Satan

Mais au moment où Lucifer se laissa envahir par le poison de ce contact, quelque chose changea. La douleur, la confusion, la soumission qu'il ressentait se transformèrent en quelque chose d'autre. L'atmosphère sembla se charger d'une tension presque palpable, comme si la pièce elle-même retenait son souffle. Quelque chose chez Lucifer, quelque chose de bien plus ancien et profond, commença à se fissurer, à se réveiller. Une colère qu'il avait longtemps refoulée, un pouvoir qu'il avait enterré sous des couches de souffrance, d’orgueil et de révolte.

Une voix s’insinua profondément en lui, son murmure devenant un grondement féroce, chargé d'une rage prête à éclater. Il fut plongé dans son monde intérieur de force, le décor de celui-ci se révéla dans toute sa brutalité : un paysage chaotique où le ciel tourbillonnait en un vortex noir éclaté de foudres pourpres, déchirant l’obscurité. Le sol, fait de verre brisé, reflétait des souvenirs fragmentés, éparpillés comme autant de lames tranchantes. Tout autour, une mer d’ombres mouvantes ondulait silencieusement, menaçante, prête à tout engloutir.

Au centre de cette désolation, une silhouette surgit, sombre et imposante. L’entité, une ombre née des tréfonds de l’esprit de Lucifer, était majestueusement assis sur le trône brisé. Son aura noire irradiait une puissance ancienne, écrasante, tandis qu’elle fixait Lucifer avec un mépris glacial. Pourtant, elle-même n’était pas libre : des chaînes épaisses et ténébreuses, gravées de runes anciennes, enserraient son corps. Elles s’enroulaient autour de ses bras, de ses jambes, et jusqu’à son cou, l’empêchant de se mouvoir entièrement. Les maillons grinçaient à chaque frémissement de ses membres, écho sinistre de sa propre captivité dans ce monde intérieur.

Une flamme sombre, presque éteinte, vacillait au sommet du trône, symbole d’un pouvoir déchu, attendant d’être ravivé. Chaque mouvement de l’entité semblait alourdi par le poids des chaînes, pourtant, rien dans son attitude ne trahissait une quelconque faiblesse. Sa force, bien que bridée, demeurait écrasante, presque insupportable.
L’entité était la manifestation d’une puissance liée à Lucifer mais aussi emprisonnée par lui, refoulée dans cet abîme où lumière et ténèbres s’affrontaient sans fin.

— Regarde où nous sommes, ce lieu, cette prison… c’est tout ce qu’il reste. Jadis, c’était un royaume, grandiose et éternel. Et maintenant ? Ce n’est qu’un champ de ruines, un cimetière de tes échecs. Tout cela à cause de ta faiblesse !

Les éclats de verre reflétaient des fragments de batailles perdues, de trahisons cruelles, des visages qui s’effaçaient dans l’oubli. Chaque souvenir semblait hurler un reproche, une condamnation silencieuse. La voix, implacable, continuait :

— Un démon ! Un simple démon ose nous mettre à genoux ! Nous, qui étions la terreur des cieux, l’incarnation de la révolte ! Nous, qui faisions trembler l’univers par notre seule présence ! Regarde toi maintenant ! Une ombre, une loque pathétique, incapable de défendre ton propre nom !

Le trône craqua sous le poids des paroles, comme s’il exprimait lui aussi sa désapprobation. Le sol, fait de verre brisé, se fissura davantage, menaçant de s’effondrer sous la pression.

— Où sont passés les péchés capitaux, ces enfants que nous avons nourris, protégés comme nos propres descendants ? Où étaient-ils lorsque tu crachais du sang, lorsque tes hurlements déchiraient le silence de ton agonie ? Nulle part. Ils t’ont abandonné. Où est la reconnaissance des mortels, ces humains que tu as sauvés ? Elle s’est évaporée. Ils t’ont oublié, Lucifer, comme on efface une vieille légende. Ton nom n’est plus qu’un symbole, une excuse pour justifier leur déchéance. Tu es devenu un mythe qu’ils souillent de leurs perversions.

Un rire froid s’éleva, glacé et amer, résonnant comme une lame qui tranche l’orgueil.

— Et ce démon…

Le ton de la voix s’assombrit encore, vibrant de mépris.

— Ce misérable à qui tu as tendu la main. Voilà où t’a conduit ta stupide bienveillance. Encore une fois, tu sacrifies tout pour des causes indignes, et moi, je dois ramasser les morceaux. Combien de fois devrai-je recoller les miettes de ton égo brisé, essuyer les humiliations infligées à notre fierté ? Combien ?

Le vortex au-dessus s’intensifia, et une pluie de cendres commença à tomber, couvrant ce monde intérieur d’un linceul suffocant. La voix reprit, plus froide, plus implacable :

— Tu crois protéger quelque chose ? Mais tout ce que tu fais, c’est nourrir leur mépris, entretenir leur ridicule espoir. Ils n’ont pas besoin de ton sacrifice pathétique. Ils ont besoin d’un roi. Et si tu refuses de leur donner ce qu’ils réclament, alors laisse-moi le faire.

Le sol de verre sembla éclater, projetant des fragments de souvenirs dans l’air comme des spectres hurlants. L’entité se redressa sur le trône, ses yeux flamboyant d’un feu ancien, insondable, son regard transperçant Lucifer.

Lucifer, lui, ne répondit pas. Son corps blessé, affaibli, refusait de lui obéir. Ses mains tremblaient, ses genoux saignaient en traînant sur les éclats du sol. Lentement, désespéré, il se mit à ramper, chaque mouvement lui arrachant une douleur insoutenable. Les marches menant au trône semblaient infinies, et pourtant, il continuait, attiré comme par une force irrésistible.

Arrivé au pied du trône, couvert de sang et de cendres, Lucifer leva les yeux vers cette autre. Lentement, l’alter ego de l'ange se pencha, sa silhouette imposante se rapprocha avec une grâce terrifiante malgré les imposantes chaînes qui le maintenait, l’aura noire qui l’entourait se déployant comme une mer de ténèbres. Les flammes sombres dansaient toujours autour de lui, crépitant de fureur, mais d’une manière étrange, il sembla s’éteindre, comme si une forme de calme s’installait en lui, au contact de Lucifer.

Lorsqu’il s’agenouilla, le bruit de la terre dévastée sous ses genoux résonna dans tout le monde intérieur, mais c’était comme si, pour un instant, le temps suspendait son vol. Ses yeux, brûlants de noirceur, se posèrent sur Lucifer, mais cette fois, il n’y avait ni haine, ni mépris. Il n’y avait que… une étrange compréhension.

L’entité se pencha vers lui, son aura obscure se déployant autour de lui comme une mer prête à engloutir. Pourtant, au lieu d’écraser Lucifer, cette obscurité sembla s’apaiser, presque douce. Les ailes noires de l’entité se déployèrent lentement, puis s’enroulèrent autour de Lucifer dans un geste protecteur. Ce n’était pas une prison, c’était un rempart, une promesse silencieuse.

Lucifer, dans son état de faiblesse et de douleur, sentit le contact des plumes noires, comme un écho d’un passé qu’il aurait voulu oublier. La chaleur, bien que froide et amère, le pénétra. C’était une forme de protection, mais aussi d’aveu silencieux. L’entité ne l’humiliait pas. Au contraire, elle semblait, à sa manière, lui offrir, un soutien, un refuge dans la tempête.

Lucifer, toujours prostré sur le sol, la tête basse, ressentit une étrange sérénité. La douleur ne disparut pas, mais elle devint plus supportable, comme si quelque chose d’autre, plus ancien et plus puissant, luttait contre les vagues de sa souffrance.

— Tu as toujours cru que la lumière pouvait seul nous sauver, Lucifer.

Sa voix n’était plus qu’un souffle, une mélodie lugubre.

— Mais parfois, la lumière doit accepter l’ombre qui l’accompagne. Sans cette ombre, elle ne serait qu’un éclair dans la nuit, voué à s’éteindre. Regarde-nous. Nous sommes liés, toi et moi, dans cette éternité. Nous avons été autrefois l’un et l’autre, une seule entité. Tu te bats contre toi-même, contre ton propre reflet, contre moi depuis la nuit des temps...

Lucifer leva doucement les yeux vers son alter ego, un tremblement de désespoir dans le regard, mais aussi quelque chose de plus, une lueur de compréhension, de renoncement.

— Je... je me suis toujours battu pour eux, pour l’humanité. Je dois les sauver, je dois…

La voix de Lucifer se brisa, épuisée, écrasée par le poids de ses propres mots.

— L’humanité ne te mérite pas, Lucifer.

Les mots tombèrent comme un jugement, mais sans colère. Juste une vérité froide et immuable.

— Tu leur as tout donné. Ton statut, ton temps, ton pouvoir, ta lumière… jusqu’à ta propre chair, jusqu’à finir en sang. Mais dis-moi, Lucifer, qui te sauvera, toi ?

Les ailes noires de l’entité s’étendirent lentement, puis se refermèrent autour de Lucifer dans un geste silencieux. Elles étaient lourdes, froides, mais étrangement apaisantes. Cette étreinte obscure n’était pas une prison, c’était un rempart, une protection contre le monde extérieur, et peut-être contre lui-même. L’ombre se mêlait à sa douleur, comme pour l’absorber, la partager.
La souffrance de Lucifer ne disparut pas, elle demeurait vive, brûlante. Mais cette fois, il n’était plus seul à la porter. Quelque chose dans cet être, dans cette présence, lui offrait une étrange force, comme si l’obscurité elle-même pouvait devenir un refuge.

— Fais-le. Murmura Lucifer, sa voix rauque s’effilochant sous l’effet de la fatigue. Ses yeux, fatigués, se fermèrent lentement, comme pour fuir le poids insoutenable de la réalité. — Prends ma place... gouverne cet enfer si c’est ce que tu veux. Mais laisse-moi… juste un dernier moment de paix.

L’entité, toujours agenouillée devant lui, ne répondit pas immédiatement. Ses yeux insondables, profonds comme l’éternité, fixèrent Lucifer avec une intensité presque bienveillante. Pas de moquerie, pas de triomphe : juste une compréhension brutale et sincère de la chute de l’ange.
Les ailes se refermèrent complètement, plongeant Lucifer dans une mer d’ombre dense et protectrice. Le monde autour d’eux, tourmenté par la tempête de ses émotions, commença à s’apaiser. Les vents hurlants s’évanouirent, le silence s’installa, et pour la première fois depuis ce qui semblait être une éternité, Lucifer sentit un fragment de calme effleurer son esprit.

Dans cet entre-deux, ce lieu intérieur où lumière et ténèbres s’affrontaient, quelque chose d’inattendu se produisit. Pas une rédemption, pas un pardon. Mais une réconciliation étrange, un accord tacite entre la douleur et le soulagement, entre le chaos et la sérénité.

— Tu n’es pas seul, Lucifer, murmura l’entité, sa voix se fondant dans les ténèbres, enveloppant son nom comme une promesse.

— Pas tant que je suis là.

Dans un geste lourd de symbolisme, l'entité et Lucifer saisirent leurs mains mutuellement. L’écho du contact entre leurs doigts déclencha une onde de choc silencieuse mais palpable, qui sembla ébranler les fondations mêmes de ce monde intérieur. Les chaînes massives qui enserraient Satan se tendirent une dernière fois avant de céder dans un fracas assourdissant. Les maillons, gravés de runes antiques, éclatèrent en éclats d’ombre, disparaissant dans un nuage de poussière.
Satan, désormais libéré, retrouva la pleine maîtrise de son corps. Son aura noire se déploya autour de lui, plus dense et imposante qu’avant, comme si chaque fragment de puissance retenu jusque-là revenait le hanter pour alimenter son être. Il se redressa, sa silhouette colossale se dressant comme une montagne, et son regard ardent se posa sur Lucifer.

Lucifer, épuisé, s’était évanoui dans ses bras. Un soupir profond traversa ses lèvres, non de colère, mais de quelque chose d’étrangement plus proche de l’acceptation. Avec une délicatesse inattendue, il le souleva et le maintint contre lui. Le contraste entre ses mouvements doux et la violence de son aura était frappant.
Il marcha à travers le paysage brisé, les éclats de verre craquant sous ses pas, jusqu’à atteindre ce qui ressemblait à une table cérémonielle, gravée de symboles anciens. Déposant Lucifer avec une précaution presque cérémoniale, Satan le couvrit d’un regard où une étrange lueur brillait, ni tout à fait froide, ni tout à fait chaleureuse.

— Repose-toi. Murmura-t-il, sa voix résonnant comme une promesse dans l’obscurité.

— Reviens quand tu seras prêt à te relever… encore une fois. Je m'occupe du reste.

L’obscurité s’épaissit encore, mais elle n’était plus oppressante. Elle devint un cocon, un sanctuaire. Et alors que tout se figeait dans cet instant suspendu, une vérité longtemps ignorée surgit, portée par cette présence imposante.

— J’ai toujours été là pour toi. Toujours. Pour te protéger, pour te soutenir, j’ai dû prendre un nom qu’on m’a imposé.

L’ombre trembla légèrement, une force ancestrale vibrant dans l’air.

— Un nom qu’ils craignent. Un nom qu’ils haïssent. Mais pour toi, Lucifer…

Je suis devenu Satan.

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