𝐉𝐨𝐮𝐫 𝟏𝟖 : 𝐋𝐚𝐰.





















𝐋𝐄 𝐂𝐀𝐏𝐈𝐓𝐀𝐈𝐍𝐄 𝐂𝐑𝐎𝐂𝐇𝐄𝐓

𝐓𝐫𝐚𝐟𝐚𝐥𝐠𝐚𝐫 𝐃. 𝐋𝐚𝐰

𝐗𝐕𝐈𝐈𝐈


















           Ce soir, un autre disparaîtra.

           Les matins se font lugubres au Royaume Rouge. Même les villes les plus reculées entendent des échos de la capitale où la terrible reine sévit. Et, lorsque les troubadours chantent les nouvelles issues de contrées où la dictature enferme nos héros dans des tours, exécute des grands noms de la résistance, nous écoutons, interdits, le récit des actes d’une femme détournée de sa population.

           Ce soir encore, lorsqu’un gentilhomme s’est armé de son luth pour raconter comment, il y a peut-être une semaine de cela, des dizaines de prisonniers politiques s’étaient échappés, les visages n’ont pas souri. Inertes, les parents ont écouté cette histoire superbe, comptant la détermination de la résistance — du nom de la Ligue Rouge — qui s’est défaite de ses chaînes pour continuer son combat. Mais, nous n’écoutons plus.

           Certains disent que la misère appelle la compagnie. Je dois avouer que je ne vois que de la solitude. Ironiquement, dans ces masses informes qui s'attroupent autour des troubadours, je ne distingue que des âmes seules.

           Chaque nuit, une ombre flâne depuis la mer et, s’attardant sur les côtes, attrape un enfant. À ce jour, une trentaine ont disparu, ravis par cette silhouette qu’aucun coup de sabre ou de feu n’a entravée. Alors, lorsque ces musiciens nous chantent des nouvelles de la capitale, seule une réponse leur est donnée.

Alors… La reine ne nous aidera pas ? Elle ne compte pas envoyer des soldats enquêter ? demande alors un père endeuillé.

— Où est ma fille !? s’exclame un autre dans un rugissement.

— Mon enfant sera-t-il le prochain ? murmure une mère dans un hoquet d’appréhension, serrant tant les épaules de sa progéniture que celle-ci proteste vivement.

Tu me fais mal, maman !

           Mais, seule une réponse bien sinistre qu’il ne comprend pas lui est adressée. Une vieille dame édentée et tremblante sur un bout de bois lui tenant lieu de cane grince alors : 

Crois-moi, mon petit, cette douleur t’est bien agréable. Car les souffrances comme celles qu’endurent tes amis disparus… Elles, elles sont réelles. Pas un vulgaire picotement. Allez. Va donc te cacher.

           Et, son œil de verre fixant un endroit qu’elle ne voit plus, elle ajoute plus bas : 

Se cacher… Au Royaume Rouge, voilà tout ce qu’il nous reste.

           Cette scène est récurrente dans cette petite bourgade. Chaque soir, tandis que le soleil se couche en projetant des lumières ondoyantes sur la route pavée, je peux prédire ce qu’il se passera lorsqu’un troubadour s'arrêtera le lendemain sur la place du marché.

           Je peux dire qui sortira de quel immeuble en enroulant un châle autour de ses épaules ou en serrant avec force son enfant. Je sais aussi quel air affligé ornera leur visage triste et déçu lorsqu’ils rentreront tous chez eux, ignorant les protestations du troubadour à qui aucune pièce n’a été lancée.

           Et, quotidiennement, je prononce alors cette phrase : 

— Demander de l’argent à des gens qui n’en ont pas ? Oh mon cher, peut-être passez-vous trop de temps avec la reine… Vous avez les mêmes exigences.

           Là-dessus, dans des insultes baragouinées, je m'éclipse. D’un pas calme, je gravis la surface du château bordant la mer. Mes lames enchantées se plantent dans la pierre tandis que j’atteins le toit du palais. Là, assise là-haut, je contemple la mer calme et le soleil finissant sa journée pour laisser place à la nuit. Comme chaque soir, je ne distingue rien.

           Un bruissement retentit soudain à ma droite. Je souris doucement en apercevant un oiseau rejoindre son nid. 

— Garde bien ton petit, ma chère, je murmure dans un rictus défait. Tous les enfants ont quitté les immeubles bordant les côtes. L’ombre va devoir entrer dans la ville… À moins qu’elle ne commence à se tourner vers des animaux…

           Un rire me secoue, faisant sursauter le volatile qui bat des ailes sans s’envoler.

— Je me demande ce qui motive cette créature… Son apparition coïncide avec l’incarcération des membres de la Ligue Rouge. Je ne sais pas si quelque chose a changé depuis leur évasion. Mais, Petit Jean, le chef des résistants, serait sans doute bien amusée d’entendre cette histoire.

           Mon rire redouble d’intensité. Assise en tailleur, je joue avec le manche de la dague qui dépasse de ma botte.

— Le chef… Parlant de lui… Il doit croire que je suis une sacrée balance. Tous les membres de la Ligue ont été incarcérés sauf moi et on n’entend plus parler de moi.

           Mes dents se serrent dans un sourire mauvais.

— Je déteste l’idée qu’on me prenne pour une balance.

           Regardant autour de moi, mes yeux s’écarquillent soudain. À la lueur blafarde de la lune, au-dessus du remous calme de la mer, je distingue bientôt une trace. Une silhouette noire et mouvante qui flotte jusqu’à la ville.

           L’ombre ravisseuse.

           Penchant la tête sur le côté, je la regarde dépasser les bateaux amarrés. Elle n’est plus qu’à quelques mètres de la façade du château. À cette vision, je me redresse, dégainant ma dague dans ce geste.

           Et, debout sur le toit, j’adresse un dernier regard à l’oiseau : 

— Allez. Il est temps de rappeler qui je suis. Et, comme dirait la morue…

           Lançant ma dague, celle-ci tournoie au-dessus de ma main avant de retomber dedans. Je ris.

— …Qu’on leur coupe la tête.

           D’un bond, je saute du toit. Le vent soulève mon manteau, créant un cerceau d’ombre au-dessus de mon corps. La brise fraîche fouette mon visage en une violente caresse que je n’avais pas connue depuis longtemps. Les bras tendus en croix autour de mon buste, les jambes collées, je tournoie dans une roulade gracieuse.

           Une fois. Deux fois.

           Soudain, mes jambes s’écartent avant de se refermer sur un corps. Aussitôt, ma main se dirige sur le cou de l’ombre. La masse noire sursaute contre moi, surprise. Un rire malsain franchit mes lèvres.

— J’adore voir ceux qui se croient tout-puissants trembler en croissant une plus grande lame !

           Entremêlés l’un à l’autre, nous chutons. L’ombre se débat furieusement, sentant le sol se rapprocher de nous à une cadence violente.

— Tu te croyais intangible ? N’est-ce pas ? je demande dans un rire guttural, levant ma dague dans les airs. Mais, tu as une faiblesse. Et, cette faiblesse, c’est les mages qui maîtrisent la lumière. Eux, ils peuvent te toucher ! Et surtout…

           Je ris furieusement.

— Ils peuvent te tuer !

           Mon pouce glisse sur le manche de la lame. Et je murmure, sentant une vibration naître dans mon ventre, remontant jusqu’à ma poitrine et m’étreignant dans une caresse brûlante : 

— Haie, l’ame suie solaris !

           Dans l’obscurité, ma lame vibre soudain, allumée d’une puissante lueur rouge. Son fer, comme chauffé, scintille en une morsure terrifiante. L’ombre tend le bras, tentant de repousser la dague. J’éclate de rire.

           Puis, approchant mon visage du sien, informe, je crache contre lui : 

— Je sais que tu n’es que l’ombre de la Reine. Tu as été créé afin d’attirer des membres de la Ligue Rouge ici ? Eh bien, me voilà !

           Je ris doucement. 

— Votre Majesté, vous avez réussi à me faire venir… Mais vous ne parviendrez pas à m’attraper et vous savez pourquoi ?

           Ma lame transperce le torse de l’ombre qui sursaute violemment. Une vibration brutale la prend, tentant de me faire lâcher prise. Mais, le sol se rapproche et je suis prête à m’y écraser.

— Parce que nous sommes la résistance, nous sommes le peuple. Et rien n’atteindra jamais les cordes vocales de la plèbe. Sectionnez-en, d'autres repousseront. Les résistants meurent. Les attentistes deviennent résistants. Et nous…

           Je retire brutalement ma lame. De la braise en fusion jaillit de la gorge de l’ombre.

— …Nous, contrairement à vous, nous ne sommes pas seuls.

           Soudain, je suis éjectée. Brutalement poussée, je m’écarte de l’ombre qui continue de chuter. Un sourire ébahi franchit mes lèvres tandis que ma dague s’écrase sur le port.

           L’ombre cogne le sol et s’envole en particules de fumées, disparaissant. Je n’ai que le temps de voir cela avant de percuter la mer.

           Je tombe dans les eaux.

           Aussitôt, le son du vent disparaît. Un silence se fait, complet. L’obscurité est totale. Ma respiration se coupe. Mes vêtements se plaquent contre mon corps. Mais, je n’ai pas froid. Au contraire, la chaleur de mes pouvoirs demeure en moi.

           Un sourire étire mes lèvres. Pour être sûr de la tuer, j’ai converti mon énergie vitale en magie que j’ai laissée dans cette dague qui n’est plus avec moi. Cela m’a considérablement affaiblie.

           Alors, je ne peux plus bouger mes membres. Je ne peux pas nager.

           Ce qui est ironique parce que, quand cette ombre m’a poussée, je pourrais croire qu’elle tentait de me sauver, de m’envoyer dans l’eau pour que je ne percute pas le sol.

           Hélas, je n’avais pas prévu de survivre.

           Les membres paralysés, la respiration coupée, je glisse dans cette eau. Mon corps se noie. Je ne peux pas résister. Cependant, un sourire étire soudain mes lèvres.

           La Ligue Rouge… Ils sauront que je ne les ai pas trahis.

           Soudain, on me tire. Un métal froid se glisse sous la sangle de ma bretelle, m’attirant vers la surface. L’obscurité se dissipe presque à mesure que nous nous approchons du rivage éclairé par la lumière de la lune.

           Je distingue une silhouette. Un homme dont le bras se finit en un crochet qu’il a glissé sous mes bretelles. Et, au-dessus de son autre bras qu’il agite pour atteindre la surface, je vois la coque d’un navire, en contre-plongée. Une immense embarcation.

           Je ne pense qu’un mot. L’ultime.

           Pirate.

           Avant de sombrer dans l'inconscience.












— Alors, capitaine ? Comment ça se profile ?

— Elle va survivre ?

— Il faut dire qu’elle vous a volé la victoire, hein…

           Lointaines, j’entends des voix résonner jusqu’à moi. Comme si elles étaient étouffées par un drap, elles me semblent être à dix lieues de ma personne.

           Soudain, un soupir me prend. Une chaleur particulièrement douce se répand en moi. Germant dans ma cage thoracique, elle s’écrase en volutes jusque dans mon ventre, s’éclatant en mille soupirs et qui secouent mes jambes et mes bras. Ma tête est enfoncée dans un nuage cotonneux.

— Allez compter les vivres, résonne soudain une voix grave et suave. Je dois m’occuper de ma patiente.


           Une main fraîche se pose sur ma tête et je sens l’empreinte d’une tige métallique se presser à mon poignet. Aussitôt, ce contact me fait sourire.

           Les yeux clos, je demande simplement : 

— Comment as-tu su que j’étais sur le point de t’attaquer ? 

           La tige de métal sur mon poignet neutralise mon pouvoir. Il l’a posée en sentant que je me réveillais. Je n’étais pas encore préparée à attaquer, mais il s’est protégé.

           Il savait que mon premier réflexe en ouvrant les yeux allait être de lancer une offensive contre lui.

— C’est simple. Vous êtes un mage de lumière. Vous êtes membre de la Ligue Rouge. L’un sans l’autre est déjà mauvais. Mais alors, combinez les deux et…

           Il finit sa phrase par un soupir ennuyé. Je ne peux m’empêcher d’esquisser un rictus.

— Et comment savez-vous que je ne compte pas vous mordre à la gorge ? je demande dans un rire mauvais.

— Ouvrez les yeux et vous le verrez.

           Je m’exécute.

           Au-dessus de mon visage s'articule une mâchoire d’acier, parcourue d’un bouc court et noir. Des lèvres pincées sous-plombent un nez droit qui sépare deux yeux affutés comme des lames et percés d’une teinte éthérée, semblable au ciel. Juste au-dessus, des cheveux noirs se bataillent. Attardant mon regard sur cette coiffure, j’aperçois deux anneaux dorés sur chaque oreille…

           Aussitôt, ma mâchoire se contracte.

— C’est pas vrai. Encore un abruti qui a mangé ce qui lui passait sous le nez.

           Les deux anneaux dorés sont un signe que porte une section très particulière de la Ligue Rouge —  les résistants qui luttent contre la reine et dont je fais partie. Ceux-là ont accepté d’avaler une potion formée à partir d’un fruit mystérieux en échange de pouvoir.

           L’un de ses sourcils se hausse face à ma réaction.

— Oh… Madame serait-elle classiste ? Un comble pour un membre de notre groupe…

— Classiste ? je répète en me redressant subitement, l’observant s’écarter dans un soupir pour ranger une ribambelle d’outils étalés sur une table. Et mon poing dans votre tronche, il va être classiste ?

           Les mages ont œuvré durant des années pour développer des pouvoirs qui pourraient être utiles à la résistance. Les bouffeurs de baies, eux, n’ont fait qu’avaler une potion et ont hérité d’une puissance trop grande pour eux.

           Mes yeux s’attardent sur ses larges omoplates qu’il me montre, étant dos à moi : 

— Oui, classiste. Sous prétexte que vous avez les ressources nécessaires pour vous instruire à la magie, vous prenez de haut ceux qui ont pris une voie moins conventionnelle et considérée comme plus rapide.

— Évidemment que je vous prends de haut ! je m’exclame en fronçant les sourcils. Il y a une raison pour laquelle les mages mettent une décennie à utiliser leur pouvoir. La magie, c’est dangereux. On apprend à la maîtriser.

           Le désignant d’un geste dédaigneux, je soupire : 

— On voit que vous n’avez pas croisé un bouffeur de fruit qui vous a cramé les fesses sur le champ de bataille parce que cet abruti n’avait pas appris à maîtriser son pouvoir de flammes.

           Toujours dos à moi, il brandit un bras. J’aperçois alors un crochet dépassant de sa manche. Imposant, le métal d’argent brille au bout de son poignet.

— Si, j’ai déjà croisé Ace.

           Mes sourcils se haussent brutalement en apercevant cet objet. Déjà sous l’eau, lorsqu’il s’est glissé sous ma bretelle, il me semblait l’avoir reconnu…

— Votre crochet…

— J’ai été amputé après qu’il m’ait serré la main lors d’une réunion, me dit-il en se retournant, s’asseyant sur le bureau dont on vient de débarrasser les outils.

— Non, ça, je m’en fous…

— Ah bah, sympa.

           Je secoue la tête.

— Ce n’est pas ce que je veux dire ! C’est pas que je m’en fous… Enfin, si. Mais, ce n’est juste pas le sujet.

           Croisant les bras sur sa poitrine, l’homme lève les yeux au ciel en remuant la tête.

— Le crochet… C’est moi qui l’ai fait. Et je parie que c’est grâce à votre crochet que j’ai récupéré assez d’énergie pour ne pas mourir…

           Secouant la tête dans un sourire, j’ajoute dans un murmure : 

— Encore une fois, mes inventions auront évité la mort d’une héroïne…

— Ce qu’il faut pas entendre, soupire l’homme en se redressant, contournant le bureau de bois sur lequel il était assis, qui est d’ailleurs parcouru de sphères blanches pour maintenir des cartes, de longues-vues, d’encrier et de rouleaux de parchemin cachetés. Vous êtes en vie grâce à moi, madame.

           Haussant les sourcils, je le regarde avec curiosité. Mes seules pupilles suffisent à remettre en question ce qu’il dit. 

           Il tente d’abord d’éviter cette confrontation visuelle, observant sa cabine faite de bois, la cuve ligneuse tenant lieu de baignoire, les bougies parcourues de cire dégoulinante après avoir trop été utilisées ainsi que des fenêtres constituées de petits carreaux encrassés. Cependant, cela est peine perdue.

           Dans un soupir, il finit par lâcher : 

— Je n’aime pas me vanter, mais…

— Je n’ai même pas besoin de vous connaître pour savoir que c’est faux, je réponds dans un signe de tête.

— Mais, je suis celui vous ayant sauvé, reprend-il en ignorant ma précédente remarque. Vous apprendrez, madame, que vous aviez une commotion cérébrale et j’ai usé de mes pouvoirs pour que vous ne mouriez pas des suites du choc.

           Je ne me souviens pas que mon corps ait percuté quoi que ce soit. Haussant un sourcil, je demande donc d’une voix bougonne : 

— Le choc en question ne serait pas le résultat du fait que vous n’avez pas regardé en m’amenant à la surface et que mon crâne a cogné le navire ?

           Joignant les mains ensemble, il envisage cette possibilité en dodelinant de la tête : 

— Présenter les choses comme ça ne me convient pas, madame.

— Vous êtes d’une mauvaise foi ! je m’exclame en écarquillant les yeux. 

— Gardez en tête que si je ne vous avais pas repêch…

— Gardez en tête cela ne me convient pas, monsieur, je réponds dans un sourire en narquois.

           Il considère ma réponse un instant.

— Touché.

— Attendez que je vous coule.

           Contemplant le crochet quelques instants, je secoue la tête en resongeant à l’époque où je l’ai créé. Une missive de la Faiseuse de Tombes, une entité presque démoniaque qui œuvre dans nos rangs, m’avait pressée de réaliser une prothèse magique pour l’un des meilleurs soldats qu’elle ait rencontrés.

« Il est celui sur qui je compte le plus après toi. Si tu le rencontrais, tu n’hésiterais pas une seule seconde. Je te prie de réaliser un crochet à partir d’uun métal que tu chaufferais avec ta magie avant de le battre. »

           À l’époque, je portais une armure de la garde privée de la Reine Rouge et je tentais par tous les moyens de l’atteindre et de l’occire. Dans un soupir, je m’étais dit que je ne devais pas abandonner mon poste pour ce genre de conneries.

           Cependant, la Faiseuse de Tombes ne demande jamais rien à personne. J’ai alors compris à quel point la situation était urgente.

           Je regarde longuement le capitaine qui me rend l’appareil, ne brisant pas une seule seconde notre contact visuel. Il ne cille pas, gardant les yeux rivés sur moi.

— Elle m’a dit à l’époque que si je vous rencontrais, je serais d’accord pour vous fabriquer ce crochet.

— Et alors ? sourit-il malicieusement.

           Je l’imite, grognant entre mes dents serrées : 

— Je crois que j’ai envie de vous amputer.

— Laissez-moi deviner, madame. Vous me haïssez parce que moi, vulgaire bouffeur de baies, ait sauvé votre cul lorsqu’il se noyait ? L’égo démesuré des mages ne peut que difficilement accepter d’être aidé par un avaleur de fruit ?

           La mâchoire serrée, je ne réponds pas. L’un des coins de ses lèvres se hausse.

— Alors, madame ? Ai-je raison ?

           Il a raison.

— Vous avez tort.

           Comprenant que cette conversation ne mènera à rien, il balaye l’air de sa main. Cela doit être le seul point où nous trouverons un terrain d’entente : discuter ne sert à rien.

           Au bout d’un bref moment de silence, je finis par briser le silence installé entre nous : 

— L’ombre. Elle est morte ?

           Il acquiesce doucement, ses paupières se fermant pour imiter le geste de sa tête. Puis, lorsqu’il les rouvre, il ajoute : 

— Je suis venu ici pour l’occire. Vous vous doutez bien que j’ai vérifié qu’elle n’existait plus avant de repartir.

— Repartir !? je m’exclame brutalement, réalisant ce à quoi je ne faisais pas attention, depuis le début.

           Nous sommes en mouvement. L’eau file à travers la vitre, le paysage courant en une vision de surface bleutée sous plombant un ciel gris. Alarmée, j’observe la pièce autour de moi, comme si celle-ci allait se muer en port à mon simple regard.

— Nous n’allions pas attendre que la petite princesse se réveille, madame.

           Pour toute réponse, je hausse un sourcil en entendant le qualificatif.

« Petite » ? je répète. Pas aussi petit que votre puissance.

— Et sûrement pas aussi petit que votre égo.

           Haussant les sourcils, j’esquisse un sourire. Je crois que si je n’apprécie pas le personnage, je peux assurer apprécier sa répartie.

— Et je peux savoir ce qui vous pousse à m’enlever ? Si vous deviez repartir dans l’immédiat, vous pouviez me laisser à la mairie. Ils auraient été ravis de soigner celle qui les a débarrassés de l’ombre.

— Mais, bien sûr ! Comment l’abruti que je suis n’y a pas pensé ? D’autant plus que les villageois auraient été ravis, en ces temps de pauvreté, de vous balancer à la reine pour quelques pièces d’or… Et ça, ça m’aurait retiré une sacrée épine du pied.

           Je pince les lèvres. Je suis forcée d’admettre intérieurement qu’il a raison…

— Vous avez tort.

— Si vous le dites, lâche-t-il sans grand intérêt, commençant à polir le crochet à son poignet.

           Haussant les épaules, je m'étire. Je serais curieuse de savoir où il m'emmène. Je ne pense pas que quelqu’un à bord serait en mesure de me téléporter sur une île, loin d’eux. Alors, autant savoir vers où nous nous dirigeons.


— Alors ? C’est quoi votre prochaine quête ? je demande en étirant mes jambes, les secouant pour récupérer un peu de force et chasser mon engourdissement. 

— Prochaine ? répète-t-il en haussant le menton. Vous n’avez pas l’impression d’avoir oublié une partie de la mission ?

           Quelques instants, je réfléchis avant de secouer vivement la tête.

— Les enfants kidnappés, bon sang ! 

— Ah oui, c’est vrai…

           Je dois avouer que cette partie-là de l'histoire m'était complètement sortie de la tête. Cela ne semble pas convenir au pirate qui me fusille du regard. Je maintiens le contact visuel quelques instants, profondément désintéressée par la source de son expression faciale.

           Cependant, une force que je ne m’explique pas naît en moi et me pousse à lancer : 

— Quoi ?

— Je peux savoir pourquoi vous avez risqué votre vie si, ce n’est pas pour les sauver ?

— Pour la gloire d’être une de ces héroïnes mortes dans la résistance, je réponds sans sourciller.

           Mon plan ne comportait pas une partie où je vivais assez longtemps pour savoir ce que deviendraient les enfants enlevés. Maintenant débarrassés de l’ombre, je comptais un peu sur les villageois pour se bouger les fesses et aller chercher leur progéniture.

— Vous allez me dire que vous avez rejoint la résistance pour ça ? 

— Je parie que ma réponse va briser votre cœur.

           Soupirant dans un roulement de yeux, il secoue la tête : 

— Et comme chaque mage, vous vous donnez trop d’importance.

— Quand la reine sera morte, les résistants les plus anciens auront des postes importants et se feront un maximum d’argent.

           Pour toute réponse, il me fusille du regard.

— Quoi ?

— Vous êtes en train de me dire que la raison pour laquelle vous risquez votre vie tous les jours n’est pas la quête de gloire, mais la quête d’argent ? il assène dans un regard mauvais.

— Je vous avais dit que ça allait briser votre petit cœur. 

           Il ne revient pas sur cette dernière remarque et se contente de me regarder quelques instants avant de lâcher :

— Dois-je en conclure que vous ne nous suivrez pas sur l’île ?

           Ma mâchoire se contracte et je ne le regarde pas quand je rétorque : 

— Si. Je serais des vôtres.














— Je ne sais pas si elle est maléfique, mais, pour sûr, cette île semble sortie de l’imaginaire.

— Oh, croyez-moi, elle l’est, retentit une voix masculine lorsqu'une ombre se projette soudain sur mon dos.

           Me retournant, je découvre le capitaine. Un long manteau jeté sur ses épaules, un imposant bonnet blanc couvrant le sommet de sa coiffure hirsute, il se place à ma droite. Les mains sur la rampe, nous nous tournons vers l’imposant gratte-ciel se trouvant devant nous.

           Frôlant l’éther, une montagne de verdure pointe près des nuages. Cette dernière se termine en un lambi d’une dizaine de mètres de hauteur. L’ouverture du coquillage donne sur une plage de sable blanc, lequel est léché par le va-et-vient des vagues turquoise. Parcourant la surface céruléenne de l’imposant strombe géant, des écailles irisées la sertissent.

— Je crois que l'intégralité de cette île est visible, je fais remarquer en me tournant vers le capitaine, apercevant le reste de l’équipage qui s’apprête à débarquer, par-dessus son épaule. Et, je suis navrée, mais… Je ne vois aucun enfant.

           Pinçant les lèvres, je ne peux pas m’empêcher d’ajouter dans un froncement de sourcils : 

— Comment vous savez qu’ici se trouvent les enfants ?

           Brandissant son crochet, une chaîne glisse le long du métal recourbé. Quelques maillons d’or s’étendent, au bout desquels se balance une boussole. Sur fond noir percé de scintillements semblables à des étoiles, des aiguilles frétillent.

— Une boussole astrologique, je chuchote en regardant ce bijou magique. Bon sang, je n’avais jamais vu une telle beauté, seulement entendu parler de quelques légendes où elles se trouvaient…

— Et ça se dit mage…

           Roulant des yeux, je secoue doucement la tête. Je ne rentrerai pas dans son jeu. Je refuse de fonctionner puérilement et de m’abaisser à un si bas niveau…

— Au moins, je ne m'empiffre pas de fruits débiles.

           Haussant les sourcils, il ne prête pas attention au remue-ménage qui s’opère dans son dos. Visiblement habitué à ce que ses hommes s’en occupent à sa place. 

           Enfin, des « hommes »...

           Mon regard s’attarde d’abord sur un imposant ours polaire qui lance une corde à un homme plus grand encore, presque aussi haut que le mât du bateau.

— Vous m’avez promis que vous me feriez couler, fait remarquer le capitaine, mais je dois avouer qu’avec une si basse répartie, vous allez à peine faire frétiller ses voiles.

— Attendez un peu, je m’échauffe.

           Pour toute réponse, il esquisse un rictus.

— Donc, je suppose que je dois en conclure que la véritable île se trouve en sous-terrain et que l’ouverture du strombe est la porte de cette même île ?

           Il acquiesce doucement.

— Nous irons là-bas ensemble.

— Ensemble ? je répète en haussant un sourcil. Je sais que seuls des enfants se trouvent dans cette île, mais vous ne croyez pas que c’est un peu léger de ne prendre que nous deux ?

— Au contraire, répond-il tandis que le navire ralentit, approchant de la côte, mais le gueux ignare que je suis va devoir vous donner une leçon de magie.

           Brandissant la boussole astrologique, il la pointe de son doigt. M’attardant dessus, je réalise qu’elle ne bouge pas au rythme du remous de vague. Elle frétille. Elle semble attirée par le gigantesque coquillage.

— Les strombes étoilés, reconnaissables par leur surface céruléenne comme le ciel et traversée d’écailles scintillantes comme les étoiles…

           Montrant l’objet, il insiste sur le frétillement de l’aiguille.

— …Elles marquent l’entrée de grottes magiques. Ces dernières ne peuvent pas accueillir trop de magie. Alors, soit, j’y vais avec mon équipage et sans vous. Soit, j’y vais avec vous, mais sans d’autres membres d’équipage.

— Vous voulez dire que ma magie équivaut à tous les membres de votre équipage réunis ? je rétorque, atterrée par cette information.

— Voilà que vous prétendez en être surprise… La fausse modestie ne vous va pas bien.

           Je ne vois pas en quoi ma surprise est un signe de modestie. Je suis outrée de savoir qu’un navire de la Ligue Rouge est composé en majorité de personnes maîtrisables par un seul mage.

— Bon, une fois à l’intérieur, vous restez derrière moi et…

— Hors de question, je réponds catégoriquement.

— Il y a quelques secondes, vous ne connaissiez pas le principe des grottes astrologiques.

— Et, il y a quelques secondes, vous m’avez expliqué que soit votre navire entier débarquait, soit moi.

           Hochant la tête, il s’avoue presque vaincu. Glissant sa boussole dans sa poche, il acquiesce doucement. Dans son dos, la voix brutale d’un moussaillon résonne : 

— On est amarré, capitaine !

— Vous voulez qu’on vous accompagne à l’entrée de la grotte ?

           Le capitaine se tourne vers moi, attendant visiblement que je réponde à cette question.

— Inutile. Ils peuvent rester à quai. Mais je suis d’avis qu’ils préparent de quoi accueillir les enfants. Ils seront traumatisés, sales et sans doute affamés, voire déshydratés.

— Vous avez entendu la dame ? lance le brun en se tournant vers le reste de l’équipage, frappant dans ses mains. Et n’oubliez pas, ces gamins ne seront pas loquaces ni coopératifs, ils n’y arriveront pas. Alors, une grande patience.

— De toute façon, le premier qui hausse le ton, ce sera le supplice de la planche pour lui ! sourit l’imposant ours blanc.

— Merci, Bepo !

           Bepo… Je note ce nom mentalement. Cette dernière remarque m’a plu.

— Au fait, lance le capitaine en se tournant vers moi. L’eau.

           Arquant un sourcil, je ne réagis pas tout de suite. Puis, je me souviens de mes paroles sur la possibilité que les enfants soient déshydratés. 

— Je n’en ai pas sur moi… Pourquoi vous n’en avez pas pris avec vous ?

           Sa langue claque sur son palais. Un tic d’agacement.

— L… A… W… Law, c’est mon prénom. Trafalgar Law.

           Me tournant vers l’entrée de la grotte astrologique, j’esquisse un sourire.

           Trafalgar Law… Belle sonorité.

— Et vous ? Vous ne comptez pas me donner votre nom ?

— À quoi ça sert ? Je serais partie après cette mission, de toute façon. On ne se reverra plus.

           Il hausse les épaules, balayant cette phrase d’un revers de main. 

— Je suppose que nous devons y aller.

— Dès maintenant.

           D’un même geste, nous dirigeons notre regard sur l’île.

           À nous.













Bon sang, c’est haut.

           Un rire franchit mes lèvres closes, résonnant quand même dans la vaste caverne. Law, se tournant vers moi, fronce les sourcils en découvrant ma réaction.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? demande-t-il en me fusillant du regard.

— Rien… J’aurais simplement dû me douter que vous étiez de ce genre-là. 

           Face à son air interloqué, je précise ma pensée : 

Du genre grande gamelle, mais rien derrière.

— Est-ce que vous êtes en train de me traiter de trouillard parce que j’ai fait remarquer quelque chose d’évident ? Vous allez peut-être me faire croire que j’ai tort et que ce n’est pas haut ? lance-t-il en pointant le sol du doigt avec énergie.

           Suivant le geste de sa main, je découvre à nouveau le paysage s’offrant à nous. Sous nos pieds pendant dans le vide, à une cinquantaine de mètres, un lac turquoise brille de mille feux, dans l’obscurité pénétrante de la grotte. De sa surface s’élèvent de puissants halos de lumière montant les parois particulièrement lisses de la grotte.


           Lorsque nous avons pénétré le strombe géant, nous avons foulé un sol de sable sur quelques pas. Cependant, très vite, ce dernier s’est brutalement interrompu. Il chute brutalement sur la cuve béante que nous observons à présent.

— Ce n’est pas si haut que ça…, je soupire en regardant les ondulations scintillant à la surface de l’eau.

— Plonger de cette hauteur nous tuerait.

           Dans un rire, je secoue la tête. L’un de ses sourcils se hausse, se demandant ce qui peut bien me pousser à douter de son affirmation.

— Vous semblez bien sûr de votre théorie… Je me dois de la tester.

— NO…

           Son hurlement se coupe lorsque je me laisse soudain tomber. Tendant brutalement mes jambes, je bascule dans le vide. Mes pieds frappent la paroi, m’éjectant loin du bord.

           Aussitôt, un sourire étire mes lèvres et je ferme les yeux, savourant le déluge de sensations.

           Le vent soulevant mon vêtement, l’air se pressant à ma chair. Mon manteau formant un arc autour de ma silhouette qui tourbillonne dans les airs.

           Soudain, un bras s’enroule autour de ma taille. Écarquillant les yeux, je me retrouve plaquée contre un torse puissant. Ma joue se presse à un pectoral tandis que nos silhouettes ralentissent. Nous finissons par nous immobiliser. Je mets quelques secondes avant de le réaliser.

           Mes pieds frôlent le sol. 

           Je tâtonne ce dernier avant d’y atterrir. La réalité de notre position me rattrape soudainement.

           Debout, plaquée à son corps chaud, je suis entourée d’une sphère translucide bleutée dont l’odeur, semblable à celle de l’océan, s’insuffle dans mes narines. Son bras, solidement entouré autour de ma taille, m’empêche de m’écarter.

— Lâchez-moi immédiatement, je tonne entre mes dents serrées.

— Ça ne m’amuse pas autant que vous, mais la poutre que j’ai créée est trop peu stable pour que nous bougions.

           Fronçant les sourcils, je tente de remuer les yeux pour discerner le moindre détail de ce dont il parle. Cependant, je ne rencontre que le tissu sombre du manteau l’entourant et la chaleur de son torse, malgré les tissus de ses vêtements. Contre ma joue, son cœur bat vite.

           Soupirant, je secoue à peine le menton d’un geste réprobateur.

Tout ça pour vous rapprocher de moi. Êtes-vous seul à ce point, dans votre cabine ? Vous devriez sortir prendre l’air sur le pont, je peste d’une voix sifflante, entendant des morceaux de roche se déplacer autour de moi, craquelant la surface des murs de la grotte.

— Mais non, vous êtes simplement trop irrésistible pour le pauvre homme que je suis, madame, rétorque-t-il d’un air profondément ennuyé qui ne fait que sublimer le sarcasme de sa phrase.

           Pinçant les lèvres, je réfléchis à toute vitesse. Il vient presque de me clouer le bec, mais je refuse de m’avouer vaincue.

— On va devoir rester combien de temps, comme ça ?

— Si vous vous taisez deux secondes, j’arriverai à créer un escalier à partir des morceaux de la grotte pour nous mener à la rivière de façon sûre.

           Ainsi, je comprends mieux les bruits de craquement résonnant partout autour de nous… Surtout, reviennent à ma mémoire des bribes de mes dernières années dans la résistance.

           Une fois par mois, les plus vieux guerriers de la Ligue Rouge s’amassaient dans une taverne miteuse pour discuter de la suite des évènements. Un jour, la Faiseuse de Tombe a évoqué un pouvoir particulier.

— L’un des bouffeurs de baie… Me regardez pas comme ça, ce gars peut nous en apporter des belles, avait-elle lancé en déployant ses jambes sur une table, les bras croisés sous sa poitrine.

— Ne nous en veux pas. Les abrutis qui avalent ses merdes ont tendance à nous causer pas mal de torts pendant les batailles, j’avais rétorqué sèchement.

— Tu peux entendre le son d’une femme ayant toujours une brûlure sur la fesse droite à cause d’Ace, avait sifflé Ulul, un petit singe doté de parole et d’une gueule béante pouvant se déplier et dépecer une foule entière.

— Je le comprends… Mais ce gars-là, il manie son pouvoir. Et pas n’importe lequel. Il crée des sortes de dômes et tout ce qui se trouve dans ses dômes tombe sous son contrôle…

           Un frisson avait alors parcouru mon échine.

— Tu veux dire que s’il s'entraîne assez pour créer des dômes aussi grands que le palais royal…

— On pourra faire un Coup d’État, oui.

           Je ne peux réprimer les battements violents de mon cœur dans ma cage thoracique. Ainsi, la clé de notre lutte se trouve plaquée à moi. Son bras est enroulé autour de mon corps qu’il maintient immobile grâce à son pouvoir. 

           Bientôt, il recule d’un pas. Une sensation de fraîcheur se déploie sur mon corps tandis qu’il désigne quelque chose du menton. Je suis son regard et me retourne.

           Depuis notre position, à mi-chemin entre l’entrée de la grotte et le lac, un toboggan de pierre particulièrement lisse jaillit du néant. Tournoyant sur lui-même, il plonge ensuite dans l’eau, disparaissant dans ses profondeurs étincelantes.

— Si madame veut bien se donner la peine, lance-t-il en courbant l’échine dans un geste moqueur.

           Un sourire étire mes lèvres et je hausse les épaules.

Ma méthode est quand même vachement plus drôle, je fais remarquer en regardant la distance nous séparant encore du lac céruléen. 

           Sa mâchoire se contracte aussitôt quand son visage se ferme.

N’y pensez même pas.

           Tirant la langue, je penche la tête vers le vide, faisant mine de sauter. Un rire me prend lorsque je le vois aussitôt se crisper, prêt à s’élancer.

           Cependant, lorsqu’il réalise que je ne faisais que le tester, un soupir franchit ses lèvres et il roule des yeux.

— Vous n’êtes pas drôle, je chuchote face à sa réaction.

— Et vous, vous êtes inconsciente ! Je crée un toboggan pour glisser jusqu’à l’eau et vous voulez y sauter alors qu’à cette hauteur, la surface du lac sera aussi dure que du béton ! Sérieusement, pourquoi vous cherchez à crever en mission ? Vous vous rendez compte que vous n’êtes pas brave, simplement stupide ?

           Déroutée, je ne réponds rien. Les lèvres closes, je me contente de l’observer longuement, réalisant la question qu’il vient tout juste de me poser. Lui aussi semble comprendre la signification de ses propres paroles.

           Soudain embarrassé, il tourne la tête pour fuir mon regard. Exaspérée par son comportement et son incapacité à assumer notre contact visuel, je secoue la tête.

           Idiot.

Écoutez, ce n’est pas ce que…

           Je n’écoute même pas sa réponse et m’élance sur le toboggan. Mes pieds glissent, emportant mon corps qui s’allonge dans sa chute, suivant le tracé de la construction.

           Soudain, de l’eau se referme autour de moi. Les sons se taisent. Mon corps est plus léger. Je flotte, ma respiration coupée. Mes yeux se ferment et je contemple un instant le bien-être qui m’envahit.

           Le toboggan vient de me plonger dans l’eau.

           Plus personne ne parle. Mon être ne pèse rien. Je ne suis que suspens et mes tourments aussi. Plus rien n’a d’importance.

           Cependant, cela ne dure pas.

           L’air pénètre soudain mes poumons. D’une violence telle que mes paupières s’écarquillent, découvrant alors l'époustouflant spectacle étendu devant moi. 

           Au-dessus de ma tête, le ciel n’est qu’un lac ondoyant. Flottant sous ce dernier, comme s’il n’était qu’un plafond aquatique, mon corps vole. Je peine à croire ce qu’il s’est passé.

           J’ai traversé le lac. Pénétrant à sa surface, je suis ressorti de l’autre côté comme s’il n’était qu’un portail.

           Maintenant, je flotte en dessous de cette eau céruléenne tandis que mon regards se porte sur l’étendue de verdures scintillant sous mes pieds. Des centaines d’arbres brillent, les branches parcourues de lucioles aux mille et une couleurs.

— C’est donc ça, l’île imaginaire ? lance une voix à ma gauche.

           Je ne réponds pas, me contentant d’observer avec attention le paysage nous sous-plombant. 

— Les scintillements que vous voyez, ces espèces de lucioles… Ce sont des ancres, des façons de relier les âmes à cette terre. Nous n’allons pas pouvoir nous contenter de les flanquer sous notre coude et de les remonter à la surface.

— Vous voulez dire qu’ils vont résister ? demande le pirate en s’approchant dangereusement de la cime des arbres.

           Aussitôt, les scintillements frétillent. J’ai tout juste le temps d’attraper le poignet de Law et de le tirer jusqu’à moi. Il se laisse glisser et son épaule tape la mienne lorsqu’il recule.

Qu’est-ce que c’est que ça ? demande-t-il en fusillant les lucioles frétillantes du regard.

— Des chaînes. Enfin, dans des termes triviaux, on peut dire que ce sont des chaînes. Les enfants ne peuvent pas quitter cet endroit sans leur âme. Et ces petites lucioles… Elles tiennent en otage leurs âmes.

           Le visage de l’homme s’assombrit. Il contemple quelques instants les touffes vertes parcourues de lucioles atypiques. Son silence dure un temps.

—  Qu’allons-nous devoir faire ?

           Un soupir franchit mes lèvres. Je contemple la forêt un instant.

           Que c’est ironique…

— Vous, vous allez chercher tous les enfants et les ramener à la surface, juste à l’entrée de la clairière. Dès que vous entendrez un cri strident, vous courrez tous à l’extérieur du strombe. 

           Le regard de Law s’attarde un moment sur moi avant de glisser le long de ma silhouette, la détaillant brièvement. Ses sourcils se froncent alors et il chuchote : 

— Et vous, que comptez-vous faire ?

— Rien de bien spécial. Je vais expulser une lumière qui balayera les lucioles jusqu’à la sortie de la grotte. Dès qu’elles traverseront son entrée, les enfants récupéreront leurs âmes.

           Je force une totale indifférence, maîtrisant ma voix le mieux possible. Je ne veux pas qu’il perçoive le moindre vacillement incertain ou le moindre doute qui me traverserait.

           Law observe mon visage quelques instants, ses yeux se plissant tandis qu’il me détaille silencieusement. Ses pupilles sondent chaque trait de mon visage, cherchant ce que je ne lui dis pas.

           Je m’efforce de ne rien laisser paraître. Je ne veux pas lui montrer d’émotion. Je m’y refuse.

           Quand soudain, il rompt le silence avec une question déroutante : 

— Vous faites semblant de ne pas me reconnaître ou vous ne vous souvenez vraiment pas ? 

           Mes sourcils se froncent. Je secoue la tête, intriguée.

— Je ne vous ai jamais rencontré.

— L’assaut du lac de Meyoria par la Ligue Rouge. Un homme avait été enlevé. Il gisait dans une cage posée transportée par des soldats lorsqu’une lumière aveuglante a déchiré la forêt. Quelques secondes à peine…

— …Et lorsqu’elle s’est tamisée, tous les soldats étaient morts. Je le sais. J’étais la mage ayant donné cet assaut.


— Et j’étais l’homme dans la cage.

           Mon regard s’attarde sur le crochet à sa main. Au-delà de sa conception, il est vrai que cette courbure métallique m’était familière. Cependant, à l’époque, son visage tuméfié et imbibé de sang le rendait méconnaissable.

           Je n’ai donc pas fait le lien entre l’otage que j’avais sauvé, son crochet et le capitaine devant moi.

           Je pousse un soupir, balayant cette histoire de la main.

— Je ne fais pas les comptes des personnes que j’ai sauvées, je peste, embarrassée, avant d’ajouter dans un sourire narquois. Mais c’est vrai qu’un bouffeur de baie dans ton genre doit être impressionné par la prestance d’une vraie mage.

           À ma grande surprise, il éclate de rire. Secouant la tête, il pouffe à ma remarque. Et, quand ses joues se teintent de rose sous la lueur bleutée du lac ondoyant au-dessus de nous, je sens mon cœur s’emballer.

           Je ne parviens pas à réprimer mon sourire lorsque je lui demande : 

— Je peux savoir pourquoi tu me parles de cela ?

           Je crains d’entendre la suite. Car, si cet abruti se découvre quelques sentiments de chevalier ou même comprend mes véritables intentions, mon plan tombera à l’eau.

           Il y a quelque chose que je n’ai pas révélé sur les lucioles de couleurs qui ondoient sous nos pieds…

           Elles sont l’âme des enfants, doivent les suivre en dehors de cette caverne pour qu’ils survivent au fait de la quitter. Elles ne se déplaceront que si une lumière plus puissante les pousse jusqu’à la surface. Un tel sort nécessiterait que je me situe en dessous d’elles et les expulse dans un hurlement magique. 

           Seulement, elles sont aussi les chaînes du portail qu’est le lac.

           Quand elles le traverseront, il s’effondrera sur l’île imaginaire, noyant tous ceux qui seront encore dans cette dernière. Dont moi. 

           Et, si par heureux hasard, j’ai la capacité de nager jusqu’à la surface, cela me sera inutile. La collision entre les tonnes d’eau composant le lac et mon corps me sera fatale. Je serais écrasée par la chute des eaux.

           Ce plan sauvera les enfants, mais il me tuera.

           Cela est inévitable.

           Alors j’espère de toutes mes forces que Law n’en a rien deviné, car je n’ai ni le temps, ni l’énergie d’argumenter avec lui sur ce point.

— Tu es sûre de ton plan ? me demande finalement Law au bout d’un silence plutôt long.

           Je retiens un soupir de soulagement et ouvre la bouche, prête à répondre.

           Cependant, au même instant, je croise son regard d’acier. Ses iris, semblables à des hématites, tournoient presque autour de ses pupilles se dilatant. Ces dernières, ce faisant, écrasent l’anneau clair et assombrissent son regard. Il ne semble être plus qu’une percée de lumière dans un voile d’obscurité.

           Happée par ses prunelles, je ne réponds pas tout de suite. Finalement, ma raison me rappelle et je reviens à moi dans un raclement de gorge.

— Je… Oui, j’en suis sûre, je réponds finalement en hochant la tête, résolue.

           Ses prunelles m’observent un moment avant de s’abaisser. Les ténèbres tombent sur son visage et sa voix me semble presque éteinte lorsqu’il déclare : 

— Je… Je crois que j’ai compris.






















           Assise sur l’herbe, je ne peux m’empêcher de reconnaître la beauté de cette île. Au-dessus de ma tête, le fleuve tenant lieu de ciel ondoie, projetant ses lueurs céruléennes sur le lit de lucioles scintillantes flottant par-delà la cime des arbres.

           Ces derniers se succèdent en un pêle-mêle fourni. Les imposants troncs forment un labyrinthe où les enfants ont erré longuement, à la recherche d’une main tendue.

— Pauvres petits, je chuchote pour moi-même, contemplant le lac ondulant au-dessus de ma tête.

           Lorsque Law et moi sommes descendus tout à l’heure, nous avons dû faire preuve de grands efforts pour ne rien montrer de l’horreur qui nous a assaillis.

           Des silhouettes émaciées, des vêtements imbibés d’une odeur mêlant sueur, urine et excrément, des lèvres parcourues de terres qu’ils ont mangées, espérant se nourrir…

           Un à un, il a pris les enfants dans ses bras, les amenant à la surface. Pendant ce temps, j’ai chuchoté quelques comptines à ceux qui restaient en bas, espérant les apaiser. Mais, ils ne m’écoutaient qu’à peine.

           L’un d’entre eux est parvenu à me demander s’il allait retrouver sa maison. Il m’a affirmé que le miroir de sa chambre lui manquait. 

           Après avoir amené le dernier enfant au sommet, je me croyais tranquille. Cependant, Law est redescendu. Je lui ai dit qu’il n’avait oublié personne. Il m’a simplement demandé où je me tiendrais pour lancer ce sort. 

           Je lui ai indiqué le lieu où je me tiens maintenant.

— Bon, je chuchote avant de regarder autour de moi, rassemblant mon courage. Je suppose que l’heure est venue, à présent.

           Fermant les yeux, je gonfle mes poumons d’air. Ceux-là s’étendent, grossissant à mesure de la brise fraîche s’engouffrant en moi. Je laisse cette énergie nouvelle prendre place dans mon corps.

           Brutalement, j’expire. Crachant l’air hors de moi, comme si ce dernier me brûlait, je vide mes poumons.

           À nouveau, j’inspire. Mes bras s’élèvent autour de mon corps, sentant une énergie glisser le long de mes veines. Elle court en même temps que mon sang, gagnant mes doigts qui frétillent.

           Dans un hurlement, je plonge mes mains dans le sol.

           Aussitôt, une force brutale attire ma poitrine, me soulevant presque de terre. Mes yeux se révulsent dans mes orbites, tirant plus longuement encore mon cri. Une poigne de fer garde ma bouche ouverte, m’arrachant un hurlement strident qui vrille mes cordes vocales.

           Des épines jaillissent le long de mes os, perçant chacune de mes entrailles. Mes muscles se nouent, se débattant au moindre geste pour tenter de fuir la souffrance. Celle-ci m’envahit, ensevelissant mon être.

           Mon âme est prisonnière de mon corps et frappe contre ses parois, hurlant pour s’en aller.

           Mais, je ne la laisserai pas sortir.

           Soudain, des cordes métalliques sortent du sol. Brûlantes, elles revêtent une teinte écarlate qui glisse le long de mes bras. Aussitôt, mes dents se contractent, luttant contre la douleur du métal à vif sur ma peau. 

           Ce dernier glisse jusqu’à mon épaule.

           Mon cri s’arrête. Je me tais enfin. Mais je ne peux me défaire de mes liens, ils me maintiennent attachée au sol.

           Une chaleur monte dans mon ventre. Elle flotte le long de mon torse, atteignant ma gorge. Là, elle jaillit brutalement de ma bouche sous forme de perle de lumière.

           Les chaînes se resserrent sur ma peau, la brûlant plus encore. Je lutte contre l'envie de hurler.

           La perle de lumière s’élève dans les airs, grossissant à mesure qu’elle se dirige vers la surface. Crispée, ignorant les larmes qui ravagent mon visage face à tant de souffrance, je détaille avec soin ce qu’il se passe.

           Une luciole vient se greffer à la lueur. Puis une autre. Encore une autre. La lumière les avale à toute vitesse, grossissant à cette vision.

           Le sort fonctionne.

           À mesure que la lueur avale les lucioles, elle grossit. Bientôt, elle touche les troncs d’arbres. Puis, elle entoure l’intégralité des bois. Finalement, seul ce ciel de lumière blanche est visible, au-dessus de ma tête.

           Les chaînes brûlantes m’arrachent un hoquet de douleur. Mais, je parviens à les ignorer.

           Soudain, une pierre tombe dans mon estomac.

           Un bruit sourd vient de retentir.

           Le lac de lumière a percuté celui constituant le plafond. Il grignote le portail, menaçant toujours plus le bouclier le retenant.

           Une goutte tombe sur moi. 

           Puis une autre.

           Je verse une larme.

           Le moment arrive. Dans quelques instants, la voûte craquera entièrement. Et, l’intégralité du lac tombera sur m…

           Soudain, une masse perce la lumière, juste au-dessus de ma tête. Une ombre transperce le ciel lacté, jaillissant de ce dernier. Mes sourcils se froncent à cette vision. Il me faut quelques secondes avant d’identifier les détails de cette personne.

           Une pierre tombe dans mon ventre.

           Law.

           Il est venu me chercher.

— NON ! je hurle en me redressant brutalement.

           À peine ai-je esquissé un geste pour me relever que mes chaînes se referment sur moi. Se resserrant en une brûlure mordante, elles me maintiennent au sol.

           Autour de son corps, une sphère bleutée le suit. Je sens des larmes dévaler mes joues à cette vision, mêlées des gouttes du lac qui deviennent de plus en plus abondantes.

— RETOURNES-Y ! REJOINS LES ENFANTS !

           Avec horreur, j’entends le bruit sinistre du craquement de la voûte. Mon corps entier se fige. Ma respiration se coupe. Hébétée, j’aperçois l’avalanche naître depuis le ciel.

— PARS !

           Cependant, il ne m’écoute pas. Le visage serré, il file dans les airs à toute vitesse. Résolu, il flotte, fuyant les eaux qui s'effondrent autour de lui. Elle chute en une cascade tétanisante, funeste tsunami menaçant de nous emporter.

           Dans quelques instants, les tonnes d'eau s'écraseront sur nous.

— VA-T’EN !


           Soudain, la sphère de son pouvoir s’élargit, m’englobant. Les gouttes d’eau cognent dessus sans m’atteindre. Il franchit la distance nous séparant.

LAW ! TON POUVOIR NE PEUT PAS SUPPORTER LE POIDS D’UN LAC ENTIER ! je crache, me débattant furieusement contre les liens brûlants, des larmes perlant sur mes joues.

           Cependant, lui ne pleure pas. Son crochet glisse sous ma bretelle, m’arrachant au sol. Mes pieds flottent dans le vide. Avec horreur, j’aperçois la sphère translucide ployer sous la pression des tonnes d’eau.

           Il ne va pas résister. Il ne peut pas résister.

— Tu vas mourir ! je couine, désespérée.

           D’un geste sec, il me tire jusqu’à lui. Son nez frôle alors le mien. Et je peux sentir son souffle brûlant s’échouer sur mes lèvres lorsqu’il siffle : 

— J’en prends le risque.


















           Ma poitrine s’agite avec violence tandis que mon souffle se perd. Chaque bouffée d’air pénétrant mes poumons les griffe. Cependant, chaque fragment les quittant semble emporter dans ce mouvement une partie de ma cage thoracique.

           Mes paupières s’ouvrent, arrachant quelques cils au passage, luttant contre l’écume les ayant collés. Le sel marin s’insinue jusqu’à ma cornée, la chatouillant en une vicieuse brûlure qui n’égale pas celle du soleil. Il tape si violemment contre ma rétine qu’il m’aveugle.

           Je tousse avec violence, tentant d’expulser un mal que je ne reconnais pas.

— Calme-toi.

           Mes mains s’enfoncent dans le sable chaud, cherchant n’importe quelle prise. Je me débats contre moi-même, ne supportant plus la souffrance qui m’enlise.

Calme-toi.

           Bientôt, je distingue les détails des grains devant mes yeux. Mais ma vision de la plage dorée est troublée par les larmes qui perlent dans mes yeux.

           Je crois que cette douleur pourrait m’achever.

           Soudain, une main se pose sur mon dos. Aussitôt, du contact de cette paume chaude jaillit une vapeur dense qui se répand dans mon être. Les volutes lèchent les parois de mon corps, enlisant mes muscles qui se détendent aussitôt.

           Mes genoux se décoincent. Mon estomac se dénoue. Ma cage thoracique se débloque. L’air passe à nouveau dans mes poumons, les gonflant doucement avant de les vider.

           Il me faut quelques instants pour revenir à moi.

— Là… Ça va mieux, maintenant ? chuchote une voix grave, dans mon dos, que j’identifie comme étant Law.

           Son pouvoir… Il s’est vidé de toute énergie dans la grotte, cela a failli le tuer et il en use encore pour me guérir au lieu de se calmer. Mes muscles se tendent violemment.

           Brusquement, je me retourne, projetant ma main qui percute sa joue en une claque sonore.

           II s’effondre de tout son long. Aussitôt, je me hisse au-dessus de sa silhouette allongée sur le dos. Mes genoux plantés de chaque côté de ses hanches, j’attrape le col de son maillot pour l’attirer jusqu'à moi.

— Tu te rends compte que tu aurais pu mourir !? Bon sang, mais qu’est-ce qu’il t’est passé par la tête ?

           Il ne me répond pas, se contentant de me regarder de ses yeux gris.

Bordel, t’as des matelots ! T’es parmi les générations récentes de la résistance ! Ils ont besoin de toi ! Je peux savoir ce qui t’as pris ?

           Mais il ne s’explique pas. Quelque chose tombe sur sa joue. Je réalise qu’il s’agit d’une larme. 

           Je pleure.

 Je peux mourir ! Je dois le faire ! Mais, pas toi ! Tu ne peux pas ! Et sûrement pas pour moi !

           Mes mains tremblent sur son haut que je serre en hoquetant.

Mais t’es vraiment déb…

           Soudain, son crochet glisse sur mon col et m’attire brutalement vers lui.

           Mes yeux se ferment à l’instant où il écrase ses lèvres contre les miennes. Mes pleurs s’étouffent quand je glisse mes doigts dans ses cheveux mouillés, les ébouriffant. Sa main libre glisse sur mon dos, caressant la chute du creux de mes reins.

           Le baiser est doux, semblable à une lumière perçant l’obscurité. Il m’enivre dans une douce torpeur. Son crochet lutte pour me garder près de lui, tandis que ses gémissements s’étouffent contre mes lèvres.

           Soudain, nous basculons. Je roule sous lui et il se place au-dessus de moi, se relevant en se détachant lentement de notre baiser. Son ombre se découpe en contre-jour, me protégeant de la lumière du soleil.

           Sa large main glisse sur mon visage, lissant mes traits crispés par les années. Tendrement, son crochet se pose sur mes lèvres, scellant ma bouche.

J’aimerais te poser une question, mais je ne suis pas sûr de vouloir entendre la réponse, chuchote-t-il, son odeur océanique enlisant mes moindres muscles.

           Il ne s’agit pas de la putride odeur de marée basse, mais d’une brise légère, fraîche et euphorisante. Apaisante, elle m’inspire une symphonie. Une douce liberté qui caresse ma peau. Délicate pluie sur ma poitrine.

           Pour toute réponse, je garde le silence. Ce mutisme lui suffit. Prenant une profonde inspiration, il se résout à révéler ce qui le taraude : 

— Pourquoi ce serait grave que je meurs, mais pas toi ?

           Sous son corps, je tressaille. Aussitôt, sa main se fait plus ferme. Toujours douce, sans aucune brutalité, elle se resserre à peine, comme s’il craignait que je me redresse brutalement.

           Il implore d’ailleurs aussitôt : 

— Ne t’enfuis pas, s’il te plaît.

           Son regard revêt une lueur de désespoir qui chatoie un instant, tirant sur la membrane de mon cœur. Aussitôt, mon organe se rétracte en une ondulation douloureuse. Je déteste cette détresse que j’aperçois soudain.

— Pourquoi tu cherches absolument à mourir en mission ? demande-t-il avec douceur, comme s’il était effrayé à l’idée qu’une intonation trop puissante puisse fragiliser le dôme intangible qui nous surplombe. 

— Je…

           Je ne sais honnêtement pas quoi répondre. Je crois que je ne me suis jamais posé la question. Alors, mon regard se perd soudainement dans le vide. 

           Je ne saurai dire combien de temps se passe sans que je remue la tête. Perdue dans mes souvenirs, je garde le silence un long moment, attendant que la révélation ne vienne.

           Doucement, Law se redresse.

           Délicatement, ses doigts s’entremêlent aux miens, m’incitant à l’imiter. Je le fais, prenant place sur le sable. Nous deux nous asseyons face à la mer. À quai, son imposant navire flotte. Si nous tendons l’oreille, nous pouvons même entendre les cris des moussaillons aboyant des instructions pour mieux s’occuper des jeunes rescapés.

           Je ne m’y attarde pas, préférant laisser mes oreilles divaguer vers des sons d’antan. Aujourd’hui encore, je peux entendre les rumeurs des batailles que je menais, dans mes plus jeunes années.

Je ne sais pas vraiment quand j’ai cessé d’avoir peur, je murmure d’un ton qui couvre à peine les vagues.

           Mais, je sais que Law peut m’entendre. Son regard est posé sur moi. Comme aimanté à mes lèvres, je le sens observer en détail la moindre de mes expressions faciales.

Je me souviens que dans les premières années, mon estomac se tordait tellement qu’il m’en faisait mal. À chaque action, à chaque rendez-vous, je tremblais à l’idée de croiser la mort…

           Surgissent devant mes yeux les souvenirs de ces nuits traversées de flaques de sang.

— Puis, je l’ai vue. Je l’ai vu lorsque j’ai trébuché sur le corps d’un enfant qui avait été piétiné dans un mouvement de foule. Je l’ai vu en foulant une forêt où à chaque arbre pendait un corps. Je l’ai vue… Encore et encore. Inlassablement.

           Une chaleur se pose sur ma cuisse. Law vient d’y placer sa main. Ce contact m’apaise quelque peu.

Le temps est passé, mes yeux se sont habitués… Et, à force de croiser la mort sans jamais la voir de face, je crois que je me suis demandée…

           Un sourire étire mes lèvres. Un rictus froid et anesthésié.

— …Est-ce que ce spectre me fuit ? N’ai-je pas le droit de m’éteindre ?

           Les vagues s’échouent en une valse rythmée, léchant le banc de sable. Je me laisse happer par ce spectacle quelques instants.

— Je ne veux pas mourir, pourtant, j’admets tandis que ma voix se serre. Mais, je veux comprendre pourquoi je suis encore debout là où tant d’autres sont tombés.

           Me tournant enfin vers Law, je croise son regard. Ce dernier est sérieux, détaillant avec grand soin chacune de mes expressions faciales.

           Silencieux, il boit mes paroles.

Et, je refuse que le prix de cette découverte soit la vie d’un autre.

           Je me tais un instant.

La tienne.

           À ces mots, il observe le crochet au bout de son bras. Son autre main caresse toujours ma cuisse dans un mouvement doux et apaisant. Répétitif. Comme s’il ne l’esquissait que pour apaiser mes maux passés.

— Lorsque j’étais dans cette cage, il y a plusieurs années, et que tu es venue me sauver… J’avais vu que tu arrivais, chuchote-t-il d’une voix rauque. 

           S’éclaircissant la gorge, il observe un instant son navire où s’affaire son équipage. Le soleil chatoie une lueur orangée qui caresse doucement ses traits durs et marqués. Je l’avais déjà remarqué. 

           Il est beau.

— Ce crochet… Je ne sais pas comment tu l’as conçue. Mais, à chaque fois que tu as risqué ta vie, des visions m’ont pris. Je voyais tout. Chacun de tes gestes. 

           Il lâche un rire : 

— Et, bon sang, ce que je t’ai admirée. Sans même savoir qui tu étais. Tu hantais mon esprit, mais… Je ne t’en voulais pas.

           Ses yeux se plantent dans les miens. Sans ciller un seul instant, ancrant son regard avec fermeté dans ma personne, ne fuyant pas une seule seconde ses paroles, il chuchote : 

— Parce que je ne voulais pas que ces visions s’arrêtent.

           D’un geste du menton, il désigne son navire. Je le suis du regard, accueillant dans un sourire doux le son d’un rire d’enfant.

Tu m’as inspiré. J’ai réuni mon équipage en espérant me lancer sur tes traces… Et, un soir, j’ai rêvé que tu te rendais dans une ville. Tu ne risquais même pas ta vie. Je n’ai jamais compris pourquoi j’avais eu cette vision d’une ville au bord de mer où une ombre magique menaçait les enfants…

           Mon cœur rate un battement. Brusquement, je me tourne vers Law, réalisant la vérité sur notre rencontre.

…J’ai voulu te rencontrer. Alors, je suis venu à toi.

           Cette nuit-là, lorsque j’ai tué l’ombre sous ses yeux… Ce n’est pas elle qu’il était venu chercher, mais moi. Il voulait me rencontrer.

           Le souffle coupé, l'œil brillant, je l’observe de longs instants. Une dense torpeur éclate en moi en réalisant quelque chose que je ne soupçonnais pas.

           Je crois que j’ai la réponse à cette question qui me rongeait de l’intérieur.

           Si jamais je ne suis pas morte, ce n’est pas parce que le spectre me fuit. Je suppose que lorsque la faucheuse regarde ma silhouette, l’envie de tendre la main vers moi ne la prend pas. Car elle distingue une bonne étoile, brillant au-dessus de ma tête.

           L'œil de Law.

           Le silence s’installe entre nous, apaisant. Nos corps s’approchent naturellement, irrémédiablement attirés l’un par l’autre. 

           Ses yeux d’acier glissent sur ma bouche brûlante. Je peux la sentir pulser, hurlant pour effleurer la sienne. Mais, il se contente de la caresser de son regard vaporeux. 

           Sa main continue ses caresses sur ma cuisse. La mienne se pose sur son pectoral. Je sens les formes de son muscle travaillé se dessiner sous ma paume. Derrière, son cœur bat rapidement.

— Reste avec moi, implore-t-il dans un murmure.

           Son crochet frôle ma joue brûlante. Le contact du métal froid m’apaise.

— Ma vie était un sommeil et tes visions, des spasmes de conscience. Je veux sortir de ma torpeur et j’ai…

           Il se tait, regardant au loin. Son embarras se voit dans la nouvelle teinte cramoisie que revêt son visage.

           Je réalise dans les rougeurs qui ornent ses joues qu’un pirate de sa trempe n’est sûrement pas habitué à de grandes déclarations. Et, je ne veux pas le pousser dans une parole inconfortable.

           Doucement, je pose mes lèvres sur les siennes. Un baiser à peine marqué.

— Inutile d’en dire plus. Je te suivrai, Law.

           Son regard s’illumine. Il ne dit rien de plus avant de se jeter sur moi.

           Mon rire est étouffé par sa bouche brûlante qu’il remue contre la mienne. Bientôt, mes pouffements avalés se muent en gémissements qu’il partage, me pressant toujours plus à son torse.

           Mes mains jouent avec ses cheveux tandis que son crochet, glissé dans ma bretelle, m’attire toujours plus près. Comme si l’idée que je puisse m’écarter quelques secondes pourrait le plonger dans une souffrance infinie.

           Qu’il n’en survivrait pas.

           Les yeux clos, je fonds dans cette étreinte. Après tant d’années passées à défier la mort, c’est au contact de Law que je réalise que jamais je n’ai accordé d’attention à la vie. Les lèvres du pirate sont un fruit gorgé d’existence. Je m’en nourris à la source. 

           Je me sens entière.
























           Les pleurs foisonnent, mêlées de rires soulagés. Debout sur le pont, je me contente d’observer la scène de loin. Mais, je dois avouer que voir ces enfants retrouver leurs parents me touche plus que je ne l’aurais cru.

           Des mères essuient leurs larmes dans le cou de leurs marmots encore groggy. Des pères serrent avec force les corps tremblotant de quelques gosses affaiblis, assurant qu’ils s’occuperont bien d’eux et les remettront d’aplomb. Mélangé parmi eux, le restant de la ville accueille les disparus. La joie propage une lumière qui balaye l’obscurité ornant le visage des miséreux. 

           Un instant, je crois que je pourrais oublier que ces gens ont eu la chance de tomber sur un navire de la résistance, car non seulement la reine ne les aurait pas aidés, mais elle se trouvait en plus derrière tout cela.

           Soudain, une main chaude glisse sur le bas de mon dos. Je me tourne dans un sourire, contemplant le visage satisfait de Law.

— Voilà une bien douce vision qui paye le prix de nos efforts, n’est-ce-pas ?

— Je crois que j’aurais préféré un buffet de bienvenu, mais ça fera l’affaire, je charrie dans un rictus malicieux.

— Si ce n’est que ça, je peux te le cuisiner.

           Ses lèvres se posent sur le sommet de mon crâne tandis que son bras s’enroule autour de ma taille. Je me laisse aller contre lui, puisant dans la chaleur de sa personne.

           De longs moments, nous observons le quai traversé de sourire et de cris de joie. Autour de nous, les moussaillons font de même, certains essuyant même discrètement des larmes germant dans leurs yeux.

— À quoi penses-tu ? chuchote Law contre mon oreille, son souffle chatouillant mon lobe.

— Comment tu sais que je pense à quelque chose ?

— Je t’observe plus que tu ne le crois.

           Je ris pour toute réponse, sentant mon cœur s’emballer. Même après avoir passé le trajet du retour, enlacé sous la couette dans sa cabine, à se raconter des anecdotes et des rires, je frissonne encore au moindre compliment.

           Il n’en est pourtant pas avare.

           Le premier soir, lorsque je l’ai invité à entrer dans la cabine après qu’il soit sorti pour me laisser assez d’intimité, le temps que je me lave, il a soupiré d’admiration en découvrant ma silhouette habillée de ses vêtements. Je lui ai alors dit que je n’avais trouvé que cela pour la nuit. Il a assuré que c’était parfait.

           Cette nuit-là, son torse nu s’est pressé contre mon dos tandis que j’essayais de dormir. Il a murmuré dans le creux de mon épaule qu’il pouvait sentir que je faisais une insomnie. Alors, entourant mon corps de son bras, il m’a raconté sa première mission dans un chuchotement doux. Mes paupières se sont baissées au rythme de ses paroles.

           Le lendemain, j’ai souhaité visiter les enfants. Il m’a accompagné sans rien leur dire, se contentant de m’observer tout le long. Quand je lui ai demandé pourquoi il me fixait de la sorte, si cela ne l’ennuyait pas, il m’a rétorqué qu’il s’agissait au contraire d’une activité qui le passionnait. 

           Non… Il n’est pas avare de compliments. Cependant, ceux-là me font à chaque fois le même effet.

           Et, je le sais, dans dix ans encore, ils me toucheront de la même façon.

— Alors ? À quoi penses-tu ? insiste-t-il en croisant les bras sur mon torse, le sien se pressant à mon dos tandis qu’il embrasse mon crâne.

— L’ombre… Elle m’a évitée de mourir.

           Je n’ai pas besoin de le regarder pour savoir que ses sourcils se froncent.

Que dis-tu ?

— Je… Lorsque je me suis battue dans les airs avec elle… Nous allions nous écraser sur la route pavée et elle m’a poussée dans la mer.

           Il se tend contre moi.

Je…, il ne termine pas sa phrase, visiblement pris de court par cette révélation. Pourquoi elle ferait une chose pareille ?

— Je ne vois qu’une seule raison…

           Mon estomac se tord et je déglutis péniblement. Je ne sais trop si la théorie qui s’articule dans mon esprit me plaît davantage que celle que nous avons toujours imaginée. Je crois qu’aucun des scénarios n’est mon préféré.

           Comprenant l’importance de la conversation, Law recule, glissant sa main dans la mienne. Je le suis tandis qu’il ouvre la porte de sa cabine et nous glisse dedans.

           Quelques images de notre première rencontre et de nos dernières nuits me viennent lorsque je m’assois sur le lit. Comme pour me protéger de mes propres paroles, je remonte la couverture sur mes jambes.

           Ses yeux analysent mon mouvement.

— Quelle est ta théorie ? demande-t-il avec appréhension.

           Regardant avec insistance la chaise dans son dos, je l’incite implicitement à s’y asseoir. Il prend place sur le fauteuil ligneux, me regardant avec attention.

           Je sais que je lui fais peur. Il y a de quoi avoir peur.

— Connais-tu le mythe du miroir magique ?

— C’est un portail vers une prison où ont été enfermées des bêtes féroces. Des mages noirs multiples comme le célèbre Suguru Geto y ont projeté les créatures les plus immondes.

           J'acquiesce à toute vitesse.

Quel est le rapport avec la reine ?

— Parmi les bêtes de ce miroir, une a toujours suscité des débats. Personne n’était réellement d’accord pour dire qu’elle existait… Certains affirmaient qu’elle n’était que mythe. D’autres assuraient qu’aucun esprit tordu ne pouvait imaginer telle infamie.

           Le visage confus de Law me fait comprendre qu’il ne sait pas de quoi je parle. Je le comprends bien. Il est de rigueur de ne pas parler aux personnes non-mages de ce genre de légendes.

           Cela pourrait susciter une panique morale qui bouleverserait nos sociétés.

— La légende dit que si cette créature se trouve dans le portail au moment où un être humain est en face, se regardant dans le miroir, ce monstre et l’humain échangent alors leur place.

           Je frissonne.

— La personne n’est alors plus qu’un reflet… Une ombre… Quelqu’un agit avec son corps, son visage, ses souvenirs…

           Fixant le sol avec terreur, je chuchote : 

— Je ne peux pas m’empêcher de me dire que si l’ombre de la reine rouge a tenté de me protéger, c’est qu’elle ne partage peut-être pas le dessein de la reine rouge… Elle a compris qu’elle allait mourir, que la monarque n’allait plus s’en prendre à elle alors… Au lieu de se débattre, elle m’a poussée pour me sauver.

           Law se lève, marchant jusqu’au lit avant de s'asseoir à côté de moi. Précautionneusement, il saisit mes mains.

— Es-tu en train de me dire que la Reine Rouge, que l’on affronte depuis des années, n’est pas notre véritable ennemi ?

           Je tremble tant qu’il peine à garder mes paumes dans les siennes.

— Non seulement je te dis cela, mais je te dis que nous n’avons aucune trace sur son arrestation, qu’on ne sait pas comment l’arrêter, qu’il peut prendre l’apparence, les connaissances, le visage et le pouvoir de n’importe qui, n’importe quand.

           Soudain, je me fige. Mes yeux s’écarquillent. Mon cœur se fige un instant dans ma poitrine.

— Law…

— Qu’est-ce qu’il y a, ma chérie ?


           Une larme de terreur coule sur ma joue. Il l’essuie aussitôt, confus.

— Je… Je crois que cette créature s’est peut-être cachée parmi l’équipage.

— Impossible. Je les connais.

— Non… Tu ne connaissais pas toutes les personnes à bord, ces derniers jours.

           Law ne comprend pas tout de suite. Mais ses sourcils se haussent soudain.

— Les enfants…

— Je crois que l’un d’entre eux n’est pas celui qu’il prétend être.

— Oh, c’est pas vrai.

           Les bras de Law se referment autour de moi, me pressant le plus possible à son torse. Je me réfugie dans sa chaleur, inspirant une bouffée de son parfum.

— Il n’y a pas de révolutionnaires sur cette île à part nous. Les villageois courent un danger tant qu’on est là. Partons d’ici, je le supplie à toute vitesse.

— Oui, ma chérie. Tout de suite.























           Les vagues sont calmes autour du navire. Debout sur le pont, Law me serre dans ses bras. Son torse se presse à mon dos tandis qu’il hume mon odeur.

Capitaine ? interpelle un moussaillon.

           Nous deux nous tournons vers l’homme devant nous. Entre ses mains se trouve un strombe géant dans laquelle gît une encre formant des lettres à mesure qu’on la secoue.

           Je reconnais là l’instrument qu’utilisent les sirènes pour s’envoyer un courrier.

— Qu’est-ce donc ? je demande tandis que Law pose un crochet sur le coquillage, laissant sa main sur mon dos.

— Un message d’un nom qui ne m’est pas inconnu.

           Brandissant le lambi, le pirate me laisse voir son intérieur. Un sourire étire alors mes lèvres en reconnaissant le nom d’un vieil ami.

— Et moi qui croyais qu’il était mort en prison…

           Il a servi dans le premier régiment de la Ligue Rouge. Il y a quelque temps, l’armée l’a incarcéré et plus personne n’a de nouvelles de lui depuis. Nous pensions qu’il était mort.

           Mais, il semblerait qu’il séjourne en réalité chez les sirènes.

— Oh, je me demande ce qu’il devient…

           Un rire me prend.

— …Ce très cher William James Moriarty.


















































j'espère que cette adaptation
du capitaine crochet
vous aura plu...

vous aimez bien Gojo de
jjk ?

rendez-vous demain
pour le voir !






































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