𝐋𝐀 𝐑𝐄𝐈𝐍𝐄 𝐃𝐄𝐒 𝐍𝐄𝐈𝐆𝐄𝐒
𝐊𝐚𝐭𝐬𝐮𝐤𝐢 𝐁𝐚𝐤𝐮𝐠𝐨
𝐗
Qui ose perturber le silence ?
Lorsque les voix se meurent, emportant dans le cocon de la surdité les spasmes de la douleur, le repos survient enfin. Nul ne peut prétendre fermer réellement les yeux lorsque l’oreille ne suit pas. Il leur faut se taire.
Là est l’unique consolation d’une femme au coeur de pierre. Ce dernier ne fait aucun bruit car il ne bat pas.
Alors… Qui ose perturber le silence ?
— Certains semblent si déterminés à mourir que cela en devient risible, je grommelle en me levant.
Le talon de mes bottes cogne contre la surface de cristal. Partout dans le givre constituant le sol sous mes pieds, des fleurs et pétéchies de glace sont incrustées. Curieux et unique marbre, il fait du palais que j’habite une demeure sans pareille.
L’unique château de glace du royaume.
Lorsque la Reine Rouge m’a expulsé du royaume dans lequel j’avais toujours vécu, traitant mes pouvoirs comme s’ils n’étaient que hérésie, je me suis réfugiée sur le flanc le plus reculé de la plus haute montagne du plus dangereux des continents.
Ici, même le soleil n’ose briller. La lune est toujours là, veillant sur moi dans cette nuit éternelle.
— Qui ose…
De tout temps, mes mains ont produit des miracles. Plus jeune, je divertissais les anciens en faisant jaillir de la glace de mes paumes. Cependant, tout a changé lorsque le Reine a pris le pouvoir.
Tout d’abord, elle a rétablit la peine de mort avant de faire passer un décret forçant chaque femme célibataire d’un certain âge à accepter d’épouser la première personne qui se présenterait à elle. A l’époque, je n’étais qu’une jeune adulte qui avait toujours rêvé de devenir architecte. Un homme n’était pas dans mes priorités.
Alors, lorsque j’ai refusé, une lame a été posée sur ma gorge. La reine a ordonné mon exécution, juste avant de réaliser que j’étais une mage de glace.
Une ordonnance internationale lui interdisant d’occire des mages, elle a bien dû renoncer. Cependant, elle a tenu à m’expulser, seule et sans ressource, en dehors du territoire.
Nul, parmi les anciens, mes amis, mes proches, les villageois, n’ont voulu me défendre. Têtes basses, ils ont préféré suivre les injonctions de la reine plutôt que de risquer un châtiment bien grave.
Je crois que je les comprends.
Cependant une rage gronde en moi, depuis ce jour où des fers ont été passés à mes poignets, que deux gardes armés jusqu’aux dents m’ont livrée jusqu’à la lisière de ce qui était ma patrie. Qu’ils m’ont interdit d’y remettre les pieds un jour.
Le passé est un feu que seule la glace de la solitude peut apaiser. Face aux hurlements de leur rejet, le silence de cette nouvelle vie m’offre un répit.
Après avoir été exilée, je ne suis jamais parvenue à vivre en communauté. J’ai appris à détester l’Humain plus que tout et fait le choix de l’autarcie.
Avec grand soin, j’ai choisi l’endroit où je me trouve à présent et y ai construit, à la seule aide de mes pouvoirs, un château. Seule avec mon don et mes connaissances en architecture.
Fière. Droite. Déterminée.
Aujourd’hui, je ne peux tolérer le bruit que j’entends, au pied du château. Le silence est mon unique répit. Ma douleur se tait lorsque le monde fait de même.
Alors qui ose perturber le silence ?
— DESCENDS, SI TU L’OSES !
La mâchoire contractée, je pose une main sur la rampe de glace longeant les marches semblables à du verre, sous mes pieds. Partout dans mon palais, j’ai disséminé des flocons de neige, éclats tranchants et stalactites formant d’élégantes décorations.
Ici, j’ai créé un cocon à mon image. Alors je ne puis tolérer qu’un être ose venir perturber sa tranquillité de la sorte.
— DESCENDS M’AFFRONTER !
Depuis plusieurs minutes, des hurlements retentissent, me menaçant et m’ordonnant de me rendre au pied du palais.
Tout d’abord, j’ai pensé que j’étais victime d’hallucinations. Très peu de personnes pénètrent ce continent et moins de personnes encore tentent de gravir cette montagne.
Mieux encore : aucune n’a jamais survécu à son ascension.
— Qui est le petit rat que je vais devoir écraser ? je chuchote en descendant les marches de glace.
Le tissu de ma robe ondule, semblable à une eau de cristal, tandis que j’avance. Irisées de milles éclats, elles semblent illuminées d’étoiles qui scintillent au moindre de mes mouvements.
Similaire, une cape tombe dans mon dos, trainant dans mon sillage.
Un instant, je songe que cette robe de bal ne sied sans doute pas à un combat. Puis, aussitôt, un rire me prend. Qu’importe l’identité de l’inconscient qui vient me quérir et ce qu’il souhaite faire, une fois devant moi.
Je le tuerais aisément.
— JE SAIS QUE TU ES LA !
A mesure que je descends les marches, des flammes blanches illuminent mon chemin. Ce palais réagit à ma présence et me guide toujours à bon port.
Soudain, au beau milieu des escaliers, je cesse de marcher. Quelque chose ne va pas…
La main sur la rampe, j’aperçois un mouvement, du coin de l'œil. Me détournant des marches chutant sous mes yeux, j’observe le lustre suspendu au plafond de glace constitué de perles de cristal qui forment des rideaux de délicatesses. Aussitôt, mes yeux s’écarquillent et je sens mon corps me brûler. Mes entrailles soulèvent, tiraillées par la fureur.
Le lustre tremble.
Quelque chose fait trembler le lustre. Ou plutôt, quelqu’un.
— DESCENDS M’AFFRONTER SI TU L’OSES.
— Qui que tu sois, tu ne reverras pas le soleil, sale petit impertinent, je peste.
Il s’agit de mon palais, de mes terres, de mes lois.
Quiconque s’en prend à mon refuge, fait ne serait-ce que frémir le château que j’ai façonné consent à mourir de ma main.
A toute vitesse, je dévale les escaliers. Les lumières n’ont pas le temps de me suivre tant je suis rapide. Il me semble qu’un battement de cils m’a suffit à ce que j’apparaisse dans le hall de mon palais.
Brandissant ma paume, j’envoie une violente bourrasque glacée qui ouvre les portes de mon château à la volée. Le vent, agressif, percute au passage une silhouette, qui se trouvait juste devant mon palais.
L’homme est propulsé sur plusieurs mètres, s’écrasant dans la neige, plus loin.
Seulement cela ne calme pas ma fureur.
— Tu m’as appelée ? Je suis là. Montre-toi.
Si je ne hurle pas, ma fureur le fait au travers de ma voix calme. Malgré mon assurance, je peux ressentir mon envie d’étriper cet intru jusque dans le moindre écho de mes mots.
La tête haute, ma cape scintillante trainant dans mon sillage, j’avance. Droite et fière, je sors du palais.
A l’instant où je franchis le seuil du château, que le sol lisse de glace se mue en un coussin givré, un air revigorant s'insuffle dans mes poumons. Cependant sa fraîcheur ne suffit pas à apaiser ma colère.
Même dans la nuit noire, grâce aux flammes blanches de mes pouvoirs, je distingue le monticule de neige sur lequel s’est écrasé l’homme, plus loin. Sans rien distinguer de lui, simplement en devinant sa présence, ma rage gronde.
Cet homme a pénétré mes terres et menacé mon château. Les murs ont tremblé et le silence s’est rompu.
Il payera.
— Relève-toi et bats-toi, petit être.
Traçant une rune dans les airs, je savoure la caresse délicieuse de la glace qui jaillit dans ma paume. D’abord cristal, elle s’allonge jusqu’à former une longue lame. Cette dernière me servira.
Lorsque je trancherais la gorge de l’odieuse créature.
— Approches donc, j’insiste en marchant jusqu’au monticule de neige. J’espère que tu n’es pas déjà m…
Je n’ai que le temps de reculer dans un bon.
Une violente déflagration retentit lorsque le monticule que j’observais explose. D’un geste sec, je crée un dôme autour de moi, me protégeant du souffle de l’explosion. Des éclats rouges brillent, illuminant de façon inédite les lieux.
Un mage de feu… Et il pénètre un palais de glace…
— Quelle ordure.
Dans un hurlement rageur, je brise mon dôme. Du coin de l'œil, j’aperçois alors une masse fondre violemment dans ma direction. Je n’envisage même pas l’inutile possibilité de l’esquiver.
Mon index trace une rune dans les airs. Du sol jaillissent alors des chaînes de glace. Au nombre de huit, elles agrippent chaque membre de l’inconnu et ce, plusieurs fois.
D’un battement de cil, il est immobilisé.
Je sens qu’il tente de se débattre entre mes chaînes et les resserre d’un mouvement du poignet. Mon sort est bien trop puissant pour le petit mage de pacotille qu’il est, même pas fichue de créer une diversion correcte pour m’attaquer.
Cependant, je ne prends pas le temps de savourer ma victoire si facile et prévisible. Les yeux posés sur le monticule de neige parsemé des cendres de l’explosion, je tente d’apaiser la rage qui grimpe en moi.
Il a abîmé la devanture de mon palais avec un sort.
— Donne-moi une seule bonne raison de te laisser la vie sauve, je gronde, mes mains se serrant.
Enfin, je me tourne vers mon prisonnier. le contraste me frappe aussitôt.
Je suis la glace dévisageant les flammes. Je place le silence, face au bruit. J’impose la solitude à celui qui se dédouble. J’existe avec mon indifférence et lui, avec son bruit.
Je ne regarde pas un miroir, assurément. Mais il me semble apercevoir les fêlures de mon reflet.
— Enfin, on se rencontre…
Un sourire carnassier aux lèvres, le mage me dévisage de sa mine sournoise.
Son torse se soulève difficilement tandis qu’il essaye de reprendre sa respiration. Tête baissée, les chaînes maintenant ses bras en l’air, il m’observe par en-dessous.
Des mèches d’or tombent sur son front, dissimulant en partie son visage. Je ne discerne que ses muscles épais, jaillissant d’un pourpoint déchiré et calciné.
— Tu veux une raison de me laisser en vie ? éclate-t-il d’un rire sanguinaire. Il n’y en a aucune.
Je me fige.
De toutes les plaidoiries, je ne m’attendais sûrement pas à celle-ci.
— Seulement je crois que tu aimerais entendre ce que j’ai à dire sur ta chère et tendre Blanche-Neige.
Mes mains s’affaissent aussitôt en entendant ce nom que je ne connais que trop bien, le titre d’une vieille amie de cellule. Après mon exil, je n’ai jamais su ce que cette prisonnière était devenue.
— Et tu es venu détruire mon château pour me parler d’elle ? je demande, consternée.
Il éclate d’un rire rauque.
— Non… Mais en chemin, une saleté de tavernier a dit que tu étais sans doute la mage le plus puissante au monde. Et ça, je ne peux pas le tolérer.
Brutal, son regard se plante dans le mien.
— Alors me voici maintenant avec un nouvel objectif : soit je repars en t’ayant battue…
Ses yeux s’assombrissent.
— …Soit, je ne repars pas.
♔
Mes paupières se plissent brutalement. Dans un grognement, je balance mon bras en travers de mon visage, cherchant à me protéger de l'intense luminosité qui vient soudainement de me brûler la rétine, allant jusqu’à me tirer de mon sommeil.
Un instant, je songe à me retourner pour me rendormir. Cependant aussitôt, mon cœur se fige un instant dans ma poitrine.
Lumière… Aucune lumière ne devrait le réveiller. La nuit est éternelle, ici, le soleil n’existe plus.
Brutalement, je me redresse.
— Non… Non, non, non, non ! je lâche à toute vitesse, bondissant hors de mon lit, affolée.
Du soleil. Il y a du soleil dehors.
Les murs de glace, transparents, me laissent voir les teintes rosées de l’éther. Ces dernières, quoique légèrement pâles, scintillent dans leurs teintes chaudes. Et, au loin, je peux le voir.
Le soleil.
Me retournant, je découvre la chambre royale sous un jour que je n’aurais jamais soupçonné.
Sont illuminées les stalactites qui forment un rideau au-dessus de mon lit. Jaillissant, les cyclamen courent le long des murs, leurs tiges blanches se mêlant aux gravures pratiquées dans les glaces.
Les immenses armoires aux décors riches paraissent plus imposantes encore, posées sur le sol opaque et bleuté que je foule. Dessus, le large tapis sous mes pieds est, tout comme mes draps, composé d’un tissu invraisemblable.
De l’eau. La même eau qui habille mon corps.
— Que… Comment est-ce possible ?
Plusieurs années se sont écoulées depuis que j’ai désigné cette montagne comme ma terre. Jamais auparavant le soleil n’avait illuminé ces lieux.
Je n’arrive pas à croire ce qu’il se passe. Qu’est-ce qui aurait pu…
— Oh non, je murmure en réalisant soudain l’unique cause possible de ce changement.
Hier, un intrus a menacé la sécurité de mon palais. Descendant en trombe, je ne lui ai demandé qu’une unique chose : me fournir une raison de ne pas le tuer.
En refusant de le faire, il m’en a donné une.
Selon lui, une vieille amie du nom de Blanche-Neige lui a confié un message pour moi. Je suis donc prête, en l’honneur de cette amitié, à accueillir son messager en lui laissant la vie sauve…
De façon temporaire. Je le tuerais dès que je jugerais le moment opportun.
Ce moment risque d’ailleurs de survenir bien plus tôt, s’il a quelque chose à voir avec ce qu’il se passe dans le ciel, ce matin.
— Olaf.
Jaillit du seuil de la porte la silhouette d’un bonhomme de neige. En dépit de la carotte tordue lui servant de nez et son visage allongé lui conférant un air peu dégourdi, cet être est assurément mon meilleur allié.
Ma création.
— Oui, madame ?
— Hier, je t’ai demandé d’installer notre invité. Puis-je savoir où tu l’as placé ? J’aurais quelque mot à lui toucher, je lâche d’un ton mordant.
Le bonhomme de neige acquiesce, me faisant signe de le suivre.
— Je dois avouer, madame, que j’ai été fort embêté. Nous n’avons pas l’habitude de recevoir et les mortels sont habitués à des mets différents de ceux que vous possédez, annonce Olaf tout en avançant.
Je le suis dans les couloirs. Mon regard ne peut s’empêcher de les détailler, peu habituée à les voir illuminés pareillement.
Chaque gravure faite dans la glace, fleur germant, bouquet de cristal ou stalactite brille… Cela me coûte de le dire mais en un sens, cette nouveauté le plaît.
Je vois mieux le chef d'œuvre d’une vie.
— Ne me dis pas que cet invité s’est plaint des conditions dans lesquelles il était reçu ? Parce que je peux le renvoyer d’où il vient très vite en le balançant depuis le sommet de cette montagne.
Olaf nie de la tête en prenant les escaliers.ù Naturellement, je glisse ma paume dans le coussin de neige qui lui sert de main, l’aidant à descendre les marches.
Les pieds du bonhomme sont si larges qu’il n’est pas rare qu'il trébuche dessus et dévale sur les fesses plusieurs étages.
— Il se trouve qu’il a exprimé de façon plutôt… sonore sa déception quant au fait de ne pas pouvoir vous affronter en duel maintenant.
— Ne veut-t-il pas se reposer ? je soupire, déjà lassée de la présence de ce malotru. Nous nous sommes déjà battus hier et il a perdu, d’ailleurs.
— L’égo des hommes aura raison d’eux.
Je souris à la remarque d’Olaf et note que nous nous dirigeons en direction de la salle de banquet. En effet, quelques secondes plus tard, il franchit l’immense arcade menant à la plus grande et haute pièce du château.
Sur de longs mètres, une table de verre s’enfonce, cernée de fauteuils de cristaux. Cà et là, des lueurs blanches accompagnent celle, supplantant le reste, du soleil.
Une touffe blonde attire mon attention.
— Bonjour, je déclare cérémonieusement, peu habituée à recevoir de la visite.
L’homme redresse la tête, me laissant voir ce que l'obscurité de la nuit me dissimulait, auparavant.
Deux yeux sévères me fixent, en-dessous de sourcils marquant des traits durs. La puissante mâchoire anguleuse du blond n’arrange pas son air colérique que ses puissants muscles accentuent aussi.
Cependant, malgré qu’elle soit broussailleuse, sa tignasse douce et dorée parvient peut-être à lui conférer un air moins revêche.
— Maintenant, je déclare en m’asseyant sur l’une des chaises, loin de lui. Peux-tu m’éclairer sur la personne à qui je parle ?
Mon index glisse sur mon majeur et, dans un ruissellement de paillettes, des plats apparaissent, chargeant la table. Olaf tire sa propre chaise, à côté de la mienne.
Sans prêter la moindre attention au regard consterné du blond qui se serait peut-être attendu à ce que mon domestique ne mange pas avec moi, le bonhomme de neige entreprend de dévorer un sorbet.
Une fois la surprise dépassée, les yeux noisettes de l’homme se posent à nouveau sur moi. Il soupire.
— Katsuki Bakugo. Mage de feu. J’ai été l’apprenti de Blanche-Neige de mes douze à mes vingt-et-un, lorsque je suis devenu un mage affirmé.
— Et comment as-tu su qui j’étais et décidé de venir me parler ? je lance, les sourcils froncés.
Il laisse filer un rire qui le surprend.
Le son que fait sa voix lorsqu'il glousse est moins brutal que lorsqu’il parle. Plus doux, clair… Léger. Ses yeux se plissent d'ailleurs et perdent toute leur agressivité.
Mais ils la récupèrent dès qu’il poursuit :
— Vous êtes un cas d’école. Un des rares mages qui a survécu à un procès de la Reine Rouge.
— Elle ne tue pas les mages, elle n’en a pas le droit, j’objecte aussitôt, en comprenant pas en quoi mon cas de figure est “rare”.
Les épaules de Bakugo se haussent.
— La semaine dernière, elle en a décapité huit donc je ne parierais pas sur cette hypothèse.
Je ne sais ce qui me choque le plus entre les paroles du blond ou l’indifférence sincère qu’il affiche en les prononçant. Une indifférence qui trahit bien qu’il est habitué à annoncer ce genre de nouvelles.
Saisissant un verre de cristal, il le boit avec attention tandis que je réfléchis quelques instants.
— Si je suis un cas d’école… Blanche-neige explique-t-elle pour quelle raison je m’en suis sortie ?
Il secoue la tête dans un sourire amer.
— Non mais elle a une hypothèse.
— Vraiment ?
Il acquiesce. Ses yeux se plantent dans les miens avant de me détailler plus en profondeur. J’ignore l’embarras qui me prend en le voyant m’observer sous toutes mes coutures. Cependant, dans un soupir, il finit par lâcher :
— Vous savez que vous êtes la seule à manier la glace ? Plein de mages font ce que je fais. Ou manipule la lumière, les ténèbres, l’eau, les pierres et tous les éléments auxquels on peut penser.
Il soupire.
— Mais la glace… Non, ça c’est que vous.
J’acquiesce doucement. Je dois avouer que cette supposition ne m’a jamais intéressée mais ce n’est pas la première fois que j’entends parler de cette légende.
Si la Reine y a cru, je peux comprendre qu’elle n’ait pas eu envie d’être responsable de la perte de l’unique pouvoir de glace — après tout, tôt ou tard, elle pourrait en avoir besoin.
Ignorant cette conversation, je me concentre sur ce qui a motivé sa venue, à l’origine :
— Alors… Il me semble que tu avais quelque chose à me dire sur notre amie en commun.
Il acquiesce vivement et, la bouche pleine, lâche d’un ton indifférent :
— Elle a tué un général de l’armée. Et, en se faisant, elle s’est volontairement empoisonnée avec une pomme. Elle est encore en vie mais dans un profond coma.
La façon qu’a Bakugo d’annoncer cela, sans me regarder une seule fois, dévorant son plat et parlant tout en le faisant, me désarçonne. Ce garçon est décidément bien étrange.
Pas une seule seconde je ne soupçonnerais qu’il est en train de parler de son mentor qui l’a accompagné durant une décennie.
— Elle va bien ? je demande, sentant ma gorge se serrer.
— Essayez de me poser une question encore plus strupide, la prochaine fois. Je vous ai dit qu’elle avait été empoisonnée, elle ne peut pas aller bien…
Il hésite un instant.
— …Mais elle est vivante.
Il lève la tête sur moi.
— Et je crois que vous pouvez trouver le remède.
Mes yeux s’écarquillent brutalement. Il acquiesce tout de même, insistant.
— La Belle au Bois Dormant… Vous avez étudié certains de ses livres, lorsque vous envisagiez de construire une maquette d’une tour où l’abriter.
Cet homme a l’air… extrêmement renseigné sur moi.
Mais il dit vrai. Après avoir fait une découverte scientifique majeure qui pourrait mettre fin à l'épidémie d’une maladie mortelle, la Belle au Bois Dormant a été précipitée dans un coma. Touchée par cette histoire sordide, plus jeune, j’ai consommé nombre de ses papiers, ses recherches.
Mais cela ne fait pas de moi une scientifique.
Pourtant, il conclut tout de même :
— Vous êtes la seule personne que je connaisse à avoir lu ses papiers avant qu’ils soient brûlés. Je compte travailler avec vous à partir de vos souvenirs. Je suis médecin et j’espère bien trouver un remède.
Il ajoute aussi :
— Navré, je vais donc devoir reporter notre duel à plus tard.
♔
— Putain, mais creuses-toi la cervelle deux minutes !
— Va te faire foutre, je gronde en le fusillant du regard.
Cela fait plusieurs semaines maintenant que Katsuki est servi par mes créatures, mange à mes frais, s'entraîne devant mon château. Mon regard s’est habitué au soleil se levant chaque matin.
Cependant, j’avoue que je peine à me faire à la présence du blond.
— Tu es chez moi, tu respectes mes règles. Tu as déjà de la chance que j’ai fait le choix de te laisser vivre, je tonne.
Par-dessus les béchers de glace, son bras couvert de l’encre avec laquelle il griffonne des formules, Katsuki me foudroie du regard. Son pouvoir de flammes chauffe naturellement sa peau alors il se tient constamment en tenue légère, ici.
Cette dernière me permet de voir les veines ressortant sous sa chaire et courant le long de ses avant-bras. Il est sous tension en permanence.
— L’horloge tourne et je sais que tu crains de ne pas réussir à la sauver. Mais tu restes un invité dans cette maison alors tâches d’agir comme tel.
Son visage se serre et il contracte la mâchoire. Le fusillant du regard, je quitte les lieux.
♔
Assise sur mon trône de stalactites, je pousse un soupir en étalant un onguent le long de mes mains. L’odeur de karité s’insuffle dans mes narines et je masse mes paumes.
Manier le froid m’y rend insensible cependant ma peau est anormalement desséchée. Olaf descend régulièrement acheter de quoi apaiser cette sécheresse.
Bientôt, mes gestes se figent. Il est là.
— Entre, ne reste pas tapis dans l’ombre.
Poussant un soupir, Katsuki franchit l’arc menant à la salle du trône. Avançant sur l’allée tapis d’un tissu d’eau extrêmement long, il m’observe.
Ses iris brunes saisissent les miennes tandis qu’il avance, déterminé. Son regard est droit, fier, brutal.
— N’essaye même pas de me faire la moindre remontrance.
— Je suis venu m’e…, il mange la fin de sa phrase dans un marmonnement. Alors la ferme.
Haussant les sourcils, hébétée, je le fusille du regard.
— Tu es venu quoi ?
— Je suis venu m…
Mais je n’entends rien de la fin.
Il détourne simplement le regard, m’empêchant de voir le détail de ses joues virer au cramoisie. Aussitôt, un rictus espiègle étire mes lèvres.
— Répète-toi.
— J’ai dis que j’étais venu m…
La couleur de ses joues virent au prune et il ne me regarde pas.
— Plus fort, je ne comprends rien.
— MAIS T’ES COMPLÈTEMENT BOUCHÉE, PAROLE ?
Je frissonne et envoie une pichenette.
Aussitôt, une stalactite se décroche du mur et le tape à l'arrière du crâne. Il serre les dents quand sa tête bascule en arrière me ne dis rien.
— Ne t’ai-je pas dit de surveiller ta langue quand tu t’adresses à ma personne ? Sous mon toit, qui plus est ?
Il saisit le morceau de glace resté logé sur sa nuque. S’en emparant, il y jette un coup d'œil, le contemplant longuement avant qu’un soupir franchit ses lèvres.
Là, il lâche la stalactite au sol qui se brise.
— Laisse tomber. Tu n’es pas digne de la conversation que je comptais avoir avec toi.
Là-dessus, il se retourne. Le coude planté dans mon trône, je contemple sa silhouette se rapetissant à mesure qu’il s’en va.
Mes dents grincent.
— M’insulter ne la ramènera pas. Cela ne fait que favoriser les chances que je te mette dehors. Sache que ton comportement est tel que l’unique raison pour laquelle je te laisse ici, c’est qu’elle est en danger.
— Tu crois que je ne le sais pas ? gronde-t-il en me fusillant du regard, par-dessus son épaule.
— Si tu le sais, agis en être respectueux.
Il prend une profonde inspiration. Ses poumons se gonflent et je sens qu’il prend sur lui.
Là, je demande :
— Qui était-t-elle pour toi ? Je veux dire, pourquoi es-tu autant sur les nerfs à l’idée qu’elle ne se réveille pas ?
Ses épaules se haussent.
— C’était mon amie, lâche-t-il d’un ton désintéressé.
— C’est tout ?
Sa mâchoire se contracte. Il me tourne définitivement le dos et gronde :
— Si tu réponds cela, c’est que tu n’as aucune idée de ce qu’est l’amitié.
Mon coeur se serre.
Non, en effet, je n’en ai aucune idée.
♔
Katsuki m’ignore avec grand intérêt lorsque j’entre dans son laboratoire. La mâchoire toujours serrée, il dissémine des équations au quatre coins de plaques de glace. Sa plume affûtée grave des éléments-clés de sa composition.
Approchant, je pousse un soupir. Il nous faut crever l’abcès. Nous ne pouvons continuer ainsi.
Les veines de Katsuki ressortent constamment tant il est sous tension. Sa mâchoire est toujours serrée. La chaleur dégageant de son corps est presque brûlante.
Nous ne pouvons demeurer ainsi, bouffés par la colère.
— J’ai perdu mes amis le jour où aucun n’a protesté lorsque mon exil a été prononcé.
Il ne réagit pas en m’entendant mais je devine qu'il m’écoute.
— Je les comprends… Mais je les ai perdus. Et à partir de ce moment, je ne suis jamais parvenue à m’intégrer où que ce soit. Le traumatisme de mon exil a rendu mes pouvoirs instables. Partout où j’allais, j’étais considérée comme une bombe à retardement.
Les gestes de Katsuki se figent mais il ne lève pas la tête vers moi. Le regard droit, continuant d’observer la même mixture, je devine qu’il m’écoute avec attention.
— Je ne sais pas ce qu’est l’amitié donc je ne peux pas compatir avec ce que tu traverses. Je peux essayer de comprendre. J’échouerais sûrement à le faire. Mais je te demande de me respecter.
J’avance d’un autre pas, me plaçant en face de lui. La table d’expériences, faite de cristal, sépare nos corps.
— Tu as mal, tu as peur, je le comprends. Mais ici, je suis chez moi. Pour la première fois de ma vie. Je te demande de le comprendre.
Je sais qu’il m’a écoutée, bien qu’il ne réponde pas.
Me retournant, je le laisse à ses béchers. Cependant, au moment où je m’apprête à franchit le seuil de la salle, quittant cette pièce anormalement brûlante au pays de glace, sa voix s’élève dans mon dos :
— Elle ne jugeait pas mes problèmes de colère.
Je cesse de marcher. Ne voulant l'oppresser avec un regard inquisiteur, je ne me retourne pas.
Mais je l’écoute.
— Elle a été ma première amie, la seule qui tenait à me montrer comment me maîtriser au lieu de me fuir constamment.
Je cille.
— Elle a été là pour moi… Je veux faire de même.
Je ne m’attendais pas à une telle déclaration. Déglutissant péniblement, j’ose enfin le regarder, par-dessus mon épaule.
Il m’observait déjà.
Et, pour la première fois depuis que nous nous connaissons, j’aperçois quelque chose dans ses yeux. Une lueur qu’il me dissimulait, jusque-là. Un éclat qui reflète sa réelle identité.
Oui, je crois que je le vois, lui. Non le mage à l’égo monstrueux et dévoré par la hargne.
Juste lui.
— Je suis désolé d’avoir agi de cette façon sous ton toît.
Il détourne brutalement le regard en lâchant abruptement :
— Je crois juste que… J’ai peur.
Je perçois dans le spasme de sa voix qu’il aurait préféré faire n’importe quoi plus que de m’avouer cela. Ce sentiment pesait sans doute sur son cœur car il n’est pas parvenu à le garder pour lui. Seulement je sais qu’il s’agissait là d’un éclat venant du plus profond de son être.
D’une facette de lui qu’il ne montre à personne.
Alors, prétendant n’avoir rien entendu, je saisis un bécher ainsi qu’une plaque de glace où il a gravé quelques équations.
— Je vais tester la véracité de ces trois hypothèses.
Ma réponse à son aveu semble le surprendre. Il me fixe longuement, tandis que je dispose des ingrédients dans les différents récipients. Ma concentration aiguisée, je m’efforce d’ignorer la façon qu’il a de poser les yeux sur moi.
Si exprimer ses sentiments le met mal à l’aise, inutile d’insister. Je trouve cela logique.
Cependant quelque chose vient de changer dans le regard qu’il me porte, je le sens.
♔
— J’ai vraiment cru qu’on tenait la solution…
Assise à la table, contemplant les mets étalés devant moi sans y toucher, je ne peux digérer cette défaite. Katsuki semble tout autant bousculé, n’ayant même pas à cœur de gronder quelques insultes.
La dernière hypothèse que nous avons vérifiée semblait être la bonne. Cependant, elle n’a pas tenu bien longtemps. Nous n’avons toujours rien.
— Je crois que je vais aller me coucher, je chuchote en me levant, sous le regard inquiet d’Olaf.
— Moi aussi.
Katsuki et moi, sans un regard l’un pour l’autre, prenons les escaliers. Tête basse, nous ruminons amèrement cette défaite :
— Je suis désolée, je déclare tandis que nous arrivons à l’étage où se trouvent nos chambres.
— Ne le sois pas.
Nous nous arrêtons sur le seuil, à l’endroit où nos chemins se séparent. Mais aucun de nous ne remue le moindre cil. Nous nous contentons de nous regarder.
Le silence s’éternise et je finis par lui tourner le dos, abattue.
— Les gens sont vraiment idiots de ne pas t’accepter pour ce que tu es, résonne soudain une voix, dans mon dos.
Surprise, je me retourne au moment où Katsuki lance :
— Ils gagneraient à te connaître.
♔
La nuit est tombée et seules les flammes blanches de mes pouvoirs illuminent le laboratoire. Les doigts crispés sur le bord de la table, je ne parviens pas à me calmer.
Je n’y arrive pas. L’horloge tourne, le poison ayant plongé Blanche-Neige dans le coma la tue peu à peu mais je n’y arrive pas.
— Putain, je ne vais pas y arriver, je couine dans un élan de désespoir, prenant ma tête dans mes mains et sentant une larme dévaler ma joue.
Je pleure… Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas fait.
Mon corps ne doit plus être habitué car, à l’instant où une perle salée coule le long de ma joue, ma poitrine se contracte violemment. J’éclate en sanglots et hoquets de douleur, sentant un vide se créer en moi. Je ne parviens même pas à me contrôler.
Elle m’a aidée. Elle l’a aidée. Et aujourd’hui, c’est à notre tour de lui rendre la pareille.
Alors pourquoi n’y arrivons-nous pas ?
— Putain…
Soudain, une main chaude saisit mon poignet, me tirant en arrière. Je n’ai le temps de réagir qu’on m’attire contre un torse chaud. Ma tête se place dans le creux d’une épaule et des bras entourent mon corps, rassurants.
Katsuki.
Je ne parviens même pas à prétendre que je ne pleure pas, à tenter de sauver la face. Lorsqu’il s’agit de lui, je m’en fiche. Je crois que j’ai réalisé qu’il ne me jugerait pas pour cela.
Alors, glissant mon visage dans le creux de son épaule, je ne cesse de pleurer. Je tremble violemment. Mais il me berce doucement, sa peau se faisant douce, contre celle de ma joue.
— Je suis terrifiée à l’idée que nous n’y arrivions pas.
— Moi aussi, admet-t-il d’une voix rauque, sa main se posant sur ma tête et me gardant dans son étreinte. Mais nous allons nous battre, je te le promets.
Reculant légèrement, je lève la tête pour le regarder. Mes yeux se plongent dans les siens, bruns, et je déglutis péniblement.
Nos nez se frôlent tant nous sommes proches. Je distingue chaque éclat de ses iris, chaque pore de sa peau. Il me détaille avec attention, lui aussi.
Son regard s’attarde sur mes larmes. Sa main libre vient l’essuyer. Cependant, dès qu’il touche ma peau, il se fige dans son geste.
Le contact de nos chairs est doux, apaisant.
— Nous allons y arriver, chuchote-t-il d’un air absent, ses pupilles déviant sur mes lèvres.
Mon cœur tambourine avec force dans ma poitrine. J’acquiesce doucement quand la main qui touche ma joue s'aplatit soudain, saisissant mon visage.
Mes paupières se ferment et il m’attire à lui, déposant un baiser sur ma bouche.
Ses lèvres sont brûlantes, bruyantes. Elles perturbent le silence glacé de la solitude sans que leur mélodie ne me dérange. Je crois même que, d’une certaine façon, j’y trouve réconfort.
Mes doigts se perdent dans ses cheveux, je joue avec ses mèches d’or. Sa langue pénètre ma bouche et s’enroule autour de la mienne.
Nos corps se plaquent l’un à l’autre et il m’attire toujours plus contre lui.
Lorsque nous nous séparons, essoufflés, il me prend aussitôt dans ses bras. Mon oreille, posée sur son pectoral, entend les battements saccadés de son cœur.
Sa chaleur m’enlise en je ferme les yeux, apaisée par ses bras forts m’entourant.
— Oui, je répète.
A mon tour, j’enroule mes bras autour de sa taille et, un sourire légèrement rassuré aux lèvres, gonflé d’espoir, je murmure :
— Nous allons y arriver.
♔
hier, j'ai annoncé
une surprise
alors l'os de demain
portera sur le premier
commentaire ici !
♔
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top