes crevé. Rentrez vous reposer avec votre fiancée. Entre les élections et votre mariage, vous avez pas mal de choses à penser… Je vais m’occuper d’interroger Kaiser.
Un soupir de soulagement traverse les lèvres du blond.
— Vous êtes sûre ?
— Personne ne m’attend à la maison, moi. Mais quelque chose me dit que vous manquez à votre femme. Vous n’êtes pas revenu depuis qu’on a lancé l’assaut sur le château, hier… Sait-elle au moins que vous êtes en vie ?
Il ricane.
— Je vous rassure, je ne suis pas un goujat. Elle en a été informée… Mais j’avoue qu’elle me manque aussi et je ne vais pas vous faire répéter deux fois votre position.
Il sourit.
— Je vais rentrer chez moi, commandant. Merci.
Je souris en retour et le regarde tourner les talons. Mes yeux le suivent tandis qu’il disparaît derrière une porte. Cette dernière se referme et je me tourne vers Michael Kaiser.
Assis sur la chaise, il n’a pas bougé d’un iota. Je l’observe quelques instants.
— À nous deux, je soupire en me dirigeant vers la porte.
Michael Kaiser n’ouvre même pas les yeux lorsque j’entre dans la pièce. À vrai dire, il ne remue pas d’un cil.
Les mains attachées dans le dos, la tête baissée sur sa poitrine, il ne bouge pas. Ses longs cheveux d’or surmontés de mèches cyanurées forment un rideau devant son visage, le dissimulant.
Je m’assois devant lui.
— Michael Kaiser… Ça, c’est un grand nom. On peut dire que j’ai affaire à une sommité.
Il reste statique. Ce n’est pas grave. Des récalcitrants, j’en ai interrogé des centaines. Non. Ce n’est pas ce qui me préoccupe.
Une question bien différente me taraude.
— Pourquoi avoir rejoint l’autre côté ?
Il ne dit rien. Cela ne m'étonne guère.
— La Rose Bleue… Ce n’est pas n’importe quel nom. Tandis que la Reine Rouge peignait les roses blanches de son jardin en rouge, voulant soumettre même la nature à son règne, un nom a émergé. Celui de Rose Bleue.
Il ne réagit toujours pas. Mais, sa respiration se coupe.
— Vous avez fondé ce groupe pour devenir ce que la reine craindrait le plus. Et vous l’avez été.
Un rire franchit mes lèvres :
— C’est clair qu’à la Ligue Rouge, on était plutôt considéré comme des petits joueurs. Le menu fretin, les aimables plaisantins…
Mon sourire se fane doucement.
— …Par rapport à vous, on ne faisait pas le poids.
Posant soudain les coudes sur la table, je joins mes doigts entre eux.
— Vous voyez, c’est exactement ça que je ne comprends pas.
Penchant la tête sur le côté, je le regarde. Je parviens presque à voir son visage, sous sa rangée de cheveux blonds. Mais, il n’a toujours pas bougé.
— Pourquoi avez-vous disparu si soudainement, il y a quelques années ?
Il ne remue pas.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé, monsieur Kaiser ? je murmure avec douceur, tentant de lui montrer que je suis son allié.
Mais, cela est peine perdue.
Il ne réagit pas. Les mains liées dans le dos et la tête baissée, il ne remue pas d’un cil. Fermé comme une huître, il ne manifeste rien. Aucun indice auquel je pourrais raccrocher cet interrogatoire.
Cependant, je me souviens aussi de sa terreur quand la reine a été décapitée. La peur qui a rongé ses entrailles à ce moment-là.
J’ai senti son corps se liquéfier sous le mien.
— Je ne pense pas que vous ayez trahi vos valeurs et rejoint la reine… Non. À vrai dire, je suis sûre que la reine n’était même pas au courant de qui vous étiez. Elle n’aurait jamais engagé le célèbre Michael Kaiser qui a tué ses parents ainsi que son mari, lui interdisant tout espoir de descendance…
La famille de la Reine Rouge avait une notion très précise de ce que devait être la lignée royale. Cette dernière se résumait à leur dynastie. En d’autres termes, la Reine Rouge ne pouvait épouser qu’un homme de sa lignée, de son sang.
Là est la raison pour laquelle Michael Kaiser s’est employé à tous les occire. Afin qu’elle n’ait aucune chance de descendance.
C’est aussi à cette période que la Rose Bleue a disparu. Jamais nous n’avons su ce qu'il s’était passé. Mais, un jour, ils faisaient quotidiennement parler d’eux. Celui d'après, tout n’était plus que silence.
Je croyais que leur chef était mort. Mais, il se tient devant moi.
— Où sont vos frères d'armes, Michael ? je finis par demander, les bras croisés sur ma poitrine.
Il tremble. Un spasme à peine visible. Un mouvement que n'importe quel œil aurait manqué. Seulement, je suis archer à l'origine. Je sais repérer le plus précis point faible.
Et, surtout, je sais taper dedans.
— Ils sont morts, n’est-ce pas ?
Il ne bouge pas. Mais ses muscles se bandent malgré ses liens. Le voyant faire, je glisse une main sous la table, prête à dégainer ma dague et lui perforer la gorge s’il tente de m’attaquer.
Mes doigts se referment sur l’arme à ma cuisse.
— C’est une curieuse façon de leur rendre hommage, si vous voulez mon avis.
— Je m’en tape de votre avis, gronde-t-il soudain d’une voix caverneuse.
— Mais c’est qu’il parle ! je m’exclame dans un rire réjoui.
Je le savais.
Les membres de la Rose Bleue. Nul ne sait ce qui leur est arrivé à part lui.
Voilà son point faible.
— Que s’est-il passé, Michael ? je demande en me laissant choir au fond du siège.
Soudain, deux lumières percent l'ombre planant devant son visage. Malgré l'obscurité que forment ses cheveux dorés tombant sur ses traits, deux lueurs se sont allumées.
Ses yeux bleus. Ils étincellent.
Il utilise son pouvoir.
— Inutile d’utiliser votre pouvoir contre moi, mon cher. Vous êtes doué. Vous étiez un général. Mais… La Ligue Rouge a aussi de bons éléments.
Penchant la tête sur le côté, je souris doucement.
— Vous croyez qu’ils me laisseraient seule avec vous, sinon ?
— Je sais très bien ce que vous valez.
Enfin, il se redresse.
Ses cheveux dorés s’écartent de son visage, dévoilant des traits fins et sévères. Ses yeux d’un bleu mirifique ne brillent plus, se contentant de me fixer avec mépris.
Encore, je remarque la trace rouge ornant le ras de ses cils.
— Voilà pour quelle raison je sais que vous n’avez pas trahi les vôtres, je déclare en montrant son visage.
Haussant le menton, il m’observe avec condescendance.
Malgré ses chaînes, l'allure miteuse de la salle d'interrogatoire austère, il parvient à conserver une surprenante dignité. Il ne s’agit pas là du statut royal auquel il s’est habitué, après tant d’années à servir la reine.
Il y a simplement une noblesse naturelle dans ses mouvements.
— Votre trait… Comment appelle-t-on ça ? Ah oui ! De l'eye-liner… Un eye-liner rouge. L’emblème de la Rose Bleue. Ce petit signe de couleur rappelant la reine et montrant qu’on la combat, jusque dans le regard…
Eye-liner rouge, Ligue Rouge… Nous avons tous emporté un peu d’elle avec nous.
— Vous avez pris soin de le tracer chaque matin alors que vous étiez invisible, que personne ne le voyait. Simplement par dédication… Vous n’allez pas me faire croire que vous avez trahi votre cause.
Ses yeux se baissent. Son menton demeure haut. Mais j'aperçois l’ombre qui plane sur ses traits.
— Vous ne restiez avec la reine que pour une raison… Ai-je tort de penser que cette raison est liée à la disparition des membres de la Rose Bleue ?
Sa mâchoire se contracte. Je me plonge par-dessus la table, l'observant par en dessous.
Et, d’une voix qui se veut douce, je chuchote :
— Michael… Nous sommes les seuls qui puissions vous aider à retrouver les membres de la Rose Bleue, mais pour ça… Vous allez devoir nous expliquer ce qu’il s’est passé.
— Vous ne pouvez plus rien pour eux, crache-t-il d’un ton cassant en me fusillant du regard. Vous avez tué mon unique chance de les retrouver.
La Reine Rouge…
— Nous pouvons toujours trouver un moyen. Ils ne sont pas dans un endroit inaccessible… Enfin, même s'ils le sont, il y a forcément un moyen de…
— Ils sont dans le miroir magique de la reine.
Je me fige. À toute vitesse, il a prononcé ces paroles. Comme s'il laissait échapper des mots devenus trop brûlants pour sa bouche. Il les a crachés avec hargne.
Hébétée, il me faut quelques secondes avant de réaliser que j’ai bien entendu.
Là, je me laisse choir dans le fond de mon siège.
— Alors ? Vous allez toujours me sortir que vous êtes capables d’aller les chercher ?
Baissant les yeux, je ne réponds rien.
Le miroir magique est l'accès à une prison maudite. Là-bas, les créatures les plus sombres et ténébreuses sont enfermées. Parfois, lorsque la Reine Rouge voulait frapper un coup, elle en libérait une sur une population.
Cela fait des années que la résistance cherche cet objet. Afin de le briser.
Je comprends que Michael ait voulu faire cavalier seul. Dans la résistance, certains noms auraient jugé que sauver le plus grand nombre en brisant le miroir était plus important que de l’ouvrir pour aller chercher une cinquantaine de personnes et prendre le risque de délivrer de terribles monstres.
— La clé du miroir…
— Reposait sur un sortilège. Seule la reine pouvait la matérialiser et en tuant la reine sans récupérer la clé, vous les avez condamnés.
Se penchant en avant, il me fusille du regard. Une noirceur habille ses iris tandis qu’il crache, un désespoir creusant sa voix :
— Bordel, vous réalisez ce que vous avez fait !?
Je ne réponds pas.
Mais oui, je le réalise.
♔
Nul parmi la Ligue Rouge n’est d'accord pour libérer Kaiser.
Certains brandissent la dignité du résistant qu'il faut saluer. D’autres craignent la vengeance d’un homme qui a tué et tuera sûrement de niveau. Les avis se heurtent et les débats se multiplient.
Je crois que j’ai arrêté de les écouter dès qu’ils ont commencé.
— Vous allez vous faire gronder par votre hiérarchie.
— Je n’en ai pas. Buvez.
Devant Kaiser se trouve un bol d'hydromel. À la lueur des lampes à huile se balançant au-dessus de nos têtes, nos visages dissimulés par une capuche sont invisibles.
Je ne distingue que ses lèvres fines qui s’articulent lorsqu’il déclare :
— La Ligue Rouge se fout sur la gueule pour savoir s’ils vont m’exécuter et vous m'emmenez faire une promenade ?
Me laissant aller contre la chaise du bar, j’ignore la serveuse qui passe à côté de nous, un plateau garni de bières à la main. Jouant avec une pièce, la faisant tourner entre mes doigts, je réfléchis.
Déjouer les ordres de la Ligue Rouge me coûtera peut-être. Mais Michael a raison. Tout le monde n’est pas prêt à prendre le risque d’ouvrir le miroir. Cependant, nous ne pouvons pas prétendre nous battre pour la liberté et l’humain si nous laissons des gens pourrir dans cette cage atroce.
— Je compte récupérer la clé du miroir et l'ouvrir.
— Mais vous êtes bouchée, ou quoi ? lance Kaiser en arquant un sourcil dédaigneux. Ils sont retenus dans une salle magique. La seule façon de l’ouvrir c’est que la créatrice de la salle matérialise la clé.
La taverne dans laquelle nous nous sommes arrêtés est peu fréquentée. Cependant, nous sommes conscients que nul ne doit entendre la conversation que nous avons.
Alors, même si son ton est animé, Michael chuchote hargneusement :
— Vous avez tué les miens. Rentrez-vous ça dans le crâne et ayez la décence de me libérer, par égard pour la connerie monumentale que vous avez faite
— Elle n’aurait pas été faite si vous aviez parlé de votre plan dès le début. On n'aurait trouvé un moyen, j’objecte aussitôt.
— Arrêtez d'agir comme si l’un des buts premiers de la Ligue Rouge n'était pas de briser ce miroir.
— Et arrêtez d’agir comme si vous ne m’aviez pas espionnée au cours des dernières années. Vous savez qui vous avez en face de vous. Je n’aurais pas laissé ces personnes tomber.
Il ne rétorque rien. Il sait que je dis vrai.
Poussant un soupir, je parviens à me calmer en observant ce qui nous entoure. Les lampes à huile projettent des lueurs orangées sur les surfaces de bois constituant la taverne. Dans l’âtre, un feu brûle, apportant un peu de chaleur et une odeur délicieuse qui s’harmonise avec celle de la nourriture dans l’air. Tout cela me donne faim.
Mais, nous n’allons pas manger. Nous avons autre chose à faire.
— Le miroir magique est une magie ancestrale, je finis par déclarer. La reine en était la propriétaire, mais vous avez tort de penser qu’elle en était la créatrice. L’avez-vous déjà vu faire usage de la magie ?
Se laissant choir au fond du siège, Michael croise les bras. Je ne peux pas voir son expression faciale à cause de sa capuche, mais je devine l'intérêt qui vient de germer dans son regard.
— Continuez.
— Nous avons une chance de trouver la clé du miroir à nouveau. Et cela ne signifie qu’une seule chose…
— …Trouver le véritable créateur, termine-t-il à ma place.
J’acquiesce doucement.
— Et comment on fait un truc pareil ? Je n’ai aucune idée de la façon dont on retrace un artefact, encore plus si on ne l’a pas sous les yeux.
— Et c’est pour cette raison que la Ligue Rouge est plus douée que la Rose bleue.
Pour toute réponse, il laisse filer un rire sombre.
— Pas de grossièreté. Nous avons des chamans.
— Et nous avons Rumplestiltskin.
Il se fige. Ses muscles se contractent et il se redresse.
Un seul nom m’a suffi à happer son attention.
— Le nain tracassin… Il est doué. Mais il ne rend pas service. Toutes les demandes ont un prix avec lui.
— Comme avec vous, n’est-ce pas ? Avant d’intégrer la résistance, vous étiez bien mercenaire ? je fais remarquer, annihilant tout de suite ses envies de protester contre le fonctionnement du sorcier.
Au lieu d’objecter, de me dire qu’il n’est en rien similaire à Rumplestiltskin, ses lèvres s’arquent en un rictus. Je le vois dépasser de sa capuche noire.
— Je vois que vous avez fait des recherches.
— Vous n’avez pas le monopole des enquêtes.
Pour toute réponse, il rit doucement.
— Donc, si je comprends bien, nous allons rencontrer le nain tracassin ici ?
— Je hais ce surnom, résonne soudain une voix derrière moi.
Kaiser lève la tête. Ses yeux se posent sur la silhouette qui vient d'apparaître dans mon dos. Je ne me tourne même pas pour saluer mon vieil ami.
Il s’assit à ma droite. Je fais glisser la bière qui se trouvait devant moi. Elle atterrit devant le nouveau venu qui en avale une gorgée.
— Je me demandais pour quelle raison vous n'y aviez pas touché depuis le début de la soirée, fait remarquer le blond tandis que le sorcier la vide d’une traite.
Tournant la tête, j’observe Rumplestiltskin qui essuie la mousse traînant à la commissure de ses lèvres. Ne voulant lui faire perdre la face, je ne dis rien sur la marque de rouge à lèvres sur son cou.
Cela fait quelques années maintenant qu’il est marié, mais depuis peu, il apparaît avec ce genre d'anomalie à chacun de nos rendez-vous.
— Tu sais que cela ne suffira pas à m’acheter, fait remarquer le sorcier en observant le verre vide.
— Bien évidemment.
Jetant un regard à Kaiser, je le surprends en train de m'observer, moi. Ignorant ce détail, je redirige son attention sur notre invité :
— Kaiser, je te présente Ackerman. Ackerman, je te présente Kaiser.
Ils ne prononcent aucun mot. Pas de formule de politesse, de « ravi de vous rencontrer » ou encore « c’est un honneur ». Non, assurément, je suis bien en face de deux résistants.
Aucune fioriture. Aucun superflu. Simplement les faits.
Immédiats.
— Que pouvez-vous faire pour moi ? lance Kaiser à brûle-pourpoint.
— Cela dépendra de ce que vous êtes en mesure d’accomplir de votre côté.
Levant la main, je temporise aussitôt la conversation.
— Nous n’allons pas commencer à parier de grosses sommes. Nous voulons simplement le nom de la personne qui a fabriqué le miroir. Nous nous débrouillerons après pour le convaincre de no…
— Et bien bonne chance, fait remarquer Ackerman en arquant un sourcil. Parce que vous l’avez en face de vous.
Me tournant vers Kaiser, je croise son regard. Nous n’avons pas besoin de nous parler. Nous savons déjà ce que l'autre pense.
Le plan vient soit de se compliquer, soit de se faciliter. Mais il n’y a pas d'entre-deux.
Soit, Rumplestiltskin est un ami. Et lui saura libérer les otages sans que les monstres ne s’échappent. Cependant, il n’est pas homme à faire des faveurs, et ce même pour ses frères d’armes.
Je tente quand même :
— Je suppose que le fait que nous ayons servi quatre ans ensemble ne suffit pas à te convaincre de faire un beau geste ?
— Un contrat et un contrat. Tu le sais.
Le sorcier pose ses yeux d’acier sur Kaiser, et ce, même si c’est à moi qu’il déclare :
— Notre amitié n’empêche pas mon fonctionnement. Si vous voulez quelque chose de ma part, vous devez m’apporter autre chose.
Mes lèvres se pincent. J’acquiesce doucement tandis que le blond, qui a assez levé sa capuche pour laisser voir son visage, fusille Ackerman du regard.
— Quelle belle notion d’amitié…
Rumplestiltskin ne tique pas à cette remarque.
— Alors, je décide de recentrer la conversation en comprenant qu’elle peut dégénérer, je te connais assez pour savoir que tu ne nous demanderas pas de faire l’impossible…
— L’impossible ? Non…
Le sorcier considère son verre vide.
— Le très dur, en revanche…
Kaiser et moi échangeons un regard.
— Ton prix sera le mien, annonce le blond avec fermeté.
— Voilà tout ce que j’avais besoin d’entendre.
Un geste de la main et Rumplestiltskin fait apparaître un rouleau dans ses mains. Ce dernier se défait, glissant entre ses doigts. La feuille fend l’air, traversé de longues écritures manuscrites à l’encre.
Il la pose sur la table. Nos yeux se braquent aussitôt sur la zone vide, tout en bas.
Celle où l’on scellera le pacte magique.
— Je m’engage à aller moi-même chercher les otages dans le miroir. Vous allez faire un rapide voyage et, dès votre retour, ils vous attendront dans mon château. Ma femme et moi les logerons, les nourrirons.
— Et ce petit voyage, je demande en parcourant rapidement les lignes d’encre. Il a lieu où ?
Ackerman sourit mystérieusement à ma question.
♔
— Une chose est sûre, les bals ne m’avaient pas manqué.
Une douce mélodie entraînante se répercute sur les colonnes de la salle de bal. Sous les lustres de cristaux, par-delà les rideaux ocre et entre les portraits de la famille royale, les silhouettes dansent.
Des corps drapés de toilettes d’or évoluent aux côtés de costumes ivoire. Dans une synchronisation parfaite, les nobles font des rondes tandis que d’autres les regardent, en retrait.
— J'avais oublié que les nobles existaient, je fais remarquer en observant les silhouettes.
— Ici, leur pouvoir est moindre. Vous ne songez tout de même pas à leur couper la tête ? fait remarquer Kaiser dans un rictus provocateur.
Rumpletitskin nous a envoyé au Royaume Blanc. Un fief qui jouxte le Royaume Rouge dont nous venons.
Ici, le roi Fushiguro n’oppresse pas sa population avec la complicité de la noblesse. Ainsi, aucune résistance n’a été créée pour les tuer. Alors, les bals aristocratiques existent encore.
Roulant des épaules, je tente de m'habituer à la sensation de la robe que je porte. Cela faisait des années que je n’avais pas enfilé autre chose qu’une armure.
— De tous les endroits où il pouvait nous envoyer, jamais je n'aurais imaginé qu’il nous aurait fait faire une course ici.
Champs de bataille, montagnes de glace, forêts infestées de créatures magiques ou même prisons de ténèbres… Lorsque Rumpelstiltskin nous a demandé d’aller chercher un livre, je le croyais situé dans des zones bien sombres.
Sûrement pas ici.
— La marraine, qui est aussi la femme du roi, a ensorcelé les frontières de sorte qu’il ne puisse pas y accéder. Évidemment, il aura besoin de quelqu’un d’autre pour s'emparer de ce bouquin, fait remarquer Kaiser, visiblement soulagé que cette mission soit plus calme que ce à quoi nous nous attendions.
Je grogne pour toute réponse. Il rit doucement en m’entendant faire.
— Vous n’aimez pas les bals ? La robe vous va pourtant à ravir. Je ne vous avais jamais vu dedans.
Me retournant, j'aperçois son regard glisser sur ma silhouette. Je prends le soin de l’ignorer, feignant de ne pas remarquer la cadence de mes battements de cœur qui s’accélère.
Cela fait fort longtemps que je n’ai pas été regardée ainsi.
— Je n’aimerais pas qu’on se démarque, surtout compte tenu du fait que nous ne sommes pas ici pour rien…, fait-il remarquer au bout d’un moment. Que diriez-vous de vous fondre dans la masse ?
— C’est-à-dire ?
Dans un pas de recul, il tend la main vers moi. Avec grâce, il m’invite à le rejoindre :
— Puis-je demander une danse ?
Autour de moi, quelques regards glissent dans ma direction.
Il faut dire qu’il ne revêt pas une allure commune. Son mulet blond surmonté de mèches cyanures est ramené en un chignon coincé par une longue tige de métal. Cette dernière rappelle les motifs argent de son costume noir. Le long manteau qu'il revêt souligne d’ailleurs l'élégance de son corps qui n’a d’égale que celle de son regard bleu. Pourtant, les tatouages sur sa nuque et le trait de résistance qui orne ses yeux jure avec l’apanage aristocratique autour de nous.
Il est un pêle-mêle de contradictions.
— Bien, je finis par répondre, mal à l’aise face à tant de regards. S’il le faut.
Dans un rire, il m'attire jusqu'à lui. Mes yeux s'écarquillent quand sa main se pose sur le bas de mon dos et qu’il entame aussitôt une valse, ne regardant même pas où il va.
Par miracle, il parvient à se glisser parmi les danseurs sans qu’on ne se cogne à un couple. Observant partout autour de moi, je crains de heurter une personne. Cependant, je réalise alors que nous nous sommes parfaitement emboîtés sur le pas des autres.
— Détendez-vous. Je sais ce que je fais, murmure-t-il de sa voix grave.
Les yeux baissés, ses mains brûlantes sur mon corps, il bouge avec précision et grâce. Levant la tête, je tente de soutenir son regard. Mais ce dernier est brûlant.
Il y a quelque chose d’intense dans la façon qu’il a de m’observer. Il accroche mes iris, plante les siennes dedans et ne les lâche pas. Pas un seul instant, il ne cille.
L’air se fait plus épais. Je peine à l’inspirer.
— Un problème, commandant ? demande-t-il en insistant sur ce dernier mot.
Il fait rouler mon titre sur sa langue, s’en amuse comme s’il s'agissait d’un apéritif.
— Rien, je rétorque en feignant de ne pas avoir remarqué son petit jeu. Je me demande juste ce que nous faisons. Je ne vois pas en quoi cela aidera la mission.
Il tend son bras. Je me déploie avant de rouler sur moi-même. Sa main se pose alors sur ma hanche, me stabilisant.
Je ne connais que très peu de pas de danse. Et pourtant, avec lui, tout se fait naturellement. Mes pieds et mes mains se placent et je ne réfléchis plus.
— La mission, la mission… Vous avez toujours été ainsi, à vous concentrer seulement sur les ordres.
— J’avais oublié que durant une période, vous m'observiez en profitant de votre invisibilité, je soupire en roulant des yeux.
— Que voulez-vous ? Vous étiez la plus intéressante de tous à détailler.
À nouveau, une pirouette. Ses doigts brûlants touchent ma peau lorsqu’il m’aide à me stabiliser. Ma gorge se fait sèche et j'ignore le tressaut de mon cœur.
— Je peux comprendre qu’il n’y avait si peu de chose à voir que mes actions ennuyantes étaient les seules que vous acceptiez de regarder, mais si vous vous ennuyez tant, il y a d’autres choses à faire… Vous avez déjà essayé la poterie ? Les puzzles ? La lecture ?
Il rit doucement. Sa poitrine se secoue presque contre la mienne tant nos silhouettes sont proches.
La tête encore haute, il se contente de baisser les yeux sur moi. Pourtant, je ne décèle plus de mépris dans son regard. Quelque chose y a changé.
Le fait de l’aider à retrouver les membres de la Rose Bleue compte pour lui. Plus que je ne l’aurais cru.
J’ai gagné son respect.
— Au contraire, vous regarder ne m’ennuyait pas… Il y avait quelque chose de grisant dedans.
Mon cœur frappe ma poitrine. J’encaisse la façon qu’ont eu ses pupilles de se dilater lorsqu’il a prononcé ces paroles. Sa voix s’est aggravée, insistant sur ses derniers mots.
Un frisson court le long de ma colonne vertébrale.
— Grisant ? Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop, Kaiser ?
— Votre façon de dominer les salles de réunion, le silence que vous observez avec soin, écoutant que vos alliés tout comme vos ennemis posent cartes sur table avant d’intervenir, la lumière qui allume vos yeux quand vous détaillez une carte, décidant précisément de l’endroit où vous apposerez chaque stratégie…
Je tremble. Je tente de me retenir.
— Car là est ce que j’admire le plus chez vous. Vous êtes une stratège.
La musique se finit. Les danseurs s’immobilisent. Je tente de m’éloigner. Mais Kaiser me maintient contre lui.
Ses yeux sombres se plongent dans les miens lorsqu'il déclare :
— Et je sais que c'est à vous que l’on doit la victoire de la Ligue Rouge face à la reine.
♔
La bibliothèque du Royaume Blanc est un florilège de beauté de cristal. Le sol de marbre aboutit à des murs traversés de dorures, lesquelles encadrent des rangées d’étagères grimpant jusqu'au plafond. Tous sont garnis de livres aux mille et une couleurs.
En fond, malgré les portes closes, je peux encore entendre la rumeur du bal. La mélodie délicate grimpe jusqu’à nous.
— Étions-nous réellement obligés d’écourter autant les festivités ? demande Michael tandis que j’observe partout autour de moi.
— Plus vite nous trouverons le livre, plus vite vous mettrez la main sur les membres de la Rose Bleue.
Me tournant vers lui, j’esquisse un sourire.
— N’avez-vous pas hâte de les revoir ?
Aucune remarque acerbe ni pique déguisée ne lui revient. Ses yeux s’écarquillent un instant tandis qu’il fixe mon sourire. Puis, soudain, des rougeurs gagnent ses joues.
Il tourne la tête sur le côté.
— Je… Si… Je suppose.
— Alors, trouvons ce fameux livre.
— N’y comptez pas trop, résonne soudain une voix, à l’autre bout de la salle.
Nos têtes se tournent d’un seul geste vers une femme au fond de la bibliothèque. Habillée d’une splendide robe blanche, sa tête coiffée d’une couronne d’argent, elle manie au bout de ses mains une baguette.
Marraine la bonne fée. La reine Fushiguro.
— Puis-je savoir ce que vous venez faire chez moi ? Dans ma bibliothèque ? Que mon époux m’a offert à l’occasion de mon mariage ?
Je me tends. Je pratique des rudiments de magie. Mais je ne suis sûrement pas assez douée pour faire face à une personne de l'acabit de la marraine.
Sa puissance équivaut et serait même supérieure à celle de Rumplestiltskin.
Une main se pose sur moi avant de me faire glisser sur le côté. Michael vient d'apparaître devant moi, s’interposant entre nous. De sa silhouette, il fait office de bouclier.
— Nous sommes venus en paix.
— Des voleurs en paix ? répète-t-elle dans un rire. Comme c’est charmant.
Cela ne va pas être une mince affaire, je le sens.
— Écoutez… Nous avons besoin d’un l…
— Vous n’avez besoin de rien, nous interrompt-elle d’un ton cassant. Rumpelstiltskin, en revanche…
Elle laisse filer un rire tandis que sa baguette fend les airs. Aussitôt, dans un scintillement irisé, un grimoire blanc traversé d’écritures dorées apparait dans ses mains.
— …Lui, il a besoin de ce petit bouquin de pacotille.
— S'il ne s’agit que d’un bouquin de pacotille, pour quelle raison le refusez-vous ? je demande en fronçant les sourcils.
— Mais parce qu’il le veut !
Je soupire en roulant des yeux. Je reconnais bien là la trace de deux mages ne pouvant pas se supporter pour l’unique raison qu’ils se font chacun concurrence à l’autre.
Devant moi, Kaiser ne dit pas un mot. Il doit réfléchir au moyen le plus adéquat pour entamer une conversation diplomate. Cependant, cela ne suffira pas avec elle.
J’esquisse un sourire. Le point faible de Kaiser est la Rose Bleue.
Et le point faible de la marraine…
— Savez-vous au moins qu’il ne veut pas le livre pour lui ? je demande.
Aussitôt, elle hausse les sourcils.
Livai Ackerman et son livre de fortune… Je connais bien cette fameuse histoire. Il me l’a confiée, il y a fort longtemps, lorsque sa femme se sentait seule et qu’il ne savait pas comment arranger la situation.
Il m’a demandé de lui tenir compagnie. Il voulait à tout prix qu’elle fasse de nouvelles rencontres, mais elle n’osait pas sortir de chez elle.
Là-bas, elle m’a parlé d’un livre. Unique au monde. Un que détenait la marraine, car elle l’avait écrit. Rien de bien puissant, une simple histoire que seule elle connaissait et qu’elle débordait d’envie de découvrir.
Seulement, Rumplestiltskin n’est pas du genre à demander.
Lorsqu'il a essayé de voler le manuscrit à la marraine, cette dernière l'a banni. À présent, il nous envoie le faire à sa place.
— Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire qu’il s’agit d’une fiction et que Rumpelstiltskin n’en a aucune utilité, mais je suppose que vous le savez, je fais remarquer.
Devant moi, Kaiser se détend quelque peu. Il doit se douter que j’ai la situation bien en main.
— Il veut l’offrir à sa femme. Elle n’a personne à part lui. Et…
— Elle n’a personne à part lui ? répète-t-elle aussitôt, ses yeux s'affutant comme des lames.
Je réprime un sourire. Je savais que je taperais dans le mille avec une telle phrase.
La marraine est connue pour aider de jeunes adolescentes. Plus que tout, elle méprise l’idée de les voir se marier jeunes. La légende raconte même que, lorsqu’elle a laissé la princesse Cendrillon aller au bal, elle lui a interdit d’y rester plus tard que minuit par crainte qu’elle ne trouve l’amour.
Elle est tout de même revenue au bras du prince Fushiguro.
— Que voulez-vous dire, elle est seule ? Elle n’a que son époux ?
— Et il déplore la situation. Mais elle n’ose pas sortir de chez elle et elle ne veut que ce livre. Il pense qu’elle y trouvera le courage de s'ouvrir à d'autres horizons.
Durant longtemps, la marraine est restée une femme indépendante. Même mariée à Fushiguro, elle refuse formellement de le laisser grignoter son indépendance.
Elle n’a jamais toléré de voir une femme enchainée à son époux.
— Vraiment ? répète-t-elle en regardant le grimoire dans ses mains.
Elle n’aime pas l’idée que la femme de Livai n’ait que lui, qu’elle soit dépendante de lui. Et il n’apprécie pas cela non plus.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ils sont sur la même longueur d’onde.
— Et cette femme… Je pourrais la rencontrer ?
Kaiser et moi échangeons un regard.
— Je ne suis pas sûre que cela fera plaisir à Ackerman mais…
— …Si ça peut lui faire plaisir à elle, il sera d’accord.
La marraine ne répond pas tout de suite, acquiesçant doucement. Les yeux perdus dans le vide, elle questionne manifestement le bien-fondé de l’action qu’elle s’apprête à faire.
Cependant, sa décision est déjà prise, je le sais. Et elle finit d’ailleurs par lancer :
— Bien. Je passerai la voir bientôt. Qu’il cuisine pour mon arrivée. Pas elle.
Je me retiens d'éclater de rire. Il va me haïr lorsque je vais lui annoncer cela.
Cuisiner pour la marraine…
Cette dernière lance le grimoire que Kaiser attrape. Aussitôt, il le porte à son cœur, serrant avec force la clé vers la liberté de ses compères. Je l'observe faire, touchée par ce spectacle.
Me tournant vers la marraine pour la remercier, je remarque avec stupeur qu'elle n'est pas là. Mes sourcils se haussent et je me tourne vers Michael, prête à lui demander si elle vient réellement de se volatiliser en pleine conversation.
Mais ce dernier m'observait déjà dans un rictus malicieux. Ses yeux se plissent, emprunts d’amusement, lorsqu'il susurre :
— C’est bien ce que je disais… Cette capacité d’argumentation… Tu es véritablement la plus intéressante à observer.
♔
— Alors ? Que feras-tu quand tu vas les revoir ? je demande, le grimoire blanc dans les mains.
Devant moi, Michael n’a pas ouvert la bouche depuis que nous sommes entrés dans le carrosse. Il m’observe pourtant.
À vrai dire, ses yeux n’ont pas quitté mon visage depuis que nous sommes entrés.
— Et tu as quelqu’un en particulier qui t’attend ?
Je ne sais pas quoi dire pour percer le silence embarrassant qui prend place entre nous. À mesure que je pose des questions et qu’il n’y répond pas, l’air s’épaissit et je sens de la chaleur grimper. La température est en constante hausse.
Je ne sais pas ce qui lui prend. Il n'arrête pas de me regarder, mais il ne dit rien.
— Tu comptes me répondre à un moment ? je demande tandis que le carrosse tressaute sur les graviers du chemin que nous empruntons.
Ses yeux louchent un instant sur mes lèvres. Mon cœur tressaute dans ma poitrine.
— Oh ! je perds patience.
Il éclate d’un rire doux. À peine marqué. Mes sourcils se haussent violemment.
Sa main habillée d’un gant se pose sur ses lèvres.
— Vraiment navré… Je voulais voir comment tu réagirais, je… Tu es le genre de femme qui fait taire tout à chacun d’une simple parole.
Mes doigts se crispent sur le grimoire. Je tente de me raccrocher à quelque chose, désarçonnée par la cadence de mes battements de cœur.
— Alors, je voulais savoir comment tu réagirais si personne ne te répondait… Je ne t’ai jamais vu perdre la face de la sorte.
— Et tu trouves ça marrant, je suppose, je lâche en roulant des yeux, parfaitement agacée.
— Non. Plutôt adorable.
La mâchoire se contracte aussitôt. Je me redresse sur mon siège.
— Je t’interdis de dire que je suis adorable.
— Ah ! Aurais-je touché le point faible de celle qui cerne les points faibles de tous ?
Il plisse les lèvres, se félicitant.
— J’ai donc réussi l’impensable.
Ma bouche se pince. Si je lui réponds, je lui donne raison. Et c’est précisément parce qu’il a raison que je souhaite lui clouer le bec.
Il me faut quelques instants pour revenir à moi et m’enfoncer dans mon siège.
— Inutile de feindre la comédie… J’ai trouvé ton point faible, se félicite-t-il dans un sourire goguenard.
— Et je suppose que tu vas adorer l'utiliser contre moi.
— Jamais.
Son ton est ferme. Sans appel.
Brutalement, il a retrouvé un sérieux auquel je ne m’attendais pas et qui me désarçonne.
— J’ai bien trop de respect et d’admiration pour la femme qui se trouve devant moi.
♔
Je me tiens en retrait, observant la scène à travers mes yeux brouillés de larmes.
Ils sont une cinquantaine. Une mare de monde qui, des larmes dévalant leurs joues, se prennent dans les bras. Les corps se confondent dans des embrassades tandis que les membres de la Rose Bleue se retrouvent.
Je l’ai appris lorsque nous sommes revenus, le grimoire blanc dans les mains : les prisonniers du miroir magique n’avaient aucun contact les uns avec les autres. Ils ont passé les dernières années seuls.
Isolés.
— Je savais que la reine était d’une grande cruauté. Mais j'avoue que je n’imaginais pas qu’ils aient vécu dans le noir absolu tout ce temps. Je les croyais au moins ensemble.
— Je l’ignorais aussi, répond Livai, à ma droite.
Préférant leur laisser de l'intimité, nous nous sommes retirés pour observer la scène de loin. Mon regard s’attarde sur Kaiser qui embrasse un homme sur le front avant de le serrer dans ses bras.
Je ne le soupçonnais pas d'être capable de pleurer. Aussi suis-je surprise de voir les larmes dévalant son visage.
— Tu les aurais laissés là-bas ? je finis par demander, au bout d’un moment. Je veux dire, si on n'avait pas réussi à trouver le grimoire.
Me tournant vers Livai, je le découvre en train de regarder le grimoire entre ses mains. Il sait bien cacher son humanité. Mais il a tout de même de vives émotions. Je les vois, de temps à autre.
Lorsqu’il est avec sa femme, notamment.
Mais je dois avouer que je ne sais pas ce qu’il va me répondre, à présent.
— Non, finit-il par souffler en les regardant.
Il n'affiche aucune émotion. Sa gorge ne se serre pas et ses yeux ne sont pas mouillés de larmes. Impossible de savoir ce qu'il pense.
Pourtant, je sais qu'il est sincère.
— Nul ne mérite cela, insiste-t-il encore.
J’acquiesce doucement. Mon regard se pose sur Kaiser qui pleure, serrant une adolescente dans ses bras. Mon sang se glace à cette vision.
Quel âge avait-elle quand elle a été enfermée ?
Le blond lève les yeux, la gardant contre lui. Son regard croise le mien et je peux lire sur ses lèvres.
« Merci. »
♔
La nuit est tombée sur le domaine. Kento Nanami nous a prêté son ancien manoir pour pouvoir héberger les différents membres de la Rose Bleue.
Le jardin est beau, baigné des lueurs diaphanes de la lune. Il projette de bien doux rayons sur l’herbe verdoyante.
— Ils sont tous endormis, résonne une voix dans mon dos.
Me tournant, je découvre Kaiser. Ses larmes se sont taries et nul ne pourrait soupçonner que, il y a quelques heures encore, son visage était ravagé par les pleurs.
— Ils ont vécu quelque chose d'éprouvant, ils vont avoir du mal à s’en remettre, je chuchote en acquiesçant doucement. Nous leur laisserons le temps qu’il leur faudra.
— Comment ça ? répète Kaiser dans un rire. Ne me dis pas que vous avez pour projet de les enfermer pour les attentats à la reine qu’ils ont commis à l'époque.
Je pouffe de rire face à de telles inepties. Il m'observe.
— J’aime te voir rire.
Aussitôt, je me fige. Je ne m’attendais nullement à une telle déclaration.
M’éclaircissant bruyamment la gorge, je reprends contenance avant de balbutier :
— Je… Enfin… Non, ce n’est pas ça. La Ligue Rouge veut organiser un banquet de bienvenue et d’excuses.
— Excuses ? répète-t-il.
— Pour avoir songé à t’enfermer et ne pas avoir décidé immédiatement de retrouver les membres de La Rose Bleue. On a merdé sur ce coup-là.
— Non. Pas vous tous.
Il esquisse un sourire doux sur ses paroles. Je sens mon cœur battre encore plus.
— Je n’ai pas pris le temps de te remercier de m’avoir prêté main forte, déclare-t-il soudainement, observant la lune ronde au-dessus de nos têtes, plantées au milieu d’un océan d’étoiles.
— Car tu n'as pas à le faire.
Il rit doucement.
— Déjà à l'époque, j'étais émerveillé par ta personne. Tes actions, tes paroles, tes décisions… Tout transpirait une certaine élégance, une lumière… Et je dois avouer que je baigne dedans depuis que je te connais plus intimement.
Je frissonne à cette déclaration. Il esquisse un sourire tendre en se tournant vers moi. À nouveau, ses yeux oscillent sur mes lèvres.
Cette fois-ci, il ne s’empresse pas de les remonter jusqu’à mon regard. Ma bouche pulse face à cela. Je sens une chaleur grimper en moi.
— La lune est belle, ce soir.
— Elle l’a toujours été, je réponds sans réfléchir, mes mains tremblantes.
Là-dessus, il s'approche. Doucement, comme s'il craignait de briser le cocon nous entourant, il brise la distance entre nous.
Puis, ses mains se posent sur les miennes. Il prend mon visage en coupe, laissant son regard azur caresser chaque courbe de mon faciès.
— Tu es belle, ce soir.
Je tremble. Ses yeux louchent à nouveau sur mes lèvres. L’air est devenu brûlant et si épais que je peine à le respirer. Ma poitrine se soulève avec difficulté.
Il sourit tendrement.
— Tu es toujours belle.
Là-dessus, il dépose ses lèvres sur les miennes.
Il me semble que le monde se fige. Un instant, le vent se suspend, les oiseaux se taisent et même la lune nous regarde. Tout devient calme. Les graines se figent dans le sablier de verre.
Soudain, la rupture.
Ma bouche s’ouvre et nos langues valsent ensemble. Ses mains glissent sur mon dos, me ramenant contre son torse. Il me fait fondre dans la beauté de son étreinte et je ne parviens qu'à me raccrocher à ses cheveux dans lesquels je passe mes doigts.
Ses lèvres déposent un goût sucré sur ma langue. Celui de la victoire. De l'émancipation. Des retrouvailles.
Bientôt, nous nous séparons. Nos poitrines se soulèvent difficilement, essoufflées par cet intense baiser. Son front se pose sur le mien et je ferme les yeux.
L’air me semble plus frais. Et pourtant, il m’apporte davantage de chaleur.
— Je crois que j’ai commencé à m'imaginer faire cela il y a quelques années.
— Ah oui ? je demande dans un sourire.
— Tu donnais un discours au milieu d’un village. Debout, brandissant un parchemin, tu lisais le décret de la reine avec animosité, appelant la population à se soulever.
Je m’en souviens encore… L'effervescence de la foule, les paysans hurlant de rage, les femmes prêtes à embrocher les gardes et les hommes hurlant qu'ils retrouveraient la liberté.
Je souris.
— Si je n’étais pas résistant, je crois que tu m’aurais convaincu.
— Mais tu étais déjà résistant.
— Alors tu m’as juste fait tomber amoureux.
Mes yeux s’écarquillent. Il recule quelque peu, plongeant son regard dans le mien.
Sa main s’attarde sur ma joue et il chuchote :
— Oui. Je suis amoureux de toi.
♔
— Je n’ai aucune envie d’y aller.
Assise en travers des cuisses de Michael, mon crâne s’est logé dans le creux de son épaule. Soupirant, je me suis lovée contre lui il y a quelques heures tandis qu’il lisait le fameux livre que la femme de Livai lui a prêté.
Devant nous craque le feu dans l’âtre de la cheminée. Alors, ce doux son accompagné d’une chaleur apaisante m’a menée vers les vapeurs du sommeil. Seulement maintenant, je suis réveillée.
Et j'avais oublié pour quelle raison je m’étais traînée jusqu’à lui.
— C’est ton groupe, pas le mien, fait remarquer Kaiser dans un rire doux.
La Ligue Rouge a enfin organisé un banquet de retrouvailles avec la Rose Bleue et ce… Un mois après leur retour.
Entre les élections démocratiques, les disputes, les pourparlers et le temps de convalescence des anciens détenus, il aura fallu plusieurs semaines pour trouver une date. Celle-ci étant ce soir.
— Bon sang, mais ils s’y prennent vachement tard, je me plains.
— C'est vrai qu’on a eu le temps d’emménager ensemble et de commencer les rénovations de mon vieux château…
Cela fait quelque temps maintenant que nos journées se ressemblent tout en étant complètement différentes.
Le matin, je me lève à côté de Michael. Au chaud sous les draps, nous peinons à nous tirer du lit quand le coq chante et trainons généralement un peu plus ensemble, discutant d’une voix ensommeillée.
Après cela, notre petit déjeuner précède des activités que nous ne faisons pas forcément ensemble. Mais, nous sommes toujours ravis de nous retrouver pour le déjeuner. L’après-midi se déroule comme la matinée, en fonction de nos obligations.
Aujourd’hui, je n’en ai qu’une seule. Unique. Me rendre au bal organisé par la Ligue Rouge.
— Si tu es si peu décidée à y aller, je peux encore faire croire que je suis mort.
Me redressant, je croise le regard de Michael qui a posé son livre à côté de lui. Il m’observe avec grand sérieux.
De toute évidence, il ne s’agit pas là d’une blague de mauvais goût.
— Je… Je crois que nous allons y aller.
Ses épaules se haussent.
— Tout ce que tu désires, ma chérie.
Je me lève pour aller me préparer. Aussitôt, son regard me suit et il se redresse.
— Reste à lire, ne te dérange pas, je lui assure en posant une main sur son épaule.
Il attrape cette dernière et la porte à ses lèvres, l’embrassant.
— Crois-moi, rien qui n’implique de passer du temps avec toi ne me dérange.
Pour toute réponse, je ris doucement.
— Et en plus, je dois me faire beau. Ce n’est pas n’importe quel bal…
Non, en effet.
Ce bal est symbolique.
C’est un au revoir à ce qui n’a plus de raison d’être maintenant qu’elle nous a tant donné. Une façon de la saluer une dernière fois, de nous recueillir sur ce qu’elle nous a apporté.
Un ultime hommage. À la résistance.
FIN
♔
j'espère que cette adaptation
de la reine rouge/du
miroir magique
vous aura plu...
c'est avec ce conte que
nous concluons ce recueil de
Noël.
j'ai été ravie de le reprendre
avec un format plus long !
merci énormément de
l'avoir lu ! j'espère qu'il
vous aura plu !
si ce genre de format
vous plaît, halloween
high est un recueil
suivant le même principe
et disponible sur mon
compte !
♔
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