℘𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝟒 (5k)












𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝟒 : 𝐀 𝐋𝐀 𝐕𝐔𝐄 𝐃𝐄 𝐓𝐎𝐔𝐒
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어찌어찌 걸어 바다에 왔네
이 바다에서 나는 해변을 봐
무수한 모래알과 매섭고 거친 바람
여전히 나는 사막을 봐








































             Le clapotis des doigts martelant les claviers forme un concerto redondant. Ils secondent la voix de la jeune femme debout devant nous.

             Il y a quelques mois, j’étais à sa place. Tremblante des pieds à la tête, essuyant mes mains moites sur mon bas et n’osant aller au bout de ma présentation… Je me souviens encore de cette après-midi où je suis rentrée en pleurs chez moi, convaincue que j’avais raté mon explication.

             Finalement, le PDG Cumberg a retenu mon nom.

             Aujourd’hui, quelques mois plus tard, je suis assise avec lui, monsieur Kanté, monsieur Abd Allah et quelques compères afin d’écouter la proposition de la femme nous faisant face.

Et… Et donc, c’est pour ça que… Enfin, je veux dire…

             Debout devant le projecteur, la pauvre femme crève de chaud. Quelques mèches de sa perruque se collent à son front et elle respire difficilement. Ses yeux noirs s’agitent dans ses orbites, cherchant mes collègues du regard.

             Je l’imite, observant l’assemblée autour de moi. L’envie de soupirer me prend.

Ce que je veux dire…, reprend-elle difficilement, peinant à avaler sa respiration. C’est que…

             Personne n’écoute.

             L’un dessine sur des post-it, l’autre trie ses mails, même monsieur Kanté termine une présentation de son côté. J’ai du mal à en vouloir à mon manager qui a un projet très complexe sur le feu et qui ne veut pas perdre une seule seconde de son temps pour écouter une femme balbutiant…

             Mais bon sang, la gosse devant nous est une stagiaire propulsée devant des directeurs de département. Son manager lui a proposé de faire cette présentation, car il croyait dur comme fer en son potentiel.

             Et maintenant, elle peine à aligner deux mots, impressionnée de voir dans une même pièce tous les noms situés en haut de l’organigramme de l’entreprise.

Enfin, ce que je veux dire… Je veux dire que… Les communicants… Non, ce n’est pas ça… Je suis désolée…

             Mon regard glisse sur Edward. Ma mâchoire se contracte aussitôt.

             Ce soir, il va passer un sale quart d’heure.

             Ses cheveux amassés en un chignon blond, quelques mèches s’échappent de sa coiffure tandis qu’il pianote sur son ordinateur. Je ne peux pas voir son écran, mais je me demande ce qu’il peut bien faire de plus important que d’écouter une stagiaire nous faisant une présentation.

Donc, les objectifs de cette campagne étaient… Où est ma slide ?

             Soudain, une notification traverse mon écran. Mes sourcils se froncent en découvrant qu’elle provient de la messagerie instantanée interne à l’entreprise.

             Je reconnais aussitôt le nom.

« Edward Cumberg : 

Viens on sèche le boulot cet après-midi. »

             Écarquillant les yeux, je lève le nez sur le blond. Ce dernier sourit doucement, mais ne me regarde pas, ne voulant pas que les autres se rendent compte de notre manège.

             Une main posée sur les lèvres, il zieute son écran, attendant une réponse.

             Je vais me faire un plaisir de la lui donner.

« Moi : 

Écoute cette pauvre stagiaire ou pas de dîner en amoureux ce soir. »

             Non sans agressivité, j’appuie sur la touche « entrée » de mon clavier.

Madame N’Koya, résonne aussitôt la voix d’Edward tandis qu’il se redresse et regarde la femme.

             Cette dernière réagit aussitôt, acquiesçant vivement et déglutissant avec peine. Des larmes imbibent ses yeux.

— O… Oui ?

— Je conçois parfaitement que ce soit dur de présenter un projet devant les directeurs de chaque département, surtout quand ces derniers s’imaginent qu’ils peuvent se permettre de faire autre chose pendant que vous parlez. C’est à croire que je les paye pour être dissipé.

             Aussitôt, les bruits de doigts pianotant sur des claviers se suspendent. Quelques regards sont échangés. Monsieur Abd Allah, qui était le seul qui prenait des notes sur son carnet, esquisse un sourire. Je l’imite.

             Sachant qu’il m’envoyait des messages, il y a quelques secondes, je trouve sa remarque particulièrement culottée, mais…

             …Je crois que j’aime ce culot.

— C… C’est pas grave, répond maladroitement la jeune stagiaire.

— Vous êtes stagiaire ici depuis combien de temps ?

— Je… Ça fera six mois la semaine prochaine.

             Je vois…

             Hier soir, je dînais avec Edward qui m’a parlé de cette réunion. Il expliquait qu’un manager l’avait tanné pour qu’il accepte d’écouter une proposition de rebranding d’une stagiaire marketing qu’il trouvait très prometteuse.

             Monsieur Kanté, mon supérieur direct, m’ayant recommandé pour le succéder, il est normal que j’assiste de temps à autre à des réunions de la direction pour voir comment ce genre de choses se passent.

             Cependant, depuis que je fréquente le blond, je suis systématiquement présente.

             Ne voulant pas éveiller les soupçons, je lui ai demandé de se calmer quelque temps. Mais, il a insisté pour que j’assiste à la réunion d’aujourd’hui. Et je comprends maintenant pour quelle raison.

             Certains abrutis considèrent qu’au sein des entreprises, les stagiaires sont des serpillères. Le bas de la chaîne alimentaire, des bouffons tout juste bons à exécuter les ordres.

             Si le manager de madame N’Koya ici présente a poussé une jeune pousse devant la direction, ce n’est pas seulement qu’il croit en elle. Il veut qu’on l’engage.

             Monsieur Kante, mon manager, va partir à la retraite. À ce moment-là, je deviendrais directrice marketing et elle travaillera dans mon service.

             Je déglutis péniblement. Mon regard se pose sur cette stagiaire qui tremble comme une feuille devant les différents membres de cette réunion.

             Elle ne le sait pas encore. Et je viens de le comprendre.

             Je suis celle qui va décider de son embauche.

C’est compliqué de passer devant le gratin d’une entreprise lorsqu’on est stagiaire, sourit gentiment Edward. Alors ne vous en voulez pas trop pour cette présentation.

             Elle acquiesce, écarquillant les yeux pour empêcher les larmes de couler.

— Malheureusement, nous ne pouvions vous consacrer que dix minutes et ce temps est écoulé. Nous avons tous des obligations qui nous poussent maintenant à partir.

             En dix minutes, elle n’est parvenue à passer en revue que deux slides de son diaporama tant elle bégayait.

             Elle a commencé par une présentation très académique de sa personne, expliquant son curriculum vitae alors que ce n’était pas le sujet de la réunion. Aussitôt, agacé par le sentiment de perdre leur temps, les directeurs des départements ont commencé à faire autre chose. Elle a alors violemment bégayé et n’est même pas parvenue à aller plus loin que le sommaire.

             Mon cœur se serre.

             Je ne doute pas qu’elle était de bonne foi. Mais, si au sortir de cette réunion, Edward me demande s’il la garde, je serais contrainte de refuser. 

             Elle pourra postuler, comme d’autres candidats, et avoir une autre chance de me prouver ses capacités en entretien d’embauche. Mais, je ne peux décemment pas engager quelqu’un parce qu’il me fait de la peine.

— Je… Je vous remercie de m’avoir consacré du temps, chuchote-t-elle d’une voix étranglée, essuyant à toute vitesse une larme s’échappant de ses yeux.

             Mon cœur se serre à cette vision.

— Je vous remercie d’avoir choisi notre entreprise pour faire votre stage, ajoute Edward en rangeant son ordinateur, aussitôt imité par les autres directeurs de département.

             Je ne bouge pas. Mon cœur se serre tandis que je regarde cette stagiaire tremblotante, luttant contre ses larmes.

             J’étais exactement comme elle.

— Attendez, je lance sans réfléchir.

             Tous les regards se tournent vers moi.

  Vous avez reçu sur l’invitation pour cette réunion nos différentes adresses mail professionnelles. Envoyez-moi votre diaporama, s’il vous plaît.

             Elle acquiesce à toute vitesse, forçant un sourire. Mais je sais qu’elle se souviendra de cette réunion toute sa vie.

Au revoir, chuchote-t-elle en embarquant ses affaires.

Au revoir, nous lui répondons tous.

             Je la regarde s’en aller, le cœur gros. Lorsqu’elle franchit la porte, je me tourne à nouveau vers mes affaires.

             Aussitôt, je croise le regard d’Edward. Il m’observe avec une infinie empathie, comme s’il comprenait précisément ce à quoi je pensais.

             Devant les autres, il ne peut rien dire. Alors, nous nous contentons d’échanger un regard.

             Puis, je range mes affaires.























































             Dans un soupir, je pose ma tête sur la porte de la cabine, me laissant choir contre cette dernière. La réunion que nous venons de passer a été à la fois courte et longue. Je suis lessivée.

             Le pantalon autour des chevilles, je ne trouve même pas la force de me redresser. Je n’ai que peu dormi cette nuit. Je ne sais trop pour quelle raison, je peine à trouver le sommeil, ces derniers temps.

             Cependant, cela me rattrape systématiquement en pleine journée.

— Non, maman, résonne soudain une voix tandis que la porte des toilettes s’ouvre, m'arrachant un sursaut.

             Une femme marche devant les lavabos, passant près de la cabine où je suis. Soudain mal à l’aise, je me redresse.

— Je t’assure, c’est impossible que l’un d’entre eux ait apprécié ma présentation ! résonne une voix secouée de reniflements bruyants.

             La stagiaire… Je la reconnais.

             Ainsi donc, tandis que les différents directeurs ont rejoint leur étage, alors qu’Edward est remonté faire de la paperasse dans son bureau, cette pauvre petite part s’enfermer dans les toilettes pour appeler sa mère.

             Mon cœur se serre.

— Je comprends pas, maman. J’ai pas arrêté de répéter ma présentation, je la connais par coeur ! Je sais pas pourquoi, j’ai bugué !

             La porte d’une cabine s’ouvre. La jeune femme continue de renifler bruyamment. Elle s’enferme dans le lieu exigüe, parlant avec sa mère.

             Cela ne me regarde pas. 

             Me levant le plus discrètement possible, j’ouvre la cabine des toilettes. Crispant le moindre trait de mon visage et chacun de mes muscles, je tente de pousser le panneau dans une lenteur extrême, ne voulant émettre le moindre son trahissant ma présence.

             Cette jeune femme est déjà assez gênée comme ça, elle n’a pas en plus besoin de savoir que je viens d’entendre ses sanglots.

             Marchant sur la poitrine des pieds, j’atteins la porte de la pièce. Avec soulagement, je constate que la jeune stagiaire l’a laissée ouverte dans son dos. Je glisse alors dans son interstice, grimaçant en espérant de toutes mes forces ne faire aucun son. 

             Une fois dehors, je rejoins en quelques enjambées la porte de bois massive située à cinq mètres de celle que je viens de quitter. Sur cette dernière se trouve une icône représentant une silhouette flanquée de deux jambes. 

             Les toilettes des garçons.

             Je veux bien lui laisser un peu d’intimité, mais, je me dois de me laver les mains.

             Me penchant contre la porte, j’essaye de deviner s’il y a du bruit à l’intérieur. De toute façon, ils disposent de cabines aussi, donc je ne devrais surprendre personne dans un simple appareil. Seulement, je veux être absolument sûre de mon fait.

             Cet étage n’est consacré qu’à des salles de réunions. À l’exception des hommes présents ce matin, personne ne devrait être là. Et je sais qu’ils sont déjà partis déjeuner.

             Il y a de grandes chances pour que les toilettes soient vides.

             Retenant ma respiration, j’ouvre la porte. Aussitôt, je regarde à l’intérieur de la pièce. Le souffle coupé, j'observe le carrelage sombre des murs et la lumière jaunâtre illuminant les lavabos.

             Personne. Parfait.

Tellement de questions me viennent.

             Je hurle dans un sursaut.

             Me retournant dans un bond, je recule violemment quand cette voix résonne dans mon dos. Mon cœur battant la chamade, il me faut quelques secondes avant que je ne revienne à moi.

             Adossé à l’encadrement de la porte, les bras croisés sur sa poitrine, Edward m’observe. Une mèche tombe de son chignon et il arque un sourcil suspicieux.

— Je… Zoner dans les toilettes des hommes… C’est un passe-temps ? finit-il par demander.

             Je soupire en secouant la tête dans un sourire gêné. Remontant mes manches, je me tourne vers le lavabo et passe mes mains sous l’eau.

—  Non, ne t’en fais pas. Ta petite amie ne se balade pas dans les toilettes des hommes sur son temps libre.

             Il sourit, posant aussi la tête dans l’encadrement de la porte. Entre ses yeux rieurs, il me couvre d’un regard doux.

— C’est le fait de ne pas slalomer entre des urinoirs qui te rend si guilleret ? je demande. On dit que les femmes placent la barre bas, mais je crois que je nous ai trouvé un concurrent.

— Non, c’est le mot « petite-amie ». Tu peux dire n’importe quoi, la phrase devient tout de suite plus belle.

             Enduisant mes mains de savon, je secoue la tête en souriant doucement. Il y a quelque chose de revigorant dans les yeux pétillants de malice d’Edward.

— Je suis juste venue ici me laver les mains, si tu veux tout savoir.

— Je vais pas te mentir, je suis attaché à mon entreprise, mais j’ai acheté l’immeuble tout prêt, je l’ai pas fait construire spécialement pour mon bien. Autant dire que je ne le connais pas en détail… Mais je suis quasiment sûr qu'il y a des lavabos chez les filles.

— Oh, il y en a ! j’approuve en passant mes mains devant le sèche-main.

             Ma gorge se serre tandis que le bruit de l’appareil résonne dans l’espace exiguë. Je peux sentir le regard d’Edward sur moi, mais je préfère observer mes mains séchant.

             Mes pensées ne cessent de dériver vers cette pauvre stagiaire.

Mais…, je reprends une fois que la machine et son vacarme se sont éteints. Il y a aussi une stagiaire en larmes qui croit s’être embarrassée devant les directeurs de département de cette entreprise.

— Ah…

             Balançant la tête en arrière, il pince les lèvres et ferme les yeux. Les bras encore croisés sur sa poitrine, il garde cette posture un temps. Et, je ne peux m’empêcher de remarquer le jeu de lumière qui se crée autour de sa pomme d’Adam.

             Son cou se poursuit, habillé par le col de sa chemise. Je peux presque découvrir la peinture de tatouage qui s’étend sous les tissus.

             Au bout de quelques instants, sa tête retombe dans un soupir.

             Aucun agacement dans ce son. Seulement une certaine tristesse.

Elle m’a aussi fait de la peine.

— J’ai été à sa place, il y a quelques mois. Et si tu ne m’avais pas donné ma chance, je n’aurais pas pu faire mes preuves, j’explique quand un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale.

             Aussitôt, il se redresse. Quittant l’encadrement de la porte, il fait quelques pas dans ma direction. La distance réduit entre nous et je le laisse approcher.

             Il m’enlace. Ma tête se pose sur son torse quand ses bras s’enroulent autour de moi. Je ferme les yeux et inspire son parfum.

             Quelques instants, je me contente de savourer cette douce odeur.

Je n’aime pas te voir comme ça, chuchote-t-il doucement. Et, en même temps, ton empathie fait partie de ce que j’aime tant chez toi.

             Sa large main frotte mon dos et il embrasse le sommet de mon crâne. Je crois que je pourrais fondre longuement dans cette étreinte. Elle me rassure.

— J’ai juste eu de la peine parce que… Ça m’est déjà arrivée, auparavant. C’est compliqué de s’imposer. Surtout dans les grandes boîtes.

             Doucement, me gardant serrée contre lui, il oscille légèrement de gauche à droite. Emportée par ce va-et-vient doux, je me laisse bercer par ses mouvements.

— Ça a fait remonter quelques mauvais souvenirs. Et je sais exactement comment elle se sent, maintenant.

— Tu veux que je l’engage ? chuchote-t-il doucement.

             Je secoue la tête.

— Tu ne vas pas engager quelqu’un sur la base de rien, simplement parce qu’elle m’a peinée.

             Il recule. Et, saisissant mon menton entre son index et son pouce, il me fait hausser le visage. Là, plantant ses yeux dans les miens, il m’annonce très sérieusement : 

— Si c’est ce qu’il faut faire pour que tu cesses d'avoir de la peine, je le ferai.

             Mon cœur bat à vive allure.

Je… C’est extrêmement gentil, mais ce sera pire. Elle réalisera qu’elle a été engagée par pitié et se dira tout le temps qu’elle ne vaut pas son poste.

             La main d’Edward glisse sur ma joue. Doucement, il caresse ma pommette. Comme s’il tentait de lisser les plis de mon visage soucieux, il caresse ce dernier avec douceur.

— Alors, dis-moi comment faire pour apaiser mon amoureuse ?

             Je souris légèrement face à ce terme.

             Puis, dodelinant de la tête, je fais mine de réfléchir quelque temps. Je finis par demander innocemment : 

— Et bien… La proposition de sécher le travail est-elle encore valable ?

— Il n’a jamais été question que j’annule mon créneau repos, me répond-il tout à fait sérieusement. Et j’aurais trouvé le moyen de t’embarquer.

             Haussant les sourcils, je me permets de remettre silencieusement en doute cette affirmation.

Mais je t’assure ! réagit-il aussitôt face à mon air peu convaincu.

Ah oui ? Et qu’aurais-tu fait, si je n’avais pas accepté de te joindre dans ton manquement au travail ?

             Ses épaules se haussent.

—  Tu n’aurais pas pu refuser.

— Tu crois cela ? je réagis, amusée par la lueur de défi qui allume mon propre regard.

             Pour toute réponse, il déverrouille son téléphone. Aussitôt apparaît sur son écran le calendrier de la semaine.

             À la date d’aujourd’hui, de 13h30 à 18h30, un large bloc de couleur s’étend, banalisant la plage horaire. 

— Je nous ai créé une réunion, donc quiconque veut te déranger voit que t’es en réunion avec moi.

— Et comment tu justifies une réunion de cinq heures avec une employée ? je demande, particulièrement curieuse de voir jusqu’où va son raisonnement.

             Et la réponse ne me surprend même pas : 

— La justifier à qui ? Je suis le patron.

             Je souris doucement, observant longuement les quelques mots-clés balancés dans le titre de la fameuse réunion, acoquiné à des initiales ne voulant strictement rien dire.

             Il pianote quelques instants. Aussitôt, le bloc rose de la réunion devient rouge.

— Et voilà ! fait-il remarquer, satisfait. La réunion est classée confidentielle. Personne ne peut te poser de questions dessus !

             Les yeux pétillants de fierté, il brandit à nouveau son écran. Je souris doucement et constate que quelques autres blocs verts sont étalés sur la semaine.

             Mes sourcils se haussent en repérant trois heures banalisées, le lundi matin. Surtout, le titre donné à la fameuse réunion.

Donc, lundi dernier, de huit heures à onze heures, tu es allé acheter du poulet et c’était confidentiel ?

— C’est un nom de code, se défend-il aussitôt.

Edward. J’étais avec toi et tu es réellement allé acheter du poulet.

             Il se tait un instant. Les lèvres pincées, il réfléchit à l’excuse qu’il va bien pouvoir m'amener maintenant.

             Et cette dernière tombe, plus stupide encore que les précédentes.

L’action d'acheter un poulet était aussi codée.

             J’éclate de rire, secouant la tête face à l’absurdité de sa bêtise. Son regard pétille face à mon éclat de voix.

             Secouant la tête, je me permets d’appuyer sur la vue mensuelle de son calendrier. Là, je découvre dans un haussement de sourcil le nombre de journées comportant des zones vertes.

— Edward… On sèche trop souvent le travail, je murmure, effarée, en découvrant nos absences. On peut pas continuer comme ça.

— On s’est pas encore fait prendre. Moi, je dis que c’est un signe.

             Plissant les yeux, je me contente de rétorquer : 

Et se faire prendre par qui ? Tu es le patron.

— C’est ça qui est génial.

             Ses yeux pétillent de malice et il range son téléphone portable dans la poche intérieure de sa veste. Aussitôt, ouvrant la porte des toilettes, il glisse la tête à l’extérieur.

             Posant les yeux à gauche puis à droite, il inspecte quelques secondes les lieux, s’assurant que la voie est libre.

Viens, ma chérie. Il n’y a personne, lance-t-il soudain en tendant le bras derrière lui, attendant que je saisisse sa main.

             Je contemple un moment sa silhouette se coupant en contre-jour, face à la lumière filtrant par l’interstice de la porte. Un sourire étire mes lèvres à cette vision.

             J’ai l’impression d’être dans un conte de fée.

— J’arrive, je ris doucement en attrapant sa main.












































— Pitié.

             Le gémissement d’Edward s’allonge tandis qu’il se retourne, s’étalant en travers du lit. Le dos de sa main se pose sur son front couvert de sueur. Je ne peux m’empêcher de remarquer que sa chemise est devenue transparente par endroit, laissant voir ses tatouages.

             Les bras croisés, assise sur son large bureau ovale fait en verre, je croise les jambes. Mes yeux s’attardent encore quelques instants sur l’ordinateur que je contemple.

             Puis, je reporte mon attention sur le blond.

— Tu sues énormément pour quelqu’un qui n’en fout pas une depuis une heure.

             Basculant sur le côté, il m’accorde un regard taquin : 

— Tu me donnes chaud.

             Dans un soupir, je secoue la tête.

             Un sourire menace d’étirer mes lèvres. Cependant, cela fait des heures que j’essaye de convaincre Edward d’être concentré. Si je me mets à rire à ses remarques, il ne va pas cesser d’en faire.

             Je l’ai remarqué, il y a quelques semaines. Il a cette façon de me regarder après chaque vanne, comme pour s’assurer que je rigole bien. Et, à chaque fois que je m’esclaffe, une lueur allume son regard.

             D’un coup de pied, je fais tournoyer le fauteuil dans lequel je suis installée. Me retournant, je découvre alors une nouvelle fois le paysage de carte postale qu’offre la baie vitrée du bureau d’Edward Cumberg.

             Des grattes-ciels pleuvent en larmes d’argent, des dômes de fer couvent la ville. Leurs sommets se perdent dans les nuages.

— Jamais je ne me lasserai de cette vue, je fais remarquer.

— Je peux savoir pourquoi tu t’es tournée avant de dire cette phrase ? résonne la voix de mon petit ami, dans mon dos.

             Profitant du fait qu’il ne me voit pas, je souris en entendant son ton indigné.

— Tu connais une meilleure vue ? je le provoque.

Bah, j’en avais une, jusqu’à ce que tu te retournes.

             Je soupire et secoue la tête, riant faiblement. Je ne peux m’empêcher de laisser échapper cet éclat. Je sais pertinemment qu’il s’est redressé en m’entendant faire.

Quel beau parleur…

— Tu as dit beau. Je le note.

             À nouveau, je me tourne. Il est assis en tailleur sur son lit, à quelques mètres du bureau. Je détaille un instant le matelas gonflable.

             Remarquant mon regard insistant, il lance : 

— C'est mon meilleur investissement. Mes clients aiment le voir, car ils s’imaginent que je suis tellement dédié à mon travail que je dors ici.

— N’as-tu pas honte de manipuler ces pauvres genres !? je feins de m’indigner, arborant un air exagérément révolté.

             Il sourit quand je pose le dos de ma main sur mon front, me pâmant.

— Hé ! Attends un peu ! Ne me fais pas passer pour ce que je ne suis pas !

             Dans un geste cérémonieux, il écarte ses bras, dévoilant le matelas gonflable sur lequel il est installé.

Je dors réellement sur ce matelas.

— Edward ?

— Oui, ma chérie ?

— Tu dors sur ce matelas pendant tes heures de travail.

— J’y dors quand même.

             Un sourire amusé menace d’étirer mes lèvres. J’aimerais le retenir, mais je n’y arrive pas. Ma bouche s’incurve contre mon gré tandis que je regarde l’homme.

De toute façon, t’es juste jalouse parce que j’ai un lit au travail et puis pas toi.

J’aurais dû me douter que t’étais de ce genre-là…, je soupire en secouant la tête, feignant une profonde déception.

Et de quel genre suis-je, je te prie ?

— Du genre à user de tes privilèges de patron pour te moquer des employés au bas de ta chaine alimentaire, je soupire en secouant la tête, posant une main sur mon cœur en levant des yeux écarquillés vers le plafond.

             Aussitôt, il se relève, quittant mon lit.

Oh ! J’y crois pas ! De quel droit, tu… Tu…

             Mais sa bouche s’ouvre et se referme à la manière d’un poisson. Quelques instants, il continue ce manège, cherchant des mots qui ne viennent pas.

             Je finis par esquisser un sourire malicieux.

On dirait bien que je t’ai cloué le bec, n’est-ce pas ?

             Sa bouche se referme. Une lueur éclate dans son regard. Sa poitrine se gonfle tandis qu’il me fixe sans cligner des yeux.

             Soutenant ce contact visuel, je sens mon cœur s’accélérer doucement. Mon ventre se soulève en vagues d’appréhension et j’attends avec impatience sa réaction.

             Je l’ai provoqué juste assez pour qu’il veuille se venger.

             Enfin, dans le silence tendu, il souffle : 

Oh, toi…

             Dans un hurlement de rire, je bondis du fauteuil. Aussitôt, il se jette sur moi Je l’évite de justesse, criant tandis que mon cœur bat à toute vitesse. Mille et un frissons parcourent mon corps.

             Il se retourne, continuant sa course. Je m’esclaffe avec force, perdant haleine à cause de mes rires bruyants.

             Soudain, deux bras forts s’enroulent autour de mon ventre. Je me plie en deux, tentant de le faire lâcher prise. Mais, Edward me soulève aussitôt. Mes pieds quittent le sol et je ne peux m’empêcher de rire encore plus fort. 

             Son visage se loge dans le creux de mon épaule quand il inspire mon parfum.

Oh, tu vas payer…

             Je m’agite de toutes mes forces, tentant de me défaire de son étreinte. Mais, il est trop tard. Il souffle soudain contre sa bouche fermée, faisant trembler ses lèvres qui vibre contre ma peau.

— AAAAAARGH ! je hurle en gesticulant à cause de la sensation désagréable.

             Il éclate de rire à nouveau. Je crie de plus belle.

— PROFITE BIEN, CE SERA À MON TOUR DE ME VENGER, APRÈS ! je crie en battant des jambes, voulant mettre tout de suite mon plan à exécution.

Avoue ta défaite !

— JAMAIS !

             À nouveau, il souffle dans mon cou. J’éclate de rire en remuant de toutes mes forces.

             Mais, j’ai encore quelques menaces en réserve.

JE VA…

— Je peux savoir ce qu’il se passe ici ? 

             D’un même geste, nous nous figeons.

             Nos cœurs cessent de battre et même le monde semble s'arrêter de tourner. Le vent se fige et nos souffles se coupent. Nous ne bougeons plus.

             Quelqu’un vient de nous surprendre.
































































바다 갖고 싶어 널 온통 들이켰어
근데 그 전보다 더 목이 말라
내가 다 아는 것이 진정 바다인가
아니면 푸른 사막인가

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