𝐉𝐨𝐮𝐫 𝟏𝟏 : 𝐒𝐚𝐧𝐣𝐢.




























𝐁𝐎𝐔𝐂𝐋𝐄 𝐃'𝐎𝐑

𝐒𝐚𝐧𝐣𝐢 𝐕𝐢𝐧𝐬𝐦𝐨𝐤𝐞

𝐗𝐈



































           Chaque matin, mes filles et moi nous rendons au marché. Une heure de marche nous est nécessaire pour parvenir à sortir de la forêt et nous engager dans la ville.

Cela n’est pas du goût de la plus âgée.

— Mais, maman ! Tous les jours, on marche des heures pour faire quoi que ce soit ! J’en peux plus ! 

— Ecoute, cette maison est construite dans la forêt pour nous protéger. Personne ne sait s’y aventurer et ce n’est pas plus mal, je déclare à l’adolescente qui envoie son pied dans une pierre.

           Un soupir franchit mes lèvres en voyant la réaction de mon enfant adoptif. Je ne parviens pas à lui en vouloir. Il est compliqué pour une adolescente de s’épanouir loin de la ville, sans autre personne à qui parler.

           Là est d’ailleurs la raison pour laquelle je me rends au marché tous les jours. Afin qu’elle ait une connexion avec l’extérieur. Cependant, cela ne lui suffit pas.

— C’est trop nul. J’ai plein d’amis qui habitent en ville et ils n’ont jamais eu le moindre problème.

           Je m’efforce de ne rien dire.

           Ses amis n’ont pas été condamnés par contumace, il y a quelques années, pour avoir vendu des armes à la résistance. La Reine Rouge me traque depuis et, si je m’autorise à faire des apparitions, cachée sous un capuchon, au marché, je n’irais jamais vivre en ville.

           Je ne répond pas à l’adolescente qui, la moue boudeuse, peste :

— Je me demande ce que ma vraie mère dirait, si elle était là.

           Sa phrase me fait l’effet d’une gifle.

           Brutalement, je me fige. Elle continue d’avancer, s’enfonçant dans la forêt, tandis que j’accuse le coup de cette déclaration.

           A force de vivre avec elles, je tends à oublier qu’Helis et Ans ne sont pas mes filles biologiques. Elles, en revanche, s’en souviennent visiblement bien.

— Maman ? appelle la délicate voix de la plus jeune.

           Me tournant vers l’enfant qui me tient la main, je croise son brillant sourire. Aussitôt, ma douleur s’apaise et j’enroule les bras autour d’elle, la soulevant de terre.

           Elle éclate de rire lorsque je la cale sur ma hanche. Là, posant ses mains potelées sur mes joues, elle place un baiser sur le bout de mon nez.

— On peut manger les pommes d’amour, quand on rentre ?

— Dès que tu manges ta soupe, tu auras tes pommes d’amour, je souris en posant mon front contre le sien.

           Elle éclate d’un rire coquin et je l’imite, amusée.

           Nous reprenons la route, marchant dans cette forêt illuminée du soleil de midi. Les brindilles craquent sous mes pieds et j’apprécie l’odeur végétale qui s’insuffle dans mes narines.

           Bientôt, derrière de hauts arbres apparaît une chaumière. Une petite masure aux murs peints de bleus et briques dorées. Une cheminée épaisse et parcourue de lierres.

           Notre maison.

— Maman, tu aurais pû fermer la porte en sortant ! s’indigne l’adolescente d’une mine boudeuse. Et après, ça brandit l’excuse de la sécurit…

— Ne bouge pas.

           Mon ordre appelle une réaction immédiate. Elle obtempère, réalisant que quelque chose ne va pas.

           Les muscles figés, je regarde la porte ouverte.

           Je ferme toujours la porte en sortant. Et à double-tour. Pourtant, aucune trace d’effraction n’est visible. Mais je sais que j’ai fermé la porte en sortant.

— Venez voir maman, mes chéries.

           Posant l’une sur le sol, je suis rassurée de voir l’autre courir jusqu’à moi sans broncher. Entourant leur corps de mes bras dans un geste protecteur, je regarde autour de moi, le cœur battant à vive allure.

           Quelqu’un est venu ici. Dans cet endroit reculé et secret. Quelqu’un a percé à jour notre cocon. Nous sommes en danger.

           Le mal peut être dans la maison. Auquel cas, j’aimerais laisser mes filles à l’extérieur afin de les préserver. Mais s’il s’agissait d’un guet-apens ? Que des hommes attendaient que je les oublie quelques instants pour s’emparer d’elles ?

           Ne voulant les effrayer, j’esquisse un sourire.

— Ecoutez, les filles.

           Je m’accroupis face à elles. Saisissant leurs mains dans les miennes, je souffle dessus pour les réchauffer. Là, forçant un sourire sur mes traits, je lâche : 

— On va jouer à un petit jeu… La maison est faite en lave et je suis un bloc de glace qui va vous protéger. Tant que vous me touchez, que vous êtes là, vous êtes sauves, d’accord ?

           La petite acquiesce aussitôt, ravie de jouer. La deuxième n’est pas dupe mais ne dit rien.

           Je devine dans son regard qu’elle a peur et caresse son épaule.

— Mais la maison a des oreilles alors, pour éviter d’être atteinte par la lave, on doit être les plus discrètes possibles, je chuchote dans un faux sourire.

           La petite est très excitée à l’idée de jouer tandis que l’autre se montre plus nerveuse. Fort heureusement, elle ne dit rien, comprenant l’enjeu de la situation. Cela me soulage immensément.

           Fortes de cette décision, nous nous plaçons en position. La plus jeune se met derrière moi, agrippant mon capuchon tandis que l’autre fait de même. De mon côté, je dégaine ma dague, marchant doucement.

           La porte peinte de bleu déjà ouverte me laisse voir le couloir. Rien n’y semble changé. Le sol de damier est le même, parsemé de brindilles soufflées à l’intérieur par le vent.

           Nous entrons dedans sans allumer la lumière. Seuls nos souffles résonnent dans le silence. Je tente de les faire le plus discret possible, ma main se faisant moite, autour de la dague.

           La porte du salon est ouverte.

           Une table de bois menue est plaquée contre le mur, entourée de trois chaises de différentes couleurs et des couverts intacts que j’avais placé, avant de partir afin que nous ayons de quoi nous sustenter à notre retour.

           L’un d’eux, le mien, est maculé de traces. Et le siège n’est plus rangé sous la table.

           Quelqu’un a mangé dans mon bol.

           Prise d’une violente bouffée de chaleur, je regarde la pièce. Personne ne se trouve à l’intérieur. Aussitôt, je m’accroupis vers les filles et chuchote : 

— Je viens d’entendre l’ogre des montagnes. Je vais aller le voir mais, pour l’amadouer, je vais avoir besoin d’un plat délicieux, d’accord ?

           La plus jeune acquiesce vivement, souriante, tandis que l’autre semble sur le point de tourner de l'œil. Je saisis sa main dans la mienne, l’embrassant. 

— Je vous confie la mission de préparer ce plat ! Pour ça, vous allez devoir vous enfermer dans la cuisine et mettre un meuble devant la porte. Sinon, l’ogre entrera.

— Mais… Et toi ? demande Ans, la plus jeune, dans une moue boudeuse, croyant que je comptais jouer avec elles.

— Je frapperais trois fois très vite puis trois autres fois plus lentement, comme ça, je déclare en m’exécutant aussitôt sur sa main. Vous saurez que c’est moi, d’accord ?

— D’accord ! 

           Ans se précipite dans la pièce à toute vitesse, sans que je n’ai le temps de lui dire au revoir. Un instant, l’envie de la rattraper et la serrer dans mes bras me prend mais je crains de la faire paniquer.

           Je regarde Helis qui, les larmes aux yeux, ne bouge pas. Je caresse sa joue doucement.

— Tu es forte, ma chérie. Je sais que tu vas y arriver.

— Tu vas mourir ? demande-t-elle en pleurant à chaudes larmes, tentant de se faire la plus discrète possible.

           Sa peur me fait mal mais je m'efforce de garder la face. Secouant vivement la tête, je la serre de toutes mes forces contre moi. Mes yeux se ferment.

— Je t’aime, ma chérie.

— Je t’aime aussi, maman.

           Là, ma gorge se serre.

           Ces trois mots, jamais elle ne les dit. Alors je la garde quelques secondes de plus contre moi et murmure : 

— Maman revient bientôt.

           A contre-coeur, nous nous séparons. Je m’efforce de la regarder dans les yeux en fermant la porte derrière moi, tentant de lui sourire.

           Une fois close, je les écoute déplacer l’armoire devant la porte. Là, je m’en vais.

           En quelques pas, je passe devant la chambre des filles. Les draps y sont défaits. Quelqu’un a dormi dans leur lit.

           L’estomac noué, je marche jusqu’à ma porte.

           Il me semble que mes pieds ont été façonnés dans le plomb. Ils cognent presque contre le parquet tant ils sont lourds. Je peine à me mouvoir, à me déplacer. Mon cœur bat à vive allure et ma bouche est pâteuse.

           A mesure que j’approche, la porte de ma chambre semble s’éloigner. Le chemin jusqu’à elle est étouffant, interminable.

           Quand ma main se pose enfin sur la poignée, je tressaille presque tant elle est froide.

           Dans un sursaut, la porte s’ouvre.

           Mon sang se glace.

           Quelqu’un dort dans mon lit.

           Étalé sur le lit, en travers du matelas, la tête d’un homme est renversée. Je ne distingue que son menton saillant, une mâchoire abruptement taillée et parsemée d’une barbe claire.

           Une chemise déchirée laisse voir un torse. Les pectoraux prononcés sont barrés d’une zébrure profonde d’où s’échappe quantité de sang. Celui-là coule en abondance sur mon lit.

— Oh ! Oh non ! Oh ! Monsieur !

           Sautillant sur place, je ne sais que faire. Ma main se fait moite autour de la dague. Devrais-je mieux le tuer ou tenter de le sauver ? Qui est-t-il ? Comment est-t-il arrivé ici ?

           Prudemment, j’avance. Les sens aux aguets, au cas où il ne s’agit que d’un moyen de diversion, j’approche à petits pas. Méfiant, les sourcils froncés, je réduis la distance entre nous.

           Bientôt, j’atteins le matelas. Sous le corps de l’inconnu s’étend une large flaque de sang. Je distingue son bras habillé d’une manche déchirée, baignant dans l’hémoglobine.

           Mais, surtout, un détail attire mon attention. Un motif gravé à l’encre. Une encre braisée, qui luit comme si elle était composée de magma. Terrifiante.

           Le tatouage de l’Insurrection Rouge. Les rebelles contre la Reine Rouge.

           Mes sens se bloquent aussitôt que mon regard trouve ce sigle. Je me fige et mes poumons font de même. A l’instant où je m’apprête à m’approcher, un son retentit.

           Un murmure qui caresse mon échine. L’homme remue légèrement, il parle.

           Précipitamment, je saisis sa main. Mes doigts glissent entre les siens et, de ma paume libre, je redresse sa tête afin de discerner ses traits.

           Mouillés de sang leur donnant une teinte brunie, ses boucles d’or chutent sur un visage couvert de sang. Le liquide écarlate couvre ses traits, les rendant indiscernables. Je ne distingue rien de cet homme à l’exception du son de sa voix.

           Sa paume est froide, dans la mienne.

— Quoi ? Qu’est-ce que vous venez de dire ? je demande en entendant ce murmure rauque jaillir de ses lèvres à peine ouvertes.

— E… L…

           Je ne comprends rien de ses paroles. Mon cœur bat à toute vitesse mais je pose mon oreille sur sa poitrine. Un liquide poisseux la couvre aussitôt etj’écoute le souffle de sa respiration.

           Là, lorsqu'il parle, je comprends enfin : 

— Petit… Jean… m’a… parlé de toi…

           Mes yeux s’écarquillent en entendant ces mots.

           Brutalement, je me redresse. Aussitôt, je laisse retomber ma garde en entendant ce nom. Petit Jean, la cheffe des rebelles, l’a guidé jusqu'ici ?

           Mon coeur bat à toute vitesse en comprenant ce qu’il se passe : 

— Ne vous inquiétez pas, je murmure. Je vais vous soigner.












           Dans mon bol gît des traces brunes à l’odeur prononcée de plantes médicinales. Avant de s’échouer, à bout de force, sur mon lit, l’homme a tenté de poser un cataplasme sur ses plaies.

           A présent, mes filles s’occupent en nettoyant ce même bol et changent la table de place afin d’y ajouter un couvert. Je les entends converser et rire, soulagée.

           Il y a eu plus de peur que de mal.

           Tirant un linge lâché dans un bol d’eau où flottent des pétales, j’essore celui-ci. Puis, posant le tissu sur la peau de l’inconnu, j’entreprends de le nettoyer. Délicatement, je saisis sa peau brûlante et frissonne à ce contact.

           Une chaire légèrement rosée apparaît à mesure que j’essuie les traces. Le contact est doux, contre elle. J’éclaircis ce visage, dévoilant des traits que je découvre peu à peu.

           D’abord apparaît une mâchoire rude, comme gravée dans l’acier et marquée. La parsemant, une barbe l’habille. Douce, d’or. Elle sousplombe de fines lèvres rosées.

           Un nez droit sépare deux yeux surmontés de fins sourcils. L’un d’eux se conclut en une spirale délicate.

           Mon estomac se soulève en découvrant son visage. Cet homme est véritablement beau, à couper le souffle. Une aura angélique embrasse chacun de ses traits et je ne peux que sentir mon cœur s’emballer face à chaque grain de sa peau.

           Éthéré.

— Vous m’entendez ? je chuchote doucement, passant les doigts dans ses cheveux et tentant de le réveiller en massant son crâne.

           Après l’avoir trouvé, je n’ai pu faire autre chose que de le replacer sur le matelas. Glissant un linge sous lui, j’ai alors nettoyé ses plaies et, à l’aide d’une aiguille enduite de cataplasme, ai recousu la blessure sans lui faire le moindre mal.

           Maintenant, une autre mixture posée dessus, j’attends qu’elle agisse. La peau va se réparer d’elle-même grâce à la potion magique en quelques heures. Cependant, il lui faudra de nouveaux vêtements.

           Reculant, je l’observe. Il a maintenant bien meilleur mine.

— Vous avez bien fait de venir ici, je déclare, bien que je sois quasiment sûre qu’il ne puisse pas m’entendre. Fut un temps où je soignais les blessures de Petit Jean, votre cheffe. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Choso.

           Je souris, nostalgique de cette époque.

           Prendre mes deux filles sous mon aile et me retirer dans ma chaumière a été assurément la meilleure décision que je pouvais imaginer. Cependant je dois bien avouer que de temps en temps, mon esprit dérive sur cette période où je défiais le pouvoir en place.

— Si jamais votre inconscient perçoit ma voix, sachez que vous avez fait le bon choix en vous rendant ici, je déclare en saisissant sa main, la pressant. Et je dois avouer que…

— MAMAAAAAAAAAAAAAAN !

           Sursautant, je lève le nez en entendant la voix de ma benjamine. Aussitôt, je me rue hors de la pièce, ouvrant la porte à la volée. Mon cœur s’emballe tandis que, terrifiée, je déboule dans la cuisine.

           La panique est telle que je mets quelques secondes à réaliser que la tâche rouge sur son nez est de la purée de groseille. Des larmes coulent sur ses joues et elle hurle à nouveau.

           A côté, la plus vieille pousse un soupir, un pot en terre cuite dans les mains.

— Helis, qu’est-ce qu’il se passe ? je scande en croisant les bras, découvrant l'aînée qui lève les yeux au ciel.

— Mais c’est cette pleurnicharde ! Je lui ai juste fait une blague en lui disant de sentir la purée et lui en mettant sur le nez mais c'est qu’un bébé.

— JE SUIS PAS UN BEBE !

           Je sursaute en entendant ce hurlement, pensant à mon patient.

           Brutalement, je me jette sur Ans et la soulève de terre, la calant sur ma hanche avant de poser une paume sur sa bouche. Aussitôt, des larmes coulent sur mes doigts.

— Chut, chut, ma belle. Bien sûr que tu n’es pas un bébé, tu es une grande fille… Et les grandes filles ne pleurent pas, pas vrai ?

           Elle ne m’écoute pas tout de suite, concentrée par sa propre colère. Mais je chuchote quelques mots doux, sautillant sur moi-même pour la bercer.

           Là, je décale ma main, essuyant la purée au passage qui atterrit sur mes doigts. Je la brandis sous les yeux d’Ans qui regarde cette mixture.

           Puis, exécutant une grimace, je la mange. Elle éclate de rire.

— Et voilà ! Disparue !

           Elle se bidonne et mon cœur s’apaise.

           Les enfants m’ont longuement mise mal à l’aise. Lorsque mes filles sont apparues dans ma vie, je me suis forcée à m'occuper d’elles afin de les protéger. Et depuis, chaque fois que j’arrive à leur arracher un rire, cela a le goût de victoire.

— C’est toujours pareil, tu la défends, maugrée la plus grande.

— Mais non, Helis !

           Je comprends sa réaction mais elle se fourvoie.

— D’ailleurs, Ans, j’aimerais bien que tu sois plus gentille avec ta sœur. Elle essaye juste de te faire rire.

           La concernée m’observe de ses grands yeux.

— Tu crois que tu peux faire ça pour maman ? 

           La mine boudeuse, elle acquiesce simplement. Je dépose un baiser sur sa joue avant de la placer au sol. Là, passant mes doigts dans les cheveux d’Helis, je caresse son dos.

— Bon, maintenant, on va aller manger dehors pour ne pas réveiller mon ami, d’accord ?

— Ton ami ? répète l’adolescente, la moue boudeuse. T’as des amies, toi ? 

           Ignorant cette pique, je marche jusqu’à l’extérieur d’un pas détendu. Mon souffle se fait plus calme quand je m’éloigne. Je sais maintenant que je ne risque rien. Qu’aucune de nous ne risque quoi que ce soit, d’ailleurs.

           Les mains glissées les unes dans les autres, nous franchissons le seuil. Puis, me retournant, je ferme dans mon dos. La porte bleu tressaute légèrement en passant par-dessus un caillou sur le sol.

           Je jette un dernier regard à ma chaumière.












— Et le lapin il était gros comme ça ! s’exclame Ans en montrant une mesure de ses mains potelées.

           Dans un rire, je regarde ma fille expliquer fièrement à quoi ressemble l’animal qu’elle a croisé, tantôt. La plus grande, silencieuse, tisse une couronne de fleurs avec grande minutie.

           Nous avons passé l’après-midi dans la forêt, à jouer à divers jeux. Maintenant, le soleil décline et nous revenons vers notre maison illuminée de lueurs rosées. Je hausse les sourcils.

           De la fumée émane de la cheminée. Étrange.

           Approchant de la maison, nous atteignons la porte. Aussitôt, une délicieuse odeur fumée se répand dans mes narines et même l’ainée lève les yeux de son tissage en respirant cette odeur.

— Mmmm… Ça sent bon ! s’exclame Ans dans un sourire.

           En effet, un délicat parfum de nourriture emplit la maison. Elle nous porte naturellement le long de couloir et, curieuses, nous levons la tête en entendant le bruit d’ustensiles provenant de la cuisine. 

           Surprise, j’approche de la porte de la cuisine. Cette dernière est ouverte, laissant voir un spectacle des plus saisissants.

           Partout, des casseroles et poêles s’étalent. Sur le plan de travail, différents bols prennent place et devant eux se déplace à toute vitesse la haute silhouette d’un homme.

           Cintrant une taille fine, un tablier est attaché. Il accentue une silhouette marquée mais travaillée, développée. Au sommet de cette dernière, des mèches d’or s’illuminent sous les reflets du soleil rosé.

           L’homme que nous avons recueilli cuisine.

— Navré de m’être approprié votre salle, mes chères, déclare le cuisinier d’une voix claire, continuant de nous montrer le dos.

           Ses mouvements sont secs, précis et énergiques.

— Je songeais à la meilleure manière de vous remercier après que vous soyez parvenue à me remettre sur pied et voici donc un plat digne de…

           Se retournant, l’homme se tait brutalement.

           Sa mâchoire tombe, laissant s'affaisser une cigarette qu’il gardait coincée dans son bec. Ses yeux s’écarquillent en me découvrant. 

           Quelques rougeurs apparaissent sur ses joues.

— Je… Madame…

           Je frissonne.

           Ses yeux aimantent les miens. Soudaine et violente, une connexion jaillit entre nous. A la manière d’un fil rouge se tendant entre nos âmes, elle s’élève soudain, tiraillant nos cœurs battant à l'unisson.

           Ma bouche se fait sèche quand l’air devient brûlant. Il crépite sur ma peau à la manière d’une aura écarlate. Chaque composante de ma personne se fragmente et se rassemble autrement.

           Rien n’a changé. Pourtant, après ce regard, me voilà entièrement différente.

— Madame… Je suis enchanté de vous rencontrer. Je… Je suis…

           Sa voix meurt dans sa gorge tandis que sa cigarette tressaute au rythme de ses paroles. Je frissonne, émerveillée.

— Je suis… Sanji Vinsmoke et…

— …et je suis gênée, annonce brutalement Helis d’une voix cassante.

           Je sursaute, revenant brutalement à la réalité. 

           Ma fille le dépasse afin de marcher jusqu’au plan de travail. Aussitôt, sa jeune sœur se dépêche de la talonner, salivant à vue d’oeil. 

— Attention, ma grande, c’est chaud ! s’exclame le dénommé Sanji en la prenant dans ses bras, l’attirant loin du plan de travail.

           Ans se laisse faire et j’observe cet inconnu montrer à ma fille les différents plats sur la gazinière sans rien dire. Je ne sais trop pour quelle raison aucune panique ne s’éveille en moi à cette vision.

— Alors, là, c’est l’entrée. C’est fait avec des fleurs.

— Des fleurs !? s’exclame ma fille dans un large sourire.

— Oui ! Tu veux goûter ?

           Elle éclate de rire en acquiesçant. Mon cœur s’emballe à cette vision. Et je ne comprends pas pourquoi.

           Je ne connais pas cet homme. Je me méfie de tous. 

           Pourtant, là, le voyant rire avec ma fille, cela semble une évidence. Jamais je n’aurais cru cela possible, qu’un seul regard suffise à sceller un pacte dont nul ne se doute.

           Les anciens en parlent pourtant. Le coup de foudre. Un amour si évident qu’il en devient brutalement apparent.

           Est-ce cela ?

— Navré, lance Sanji en se tournant vers moi. Je me suis permis de me servir dans vos armoires mais je voulais réellement vous remercier. 

— Pas de soucis… Mais comment avez-vous trouvé la maison, dans cet état ? Vous étiez sacrément amoché.

           Il regarde un instant mes filles, ne voulant visiblement pas rentrer dans les détails devant elles. Aussitôt, la plus grande lance spontanément : 

— Et si on mettait la table dehors ? Ans, aide-moi.

— Mais… 

— Si tu m’aides, je te donne mon pâté de fleur.

           En un clin d'œil, la plus jeune déguerpit. J’éclate de rire lorsque l’autre pousse un soupir roulant des yeux. Secouant la tête, elle me lance : 

— C’est beaucoup trop facile…

           Profitant qu’elle passe à côté de moi, je frotte sa crinière dans un geste affectueux et elle s’en va, nous laissant seuls. Elle ferme la porte dans son dos.

           Mon regard se pose sur Sanji. Sa cigarette à présent éteinte, toujours coincée dans la commissure de ses lèvres, il me contemple.

           Un frisson me parcourt. 

— Je dois m’avouer… enchanté de vous rencontrer.

           Je frissonne.

— Lorsque Petit Jean m’a envoyé en mission ici, elle m’a donné comme point de repli cet endroit. J’espérais qu’elle t’ait mise au courant mais je crois que non…

— Elle n’est pas du genre à s’embarrasser de ce genre de considération. 

— Une vraie tête-de-mule, nous déclarons en même temps.

           Mes yeux s’écarquillent en réalisant que nous sommes définitivement connectés. Il éclate de rire, un son doux et clair.

— Bon, déclare-t-il soudain. Et si on mangeait un bout ?












— Pourquoi avoir quitté la résistance ?

           Parmi toutes les questions que Sanji aurait pû me poser, je ne m’attendais pas à celle-ci. 

           Assis sur les chaises peintes, buvant un verre tout en savourant notre dessert, nous observons mes filles. Les deux se courent après dans des rires qui m'arrachent un sourire épanoui.

           Le regard du blond me brûle, posé sur moi. L’odeur de son tabac m’embaume d' une caresse chaude. Je pousse un long soupir.

           Il me faut quelques secondes pour sortir de mon silence.

— Je… Me battre m’a épuisée.

           Mon regard se pose sur mes mains jouant avec un morceau de tissu. Cela fait des heures que Sanji et moi discutons de tout et de rien. Du royaume, d’épices, de voyage…

           Je ne m’attendais pas à ce que la conversation prenne soudainement un tournant si sombre.

— J’ai perdu mon unité.

           Posant les yeux sur mes filles, je tente de trouver réconfort dans la vision de mes enfants. Cependant ma poitrine est lourde et la moindre respiration me fait mal.

           Depuis des années, je fuis la vérité. Me réfugiant dans cette chaumière, je tente d'oublier la blessure profonde qu’a été ma dernière mission.

           Seulement j’ai froid, lorsque j’en parle. Ma peau est faite de glace et mon cœur se fissure. 

           Soudain, une main saisit la mienne.

           Aussitôt, un souffle se répand en moi, brûlant. La stalactite de ma peau fond tandis que mon organe vital me semble plus fort. Chaque spasme, respiration, amène plus de stabilité, de calme, de sûreté.

           Me tournant, je découvre le regard doux de Sanji. Il tient ma main avec une tendresse infinie.

           Il ne dit rien. Mais je n’ai besoin d’aucun mot. Seule la douceur de son regard, posé sur moi, compte. Le silence est la plus douce des paroles en des temps troubles où ne résonnent que les bruits de la guerre.

           Son pouce caresse le dos de ma main.

           Assurément, il y a quelque chose, dans le lien qui nous unit.












— Maman, tu crois que Sanji va rester ? 

           Montant un drap jusqu’au nez de ma fille, je ris doucement. 

— Je n’en sais rien, il faudrait lui demander… Pourquoi ?

           Ses paupières sont lourdes et elle met quelques instants avant de me répondre, s’endormant doucement. 

— Parce que je l’aime bien et toi aussi.












           Un bâillement franchit mes lèvres tandis que je sors de ma chambre. Comme à mon habitude, j’esquisse un sourire en inspirant la délicieuse odeur du petit-déjeuner que prépare Sanji.

           Celle-ci m’a d’ailleurs réveillée.

— Qu’est-ce que tu nous cuisine de beau ? je lance dans un sourire, entrant dans la salle.

           Le blond hausse la tête en m’entendant arriver. Aussitôt, son visage s’illumine et il se tourne vers moi. Mon cœur bat la chamade lorsque j’aperçois le sourire qui illumine ses traits à ma simple vue.

— Bonjour, déclare-t-il. Je me demandais si tu te réveillerais tôt.

— Et pourquoi cela ?

           Théâtralement, il regarde autour de lui, vérifiant que les filles ne nous entendent pas. Des semaines se sont écoulées depuis qu’il est arrivé ici et il n’a jamais donné l’impression qu’il comptait repartir.

— Je voulais manger loin des monstres !

           Notre vie est devenue plutôt déconcertante dans sa banalité. Chaque matin, nous tentons de nous lever tôt pour manger ensemble et nous passons la journée à nous occuper des enfants.

           De temps à autre, au marché, des passants me parlent et semblent croire que Sanji est mon mari. Je ne sais trop pourquoi jamais nous n’avons nié cela

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Je te connais par coeur, quelque chose ne va pas, dit-t-il en voyant mes sourcils se froncer.

           J’acquiesce en soupirant.

— Je… Non, laisse tomber…

— Hé, réagit-t-il aussitôt, posant une main sur ma joue et me forçant à le regarder.

           Sa paume est douce, contre ma chaire. Ce n’est pas la première fois qu’il a ce genre de geste pour moi. Ils m’électrisent tout le temps, bien qu’ils soient devenus mon quotidien.

           Un baiser sur mon front quand il me laisse m’endormir dans mon lit, un pouce essuyant une trace de sauce sur ma peau, ses bras entourant mon corps…

— Dis-moi. S’il-te-plaît.

           J’hésite un instant mais je finis par capituler devant le miroitement dans ses yeux.

— C’est juste que… Les filles se sont vraiment attachées à toi et… Moi aussi.

           Il sourit doucement.

— Et ? chuchote-t-il.

— Et, je ne cesse de me dire que lorsque tu vas partir, nous allons avoir vraiment très mal, je termine en baissant les yeux, honteuse de mon aveu.

           Aussitôt, saisissant mon menton entre son index et son pouce, il relève mon visage. Mon cœur rate un battement à ce geste et j’écarquille les yeux, plongeant mon regard dans le sien.

           Un frisson me parcourt.

— Tu veux que je m’en aille ? chuchote-t-il avec douceur.

           Son regard est si doux qu’il pourrait m’arracher une larme. Mais je me contente de secouer la tête.

— N… Non, c’est vraiment la dernière chose que je veux…

           Un sourire doux étire ses lèvres.

— Parfait. Parce que moi aussi.

           Je hoquète presque en entendant ces paroles. Et il insiste face à mon air surpris : 

— Je n’ai aucune intention de quitter cette maison. Je… Je vous considère comme ma famille… Elles sont mes filles et toi…

           Sa main caresse ma joue. Son regard se plonge mieux dans le mien. Chacun de ses traits retombe et il me regarde soudain avec la plus grande concentration, prêtant attention au moindre détail de mon visage.

           Son regard s’attarde sur mes lèvres. Je frissonne.

— …Toi, tu es la femme de mes rêves…

           Mon coeur fait un bond.

           Ses yeux se ferment et je l’imite. 

           Tendrement, il m’embrasse. Sa bouche est douce contre la mienne, sucrée. Sa barbe gratte ma joue mais je ne peux me défaire de cette étreinte. Il saisit mes hanches, me rapprochant de lui.

           Quand mes doigts courent dans ses boucles d’or, il laisse filer un son grave. Un gémissement. Il continue de m’embrasser avec douceur.

— Ah ! C’est dégoûtant ! résonne soudain une voix.

           Dans un sursaut, nous nous tournons vers Ans, debout dans l’encadrement de la porte. La mine tordue et les sourcils froncés, elle nous fusille du regard.

           Puis, elle s’enfuit à toute vitesse.

           Sanji et moi échangeons un regard avant d’éclater de rire, toujours lovés dans les bras l’un de l’autre. Puis, son nez frôlant le mien, il dépose un autre baiser sur mes lèvres et murmure : 

— Elle s’en remettra. Et surtout, elle s’y habituera.

































































à demain avec
livai !




































Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top