𝐉𝐨𝐮𝐫 𝟏𝟕 : 𝐉𝐞𝐚𝐧.























𝐋𝐀 𝐏𝐑𝐈𝐍𝐂𝐄𝐒𝐒𝐄 𝐄𝐓 𝐋𝐄 𝐏𝐎𝐈𝐒

𝐉𝐞𝐚𝐧 𝐊𝐢𝐫𝐬𝐭𝐞𝐢𝐧

𝐗𝐕𝐈𝐈


















           L’orage emporte avec lui le cri des démunis.

           La nuit est noire, pénétrante. Son voile opaque a avalé les étoiles. Chaque astre lumineux s’est éteint, refusant de guider le chemin de ceux qui ne trouvent plus le repos. Pourtant, des éclats balayent ma route, la révélant à mes yeux.

           Malgré l’obscurité omniprésente, l’orage est traversé d’éclairs qui illuminent mon chemin, me guidant. De temps à autre, durant quelques secondes, j’aperçois les détails de la route boueuse sur laquelle je m’enfonce. 

           Cependant, mon pas est lent. Torturée par une faim qui, ne trouvant de quoi se sustenter, semble sur le point de m’avaler, moi, je tremble. La pluie est violente, fouettant mon corps qui tremble sous ses coups. J’aimerais me laisser tomber, m’étendre dans la boue sinueuse et ténébreuse, attendre que l’averse m’achève.

           Seulement, j’avance. Inlassablement.
           
           Je marche. Pour ceux qui n’ont pas pu le faire. J’avance. Sans savoir où je vais, sachant que mon corps ne tiendra pas davantage.

           J’avance.

— Tiens bon, je souffle à moi-même, ma voix emportée par le grondement du tonnerre.

           Un autre éclair. J’aperçois les sapins secoués par les bourrasques violentes. La route que j’emprunte traverse une forêt. Et pourtant, les branches au-dessus de ma tête me protègent à peine de la pluie torrentielle.

— Tiens bon, j'insiste, mes dents claquant tellement que je peine à formuler le moindre mot.

           Soudain, je trébuche. Piétinant sur le sol, je sautille, essayant de rester debout. J’avance en courant, tentant de me réceptionner.

           Je ne peux pas tomber. Faible comme je suis, je n’arriverai pas à me relever. Et personne ne le fera pour moi. Mes camarades ne sont plus à mes côtés.

           Je suis seule.

           Je parviens à me réceptionner tant bien que mal. Debout, les pieds s’enfonçant dans la boue, j'interromps ma route quelques instants. Le dos voûté, luttant contre la pluie torrentielle qui menace de me jeter au sol, j’essuie l’orage dans une grimace de douleur.

           Mon poignet… Aujourd’hui, plus que jamais, il me fait mal.

           À la manière d’une machine aux rouages mal huilés, je lève mon bras. Malgré l’obscurité, je laisse la manche glisser jusqu’à mon coude, dévoilant mon poignet trempé.

           Un autre éclair. Il illumine ma peau flanquée d’une cicatrice. Une empreinte noire. Les ténèbres absolues. Une teinte qui aspire la lumière et ne laisse de place qu’à l’obscurité. Vantablack.

           La trace des chaînes que j’ai portées, ces derniers mois.

           L’éclair disparaît. Moi aussi. L’obscurité dissipe chaque forme. Y compris celle de mon corps. Seulement frappée par la pluie torrentielle, ma silhouette demeure debout, quoi que voûtée.

— Tiens bon, je chuchote à nouveau, mon corps tremblant de froid, de faim et de fatigue.

           Cependant, je n’y arrive plus.

           Mes jambes refusent de bouger. Cela fait trop longtemps que je marche ainsi, que j'erre sans but. Je me contente d’avancer, mettant toujours plus de distance entre moi et la prison dont je me suis évadée.

           Je me demande si les autres sont dans le même état que moi où s’ils ont trouvé de l’aide.

           Sont-ils seulement vivants ?

— Qui êtes-vous ? 

           Mon cœur se fige. Mes yeux s’écarquillent. Tremblante sous la pluie, je ne parviens même pas à remuer. Je dois courir. À tout prix. Je dois fuir. Je ne peux pas être vue.

           Mais mes jambes ne m’écoutent pas.

— Qui êtes-vous ? insiste la voix calme et pourtant forte, parvenant à couvrir le bruit de la pluie.

           Derrière moi. La voix provient de derrière m…

           Une main attrape mon épaule. Mon corps s’abandonne. Comme si ce contact marquait la fin. Mes jambes rompent sous mon poids. Je ne parviens pas à lutter. Mes genoux se plient brutalement. Je m’effondre.

           Une paume se place dans ma cambrure. Aussitôt, elle m’attire contre un torse. Mon ventre se plaque contre un autre. Et, malgré l’obscurité ainsi que la fatigue, mon sang se glace quand je réalise quelle matière couvre le torse de l’homme.

           Du métal. 

           Il porte une armure.

           Comme les soldats de la Reine Rouge.

           Un sifflement perce ma poitrine. Je ne peux pas lutter. Mes jambes ne me répondent plus et je ne courais pas loin. Cependant, je refuse d’être à nouveau incarcérée.

           Je ne tiendrai pas.

           Dans un ultime geste, une esquisse du désespoir m’habitant, j’attrape le couteau plaqué entre mon coude et mon épaule. 

           Brusquement, je le plante dans la gorge de l’inconnu.

           Cependant, ma lame s’arrête avant de trouver ma cible. Autour de ma main tenant le manche du canif, des doigts épais et puissants se sont enroulés. Fermes, ils m’empêchent de bouger.

           Mon cœur bat à toute vitesse contre l’armure de métal. Je n’ai pas réussi à le tuer. Il a paré mon coup. Et je suis trop faible pour m’enfuir. Il va me tuer.

           Soudain, un éclair nous illumine.

           Deux ambres percent cette lumière vive, encadrées de longs cils. Ce regard sévère, affuté d’épais sourcils bruns, encadre un nez chutant vers des lèvres serrées. Sous ces dernières, une barbe de trois jours parsème une mâchoire anguleuse. Sur le front du soldat tombent quelques mèches châtain, ces dernières courent jusqu’à sa nuque.

           Étrange… Les soldats de la Reine Rouge n’ont pas les cheveux longs.

           Entre nous, mon bras trempé se tient. Au bout de ce dernier brille la lame que j’ai tenté d’enfoncer dans sa gorge. Il la tient fermement, ses pupilles ancrées dans les miennes.

           Intangible, il ne cille pas. Exulte de ces prunelles une aura crépitante, marquée d’une nuance rouge écarlate, brûlante malgré la pluie glaciale.

— Patron ? Un problème ? résonne une voix, derrière lui.

           L’obscurité revient. Je ne distingue plus rien. Cependant, je réalise maintenant que le soldat devant moi est sans doute à la tête d’un groupe. Dans mon état, je ne vais sûrement pas pouvoir tous les immobiliser.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? insiste la voix dans notre dos. C’est qui ? Dois-je donner l’alerte ?

           Le chef ne répond pas. Sa main toujours vigoureusement posée dans le bas de mon dos, il me maintient contre lui, m’empêchant de tomber. Son autre paume, elle, pare mon canif dont la lame frôle sa jugulaire.

           Je n'étais qu’à quelques millimètres d’une mort instantanée… Je n’arrive pas à croire que je l’ai manqué de si peu.

— Monsieur ? Dois-je donner l’alerte ? Regardez ses bras. Le communiqué royal dit que les fugitifs ont des traces noires laissées par les menottes enchantées. En a-t-elle ?

           Comme pour prouver les dires du soldat, un autre éclair balaye le ciel, nous illuminant à nouveau.

           Les yeux ambrés de l’homme me fixent quelques instants. Soutenant son regard, j’ignore mon cœur battant à tout rompre sous l’effet de la panique. Doucement, il abaisse ses pupilles sur mon avant-bras découvert.

           Fugace, si vif qu’il en est presque imperceptible, un éclat traverse son regard. Puis il s’éteint aussitôt.

           L’homme plante à nouveau son regard dans le mien. Je ne saurai dire ce qu’il pense. Indéchiffrable, le visage froid, il me fixe quelques instants.

           L’obscurité revient. Les ténèbres l’engloutissent. Impuissante et à sa merci, je tremble sous la pluie torrentielle. Les prochains instants seront décisifs. Mon souffle se coupe.

— Alors ? insiste la voix, dans son dos.

           Un nouvel éclair. Il nous illumine.

           Sans ciller un seul instant, le soldat garde ses yeux ancrés dans les miens lorsqu’il répond : 

— Elle n’a rien sur ses poignets. Aucune marque. Ce doit être une simple malheureuse perdue.

           Sa voix grave a scindé la nuit.

           L’obscurité revient. J’expire brutalement, désarçonnée. Dans les ténèbres, je le sens lâcher ma main qui tient le couteau. Cette dernière se retrouve libre, mais je ne la bouge pas. Je ne tente pas de le tuer à nouveau.

           Ses doigts libres saisissent ma manche et la remontent jusqu’à mon poignet, dissimulant les traces sur mon avant-bras.

— Amenons-la au château.

           Je suppose que ma fatigue est trop grande, car je n’oppose aucune résistance à ses paroles. Mes paupières se ferment brutalement, comme si mon corps m’abandonnait enfin, après tant de jours de lutte. Mes muscles cèdent.

           À l’instant où ma tête bascule en arrière, l’inconnu place une main sur ma nuque, me rattrapant. Les brumes de l’épuisement se répandent dans mon corps, annihilant chaque spasme d’énergie pouvant naître. Mes articulations se détendent une à une, sombrant dans de denses volutes.

           Il ramène ma tête sur son épaule. Éreintée, je me laisse faire.

           La dernière chose que je ressens, juste avant que le sommeil ne m’emporte, est la légèreté qui saisit mon corps lorsqu’il me soulève dans ses bras.

           Ma douleur s’est dissipée.

           Mon corps n’est que douceur, abandonné dans un cocon de délicatesse. Une chaleur embaume la moindre de mes articulations, chassant les spasmes, les rhumatismes et autres maux. Toute souffrance a disparu.

           Depuis combien de temps n’avais-je pas ressenti un tel confort ? À quand remonte la dernière fois que j’ai fermé les yeux et savouré le calme de la nuit ? Je garde les paupières fermées. Je viens d'émerger d’un sommeil que j’ai amplement mérité.

           Je ne veux pas me réveiller.

           Une torpeur enlise la lueur tamisée que je devine, à travers mes yeux clos. L’écran noir de mes paupières fermées revêt une teinte orangée trahissant une pièce dépourvue de ténèbres. Et, à en juger par les craquements que j’entends tout près ainsi que l’odeur de fumée, un feu brûle non loin de moi.

           Je ne saurai dire depuis combien de temps j’ai marché. Je suis incapable d’expliquer à quand remonte la fois où les résistants de la Ligue Rouge, un mouvement révolutionnaire combattant la Reine, ont pris d’assaut la tour où nous étions enfermés pour nous libérer. À vrai dire, je ne me souviens pas de beaucoup de choses remontant à cette nuit-là.

           Mes chaînes ont cédé. Une voix féminine m’a hurlé de m’enfuir, qu’elle n’avait pas le temps de s’occuper de moi, qu’elle devait s’affairer pour aider les autres. Quelques paroles ont secondées celles-ci, mais je ne les ai pas écoutées. J’étais déjà beaucoup trop loin.

           Depuis, je n’ai cessé de marcher. Nuit et jour, mettant le plus de distance possible entre la prison et moi, j’ai avancé. Sans même savoir où aller. Ma gorge s’est faite sèche à mesure des heures passées sans eau. Mon ventre a grogné tandis que la nourriture manquait. Mes jambes ont hurlé à force de voir le soleil se lever plusieurs fois sans que je m’arrête. Cependant, j’ai avancé. Toujours plus loin.

           Jusqu’à l’orage d’hier soir.

           Hier soir…

           Mes yeux s'ouvrent brutalement et je me redresse. L’éclair. Les yeux ambrés. Mon canif menaçant une gorge. La cicatrice noire sur mes poignets. La main chaude logée dans le bas de mon dos. La pluie fouettant mon corps jusqu’à l’épuisement…

           Il m’a emmenée avec lui. Où suis-je ?

— Tiens, vous êtes réveillée…

           Levant la tête, je découvre la silhouette d’un homme, assis sur une chaise de bois devant l’âtre d’une cheminée. Les lueurs crépitantes du feu projettent une lumière ondoyante et orangée sur son visage. Ce dernier n’en apparaît que plus sévère. 

           Son nez droit chute, suivant le mouvement de son œil ambré. Ce dernier observe avec attention l’épée qu’il tient entre ses larges mains, posée sur ses cuisses. Il l’astique d’un chiffon blanc, partiellement encrassé. Similaire à sa chemise de lin dont le col délacé laisse voir la naissance d’imposants pectoraux. Son avant-bras droit, traversé de veines saillantes, s'active sur l’arme qu’il nettoie avec grand soin.

           Je reconnais sa barbe brune courant le long de sa mâchoire ainsi que ses cheveux mi-longs. Il s’agit de l’homme qui m’a trouvée, hier.

— Je… Où suis-je ? je demande d’une voix rauque, déformée par les longues heures de sommeil qui se sont écoulées sans que je prenne la parole.

           Il ne répond pas tout de suite, levant la lame devant son nez pour l’observer de plus près. Puis, saisissant à nouveau son linge, il la frotte un peu plus.

           Les sourcils légèrement froncés, fixant les tâches invisibles qu’il triture, il me répond : 

— Dans ma chambre.

           Aussitôt, ma main se pose sur mon épaule. Vite. Mon couteau.

           L’homme semble deviner mon action car sans même me regarder, il me lance : 

— Inutile. J’ai récupéré votre couteau quand vous avez essayé de l’enfoncer dans ma gorge, hie…

           Brusquement, il brandit l’épée qu’il nettoie. Cette dernière scinde l’air devant lui. Retentit un tintement violent. Un éclat d’argent tombe à ses pieds. Il s’est levé en dégainant son arme. Cette dernière traine à côté de sa jambe. Debout face à moi, il me fixe.

           Ses yeux ambrés sont dardés sur mon visage à la manière de flèches armant une arbalète. Les muscles bandés, il tient solidement sa rapière. Distinctement, j’aperçois le tressaut de sa mâchoire lorsqu'il la contracte. Un feu brûlant allume à présent son regard.

           Doucement, il pose les yeux sur la dague qui gît à présent sur le sol. Celle que je viens de lancer en sa direction et qu’il a abattue d’un coup d’épée sec.

— Je ne connais pas beaucoup d’hommes dotés de tels réflexes, je fais remarquer en observant mon projectile échoué entre ses pieds. En une fraction de secondes, vous avez entendu ma dague qui se dirigeait vers vous, vous êtes levé, avez saisi correctement votre épée et frappé dans l’arme qui menaçait de vous tuer…

           Haussant un sourcil, je remonte mon regard jusqu’au sien. Il me regardait déjà.

— Puis-je connaître le nom de ma future victime ? je demande dans un sourire narquois.

           Il ne me répond pas tout de suite, observant durement mon visage moqueur. Derrière lui, la lumière rougeâtre de l’âtre forme un cerceau ondoyant autour de sa silhouette.

           Soudain, à ma grande surprise, ses yeux se plissent en une moue amusée.

— Jean Kirstein.

           Penchant la tête sur le côté, il laisse son regard glisser le long de ma silhouette ensevelie sous les draps. 

— Et puis-je connaître le nom de mon assassin ? demande-t-il dans une moue moqueuse, doutant apparemment du fait qu’une femme si faible puisse quoi que ce soit contre lui.

— Appelez-moi la Faiseuse de Tombes.

           Fronçant le nez dans un sourire mesquin, j’ajoute : 

— Après tout, c’est le nom qu’ils ont placardé sur les avis de recherches contenant mon visage.

           Une lueur brille dans son regard. Fugace. Presque imperceptible. Cependant, elle ne m’échappe pas.

           Sans me quitter des yeux un instant, il tend le bras derrière lui et saisit la chaise sur laquelle il s’était assis pour la reposer devant lui. Là, il prend à nouveau place dessus. Cependant, cette fois-ci, ses deux bras se croisent sur le dossier et il me fait face.

           Dans l’ambiance tamisée qu’arbore cette pièce seulement illuminée du feu rougeâtre, il revêt une stature singulière. Sa gorge hâlée luit sous une fine couche de sueur qui se poursuit le long de ses clavicules saillantes et à la naissance de ses pectoraux que sa chemise délacée laisse voir. Cette dernière git par-dessus ses jambes écartées autour du dossier de la chaise. Lequel est surplombé de ses bras croisés. Quelques veines les parcourent, rendus saillantes par l’effort.

           Juste au-dessus se découpe son visage, soudain moins crispé. Son menton anguleux pointe vers moi tandis qu’un rictus gît, presque fantomatique, sur ses lippes.

— Je suppose que j’ai eu raison de vous laisser mon lit. Je m’en serais voulu d’avoir fait dormir une célébrité sur le sol.

           Regardant autour de moi, je découvre des murs sombres de bois, un sol de terre cuite. À l’exception d’une table et de la pile de linge tenant lieu de lit, rien ne décore cette pièce.

           Mon attention se porte sur Jean qui m’observe avec grand intérêt.

— Pourquoi m’avoir emmené dans ta chambre ? je demande en glissant ma main sous mes bras, me dirigeant doucement vers une longue tige de métal empoisonnée qui se trouve sous ma cuisse.

           Lorsqu’il m’a expliquée où nous nous trouvions, j’ai tenté de le tuer grâce à ma dague. À présent que je lui demande pour quelle raison il m’a menée ici, il a intérêt à avoir une bonne explication.

           Cette fois-ci, je ne le raterai pas.

— Tu aurais préféré que je te laisse mourir de froid dans la forêt ?

— Tu sais très bien que oui.

— Il est clair que la Faiseuse de Tombes n’est pas connue pour aimer les châteaux, loin de là. Cependant, je ne savais pas exactement qui tu étais quand je t’ai ramassée, explique-t-il en regardant à nouveau la dague sur le sol.

           Fronçant les sourcils, je penche la tête.

— Château ? je répète en observant le décor rustique nous entourant.

           Il grimace.

— Ma piaule est loin d’être à l’image du reste.

           Jean Kirstein m’a trouvée aux abords de son château, hier, et a voulu me porter secours. Cependant, au lieu de me réveiller dans la chambre des invités, je me trouve dans sa chambre…

— Pourquoi n’as-tu pas prévenu le propriétaire du château que j’étais là ? Refuserait-il d’aider une jeune femme en détresse ?

— Oh, non…

           Une ombre voile ses traits.

— Au contraire.

           Ses yeux ambrés se posent sur moi et j’y distingue un miroitement incertain, profond. Quelque chose gît au fond de ses prunelles. Enfoui sous les méandres de ses iris ambrés.

           Il ne me dit pas tout.

— Pourquoi m’as-tu emmenée ici ? j’insiste d’une voix ferme, sur la défensive.

           Il m’observe encore quelques instants, semblant réfléchir longuement à ma question. Puis, un soupir franchit ses lèvres et il cède : 

— J’avais une proposition à te faire. Je t’ai cachée ici le temps que tu te réveilles, pour savoir si tu allais l’accepter…

           Je ne réponds pas. Gardant un regard froid ancré sur lui, j’attends qu’il poursuive. Il a suscité mon intérêt.

— Tu as sûrement entendu parler des femmes qui disparaissent dans la région…

— Au cas où tu ne t’en serais pas rendu compte, ces derniers temps, j’avais autre chose à faire que de lire les nouvelles.

           Il acquiesce doucement. Baissant la tête, il se concentre quelques instants avant de se racler la gorge. Puis, se redressant, il balance sans le moindre détour : 

— Elles disparaissent ici. Cela fait quelque temps que des femmes disparaissent dans la région et la dernière fois qu’elles sont vues, c’est dans ce château.

           Haussant un sourcil, je gonfle les joues. Assise sur les fesses, mes genoux remontés devant moi, les bras posés dessus, j’observe la pièce autour de moi. Il me faut de longs instants pour digérer ce qui vient d’être dit. 

           Puis, pinçant l’arête de mon nez dans un froncement de sourcil, je lance :


— Donc, si je comprends bien, ton chef, le propriétaire de château est un tueur en série qui s’en prend aux femmes et toi, tu ramènes la première femme que tu croises ici ?

           Poussant sa joue de sa langue, Jean ne répond pas tout de suite. De toute façon, je ne le lui laisse pas le temps de le faire : 

— Je te conseille de courir très vite parce que dans n’importe quel état, des merdeux comme toi, j’en décime treize par jours.

           Il secoue doucement la tête.

— Tu ne comprends pas…

           Jean regarde mes avant-bras dénudés posés sur mes genoux. Ses pupilles se dilatent devant les marques d’un noir absolu.

— Les marques que tu as… Elles sont causées par les chaînes magiques les plus puissantes de ce monde.

— Je te remercie du reportage, mais je me les suis fadées durant plusieurs mois alors, je suis vaguement au courant, je rétorque d’une voix acerbe, agacée de m’être fait une nouvelle fois embarquée dans une sale histoire.

           Je sors à peine d’une prison dans laquelle j’étais censée finir mes jours et je me retrouve nez-à–nez avec un tueur en série extrêmement prolifique ? Le destin est décidément bien farceur.

— Je sais que toi, tu peux le tuer. Quelqu’un qui possède de telles marques est capable d’occire n’importe qui.

— Et pas toi ? Tu as paré ma dague. Tu m’as l’air bien entraîné.

           Secouant doucement la tête, il murmure : 

— Il n’y a pas que ça…

           Les sourcils froncés, je me redresse légèrement. Comme si quelque chose en moi avait deviné de quoi il allait parler, je suis soudainement plus attentive. Car je crois que, quelque part, j’ai effectivement compris à quoi il pense. L’expression qu’il porte sur le visage, cette façon de froisser ses traits comme s’il essayait de ne pas trop espérer, effrayé à l’idée que ses attentes soient déçues…

           …Tous les résistants ont montré ce visage un jour.

— Cela fait des mois que j’empêche les femmes de ce château d’y entrer. Je patrouille chaque soir afin de les tenir éloignées de ce destin. Et quand il arrive quand même à s’en trouver, j’essaye de les avertir, de les faire fuir, de les chasser…

           Le propriétaire de ce château possède quelque chose de précieux. Si précieux qu’il préfère aider ses femmes plutôt que de couper le problème à la source en le tuant.

— Qu’a-t-il que tu convoites ?

           Il déglutit péniblement.

— De l’eau.

           Mon cœur se fige. Mes yeux s’écarquillent.

— Q… Quoi ?

— Je ne sais exactement quand tu as été incarcérée… Mais je sais que lorsque tu sévissais, tu tuais les riches qui gardaient l’eau potable pour eux. Saches que depuis, la situation a empiré.

           Depuis quelque temps maintenant, un poison s’étend dans les lacs, rivières et mers bordant les villages des plus démunis. Tous sont conscients de son existence : cette substance, du mercure, colore les eaux d’un rouge écarlate. Cependant, à mesure qu’il prolifère, de moins en moins de sources non contaminées sont disponibles.

           Alors les paysans, sachant qu’ils s’intoxiquent, mais n’ayant d’autres choix, s’abreuvent dans ces sources. Ils boivent, cultivent leurs terres, alimentent leur bête, lavent leurs vêtements à l’aide de ce liquide qui arbore la couleur du sang.

           Ils se condamnent en ayant conscience de leur situation.

— Aujourd’hui, reprend Jean, dans cette région, il n’y a que le marquis qui possède ce château qui a accès à de l’eau potable. Mais, personne ne sait où. Il la vend à prix d’or, seuls les plus riches peuvent se l’offrir. Ils se nourrissent aussi chez lui, seuls les fruits et légumes de son agriculture n’étant pas développés avec de l’eau mercurée.

           La mâchoire contractée, je tente de réprimer le spasme de mes lèvres.

           Avant que les forces de la Reine Rouge ne parviennent à m’attraper et me mettre en prison, j’avais gagné mon nom en combattant ces individus.

           La Faiseuse de Tombes…

           À une époque où l’eau est empoisonnée, les paysans tombent comme des mouches. Les cadavres jonchent les rues et s’empilent près des villages appauvris. S’ils n’ont pas les revenus pour s’abreuver décemment, ils n’ont pas non plus assez d’argent pour enterrer les leurs.

           Seuls les riches ont le droit à une sépulture décente. Seuls les plus fortunés, qui bâtissent leur beurre sur le malheur de ces petites gens sans se soucier de leur sort peuvent espérer avoir une tombe.

           Alors, je la leur offrais.

           Auparavant, lorsque j’apprenais qu’un noble tentait de privatiser un lac non empoisonné, il ne fallait pas moins de quelques heures avant que ma lame ne traverse sa gorge. Les paysans trouvaient du répit dans ma protection.

           Enfin… Jusqu’à mon incarcération.

— Le marquis recherche une épouse, une « princesse ». Il soumet chaque femme qu’il rencontre à une batterie de tests pour éprouver sa nature noble. Si elle échoue, il la tue. Si elle réussit, ce qui n’est encore jamais arrivé, il promet de lui montrer la source de sa richesse comme ultime preuve d’amour.

— Autrement dit, si je réussis les tests, je peux mettre la main sur la seule source d’eau potable de la région…

           Jean acquiesce. Son regard s’attarde sur les marques jalonnant mes avant-bras. Je les observe aussi.

           Puis, reportant mon attention sur lui, je demande simplement : 

— Bien. Donne-moi un maximum d’informations pour réussir les tests.

           Le premier défi que je vais devoir relever démontre l'absence totale de logique du marquis.

           Ce matin, après m’avoir nourrie et avoir emmené quelques antidotes pour pallier les nombreuses carences que j’ai développées en tant que prisonnière, Jean m’a préparée à ma rencontre avec le marquis. En tant que premier garde du noble, il suit ce dernier dans tous ces déplacements et sait donc où il se rend et quand, tout le temps.

           Ainsi, il m’a indiqué à quel endroit je devais me situer afin de rencontrer de façon fortuite le propriétaire de ces terres.

           Je dois avouer que je ne me reconnais pas réellement, après des vêtements qu’il m’a donnés. Une chemise blanche à manche longue disparaît dans le corset brun qui marque l’avènement d’une jupe souple et brune ondulant sur mes jambes à la manière d’une rivière. Glissés dans des pantoufles lustrées, mes pieds sont moins confortables que dans mes habituelles bottes.

           La tenue que je porte n’a rien de joli. Du moins, elle ne doit pas me donner l’air d’une princesse. Car là se trouve toute la singularité de cet abruti de marquis : il ne veut pas simplement une princesse. Il veut croiser une femme qui se croit ordinaire et lui apprendre qu’elle est une princesse.

           Enfin, je suppose que lorsqu’on ne passe pas son temps à se battre pour sa propre survie, on doit s’ennuyer assez pour cogiter de telles histoires…

           Marchant entre les arbres constituant le bois du domaine, j’attends patiemment de croiser la route du noble, flanqué du soldat. Ce dernier m’a précisément indiqué qu’il me fallait tourner autour du sapin aux branches les plus basses…

           Je m’y trouve à présent.

           L’herbe autour de moi est humide, encore fortement imprégnée de l’orage qui s’est déchainé la nuit dernière. À présent, le soleil est timide, laissant un ciel gris sans nuages s’étaler au-dessus de nos têtes. À l’exception de ce sol mouillé, rien ne trahirait le temps cauchemardesque qui a secoué la région. Pour cause, les gens du château ont passé la matinée avant que le marquis ne se réveille, à déblayer les morceaux d’arbres et à redonner bonne mine aux végétaux.

           Ils ne pouvaient pas risquer de gâcher la promenade du maître des lieux, d’après Jean…

           Mes pensées glissent sur le visage sévère et harmonieux de ce dernier. Cette nuit ou encore ce matin, ses traits étaient statiques. Même lorsqu’il a évoqué son plan pour mettre fin au règne de terreur du marquis, il a conservé une certaine constance. Cependant, tout cela a fondu comme neige au soleil lorsque nous nous sommes préparés pour créer cette rencontre.

           Le corset lâchement abandonné autour de ma taille, je me suis plantée juste devant lui, mon dos face à son torse, et lui ai demandé de m’aider. Il n’a pas réagi tout de suite. Quelques instants, son souffle s’est échoué sur ma nuque en une caresse brûlante.

           Sans doute trop éreintée par ma captivité, je n’ai pas réagi immédiatement. Mes yeux se sont lentement clos et j’ai senti mes entrailles se soulever. Le feu a crépité dans la cheminée. Les secondes se sont ralenties sans que rien vienne perturber le rythme régulier de sa respiration sur ma nuque.

           Soudain, ses doigts ont saisi les cordages du corset. Il s’est approché un peu plus et son parfum, un mélange de pétrichor et cèdre, s’est insufflé dans mes narines.

— Dis-moi si je serre trop, a-t-il chuchoté dans le creux de mon épaule.

           Puis, doucement, comme si je n’étais qu’une poupée de verre sur le point de se briser, il a tiré. Au bout de quelques secondes, mes mains se sont posées sur les siennes pour l’arrêter. J’aurais pu les retirer aussitôt. Mais, je ne sais trop pour quelle raison, je les ai laissées. Il n’y a opposé aucune forme de résistance.

           Nous sommes restés ainsi quelques instants. Si proches que nos chaleurs et parfums se mêlaient. Nos peaux se touchant en une caresse à peine effectuée.

           Lorsque mes mains ont quitté les siennes, il a noué le cordage. Puis, sans un regard pour moi, il a quitté la pièce. Je l’ai interpellé, lui demandant si le rendu était fidèle à ce qu’il s’imaginait. 

— Oui, oui… Tu es très jolie.

— Ce n’est pas ça que je te demande. Et puis, comment tu peux dire que je suis jolie alors que tu ne me regardes pas ? j’ai demandé en remarquant la teinte écarlate sur sa nuque.

— Je… Je l’avais déjà remarqué hier quand je t’ai trouvée.

           Une chaleur se répand en moi à ce souvenir. Je ne sais trop pour quelle raison, mais il me fait sourire.

           Ainsi donc, il me trouve jolie…

— Halte là !

           Me retournant en direction de la voix râpeuse, je découvre un bien curieux spectacle. Non loin de moi, à quelques pas seulement, un cheval à la robe blanche se tient. Son écrin, immaculé, semble boire chaque lueur de soleil pour la renvoyer avec davantage de puissance. Il ne me faut qu’un regard à l’animal pour constater son panache et son élégance.

           Le destrier, en revanche…

           Flanquée sous un épais manteau semblable à un amas de couvertures onéreuses, une tête chauve flotte. Il me faut quelques instants avant de comprendre qu’un minuscule bonhomme amaigri se tient sous diverses couches de vêtements. De lourdes boucles d’oreilles pendent de chaque côté de son crâne anguleux, alourdissant ses traits déjà pesants.

           Ainsi donc, voici le marquis… Rien de bien impressionnant.

           Ceci dit, mes années parmi la Ligue Rouge, camp de résistants, m’ont enseigné une leçon : les ennemis les plus dangereux ne sont pas toujours ce que l’on croit. Sous mes allures de jeune femme éplorée, je suis la mercenaire la plus prolifique d’une organisation désignée comme terroriste par la Reine Rouge.

           Je reste donc sur mes gardes.

— Mmm…, lance le marquis en m’observant, ses longs doigts grattant une barbe inexistante. 

           Les dernières années m’ont poussé à affronter bien des situations. Cependant, si je demeure confiante face à un ennemi armé et prêt à en découdre, je ne peux jamais garder la tête haute bien longtemps lorsque celui auquel je fais face me regarde comme le noble devant moi le fait.

           Ses yeux globuleux tremblent presque à mesure qu’ils remontent de mes chaussures jusqu’à mes jambes, atteignant ma taille et découvrant mon torse. Son nez frétille lorsqu’il hume l’air, sa langue commençant à pointer entre ses lèvres fines comme des lames de rasoir.

           Lorsqu’il lèche ces dernières, de la bile remonte le long de ma gorge.

           Vieux pervers.

— Monsieur le marquis ? Devons-nous approcher ? demande une voix que je reconnais aussitôt.

           Mes yeux se posent sur Jean qui, à pied, emboîte le pas du cheval. Il a troqué sa chemise en lin contre une armure dorée et noire. La main posée sur son épée, il joue avec le manche de cette dernière tout en observant le marquis.

           Si le noble n’était pas occupé à me reluquer, il se rendrait compte que son soldat le fixe à la manière d’un lion prêt à bondir sur sa proie.

— Oh, que… Oh que oui ! rit grassement le noble en applaudissant.

           Je déglutis péniblement. Jean semble sur le point de l’étriper. Cependant, sans un geste déplacé, il obtempère.

           D’un même pas, ils avancent. La distance entre nous se voit réduite et, bientôt, seuls quelques bras nous séparent. Je pose alors la pointe de mon pied droit à gauche de mon autre jambe et, saisissant ma jupe pour l’empêcher de trainer au sol, je m’incline.

           La tête basse, comme me l’a expliqué Jean, je force un sourire. Ce dernier tire tant mes lèvres qu’elles menacent de craqueler.

— Oh la la ! Oh la la ! s’exclame le marquis en applaudissant par-dessus sa voix aiguë. C’est elle ! Ma main à couper, que c’est elle !

           Une pierre tombe dans mon estomac. Je l’ignore.

— Ma chère, ma chère, relevez votre tête ! Relevez-la !

           Je me redresse. Cependant, bien que je lève les yeux, mon menton pointe devant moi. Cela me confère un air ingénu que le marquis aime particulièrement, selon Jean. Pour lui qui n’est pas bien fort, le moindre signe de puissance chez une femme est rédhibitoire. Elle doit être malléable, imberbe, docile, ingénue, voire, légèrement stupide.

           Il eut été plus simple d’exprimer qu’il souhaitait une enfant dans un corps plus mûr.

           Un sourire satisfait étire les lèvres du noble.

— Que venez-vous faire ici ?

— Je… Je me suis perdue. Toutes ces routes, c’est si compliqué…

           Un rire gras me répond. Je ne peux m’empêcher de chercher Jean du regard, quêtant réconfort dans ce visage familier. Je distingue un éclat étrange dans ses yeux. Il ne s’agit pas simplement d’embarras.

           La situation semble lui faire mal.

— Parfaite ! Elle est parfaite ! s’exprime le marquis comme si je n’étais pas là.

           D’un geste sec et dédaigneux, il claque des doigts au-dessus de la tête de Jean. Puis, sans le moindre sourire, il ordonne : 

— Toi, escorte-la jusqu’au château.

           Mes entrailles se tordent. Le soldat acquiesce doucement. Le regard baissé, il n’ose pas me regarder. Il m’a parlé de ce qu’il devait faire lorsque le marquis croisait ainsi une femme. 

           Il ne veut pas revivre ce moment humiliant. Pas une nouvelle fois.

           Et je ne veux pas lui infliger cela.

— Voulez-vous que je vous rejoigne sur votre monture pour que nous atteignions le château ?

           Aussitôt, Jean redresse la tête. Le marquis fait de même. Cependant, là où je devine que le soldat est inquiet à l’idée que je grimpe juste derrière le noble, ce dernier montre une autre expression.

           Un sourire profondément malsain habille ses lèvres.

— Oh, mais c’est qu’elle est entreprenante !

           Il lâche un rire aigu qui vrille mes tympans à la manière d’une gifle violente. Il crie en même temps qu’il s’esclaffe, se secouant sur la pauvre monture qui lutte contre ce poids instable.

— Je les aime entreprenantes ! Grrr !

           Ce genre de moment me donne envie de m’abreuver dans un lac rouge.

           Les yeux de Jean sont écarquillés et je remarque la veine palpitante sur sa tempe. Poussant sa langue de sa joue dans un tic énervé, il se tend à vue d’œil, prêt à sauter à la gorge du noble.

— Mais cette monture est là pour la noblesse, voyez-vous… Seule une vraie princesse pourrait s’y tenir, à mes côtés.

           Un autre rire étrange, similaire à un beuglement, franchit ses lèvres closes.

— Quoique je ne doute pas qu’après quelques vérifications, vous m’y rejoignez rapidement !

           Tandis qu’il commence à s’affoler sur la pauvre monture, Jean triture le pommeau de son épée. Cependant, j’aperçois un certain soulagement traverser ses traits lorsqu’il réalise que le marquis vient de refuser que je monte avec lui.

— Bien, je vous suivrai donc à pied, j’insiste, essayant à tout prix d’éviter au soldat la scène qu’il vit régulièrement.

           Abasourdi, il pousse un beuglement atterré. Plaçant la paume sur son cœur, il crie.

           Encore.

— Mais enfin ! N’allez pas fatiguer vos fragiles petits pieds ! J’ai une monture pour vous !

           Claquant des doigts au-dessus de Jean qui fixe le sol, embarrassé, il me désigne ensuite. Abandonnant son sourire, il aboie sèchement : 

— Allez vite ! Je n’ai pas intérêt à vous attendre au château !

           Là-dessus, sans laisser le temps au châtain de m’approcher, le marquis recule avec sa monture. Dans un rire dédaigneux, il considère le visage rougi par la honte du soldat.

— Il vous portera ! Vous verrez, il a tout du cheval. Le visage et la cadence !

           Là-dessus, il abat sa main dans un claquement sur le flanc de sa pourpre monture. Celle-ci, affolée, mais visiblement entraînée, se retourne aussitôt. Je n’ose imaginer ce qu’il a dû lui infliger pour que l’animal réagisse si rapidement.

           Tandis qu’il avance d’un pas trottinant, le marquis lance à Jean, par-dessus son épaule : 

— Allez ! Au galop, l’étalon !

           Mon regard se pose sur le châtain qui, les yeux rivés sur le sol, ne réagit pas. La main posée sur le pommeau de son épée, il fuit le moindre contact visuel avec moi, trop embarrassé.

           Lorsque nous nous sommes habillés, il m’a expliqué quelles seraient les étapes à suivre afin d’accéder au deuxième test du marquis. Après m’avoir détaillé les secrets qui me permettraient d’accéder au château, il s’est assis sur sa chaise de bois.

           Puis, fixant le sol avec embarras, il n’a pas osé croiser mon regard lorsqu’il a expliqué : 

— Je… Je dois te dire… Tu n’iras pas au château à pied…

— Le marquis voudra que je monte avec lui ? j’ai lâché, pensant que sa moue affligée était liée à sa gêne de m’annoncer que nous aurions une grande proximité.

— Non… Je… Je vais devoir te porter sur mon dos et courir…

           Mes sourcils se sont alors froncés.

— Je devrais aller plus vite que le cheval du marquis qui sera parti avant nous…

— Quoi ? Mais pourquoi ? Il n’a pas d’autres montures ?

           Ses épaules se sont haussées. Il a pincé les lèvres d’une moue embarrassée.

— Si… Je suppose que m’utiliser le fait davantage rire.

           À présent, j’observe Jean qui ne bouge pas. Il n’a aucune envie de faire le premier pas, de poser un genou à terre en attendant que je grimpe sur son dos. Seulement, je ne veux pas non plus être celle qui le poussera à le faire.

— Jean… Nous ne sommes pas obligés de faire ça.

           Il secoue la tête.

— Si… Mais ce n’est rien. Nous n’avons qu’à courir et ça ne durera pas longtemps.

           Il prétend être insensible à cette situation. Cependant, ce n’est pas vrai. Cela se voit. Alors, je m'approche doucement, ne voulant pas le braquer. Je me place devant lui. Mes pieds entrent dans son champ de vision alors qu’il garde les yeux rivés sur le sol.

           Avec délicatesse, je pose ma main sur sa joue. Aussitôt, il se redresse. Ses yeux se plantent dans les miens. Sa pupille se dilate, assombrissant son regard. Il déglutit péniblement. Sa peau chauffe sous ma paume.

           Nous restons ainsi quelques instants, nous observant sans rien dire. Il ne dit rien, quelques rougeurs ornant sa peau.

           Au bout d’un moment, il se racle la gorge. Je lisse sa pommette de mon pouce avant de retirer ma main.

— Je te promets, ça va aller, chuchote-t-il dans un sourire qui est sincère, cette fois-ci.

           Alors, lorsqu’il se retourne et s’accroupit, je n’hésite pas à grimper sur son dos, réalisant que nous avons déjà perdu un certain temps. Il se redresse, me réajustant. J’ignore le frisson qui me parcourt lorsque ses bras glissent sous mes cuisses. Je pose ma tête sur son épaule.

— Je me rachèterai tout à l’heure, je lui promets tandis qu’il prend de l’élan.

— Ah oui, et comment ?

— Passe dans ma chambre et tu verras, je souris contre lui.

           Juste devant mon nez, son cou devient rouge mais il ne dit rien. Au lieu de cela, il s’élance à vive allure.












           Le premier défi a été relevé. Le marquis semble avoir été satisfait de ma performance lors de notre rencontre. Nous avons diné ensemble, chacun au bout d’une table ridiculement longue. Le long des murs, les servantes attendaient le moindre ordre du marquis.

           Tout le long du dîner, Jean avait les yeux fixés sur moi. Tant et si bien que mes joues brûlaient davantage que ma nourriture.

           À la fin de celui-ci, le marquis s’est dit agréablement surpris de notre rencontre. Il m’a donné rendez-vous demain pour un deuxième défi. Cependant, Jean m’a confié que cela n’était qu’un leurre.

           Le prochain test aura lieu ce soir.

           Et il s’agit du plus important de tous, celui où toutes ont échoué et se sont vues ôtées la vie. Le châtain a eu beau essayer de les mettre en garde, elles avaient du mal à imaginer qu’il ne se comportait pas ainsi pour les saboter. Leur parler d’une possibilité de mourir si elles déjouaient les attentes du marquis… Il y avait de quoi douter de la véracité de ses propos.

           Cependant, je ne peux m’empêcher de me dire qu’en découvrant la chambre à coucher, quelques questions ont dû leur traverser l’esprit.

— Impressionnant, n’est-ce pas ? résonne une voix, dans mon dos.

           Jean suit mon regard, découvrant la chambre au plafond démesurément loin du sol et une étagère si haute qu’une échelle est posée en son long pour pouvoir atteindre certains livres. Cependant, cela n’est pas l’unique élément retenant notre attention.

           Le lit… La deuxième épreuve se trouve dans le lit.

— Je vais devoir grimper tout cela ? je demande en observant l’imposante pile de couvertures grimpant sur plusieurs dizaines de pieds.

           La tête basculée en arrière pour contempler la hauteur du lit, je réprime un sifflement.

— Il y a plusieurs centaines de couvertures empilées les unes sur les autres. Entre les deux premières, posées sur le sol, le marquis a posé un petit pois.

           Je me retourne brusquement vers le soldat.

— Un petit pois !?

— Un petit pois, acquiesce-t-il dans un soupir signifiant qu’il partage mon exaspération.

— Son peuple crève de faim et il fout la bouffe dans les matelas, ce connard ?

           Fermant les yeux, le châtain acquiesce d’un air résigné. Je lance un coup d'œil aux couvertures, atterrée par ce que je viens d’entendre.

— Bon. Mettons, je finis par déclarer après avoir dépassé le choc d’une telle ânerie. Et à quoi sert ce petit pois ?

— A testé ta délicatesse.

           Haussant un sourcil atterré en direction du soldat, je ne fais aucun commentaire. Cependant, mon exaspération est si visible qu’après m’avoir considéré quelques secondes, il hausse les épaules : 

— Il est convaincu que les véritables princesses sont si délicates qu’elles peuvent ressentir la présence d’un simple petit pois, même coincé sous des couches de matelas.

           Le sourcil toujours arqué, je mets quelques secondes avant de lancer : 

— Rassure-moi, tu as bien conscience que si une fille aussi délicate existait, elle se serait déjà évanouie devant l'haleine du marquis ?

           Les lèvres pincées, il acquiesce.

— Et tu es au courant qu’on en a, des princesses, dans la Ligue Rouge ? Que la plus célèbre est surnommée Dame Molard parce qu’elle a la fâcheuse tendance à cracher au visage de ses adversaires pour les aveugler ?

           À nouveau, il fait un signe affirmatif de la tête.

— Et qu’elles sont plus ou moins toutes de cet acabit ?

— Écoute, tu prêches un converti :  cet homme est un abruti.

           Un sourire étire mes lèvres.

— Vivement que je t’en débarrasse alors. Allez, viens.

           Il ne m’emboite pas le pas lorsque je m’élance en direction de l’échelle collée aux couvertures. Il se contente de m’observer, médusé, tandis que je grimpe aux barreaux.

— Bah ? je demande en me retournant, lui lançant un regard amusé. Qu’est-ce que tu attends ?

— Je… Dans ton lit ? Tu veux que je te suive jusque dans ton lit ?

           Posant mon regard sur le mur, je questionne un instant la clarté de ma phrase. Cependant, je suis convaincue d’avoir été très explicite lorsque je l’ai enjoint à me suivre avant d’atteindre les matelas.

— Oui ? je réponds au bout d’un bref silence. Pourquoi ?

— Je… Je ne sais pas… Tu ne trouves pas ça étrange ? Un homme et une femme… Dans un lit ?

           Il me faut quelques secondes avant de réaliser pour quelle raison ses joues sont soudainement écarlates.

— Oh, j’avais oublié… Dans la résistance, on a tendance à tous dormir dans le même hangar et, faute de moyen, à partager des couches à quatre. Je suis juste habituée à ça, mais je peux comprendre que tu sois mal à l’aise alors, salut !

           Je m’apprête à continuer mon ascension lorsqu'il me lance : 

— Attends !

           Je me retourne à nouveau. Les bras croisés sur sa poitrine, comme pour se protéger, il ne me regarde pas dans les yeux lorsqu’il me lance : 

— Quand tu as dit que tu me revaudrais le trajet, tout à l’heure… Qu’est-ce que tu entendais par là ?

— Rien de bien fou, je réalise maintenant en pinçant les lèvres. Dans la Ligue, quand notre général nous faisait des coups comme celui-là, on parlait mal de lui, le soir. On s’endormait en se moquant de lui. Et ça me faisait du bien.

           Là, le regard de Jean se pose enfin sur moi et un sourire étire ses lèvres. Il n’hésite pas longtemps avant de marcher jusqu’à l’échelle : 

— Dans ce cas…

           Il nous faut plusieurs dizaines de secondes avant d’atteindre le haut de l’échelle. Là-haut, des ronces polies avant de ne présenter aucune épine se torsadent autour de la couverture, formant une protection. 

           Assise au milieu de la couverture, je regarde le cadran.

— Ça alors…, je murmure, agréablement surprise, en observant les barrières. La barre est vraiment basse parce que je retrouve à être touchée que le marquis ait mis des protections.

— Non… C’est moi…, lâche péniblement Jean en se hissant dans le lit. J’avais peur que tu tombes.

           Un sourire touché étire mes lèvres tandis que je regarde le châtain. Ce dernier secoue sa chemise pour apporter un peu de fraîcheur. Je louche quelques instants sur ses imposants pectoraux que je découvre entièrement à ce geste.

           Nous nous allongeons sur le flanc pour nous faire face. Un sourire aux lèvres, je l’observe se détendre. Cependant, ses sourcils se froncent.

— Tu me crois si je te dis que le tas de linge qui me sert de lit est plus agréable ? demande-t-il en fronçant les sourcils. Quelque chose ne va pas, dans ce lit.

— C’est peut-être toi, la princesse aux petits pois.

           Il éclate d’un rire grave, basculant sur le dos pour regarder le plafond, encore loin de nous. Je mets quelques instants avant de l’imiter.

           Le silence prend place, réconfortant. Il demeure quelques instants avant que Jean ne le brise.

— Tu crois que…

— Ma mie ! Ma mie ! résonne une voix de crécelle, semblable à un beuglement, que je reconnaitrais entre mille.

           Le marquis.

           Mon sang ne fait qu’un tour et je ne réfléchis pas. Me jetant à côté de Jean, je presse mon corps au sien avant de balancer la couverture par-dessus nos silhouettes. Le châtain se laisse faire, allant même jusqu’à enrouler son bras autour de ma taille.

           Me redressant en position assise, je regarde en contrebas. Le marquis se trouve debout sur le seuil de la porte de la chambre. D’ici, il semble plus petit encore qu’il ne l’est.

— Oui, Marquis ?

— Oh ! Vous êtes si ravissante, dans votre robe du soir ! s’exclame-t-il.

           Je sens les bras de Jean se resserrer, autour de ma taille. Sa tête logée contre mon flanc, il contracte vivement la mâchoire. Discrètement, je glisse ma main sous la couverture et passe mes doigts dans ses cheveux.

           Il se détend.

— Je venais simplement vous souhaiter bonne nuit… Tout se passe bien ? insiste le marquis.

— Je… Oui… Enfin, il y a bien une gêne mais… Je dois être courbaturée, c’est tout…

           Son regard plissé se fait plus sombre lorsqu’il rit doucement. Je frissonne à cette vision. Il glisse une main sur sa robe de chambre, remplaçant le plan qui commençait à glisser, dévoilant sa poitrine.

           Je sursaute en voyant son pectoral gauche. Mais, je ne laisse rien paraître. Jean doit comprendre qu’il se passe quelque chose, car sa main s’entrelace à la mienne, sous les couvertures. Son pouce caresse mes phalanges.

— Alors, reposez-vous bien, ma mie !

— Vous aussi, marquis. Faites de beaux rêves ! je lâche dans un rire forcé.

— Oh, vous… Grrr… Vous êtes délicieuse ! Vous avez intérêt à réussir le test… Grrr… Oh ! Je m’emporte !

           Il disparaît, claquant la porte dans son dos. Aussitôt, la couverture se soulève et les bras de Jean remontent pour me serrer entièrement contre lui. Tremblante d’horreur, je me blottis dans ses bras épais et loge ma tête dans son cou.

— Je suis désolé… Je suis tellement désolé… Je ne m’imaginais pas une seule seconde qu’il allait venir ici ! affirme-t-il, sa main traçant des cercles sur mon dos. Je t’ai senti trembler contre moi, j’ai détesté.

— Ce… Ce n’est pas ça…

           M’écartant de lui, j’ignore l’air qui devient alors froid et plante mon regard dans le sien. Nos doigts s’entremêlent et je déclare : 

— Jean… Il a un tatouage de clé sur son torse.

           Les sourcils du soldat se froncent. Il ne voit pas de quoi je parle.

— Il… Il utilise de la magie. La clé vers l’endroit où se trouve l’eau potable est en lui. Seul lui peut la matérialiser. Si on le tue, on perd l’accès à cette eau !

           Aussitôt, ses yeux s’écarquillent et ses pupilles se dilatent.

— Mais… Il n’acceptera jamais de matérialiser la clé… Pas avant qu’on parvienne à le convaincre que tu es la personne idéale, pas avant qu’il se marie… 

           Un éclat d’horreur traverse ses yeux lorsqu’il prononce ces derniers mots.

— Oh non ! Il en est absolument hors de question. Je vais te faire sortir d’ici ! Tu ne peux pas passer une seule seconde de plus dans ce château de mal…

— Jean ! Jean ! Jean ! Jean, écoute-moi ! Écoute-moi !

           Paniqué, le châtain ne m’entend même plus l’appeler. Tentant d’attirer son attention, je saisis son visage en coupe. Aussitôt, il se calme, me regardant dans les yeux.


           Une véritable frayeur traverse son regard.

— Tu as oublié ce qui traverse mes bras ? Ce marquis de pacotille ne peut rien contre moi. J’ai vu pire.

— Mais… Je ne veux pas que tu deviennes son otage pour autant. Je sais que tu seras prête à sacrifier des années à ses côtés pour mettre la main sur cette clé, murmure-t-il en faisant la moue, sa main caressant mon genou.

           Je lui offre un sourire.

— Des années ? Oh non, donne-moi une journée seulement. Je sais exactement quoi faire.

           Ses sourcils se haussent.

— Une journée ? Mais que comptes-tu faire ?

           Je secoue la tête doucement.

— Tu me fais confiance ?

— Évidemment, rétorque-t-il sans l’ombre d’une hésitation.

— Alors sache que demain soir à la même heure, on boira une gorgée de cette eau avec les villageois.

           Ses yeux s’illuminent et je peux sentir son pouls s'accélérer contre mes doigts. Cette pulsation me fait réaliser que je tiens encore son visage en coupe, alors j’abaisse mes mains. Il les saisit aussitôt.

           Son front se pose contre le mien. Je souris face à cette proximité nouvelle.

— Promets-moi juste d’être prudente, chuchote-t-il avec appréhension.

— Je te le promets, Jean.
















           Éplucher. Pétrir. Bouillir. Cuire. Hacher. Couper. Ciseler. Écraser. Fouetter. Frémir. Revenir. Réserver. Mijoter. Blanchir…

           Les fruits azalyuipioud se cuisinent aussi difficilement qu’ils se prononcent. Aucun aliment n’est travaillé dans un tel ordre, requérant autant de récipient ni d'outils.

           Seules les lames les plus affutées et les techniques les mieux élaborées peuvent entailler leur chair pour révéler leurs noyaux. Et ce dernier doit être alors massé au moins une heure, jusqu’à ce qu’il se ramollisse enfin. Là, sans lui laisser le temps de se durcir à nouveau, il est projeté dans une casserole portée à ébullition. Puis, après quelques secondes seulement, juste assez pour qu’il ait la consistance d’une pâte sans qu’il devienne liquide, on le jette sur un poêle graissé et crépitant. Là, il redevient ferme. Assez pour être coupé. Il faut alors le hacher en morceaux que l’on cisèle. Puis, on les réduit à l’état de purée que l’on vient fouetter généreusement à l’aide d’un outil fait en bronze — car aucune autre matière ne peut traverser la purée. Puis, dans de la sève de pin frémissante, on fait revenir l'aliment que l’on retire puis réserve. La sève de pin imprégnée de la saveur de fruit mijote un temps avant que l’on ne projette à nouveau l’aliment dedans. Quelques secondes à peine. Puis, le tout est balancé dans une casserole d’eau froide que l’on porte à ébullition.

           Tout cela n’ayant qu’un seul objectif. Ces multitudes étapes ne servent pas à donner une saveur à l’azalyuipioud. Non. Travailler autant le fruit ne peut servir qu’à un unique dessin. Le rendre comestible.

           Avant cela, le fruit ne pénètre simplement pas la bouche des humains. Sitôt est-il placé dedans qu’il en ressort dans un bond. Né d’une plante enchantée, comme tous les fruits de sa nature, il requiert une grande maîtrise des recettes magiques.

— Vivement que je récupère cette clé de malheur, je grommelle en m’étirant de tout mon long, sentant les os de mon dos se craqueler à ce geste.

           La matinée que je viens de passer a été aussi éprouvante que la nuit la précédant a été plaisante. Des heures durant, Jean et moi avons discuté, nous racontant des anecdotes hilarantes sur le marquis ou la Ligue Rouge. Les yeux brillants d’admiration, il n’a cessé de me demander plus d’histoires sur mon travail dans la Résistance. Nous nous sommes endormis, blottis l’un contre l’autre, sans même voir le temps passer.

           Nos discussions ont dû s'étendre jusque tard, car je n’ai eu la sensation que de cligner des yeux entre nos dernières paroles échangées et le son de la cloche au-dessus de mon lit appelant à mon réveil.

           Jean s’est immédiatement caché sous les couvertures et j’ai descendu à vive allure l’échelle, ne voulant laisser l’occasion aux servantes de la monter et de nous trouver, tous les deux.

           Une horde de dames coiffées de bonnets blancs et cintrées de tabliers se sont placées devant moi à l’instant où j’ai posé pied sur le sol de la chambre. Lorsqu’elles m’ont demandé si j’avais bien dormi, j’ai minaudé et feins de douloureuses courbatures. Elles ont toutes échangé un sourire soulagé, réalisant qu’une autre femme n’allait pas être tuée par le marquis aujourd’hui.

           M’installant devant une coiffeuse, ces dames m’ont pomponnée afin que je sois la plus polie et brillante possible à l’occasion de ma troisième épreuve. Cette dernière est d’ailleurs la raison pour laquelle depuis, je m’échine en cuisine.

— De tous les fruits à cuisiner, pourquoi celui-là ? je m’exclame en coupant le feu sous la casserole, ayant enfin fini de blanchir la baie azalyuipioud

           Selon le marquis, une véritable princesse ne sait pas cuisiner, car elle se fait servir. Cependant, elle doit être assez débrouillarde pour savoir exactement comment rendre comestible un fruit magique.

           Glissant sur le sol constitué de pierres s’enchevêtrant en une mosaïque étrange, je jette un regard à travers la fenêtre, tissé en ronces polies et torsadés, qui donnent sur le jardin extérieur. La brume matinale a laissé place à un soleil blanc qui projette une lumière stérile sur les arbres rabougris et tristes.

           Je suis convaincue que ce domaine avait un tout autre cachet, avant la venue du marquis.

           Jetant un regard autour de moi, je contemple l’îlot central de bois sur lequel traînent tous les outils dont je me suis servie. S'élevant le long des murs, des étagères garnis d’épices jouxtent les meubles fermés ainsi que le plan de travail de bois où brille un assortiment de fruits et légumes brillants et colorés.

— T’en sors-tu ? résonne une voix, dans mon dos.

           Me retournant, je découvre Jean, adossé à l’encadrement de la porte et les bras croisés. Dans un sourire doux, il contemple le capharnaüm qui s’étend sur la table principale.

— Tiens ? Où est le marquis ? je demande dans un rictus amusé. Il t’a fait faux bond ?

— Il a son rendez-vous hebdomadaire avec le druide. Il déteste l’état de son jardin, avec ses fleurs séchées et ses arbres rabougris et veut les soigner. Il n’a pas l’air de comprendre qu’avec une végétation reliée aux lacs de mercure à proximité, il ne peut pas espérer de beaux paysages.

           Je secoue la tête dans un pouffement méprisant. Cet homme arrive à être plus stupide que toutes les caricatures que les résistants dépeignent des nobles avares d’eau potable.

           Le rictus de Jean s’affaisse légèrement tandis qu’il me regarde nettoyer les plats recouvrant l’îlot — je sais que le marquis est assez stupide pour vouloir que je rende comestible ce fruit sans que sa cuisine en soit salie. Je préfère nettoyer derrière moi.

— Attends, je vais t’aider, lance-t-il en remontant ses manches avant que je ne l’arrête.

— Ne te prend pas la tête avec cela. Je veux bien que tu appelles les cuisinières pour qu’elles les préparent pour le déjeuner. Je sais les rendre comestibles, mais je ne sais absolument pas avec quoi on les mange.

           Il acquiesce et disparaît quelques instants. Je sèche et range la vaisselle avant de disposer les fruits sur un plat de bronze, seul métal capable de conserver la comestibilité de l’aliment, au milieu de l’îlot central.

           Au même moment, une silhouette franchit le seuil de la porte. Mon sourire se fane immédiatement en réalisant qu’il ne s’agit pas de Jean, mais du marquis.

— B… Bonjour, je feins la timidité en me penchant en avant, comme une docile ingénue le ferait.

           Un rire rauque et semblable à un bourdonnement me répond.

— Je viens manger, lance le noble en jetant un regard derrière lui, entendant les cuisinières arriver avec Jean.

           Aussitôt, mon regard croise celui de l’homme. Le châtain considère un instant ma position, l’aliment devant moi, puis le marquis. 

           Précautionneux, il pose une main sur la poignée de son épée. L’autre homme ne s’en rend même pas compte.

— Je viens manger, répète-t-il encore, cette fois-ci d’un ton cassant en regardant avec animosité les quatre cuisinières qui entrent dans la pièce, la tête baissée.

           Côte à côte, elles font face au marquis en rasant les murs. Les yeux rivés sur leurs genoux, elles tremblent violemment.

— Je viens manger ! hausse-t-il un peu plus le ton. Et seule ma délicieuse invitée a fait son travail ! Alors quoi, vous n’aimez plus travailler pour moi ?

           Dans un mouvement de rage, il saisit une courge qu’il lance à la tête de l’une des femmes. Cette dernière tombe à genoux, implorant de la pardonner. L’estomac noué, je ne peux pas réagir.

           Pas avant d’avoir la clé.

— Bougre d’idiotes d’abruties qui méritent le caniveau !

           Il hurle, sa peau rougissant à vue d'œil. Mon cœur bat de plus en plus vite à mesure qu’il s’approche des trois femmes encore debout, agitant furieusement les bras.

           Vite. Il me faut agir.

           Du coin de l’œil, j’aperçois le regard noir que Jean darde sur le marquis. Son pouce caresse le pommeau de l’épée, prêt à l’égorger.

— Vous n’êtes que des…

— …des vermines ! je termine dans un cri volontairement plus aigu que ma véritable voix. Des vermines qui se doivent d'être corrigées par la dame de maison !

           M’approchant, je dépasse le marquis d’un pas furieux. Puis, je saisis fermement l’épaule de l’une d’entre elles et murmure : 

— Fais semblant de t’évanouir.

           Là, je lève le bras dans un cri de colère. Plaçant mon autre main contre la joue de la servante, je fais mine de prendre de l’élan. Dos au marquis, je dissimule la scène. Brutalement, je frappe mes paumes entre elles, juste à côté du visage de la malheureuse qui s’effondre aussitôt, les yeux clos.

           Fusillant les deux autres femmes du regard, je tonne : 

— Ne manquez plus jamais de respect à un homme grand et fort comme le marquis !

           Là-dessus, je me retourne. Le noble m’observe avec des yeux ronds comme des soucoupes, visiblement sous le choc. Je souris doucement à cette vision, ignorant le hochement de tête reconnaissant que Jean m’adresse, depuis le pas de la porte.

           Dans un cri de stupeur, je pose mes mains sur ma poitrine : 

— Oh ! Je vous prie d’excuser cette inélégance ! Mais la simple idée que de telles vermines aient manqué de respect à mon cher marquis…

           À ces mots, il esquisse un sourire doux. Ses dents jaunies luisent, enduites de bave, lorsqu’il lâche un rire semblable à un grognement malicieux.

— Ce n’est rien, ce n’est rien, ma mie…

— Vous savez quoi ? Je vais goûter ce fruit, tel quel ! Rien que pour vous faire plaisir.

           Gardant ma paume sur mon cœur, je prends une profonde inspiration. Puis, penchant la tête sur le côté, j’expire : 

— Oh ! Que vous êtes bon avec moi, monsieur !

           Il balaye l’air d’un signe de main avant de claquer des doigts devant le visage de Jean. Là, il pointe le plat avec dédain : 

— Goûte.

— Monsieur le marquis ? j’appelle, incertaine.

           Il me gratifie d’un sourire méprisant.

— Enfin, ne tracasse pas ton petit crâne vide avec tout ça ! Il me faut un goûteur parce que je suis un homme important, c’est tout ! Je mangerai après.

           Je dodeline de la tête quand Jean saisit un couteau et tranche la pâte durcie. Puis, il la porte à sa bouche, son regard planté dans le mien. Je soutiens ce contact visuel avec sérénité, intangible.

           À mesure que sa mâchoire broie la bouchée, sa pupille se dilate. Il m’observe avec grande attention, ne se détachant pas une seule fois de moi. Il ne cille pas ni ne tique. Calmement, il avale le morceau.

           Après quelques secondes, il se tourne vers le marquis, brisant enfin notre regard : 

— C’est bon.

           Là-dessus, le marquis se jette sur l’aliment. Provocant plus de bruits que nécessaire, il segmente un autre morceau qu’il enfourne dans le puits pestilentiel lui tenant lieu de bouche. Je me redresse, attentive.

           Le regard de Jean sur moi ne parvient pas à m’arracher du spectacle que m’offre le marquis. Un sourire benêt sur les lèvres, il mastique avec grande attention, faisant semblant de se régaler. A mesure que sa mâchoire remue, il émet quelques couinements satisfaits.

           Quand soudain, son visage se fige.

           Il avale. Cependant, ses sourcils sont froncés.

           Levant les mains devant lui, il remue les doigts, fronçant les sourcils. Nous tous l’observons, ne comprenant pas vraiment sa réaction — à ma seule exception. Un sourire étire mes lèvres lorsqu’il tente de lever le pied pour se déplacer, sans succès. Il trébuche sur place, piétine.

— Que… Que ce…, balbutie-t-il avec peine.

— Que vous arrive-t-il, mon marquis ? je demande d’une petite voix aiguë, réprimant mon envie d’éclater de rire.

— Que… Qu’est-ce que… Non… Ces symptômes… Atrophie musculaire… Picotement…, parle-t-il tout seul, essoufflée.

           Ses yeux écarquillés se posent sur le fruit coupé, dans le plat. Il balance son bras à côté, tentant de frapper dedans. Cependant, il n’y arrive pas.

           Les cuisinières se sont relevées et l’observent, incrédules. Jean fait de même, estomaqué.

           Ils ont tous compris ce qu’il se passe. Ils connaissent tous ces symptômes.

— Quelle eau… Dans quelle eau as-tu… Qu’as-tu…

— Monsieur le marquis, ne me dites pas que vous êtes intolérants à l’eau mercurée ? je demande, mimant la surprise. Je sais qu’elle est naturellement empoisonnée, mais comme nous en consommons tous, nous avons tous développé une tolérance plus ou moins marquée… Regardez, votre goûteur, ça ne lui a rien fait !

           S'agrippant de toutes ses forces au plan de travail, il tremble de tout son être. Péniblement, comme si cela lui demandait un effort surhumain, il penche la tête de sorte à me regarder par en dessous, incapable de se redresser davantage.

— Pas moi… Espèce de conne… Je n’en bois pas… Je suis marquis…

           Je réprime un rire. Et dire que s’il n’avait pas réservé cette eau qu’à lui et au noble, s’il en avait aussi donné à ces gens, jamais, je n’aurais pu le lui faire manger. En effet, si ses goûteurs buvaient de l’eau potable, ils seraient sensibles à un plat mercuré. Jean aurait été malade en mangeant mon fruit et aurait dû en avertir le marquis.

           Je viens de battre le marquis à son propre jeu.

— Oh… Je suis tellement désolée, monsieur le marquis ! je fais mine de m’alarmer tandis qu’il s’accroche de toutes ses forces au bord de la table. Mais j’ai une solution !

           Me précipitant à sa hauteur, je m’accroupis pour lui faire face. Là, plantant mon regard dans le sien, j’affirme dans un sourire doux et ingénu : 

— Il vous faut juste le même fruit, cuisiné avec de l’eau potable ! Cela vous guérira instantanément !

           Il acquiesce difficilement avant de pointer du doigt un placard. Je suis son regard, découvrant les amphores remplies du précieux breuvage.

           Cependant, je fais mine d’être profondément désolée. Secouant la tête, je serre ma voix, prétendant être en proie à une violente émotion : 

— Oh, monsieur le marquis ! Ça ne suffira pas ! Il me faut de l’eau de la source même ! Elle est plus riche en minéraux ! Oh non… Vous allez mourir dans quelques minutes si je n’en trouve pas… Que faire ?

           Aussitôt, il enfourne sa main veineuse dans son pourpoint, frappant frénétiquement sur sa poitrine et grattant sa peau dans un rythme effréné. Je le regarde faire, un sourire malicieux aux lèvres.

           Essoufflé, incapable de parler, il me tend soudain une imposante clé. De l’écume se forme sur le coin de sa bouche tandis qu’il remue frénétiquement, paniqué.

           Je lève l’objet devant mes yeux, observant sa teinte pourpre que je ne connais que trop bien.

— Une clé passe-partout, hein ? je réalise de ma vraie voix, arrêtant soudain de la rendre plus aiguë. On l’introduit dans n’importe quelle serrure et celle-ci devient l’accès à une porte menant dans l’endroit désiré…

           Le marquis acquiesce frénétiquement, bavant en abondance. Je souris en le voyant faire.

— Bien. Voilà tout ce que j’avais besoin d’entendre.

           Sans un regard, je me relève. Jean ainsi que les cuisinières gardent les yeux rivés sur moi, estomaqués par la tournure que prennent les évènements.

           Alors, dans un rire, je lâche : 

— Il ne m’est plus utile.

           Dégainant ma dague cachée dans mon corset, je fends l’air de celle-ci. Un bruit de succion retentit lorsqu’elle perfore la gorge du marquis. Ce dernier sursaute, ses yeux s’écarquillant un instant. 

           Je l’observe tandis que la vie quitte son corps. Bientôt, une ombre voile ses traits. Il s’effondre de tout son long lorsque je récupère ma dague.

           Mon regard croise celui de Jean. Je ne saurai décrire l’émotion qui le traverse. Mais, je suis certaine de l’appréhension que je ressens à l’idée de connaître son opinion sur mon geste sanglant.

           Jamais l’avis des autres ne m'importait avant.

— Tenez, je lâche en lançant la clé à la cuisinière que j’ai fait semblant de gifler. Sortez d’ici, prenez la première porte fermée que vous croisez. Glisser la clé dans la serrure et ouvrez. Vous trouverez l’eau potable.

           Les yeux écarquillés, elles se dévisagent. Atterré, n’en croyant pas leurs oreilles, elles s’observent mutuellement, ne voulant y croire de peur d’être déçue.

— Cependant, je les avertis, vous devez partager la source avec les autres villageois. Il y en a assez pour tout le monde. Essayez de faire chasse gardée et vous finirez comme lui.

           Du pied, je pousse le cadavre du marquis.

           Blêmes, elles l’observent quelques instants. Puis, l’une d’entre elles s’exclame soudain : 

— Absolument, madame ! Comptez sur nous !

           Là-dessus, elles disparaissent à travers la porte de la cuisine, courant dans des cris de joie. Jean ne les suit pas, se contentant de regarder le sol, les bras croisés.

           Bientôt, elles se sont trop éloignées pour que je les entende. Le silence revient. De plomb. Je nettoie ma dague en observant vaguement le marquis gisant au sol.

           Jean ne dit rien.

— Écoute, je soupire nerveusement. Je n’allais pas non plus le laisser se la couler douce après toutes les personnes mortes par sa faute.

           Le châtain se tait et un frisson nerveux parcourt mon échine. Je range ma dague.

— Je… Je suis la Faiseuse de Tombes, à quoi tu t’attendais ?

           Il ne bouge pas.

— Tu me boudes ? Sérieusement ?

           Il se redresse alors, sans me regarder.

— Jean !

           Se tournant vers moi, il marche dans ma direction. Je le regarde s’approcher, ne sachant quoi deviner de son regard fermé. Ma gorge se serre et mon cœur bat toujours plus vite.

— Réponds-moi ! Qu’est-ce qu’il y…

           Saisissant mon visage en coupe, il s’arrête juste devant moi. Ses larges mains glissent sur mes joues, m’approchant de lui. Ses yeux ambrés sont figés sur mes lèvres pulsantes. Puis, il plonge son regard dans le mien.

           Il souffle en toute hâte : 

— Je t’aime.

           Puis, ses lèvres se posent sur les miennes.

           Quelques instants, je demeure figé. Soudain, tout rompt en moi. Chaque lien que je ne soupçonnais plus, vestige de ma captivité, s’étiole. Une à une, je sens mes chaînes se défaire.

           Et je bascule.

           Un gémissement franchit sa bouche quand la mienne s’ouvre, invitant sa langue à entrer. Mes doigts traversent ses cheveux. Ses paumes caressent mon dos, me plaquant toujours plus à son corps. 

           Mes jambes s’enroulent autour de lui et il pose ses mains sous mes fesses, m’asseyant sur la table. À nouveau, nos langues valsent quelques instants. Avant que nous nous séparions, à bout de souffle.

           Mon front se pose sur le sien. Nos poitrines se soulèvent difficilement et un sourire éreinté étire nos lèvres.

— C’était quoi, ça ? je demande au bout d’un moment de silence.

— Tu veux dire, mon premier baiser ? demande-t-il dans un rire.

— Non, l’avant. Pourquoi t’avais l’air en colère ?

           Il secoue la tête.

— Oh non, j’essayais juste de lutter contre l’envie de t’embrasser. Je… Je lutte depuis qu’on s’est rencontré et là… Là, je n’ai pas réussi.

           Un rire franchit ma bouche lorsque mes yeux glissent sur la sienne.

— Eh bien cesse de combattre cela, je souris doucement.

           Aussitôt, il m’offre un baiser. Agrippant sa chemise de lin, je savoure le goût de cette liberté nouvelle. Sa main caresse le bas de mon dos, me pressant davantage à son torse.

— Je crois que je vais changer le lit de la chambre, je chuchote en reculant. Tu n’as pas passé une bonne nuit, hier. Je ne peux pas me permettre que la chambre conjugale ne plaise pas à mon amant…

           Des rougeurs ornent ses joues et il pouffe de rire.

— Parce que tu comptes rester ? Je veux dire…

           Embarrassé, il se triture les doigts. Cette vision m’arrache un rire attendri.

— …Avec moi ?

— Jean.

           Entourant sa nuque de mes bras, je frotte affectueusement mon nez au sien avant de déposer un baiser chaste sur ses lèvres.


— Je t’ai trouvé, je ne compte pas te lâcher.

           Il rit, envoûté. 

— Je t’aime aussi, il répond finalement, lui arrachant un plus large sourire encore.

           Ne se retenant plus, il m’attire contre lui, me serrant dans ses bras. Je le presse en retour, enfouissant mon visage dans le creux de son épaule.

           Pour la première fois depuis des années, je peux le dire. Je suis heureuse.





















— Ce goujat nous privait d’une vision des plus merveilleuses, soupire Jean dans un sourire ébloui.

           Dans un sourire, je pose ma tête sur le torse du châtain, suivant son regard. Il enlace mon corps de son bras, calant l’autre sous sa tête.

           À quelques pas de nous, un lac azuré s’étend. D’un bleu mirifique, il luit sous la lueur du soleil filtrant à travers le trou pratiqué dans le plafond de la grotte.

           Autour de nous, des colonnes de marbres marquent l'accès à de multiples bâtiments dans lesquels les paysans trainent, prenant un peu de repos. La décision a été prise de les convertir en hôpitaux afin de soigner les personnes les plus atteintes par le mercure. D’autres se prélassent comme nous, sur le bord du bassin, profitant de la végétation foisonnante et pleine de vie.

— Toutes les familles ont une clé ? je grommelle, les yeux clos, profitant de la chaleur de Jean qui me serre dans ses bras.

— Oui. Mais…

           Me redressant, je croise le regard soucieux du châtain. Ce dernier fixe un jeune garçon riant avec sa mère. Le garnement se jette à l’eau, imitant ses camarades se baignant. La dame lance un regard au père qui, allongé à côté, sourit.

— Que se passe-t-il ? je demande en caressant sa joue. Tu as l’air soucieux.

— Ce n’est pas dangereux de confier un accès à cette source à autant de personnes ? Grâce à cette source, cette région est indépendante de la Reine Rouge. Mais si elle tombe sur une des clés…

— Cela n’arrivera pas, je le rassure.

           Ses sourcils se froncent. Il semble étonné.

— Et pourquoi cela ?

— Regarde bien. Chaque famille est suivie de près par un animal. Un oiseau, un loup, un chat…

           Les yeux de Jean s'écarquillent en découvrant le chien allongé à côté du garçon.

— Tiens… Je ne m’en étais pas rendu compte.

— La nature nous est reconnaissante de l’avoir soignée. La semaine dernière, nous avons apporté des cuves d’eau potable aux forêts et aux bois avoisinants. Alors, elle a décidé de nous protéger.

           Je souris doucement.

— Si l’armée de la Reine Rouge arrive, les racines des arbres sortiront de terre pour les étrangler, les serpents les plus venimeux les mordront, les eaux mercurées se soulèveront pour les noyer…

           Un rire franchit mes lèvres.

— Détends-toi, Jean. Nous sommes saufs.

           Tournant la tête vers l’intéressé, je surprends son regard, qu’il posait déjà sur moi. Une grande douceur habille ses prunelles et un sourire délicat courbe ses lèvres.

           Un frisson me parcourt.

— Quoi ? je demande légèrement embarrassée.

— Rien. J’aime te regarder. 

           Pouffant de rire, je tourne la tête. Cependant, sa main se pose aussitôt sur l’arrière de mon crâne, m’attirant jusqu’à lui. Là, mes lèvres se pressent aux siennes.

           Lorsque sa bouche remue, je me laisse happer par ce doux baiser.

           Celui d’une nouvelle ère.

           Une ère de liberté.





















































je suis tellement contente
de vous retrouver pour la
suite de ce recueil !

j'espère que cette adaptation
de la princesse aux petits
pois vous aura plu...

vous aimez bien Law de
one piece ?

rendez-vous demain
pour le voir !













































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