Le roi monstrueux

Une odeur du tabac flottait dans l'air, envahissant la terrasse comme une brume pesante. C'était cette fragrance qui, chaque fois, guidait Lucifer vers Angel, ce démon particulier. Il avait appris à reconnaître cette odeur, cette fumée lourde, presque accablante, qui semblait envelopper tout ce qu'Angel était.

Angel n'était pas un démon comme les autres. Rongé par la luxure, il se délectait de l'obsène et de l'impudeur, ses paroles souvent réduites à des allusions perverses et des provocations constantes, un flot ininterrompu de désir insatiable. Rien chez lui ne semblait s'apparenter aux codes et aux convenances, et ses manières, si l'on pouvait encore les appeler ainsi, étaient loin des standards de politesse que d'autres démons tentaient de maintenir.

Mais Lucifer, avec son regard attentif et perçant, distinguait autre chose derrière cette façade provocante. Il avait observé Angel à plusieurs reprises, comme on contemple une énigme qu'on cherche à comprendre. Derrière ses yeux saphirs, brillants de malice, se cachait une souffrance presque insoutenable.
Le blond, sans se formaliser des avances incessantes et des gestes dénués de pudeur d'Angel, ressentait cette étrange mixture d'intrigue et d'affection, comme pour une créature qui, malgré son comportement détestable, attirait une fascination inexplicable. Ce démon se cachait derrière une exubérance provocante, et pourtant, il était impossible de ne pas sentir cette profonde solitude qu'il portait, bien qu'il semble toujours en quête de plaisir.
Les démonstrations de désir d'Angel, éveillaient en Lucifer une forme de curiosité presque paternelle. Il voyait, dans ces gestes excessifs, une sorte de sincérité brute, une franchise déroutante dans la perversité de ses intentions. Et peut-être, au fond, une tentative désespérée de combler un vide qu'aucun excès ne pouvait jamais vraiment remplir. Un vide que Lucifer savait bien percevoir.

Alors qu'il croyait être seul, Angel s'était adonné à l'une de ses habitudes secrètes. La fumée grise s'échappait paresseusement de ses lèvres, dessinant des volutes capricieuses dans l'air sombre de la nuit. Cette évasion, bien que brève, lui offrait un semblant de paix. Mais soudain, une présence le tira de sa rêverie, le faisant sursauter. Là, debout près de lui, se tenait Lucifer, l'air étrangement amusé.

Angel, pris de court, s'attendait à une remontrance, un commentaire. Mais à sa grande surprise, Lucifer se contenta de saisir doucement le porte-cigarette des doigts d'Angel, et, sans un mot, le porta à ses lèvres. Une fumée légère s'échappa bientôt de la bouche du roi des Enfers, une ombre de sourire jouant sur ses traits parfaitement composés.

- Eh, doucement, prévient Angel, un sourire taquin aux lèvres. C'est du costaud, même pour toi !

Lucifer le regarde, son regard pétillant de malice.

- Je suis plus vieux que tu ne le penses, et j'ai eu l'occasion d'expérimenter... bien des choses, répond-il calmement.

Angel laisse échapper un rire, vaguement incrédule.

- J'te vois pas vraiment comme un gars qui sait s'éclater ou se lâcher, tu vois.

Lucifer secoue lentement la tête.

- Ce n'est pas toujours une bonne chose, pour le Diable, de se laisser aller.

Cette réponse intrigue immédiatement Angel. Ses yeux se mettent à briller d'un éclat curieux.

- C'est quoi, cette histoire ? t'es du genre à péter un câble quand tu perds le contrôle ?

Lucifer marque une pause, son regard perdu dans des souvenirs lointains.

- Disons qu'il m'est arrivé... quelques débordements, murmure-t-il, comme pour lui-même.

Angel éclate de rire.

- Ah, je le savais ! Toi, t'es l'un de ces faux calmes, tu gardes tout en toi jusqu'à l'explosion, et là... c'est mémorable.

Lucifer arque un sourcil, un sourire flottant sur ses lèvres.

- Faux calme ? Tu m'amuses, Angel.

Angel le fixe d'un regard perçant.

- Ouais, tu sais, les types comme toi... calmes en apparence, polis à en mourir, qui gardent toujours leurs distances avec tout le monde. Mais à l'intérieur, t'es un putain de volcan prêt à craquer. Moi, mon truc, c'est le sexe, et je te jure que je sais reconnaître un frustré quand j'en vois un.

Lucifer, déconcerté par l'analyse si perspicace d'Angel, se contente d'observer l'araignée, une lueur d'amusement et de surprise dans le regard.

- Ai-je l'air si frustré ? Pourtant, le sexe ne m'intéresse pas plus que ça.

Angel rit doucement, mais ses yeux restent sérieux.

- C'est pas juste une question de sexe. Enfin si mais... C'est l'Enfer ici, Luci. Si tu te retiens trop, t'finis par péter les plombs pour de vrai, et toi, si ça arrive... j'ose même pas imaginer les dégâts. T'as le droit de lâcher un peu prise. C'est même conseillé !

Lucifer inspire une longue bouffée, ses yeux s'assombrissant.

- Ce n'est pas si simple. Il y a des choses qui doivent rester sous contrôle. Quand le Diable perd le contrôle, de mauvaises choses arrivent.

Angel lève un sourcil, toujours plus intrigué.

- Bah, je pourrais t'apprendre. Y a un début à tout, même pour le grand Lucifer, murmure-t-il en glissant doucement sa main le long du torse de Lucifer, son regard aguicheur

Le contact d'Angel fut presque imperceptible, mais Lucifer tressaillit imperceptiblement. Pendant une fraction de seconde, un éclat de peur traversa ses yeux dorés, trahissant une fragilité qu'il enfouissait habituellement sous une façade calme. Pourtant, aussi rapidement qu'il était apparu, cet éclat disparut, remplacé par son expression habituelle de sérénité douce.

Lucifer porta cette main effrontée à ses lèvres, déposant un baiser léger et chaste sur le dos de celle-ci. Le geste était tellement inattendu qu'Angel, pourtant habitué à désarçonner les autres, resta figé. Son sourire aguicheur se mua en une expression d'étonnement sincère, ses yeux s'écarquillant légèrement.

- Tu m'es précieux, mais ce n'est pas ce que je recherche, répondit Lucifer, ses mots simples mais pleins de sérieux.

Les joues d'Angel virèrent au rouge, pris de court. Jamais il ne s'était senti aussi... propre.

- Précieux ? Pour toi ? bredouilla-t-il, un peu perdu. Mais...

Lucifer le fixa avec un regard lourd de gravité, un petit sourire triste effleurant ses lèvres.

- Je parle peu, mais je regarde, dit-il d'un ton calme. Je vois ce que tu caches. Ta douleur, tes peurs, tout ce que tu essaies d'effacer derrière des rires et des plaisanteries. Je sais que tu te perds dans l'alcool et les drogues, que tu tentes de fuir, mais tout ça ne fait que te creuser un vide.

Il marque une pause, ses yeux ancrés dans ceux d'Angel, un regard intense qui semble percer jusqu'à son âme.

- Laisse moi te dire une chose, malgré ce que tu peux penser, tu es précieux Anthony. Inestimable. Pas pour ton corps, pas pour ce que tu peux offrir. Mais pour ce que tu es réellement.

Angel resta un instant figé, les mots de Lucifer résonnant dans sa tête. Il cligna des yeux, sa provocation habituelle se dissipant peu à peu, remplacée par une étrange sensation d'inconfort. Le rouge sur ses joues s'intensifia, et il détourna le regard, tentant de cacher la confusion qui commençait à le déstabiliser.

- Précieux... pour toi ? répéta-t-il d'une voix basse, comme s'il essayait de comprendre s'il avait bien entendu.

Il se mordilla la lèvre inférieure, luttant pour retrouver sa posture habituelle, celle de l'insolent qui ne se laisse jamais impressionner. Mais quelque chose chez Lucifer, dans son regard, dans la sincérité de ses paroles, le touchait d'une manière qu'il ne comprenait pas.

- Toi et t'as fille... Vous êtes vraiment les mêmes dit-il finalement, avec un rire nerveux, cherchant à dissimuler son trouble.

Il se força à croiser les bras, regardant Lucifer avec un sourire un peu forcé.
Il se redressa, haussant les épaules avec une tentative de nonchalance, mais la fragilité de son expression trahissait son trouble.

- Eh bien, tu sais, je suis... je suis pas un enfant de chœur. Si c'est de la compassion que tu veux me vendre, t'as dû te tromper de rayon.

Pourtant, malgré ses paroles pleines d'arrogance, quelque chose dans sa voix tremblait, comme une brèche dans son masque. Il se tourna légèrement, essayant de se reprendre, mais ses yeux trahissaient un malaise qu'il n'arrivait plus à cacher.

- Mais bon... c'est pas comme si ça m'arrivait tous les jours, qu'on me parle comme ça... Merci, je suppose ?

Il se frotta les yeux, un sourire gêné flottant sur ses lèvres.
Après un moment de silence où il évita le regard de Lucifer, il finit par souffler, comme s'il se résignait à quelque chose qu'il n'arrivait pas à comprendre.

- Bon, et si je te demandais... enfin, ça n'a rien à voir avec ce que tu viens de dire, hein, mais... est-ce que je pourrais... enfin... t'offrir un câlin ? Juste... pour, je sais pas... changer un peu l'atmosphère. C'est pas... je veux dire, c'est pas de la reconnaissance ou quoi, hein, juste un câlin normal.

Il détourna la tête en feignant de se désintéresser de la situation, mais ses joues rouges trahissaient sa gêne.

Lucifer observa Angel un instant, un léger sourire au coin des lèvres. Il n'était pas du genre à être pris au dépourvu, mais quelque chose dans l'attitude d'Angel, dans cette demande maladroite, fit naître une lueur d'amusement dans son regard.

- Un câlin, hein ? répéta-t-il doucement, ses yeux perçant Angel d'un regard qu'il savait presque intimidant. Il laissa planer un silence, son regard se fixant un peu plus intensément sur le démon en face de lui, avant de répondre.

- Tu sais, ce n'est pas un geste que l'on offre à la légère. Mais... j'accepte Anthony, tu n'as qu'à demander.

Il se leva lentement de sa position, ses gestes fluides, mesurés, puis s'approcha d'Angel, son regard toujours aussi intense mais marqué par une certaine tendresse. Il tendit alors les bras, un geste presque solennel.

Angel, qui s'était tendu en attendant la réponse de Lucifer, baissa enfin les yeux, son air gêné presque imperceptible. C'était étrange. Il ne s'attendait pas à ça. Mais, d'un geste hésitant, il se laissa finalement aller dans l'étreinte du prince des ténèbres, comme s'il cherchait une sorte de réconfort qu'il n'avait jamais réellement cherché auparavant.
Dans ces bras, il comprenait enfin pourquoi Eve avait bravé l'interdit pour cet être-là : Lucifer n'était pas simplement le roi des Enfers, il était une étoile dans la nuit, un phare qui attirait irrésistiblement ceux qui, comme Angel, s'étaient perdus dans l'obscurité.

Un long moment passa, un silence apaisant régnant entre eux. Lentement, Angel releva la tête, gêné de sa propre vulnérabilité, un léger trouble perlant dans son regard. Il ne savait pas quoi dire, ni même comment agir après une telle proximité.
Inspirant profondément, Angel brisa le silence, posant une question qui le taraudait :

- Comment t'es au courant de mon véritable nom ? murmura-t-il, comme s'il s'agissait d'un secret qu'il n'avait jamais partagé.

Lucifer lui répondit avec ce sourire mystérieux, cette ombre d'amusement au coin des lèvres.

- Pourquoi ne le saurais-je pas ?

Un long silence suivit la réponse de Lucifer, lourd de sens. Angel resta figé dans les bras de Lucifer, l'air perdu, cherchant des mots qui semblaient s'échapper à chaque tentative. Il n'avait jamais été du genre à se livrer, à laisser quoi que ce soit de personnel filtrer au-delà de son masque de luxure et d'arrogance. Mais là, avec Lucifer, quelque chose était différent. L'atmosphère, la proximité, cette étrange paix qui s'était installée entre eux. Tout cela lui faisait perdre pied.

- Pourquoi tu... t'intéresses à moi ? continua Angel, sa voix plus basse, presque timide, malgré la provocation habituelle qu'il dissimulait derrière son masque. C'était la première fois qu'il mettait de côté son image, la première fois qu'il laissait quelqu'un pénétrer cet espace qui lui était habituellement si fermé.

Lucifer sourit, un sourire qui semblait plus humain. Il s'éloigna légèrement d'Angel, assez pour que leurs regards se croisent sans obstacles. Il se frotta brièvement le menton, comme s'il réfléchissait à la meilleure façon de répondre.

- Parce qu'on se ressemble plus que tu ne l'imagine, Anthony, dit-il avec une franchise déconcertante. On cache tous les deux des choses. Toi, tu utilises l'humour et la provoc' pour te protéger, et moi... eh bien, je me cache derrière ce que tout le monde connaît déjà. Tu sais, les démons, l'Enfer, tout ça.

Angel le fixa, déconcerté, une moue d'incompréhension flottant sur ses lèvres. Cela ne lui ressemblait pas, à Lucifer, de parler ainsi, sans détour, sans masque.

- T'es vraiment bizarre, tu sais ? répondit Angel, une touche d'amusement dans la voix. Il haussait les épaules, son air provocateur légèrement déstabilisé. - J'ai jamais eu besoin que qui que ce soit me comprenne.

- Je sais, mais tu sais aussi que ça n'empêche pas tout de ressortir. Peut-être qu'un jour, on arrêtera tous les deux de fuir. Mais en attendant... tu sais, c'est pas mal d'être un peu vulnérable de temps en temps.

Angel, toujours aussi perturbé, esquissa un léger sourire, mais celui-ci semblait moins forcé que d'habitude.

Alors que ce moment était affectueux. Lucifer vacillait légèrement, une pensée fugace traversa son esprit : peut-être que son corps, affaibli par ses blessures anciennes, n'avait plus la même résistance aux substances qu'autrefois. Ce soupçon lui arracha un sourire intérieur teinté d'amertume, comme un rappel cruel de sa propre vulnérabilité. Mais le vertige persistant lui laissa peu de temps pour méditer sur la question.

Angel, attentif, perçut immédiatement ce trouble.

- Hey, ça va ? T'as l'air... pas tout à fait là, remarqua Angel, un brin inquiet.

Lucifer, tentant de dissimuler sa gêne, répondit avec un faible sourire.

- Ça va... Peut-être juste un peu plus fort que je ne l'imaginais, admit-il.

Angel émit un rire léger, mais son regard demeurait préoccupé.

- Je vais pas te laisser là comme ça. Viens, je te raccompagne jusqu'à t'as chambre. Appuie toi sur moi si tu en as besoin.

Lucifer, d'ordinaire si réticent à montrer le moindre signe de faiblesse, se laissa finalement guider dans ce moment rare de proximité. Leurs rapprochement d'abord maladroits devinrent plus naturelles, et Angel le soutenait avec fermeté, son bras autour de sa taille pour l'aider à avancer, il perçut à travers le tissu de la chemise une texture différente, dure et irrégulière : des cicatrices, nombreuses et profondes.
Ces marques, silencieuses mais pleines de sens, frappèrent Angel d'une émotion inattendue, une sorte de tristesse muette. Il comprenait vraiment ce que Lucifer avait voulu dire lorsqu'il affirmait qu'ils se ressemblaient plus qu'il n'y paraissait. Ils étaient deux âmes abîmées, deux êtres qui, derrière des façades opposées, cachaient une souffrance qu'ils tentaient de dissimuler au reste du monde.

Sous cette aide discrète, Lucifer se laissa porter à travers les couloirs, chaque pas un peu plus difficile, son esprit toujours engourdi par les effets de la substance.
Angel, le soutenait sans jamais commenter ni montrer son trouble face aux cicatrices qu'il sentait sous ses doigts.

Une fois arrivés à la chambre de Lucifer, Angel ouvrit la porte en silence et l'aida à s'asseoir doucement sur le grand lit, au centre de la pièce. Lucifer s'allongea avec précaution, fermant un instant les yeux, appréciant la fraîcheur des draps contre sa peau. Les effets de la cigarette restaient là, diffus, l'enveloppant d'un voile de chaleur qui lui alourdissait les sens. Angel s'assit à ses côtés, attentif, l'observant avec une douceur retenue.

- Tu aurais dû m'écouter quand je disais que c'était fort, lança-t-il d'un ton moqueur, ajustant délicatement le coussin sous sa tête. - Mais j'avoue... c'est pas tous les jours qu'on te voit aussi... détendu.

Lucifer rouvrit lentement les yeux, l'ombre d'un sourire flottant sur son visage fatigué.

- Il semblerait, murmura-t-il. J'ai peut-être sous-estimé t'es consommations après tout. Mais... le moment en valait la peine.

Angel lui répondit d'un sourire plus doux, cette fois, conscient que leur proximité avait soudainement renforcé une connexion inattendue. Il ne dit rien de plus, mais resta là, assis près de lui, veillant en silence. Derrière cette façade royale et ces faiblesses, il sentait une complexité que Lucifer lui-même semblait ignorer, comme s'il cachait encore des fardeaux plus lourds qu'il ne laissait voir.

Angel, croyant Lucifer endormi, se redressa avec précaution, prêt à se retirer pour le laisser se reposer en paix. Il jeta un dernier regard attendri vers lui, la silhouette royale du Diable adoucie par la fatigue. Mais alors qu'il s'apprêtait à quitter le lit, une main ferme se referma autour de son poignet, le stoppant net. La poigne de Lucifer était forte, presque autoritaire, et Angel sentit un frisson lui parcourir l'échine.

Lucifer l'attira doucement vers lui, sans lui laisser de choix, murmurant d'une voix qu'Angel ne lui connaissait pas :

- Reste là.

Il y avait quelque chose d'inhabituel, presque glaçant, dans ces quelques mots. Ce n'était pas la voix douce et bienveillante qui avait percé ses défenses auparavant. Cette voix, bien que basse et mesurée, était teintée d'une froideur impérieuse, comme un ordre qui ne souffrait aucune opposition, dénué de la chaleur qui rendait Lucifer... humain, parfois. Pour la première fois, Angel sentit une lueur plus profonde et plus obscure, quelque chose qui dépassait son apparente tranquillité et brisait la fausse sécurité qu'il éprouvait à ses côtés.

Se ressaisissant, Angel se dit que c'était probablement l'effet de la drogue, que l'engourdissement rendait simplement Lucifer plus insistant, peut-être un peu plus brusque que d'habitude. Il sourit pour se rassurer, puis, après une hésitation, se laissa glisser aux côtés de Lucifer, s'étendant de nouveau dans le lit.

Le silence retomba dans la pièce, la poigne de Lucifer se relâchant à mesure que ses yeux se refermaient. Angel pouvait sentir le souffle calme du Roi des Enfers, mais l'image de ce moment étrange, de ce timbre de voix inattendu, restait gravée en lui, insidieuse. Il ne pouvait s'empêcher de se demander si cette part mystérieuse de Lucifer n'était pas un rappel de la puissance effrayante et insondable qui sommeillait en lui, celle qui lui avait valu de régner ici, en Enfer.

Angel ferma les yeux à son tour, bercé malgré tout par une étrange sérénité, et peu à peu, le sommeil l'emporta.

Dans l'ombre de sa tour, Alastor observait la scène qui se déroulait devant lui sur l'écran de surveillance. Sa mâchoire se crispa imperceptiblement en voyant Angel allongé aux côtés de Lucifer, si proche de lui. Une frustration sourde monta en lui, enserrant son cœur comme un étau. Ce démon vulgaire, indélicat, toujours prompt à user de provocations grossières et d'une familiarité exaspérante... Pourquoi Lucifer le laissait-il rester à ses côtés, encore moins partager son lit avec une telle aisance ?

Alastor ne comprenait pas. À ses yeux, Angel Dust n'était rien de plus qu'un parasite dénué de classe, une créature bruyante et impolie qui ne méritait même pas de poser un regard sur le Roi des Enfers, encore moins de s'attirer ses faveurs. Lucifer n'était-il pas censé être au-dessus de cela ? Pourquoi donc tolérait-il cet être si... trivial ?

Il observa encore, ses doigts pianotant nerveusement sur le bureau. Le Diable, d'ordinaire distant et majestueux, semblait différent avec Angel ; il ne repoussait pas l'araignée, ne posait pas cette barrière invisible qui le tenait à distance des autres. Et cette scène, Lucifer, allongé si près de lui, semblant trouver un certain apaisement dans cette proximité... La vision le troublait, et un sentiment qu'il préférait ignorer se glissa sournoisement dans son esprit.

- Pourquoi ? murmura-t-il d'un ton glacial, ses yeux rivés sur l'écran.

Un sourire crispé étira ses lèvres alors qu'il observait Lucifer attirer Angel dans une étreinte inconsciente. Comment se pouvait-il que le souverain des Enfers, cette figure puissante, trouve un tel réconfort dans la compagnie d'un démon aussi... indigne ? Alastor ne trouvait aucune réponse à cela.

Un frisson de mécontentement s'infiltra sous sa peau, attisant sa colère froide et contenue. La scène devant lui n'était qu'une provocation silencieuse, une vision qui prouver à Alastor que même lui, l'indomptable et redouté "démon-radio," était relégué à l'ombre quand ce démon indécent pouvait s'approcher si près de Lucifer, dans cette intimité qu'il n'aurait jamais crue possible.

Ses mains se crispèrent un peu plus sur les accoudoirs de son fauteuil. Il continua de regarder, sans détourner les yeux, murmurant pour lui-même d'un ton aussi glacé que la frustration qui l'envahissait :

- Tu es aveugle, Lucifer...

Le lendemain, un léger sourire amusé étira les lèvres de Lucifer alors qu'il ouvrait les yeux pour découvrir Angel endormi à ses côtés, un bras paresseusement enroulé autour d'un oreiller. L'aube rougeoyante d'Enfer jetait une lumière douce dans la pièce, adoucissant les traits de l'araignée qui, pour une fois, semblait presque paisible.

Lucifer se redressa doucement, prenant soin de ne pas le réveiller brutalement. Il l'observa un instant, cette créature si différente de lui, avant de poser une main délicate sur son épaule pour le secouer légèrement.
- Angel, murmura-t-il avec une voix douce. Réveille-toi.

Angel ouvrit un œil, confus, puis l'autre, avant de réaliser où il se trouvait. Il écarquilla les yeux un instant, se souvenant de la veille.

- Eh bien, on dirait que tu as décidé de rester, dit Lucifer avec un sourire en coin. Tu n'étais pas obligé de rester la nuit entière, tu sais.

Angel se redressa à moitié, étirant ses bras avant de lui jeter un regard surpris.

- C'est toi qui m'as dit de rester, grand prince, répondit-il en étouffant un bâillement. T'as même insisté.

Lucifer fronça légèrement les sourcils, son sourire s'atténuant un peu, cherchant dans ses souvenirs. La soirée restait floue, sûrement à cause de cette fichue cigarette. Il essayait de se rappeler le moment où il aurait pu prononcer ces mots, mais aucun souvenir ne lui revenait avec clarté.

- Vraiment ? s'étonna-t-il, un brin perplexe. Je... je n'en ai pas vraiment souvenir.

Angel le regarda un instant, un sourire en coin, à moitié amusé et à moitié intrigué.

- Tu m'as même tiré contre toi, genre... avec une force que je pensais pas que t'avais, en mode Daddy autoritaire, ajouta-t-il, un éclat rieur dans les yeux. T'avais même l'air... différent.

Lucifer détourna brièvement le regard, essayant de dissimuler son trouble.

- Si c'est bien le cas... je m'en excuse, murmura-t-il, tentant de retrouver son calme habituel.

Mais Angel secoua la tête, se redressant complètement cette fois.

- Eh, pas besoin de t'excuser, t'as été... différent, ouais, mais j'ai rien contre. Ça m'a même fait plaisir de rester avec toi.

Les mots d'Angel eurent un effet apaisant. Lucifer se permit un petit sourire, observant cette araignée qui, en dépit de toutes leurs différences, semblait étrangement à sa place.

- Eh bien, dans ce cas... je suppose que je te remercie, Angel, dit-il, son regard se radoucissant.

Lucifer se leva lentement du lit, ses gestes mesurés, comme s'il était encore en train de se remettre des effets de la drogue qu'il avait partagée la veille. Il se dirigea vers sa salle de bain, laissant derrière lui Angel, qui, une fois seul, se retrouva à observer la pièce avec une curiosité grandissante.
L'atmosphère de la chambre de Lucifer, d'ordinaire si sobre et majestueuse, cachait des secrets bien plus personnels. Angel, sans trop savoir pourquoi, se sentit attiré par l'espace comme un insecte par la lumière. Ses yeux scrutèrent chaque recoin de la pièce, absorbant les détails qui, jusqu'à présent, lui avaient échappé.

Les murs étaient ornés de peintures magnifiques, certaines sombres, d'autres étrangement lumineuses, mais toutes semblaient raconter une histoire. Des croquis de formes abstraites, des visages tourmentés, des paysages lunaires, tout cela dégageait une aura de passion qu'Angel n'aurait jamais imaginée dans l'univers froid et impeccable du roi des Enfers.

Il s'approcha d'une grande toile encadrée qui trônait près du bureau de Lucifer.

Angel, d'ordinaire peu attiré par les arts, se surprit à rester figé devant la toile, incapable de détourner le regard. Quelque chose dans ce tableau le captivait, l'hypnotisait même, au point qu'il se mit à en analyser chaque détail, bien qu'il n'ait jamais eu aucun intérêt ni talent pour ce genre de chose. Lui, le pragmatique, qui se moquait souvent des esthètes et de leurs contemplations oisives, se trouvait ici fasciné par ce qu'il voyait.

C'était une peinture à l'huile, mais ce n'était pas un simple paysage. C'était un tableau d'une beauté indescriptible, un monde qu'on aurait dit sorti d'un rêve effleurant la réalité. L'œuvre représentait un vaste paysage recouvert de roses rouges, des milliers de pétales éclatant de couleurs vibrantes, se mêlant dans une mer de teintes écarlates et de nuances plus sombres, presque pourpres. Les fleurs semblaient s'étendre à perte de vue, créant un océan infini, dont les vagues étaient constituées de brins de tiges, leurs épines invisibles mais omniprésentes. La lumière semblait en émaner d'un endroit inconnu, une lueur douce mais insistante qui baignait toute la scène dans une atmosphère à la fois calme et tourmentée.

La toile ne dégageait pas seulement de la beauté, mais une sensation étrange et presque palpable d'amour et de mélancolie. Au milieu de ce champ infini, une silhouette solitaire se découpait. C'était difficile à dire, mais Angel avait l'impression que c'était Lucifer lui-même, ses traits flous et baignés dans une lumière douce. Ses yeux étaient fermés, et une expression de calme étrange, presque apaisé, flottait sur son visage. Il semblait hors de portée, comme un être presque divin, suspendu dans un entre-deux entre le réel et l'imaginaire.

Il n'avait aucune compétence pour comprendre réellement cette œuvre, mais cela n'avait pas d'importance. Cette œuvre dégageait une force bien différente de celle que l'on attendrait d'un démon, et Angel, en la contemplant, se rendit compte que cette beauté chaotique et sublime venait d'un endroit profondément intime. C'était un cri muet, un appel à la rédemption ou peut-être une mémoire lointaine de quelque chose de précieux et perdu. Il ne pouvait s'empêcher de se demander ce que cette scène signifiait pour Lucifer. Était-ce un souvenir ? Un rêve ?

Tout autour, des croquis éparpillés, certains griffonnés à la hâte, d'autres plus détaillés et soignés, montraient des visages déformés, des portraits d'êtres inconnus, et même des créatures qu'Angel n'aurait jamais imaginées.

Puis, son regard se porta sur une étagère basse où étaient disposés plusieurs artefacts étranges. Des objets d'apparence ancienne, des figurines sculptées dans des matériaux qu'il n'aurait su identifier, et des livres reliés en cuir. Angel, curieux comme toujours, se pencha pour examiner de plus près. Il attrapa un petit objet, une figurine en obsidienne représentant une créature fantastique, à moitié humaine, à moitié animale. L'objet semblait irradier une énergie bizarre, comme si chaque fibre de l'âme de Lucifer y était inscrite.

Les doigts d'Angel effleurèrent l'objet avec précaution, intrigué par la sensation étrange qui l'envahissait à chaque contact. C'était à la fois apaisant et dérangeant. La pièce semblait vibrer d'une énergie subtile, presque surnaturelle. C'était comme si tout ce qui était ici, des œuvres aux artefacts, était une extension de l'âme de Lucifer, un aperçu des parts de lui qu'il cachait soigneusement derrière sa perfection glacée.

Angel posa l'objet doucement, comme s'il venait de déranger quelque chose de précieux, et se détourna vers un livre qui reposait sur un piédestal, ouvert à une page en particulier. Il s'abaissa, attrapant le livre d'un geste prudent, et se plongea dans les lignes de texte écrites dans une langue qu'il ne comprenait pas. Pourtant, quelque chose d'étrange se produisit. Alors qu'il tournait les pages, il eut l'impression que les mots se rapprochaient, s'éclaircissaient comme si le livre répondait à ses pensées. Certaines phrases semblaient directement adressées à lui, lui offrant des informations cryptiques et troublantes. Il lut :

"Il y a plus dans ce royaume que l'œil peut percevoir. Ceux qui cherchent la vérité doivent être prêts à supporter la lumière et l'ombre qui viennent avec."

Angel, perturbé, se frotta les yeux, mais à chaque nouvelle ligne, l'atmosphère autour de lui devenait plus dense, plus lourde. La pièce semblait se resserrer autour de lui, les objets semblaient se mouvoir imperceptiblement. C'était comme si le livre lui-même commençait à le guider, lui révélant des vérités qu'il n'était pas certain d'être prêt à entendre.

Il tourna encore quelques pages, cette fois une phrase plus percutante émergea :

"Le prix de la connaissance est une âme perdue. Vous êtes plus proche que vous ne le pensez. Tout ce que vous cherchez est déjà à l'intérieur de vous."

Un léger vertige s'empara d'Angel, et l'air autour de lui se fit plus lourd, presque suffocant. Il se sentait pris au piège, comme si chaque mot, chaque phrase, l'enfermait davantage dans un labyrinthe sans issue.
Puis, une nouvelle série de révélations lui parvint, cette fois bien plus spécifiques, presque personnelles.

"Tu cherches à comprendre, mais ce n'est pas dans ce livre que tu trouveras la paix. Laisse-moi t'ouvrir une porte que tu n'oserais franchir seul. La chute de Lucifer n'est pas simplement un mythe, elle est écrite dans les cieux, mais aussi dans les cœurs de ceux qui l'ont trahi."

Les mots semblaient se plier à sa volonté, comme s'ils répondaient directement à ses pensées les plus profondes. Il se sentit pris au piège, mais il ne pouvait s'empêcher de continuer. Le livre, dans une étrange danse avec son esprit, dévoilait des vérités qu'Angel n'aurait.

"Un crime impardonnable a été commis au Paradis, un acte infâme et répugnant, si monstrueux que la vérité en a été dissimulée, même aux anges. Tous ignorent ce sombre chapitre, et même les cieux eux-mêmes préfèrent l'oublier."

Angel sentit son cœur se serrer. Il poursuivit sa lecture, une phrase particulièrement lourde de sens attirant son attention.

"Lucifer en fut la victime. Ce n'est pas la désobéissance qui l'a brisé... c'est un acte qui défie toute compassion, tout pardon, et son propre frère en fut le bourreau. Ce secret, caché à tous, est le fardeau le plus honteux que porte le roi des Enfers."

Angel frissonna, réalisant l'ampleur de ce qu'il venait de lire. Ce n'était pas simplement une chute qui avait transformé Lucifer. Son esprit avait été brisé bien avant qu'il ne se révolte, bien avant qu'il ne devienne ce roi impassible et distant.

Le livre semblait presque murmurer maintenant, comme si une voix éteinte parlait directement à Angel :

"Sa colère n'est que la façade d'une blessure que personne ne peut soigner."

Angel sentit son cœur battre un peu plus fort, comme si chaque mot du livre pulsait avec une énergie sombre, palpable. Une étrange peur s'empara de lui alors qu'il fixait la page, son regard accroché à cette révélation inouïe.

Un crime impardonnable... Lucifer, victime... Son frère, bourreau. La phrase résonnait dans son esprit comme un écho infini, chaque mot se superposant, se renforçant. Angel fronça les sourcils, luttant contre une angoisse qui montait lentement en lui.

"Un acte si monstrueux... un fardeau caché, une blessure jamais avouée..."

Angel se redressa légèrement, comme pour mettre une distance entre lui et ces mots qui le terrifiaient sans qu'il sache vraiment pourquoi. Son esprit refusait d'accepter pleinement ce que ces phrases semblaient insinuer, comme si une partie de lui-même essayait de bloquer cette compréhension avant qu'elle n'aille trop loin.

- Mais... qu'est-ce que ça veut vraiment dire ?

Il murmura ces mots dans la pénombre, le livre tremblant légèrement entre ses mains. Une crainte glaçante s'emparait de lui. Que pouvait bien signifier une telle trahison ? Quel acte, même parmi les anges, pouvait être à la fois si infâme et si bien dissimulé qu'il en brise l'esprit du plus noble des archanges avant même sa chute ?

Un vertige l'envahit, et il passa une main tremblante sur son visage. Angel ne savait plus s'il voulait connaître la vérité ou la fuir. Mais il pressentait que cette révélation contenait quelque chose de bien plus profond, de bien plus horrible qu'il n'osait l'admettre.

"Est-ce que ce livre essaie vraiment de dire ce que je crois ? Est-ce que... Est-ce que Lucifer..."

La pensée s'évanouit, trop douloureuse, trop incompréhensible pour être formulée. Le livre semblait le regarder en silence, comme s'il attendait patiemment qu'il accepte d'aller au bout de cette terrifiante compréhension.

"Méfie-toi du roi monstrueux, qui fut née de cette atrocité, car il se cache derrière l'ange innocent. Mais toi, tu seras une exception."

Il sentit un frisson lui parcourir l'échine, comme si une ombre glaciale s'était glissée dans la pièce. La mention d'un ange innocent Cette allusion à un masque derrière lequel se cachait un être meurtri... Cela brouillait les limites entre ce qu'il pensait connaître et une réalité bien plus sombre.

Angel déglutit difficilement, cherchant à démêler les pensées qui se bousculaient en lui. "Toi, tu seras une exception." Ces mots résonnaient comme une promesse obscure, ou peut-être même un avertissement. Exception de quoi ? Pourquoi lui ? Qu'est-ce que ce livre savait qu'il ne comprenait pas encore ?

"Monstrueux... Né d'une atrocité..."

Les mots semblaient faire écho à une douleur qu'il avait à peine osé deviner. Était-ce cela, le fardeau caché que Lucifer portait, l'horreur enfouie dans les profondeurs de son être ? Angel se sentit pris entre la peur et une étrange compassion, une envie de comprendre d'avantage, d'aller jusqu'au bout de ce mystère, malgré les ombres qui semblaient prêtes à l'engloutir.

"Qu'est-ce que je suis censé faire de ça ? "

Un frisson d'incertitude passa dans son regard, mais quelque part, au fond de lui, il savait qu'il ne pourrait plus revenir en arrière.
Et c'est à ce moment-là que la porte de la salle de bain s'ouvrit soudainement, le coupant dans sa lecture. Lucifer était là, imposant comme toujours, mais son regard perça immédiatement celui d'Angel, une lueur d'avertissement dans ses prunelles.

- Tu devrais reposer ce livre, Angel.

La voix de Lucifer était dépourvue de sa chaleur habituelle, remplacée par une menace implicite, comme si un gouffre sans fond s'était ouvert derrière ses mots.

Il ouvrit la bouche, cherchant à protester, à poser les questions qui se bousculaient dans son esprit, mais le regard de Lucifer le réduisit au silence. Une lueur dangereuse brillait dans ses yeux, et Angel comprit, au fond de lui, qu'il venait de toucher à quelque chose qu'il n'aurait jamais dû découvrir.
Lucifer fit un pas en avant, ses traits durs comme le marbre.

- Ce livre n'est pas pour toi. Ce qu'il contient ne t'apportera rien de bon.

Angel avala difficilement, son cœur battant la chamade. L'envie de savoir se battait contre la peur qui l'envahissait, mais il pouvait sentir qu'il était sur le point de franchir une limite, une ligne interdite, et que Lucifer n'hésiterait pas à la défendre.
Lucifer tendit la main, le regard toujours froid.

- Rends le moi. Maintenant.

Face à cette aura glaciale, Angel sentit ses mains trembler.
Angel fixa le livre entre ses mains, ses doigts crispés contre la couverture, l'esprit tiraillé entre l'envie de comprendre et la peur de ce qu'il pouvait découvrir. Il savait qu'il jouait avec le feu, mais le mystère, les fragments de vérité laissés en suspens, l'appelaient irrésistiblement.
Il leva les yeux vers Lucifer, cherchant quelque chose, une explication, une once de douceur peut-être, dans ce regard dur et impénétrable. Mais Lucifer ne bougea pas, sa main toujours tendue, le regard plus menaçant que jamais.

- Pourquoi... pourquoi vous voulez pas que je sache ? Murmura Angel, sa voix à peine un souffle. Au paradis... vous... Hésita t'il à poursuivre.

Ses yeux cherchaient une explication, une lueur de clarté, mais Lucifer ne répondit pas immédiatement. Un long silence s'installa entre eux, comme si le temps lui-même hésitait.

Mais soudain, tout changea.

Lucifer, d'habitude si calme, si posé, se figea. Une étrange froideur envahit son regard, qui perdit toute chaleur. Ses traits se durcirent, et sa posture se modifia, comme si un masque se posait soudainement sur lui. Ses yeux, autrefois pleins de complexité, devinrent vides, dénués d'émotion, comme si l'âme de l'ange avait été remplacée par quelque chose de bien plus ancien, de bien plus dangereux.

Un frisson glacial parcourut l'échine d'Angel. Lucifer ne semblait plus être Lucifer. Ce n'était plus que l'ombre de lui-même. La voix qui s'échappa de ses lèvres n'avait rien d'humain. C'était un son plus profond, plus menaçant, comme un grondement de terreur. Il ne dit rien pendant un instant, son regard perçant ne quittant pas Angel. Puis, sans un mot, il tendit un doigt vers ses lèvres, un geste aussi simple que symbolique. Ce geste, pourtant, contenait tout le poids d'un avertissement silencieux.

L'aura qui émanait de lui était plus cryptique que jamais, emplie d'une menace aussi palpable que l'air lourd d'une tempête. Angel n'osa plus bouger, son corps se figeant dans la terreur d'une créature bien plus ancienne que ce qu'il avait jamais imaginé. Le sourire carnassier qui se dessina sur les lèvres de Lucifer n'était
pas celui du roi des Enfers. Non, c'était le sourire du diable lui-même, celui qui n'éprouvait aucune pitié, ni pour l'âme humaine, ni pour l'âme démoniaque. Le sourire du diable, sans remords, sans conscience. Un sourire qui dévorait, qui détruisait, qui anéantissait. Il s'approcha, et d'un geste précis, il ferma le livre, le replaçant délicatement à sa place, comme si ce geste seul pouvait effacer ce qui venait d'être révélé.

Puis, aussi soudainement qu'il s'était transformé, Lucifer redevint... Lucifer. La chaleur, l'humanité, la complexité retrouvèrent son regard, son expression se calma, et la terreur qui avait envahi Angel se dissipa presque instantanément. Le démon se redressa, se remettant dans une posture plus familière, comme si rien ne s'était passé.
Angel, lui, était toujours là, pétrifié par ce qu'il venait de voir. Il ne comprenait pas. Pas complètement. Il avait l'impression d'avoir croisé quelque chose de bien plus ancien, bien plus sinistre que tout ce qu'il aurait pu imaginer.

Lucifer reprit la conversation comme si de rien n'était, comme si le brusque changement qu'il venait d'opérer n'avait jamais eu lieu. Ses traits étaient redevenus aussi maîtrisés et détachés que d'habitude, et son regard, bien que toujours intense, était revenu à cette sérénité familière.

- Ce livre, comme tous les artefacts ici, a sa propre force. Ne t'aventure pas plus loin, tu pourrais t'attirer bien plus que tu ne peux comprendre.

Angel tenta de sourire, mais son cœur battait trop fort pour que cela semble naturel. L'étrange transformation de Lucifer, ce passage d'une froideur glaciale à une tranquillité trompeuse, le perturbait profondément. Il ne savait pas s'il devait se sentir soulagé ou inquiet. Lucifer parlait de façon si calme, si posée, qu'il semblait n'avoir aucune conscience de ce qui venait de se passer. C'était comme si ce changement de personnalité n'avait jamais eu lieu, comme si tout cela n'était qu'un simple phénomène étrange, sans importance.

- Chaque objet ici a une particularité, et certaines sont bien plus dangereuses que d'autres. Ne les sous-estime pas.

Lucifer poursuivait comme si le monde autour d'eux n'avait pas changé, comme si Angel n'avait pas été confronté à un pouvoir bien plus ancien et terrifiant que ce qu'il aurait jamais imaginé.
Angel se sentit soudainement minuscule, presque insignifiant dans cet espace empli de secrets et d'artefacts anciens. Il se sentit comme une simple poussière d'âme dans ce royaume d'ombres et de connaissances interdite, et le simple fait de poser la question le rendait nerveux.

- Pourquoi... le garder si c'est... si risqué ? Demanda-t-il finalement, sa voix brisée. L'esprit encore flottant dans cet ailleurs inaccessible, il avait du mal à récupérer son équilibre mental après ce qu'il venait de ressentir, ce qu'il venait de voir.

- Parce qu'il a sa place ici. Ce n'est pas un jeu, Angel. Fais attention à ce que tu cherches.

Le regard de Lucifer s'adoucit un instant, mais son avertissement restait gravé dans l'air, pesant lourdement sur Angel. La tension qui avait envahi la pièce semblait se dissiper, mais à peine le temps de respirer qu'un nouveau frisson s'empara d'Angel. Lucifer, observant avec une intensité nouvelle, s'approcha de lui, comme s'il percevait une fragilité invisible, une fissure dans la posture confiante du jeune homme.

- Comment tu te sens ? demanda Lucifer, son ton plus doux cette fois, empreint d'une inquiétude qui tranchait avec l'attitude froide qu'il avait affichée plus tôt. Ses yeux s'étaient adoucis, bien que l'intensité de son regard restait perçante, comme s'il pouvait lire chaque émotion cachée derrière les traits d'Angel.

Angel se sentit soudainement vulnérable. Il n'avait pas l'habitude que quelqu'un s'inquiète pour lui, surtout le roi des enfers en personne. Il effleura délicatement sa peau, comme s'il mesurait chaque fluctuation de son souffle, chaque battement de cœur.

Les doigts de Lucifer glissèrent sur sa tempe, puis il lui prit doucement le menton, inclinant légèrement la tête pour mieux observer ses yeux. Angel cligna des paupières, ses sens encore alourdis par les révélations du livre et de ce qu'il venait de voir, un voile de confusion floutant sa vision. Lucifer, sans relâcher son emprise, appuya ses doigts sur ses poignets, cherchant quelque chose. Un signe. Un mouvement. Un retour à la réalité.

- Ressens-tu quelque chose ? demanda Lucifer en sondant son regard, ses yeux devenant plus perçants à mesure qu'il cherchait à détecter toute incohérence dans le comportement d'Angel.

Angel secoua la tête, essayant de se remettre.

- Je... je vais bien. C'est juste... tout ça est un peu trop.

Lucifer resta silencieux un instant, toujours à l'examiner de près. Il commença à lui tapoter doucement le visage, les gestes fins et calculés. Il passa ses doigts sur sa joue, sur ses lèvres, puis observa de plus près ses pupilles, cherchant des signes de désorientation ou de vertiges.

- Tu ne sembles pas être tout à fait ici, Angel. Il s'inclina légèrement, cherchant à capter son attention, ses traits s'adoucissant encore. -Regarde-moi.

Angel, encore un peu étourdi, leva les yeux vers Lucifer, sentant la chaleur de sa présence, presque palpable. Il n'était plus le même, ou plutôt, il se sentait perdu entre deux réalités.

Lucifer, l'observa avec un léger froncement de sourcils, inquiet, comme un médecin face à un patient dont les symptômes étaient encore flous.

- Je vais faire quelques tests pour voir si tu es bien revenu dans le monde réel dit-il d'une voix plus calme, mais ferme. Il posa une main légère sur la nuque d'Angel, testant sa réactivité.

Le roi des Enfers, se montrait étonnamment attentif. Comme un prédateur, mais un prédateur qui veillait, presque par instinct, sur celui qu'il avait jugé digne de sa protection.

Angel, toujours en proie à une confusion douce-amère, fixa les lèvres de Lucifer, son cœur battant d'une manière qui lui était inconnue. La proximité de son visage, ses yeux d'un bleu impérial, un parfum discret et envoûtant qui flottait autour de lui, la chaleur de son corps si proche... tout cela le troublait profondément. Sans même s'en rendre compte, ses pensées s'égaraient vers un territoire inexploré, un espace qu'il avait toujours évité. Ce n'était pas le désir désinvolte qu'il ressentait pour ses admirateurs avides et sans visage. Non, cette envie-là était pure, intense, innocente. Un sentiment qu'il peinait à définir, comme s'il se retrouvait face à un fruit défendu, irrésistible.

Ses yeux ne pouvaient quitter les lèvres de Lucifer, l'esprit embrumé, son cœur battant dans sa poitrine. Il ne comprenait pas d'où venait cette impulsion, ce désir étrange, mais il ne pouvait le réprimer.

Lucifer, amusé mais également attendri par ce regard égaré, perçut ce tourbillon de confusion dans les yeux d'Angel. Avec une lenteur douce et rassurante, il s'approcha encore, lisant presque dans ses pensées. Puis, sans précipitation, il inclina doucement la tête et posa ses lèvres sur celles d'Angel. Le baiser était d'une pureté bouleversante, dépourvu de toute intention autre qu'un simple geste de tendresse partagée. Ce n'était pas le baiser d'un amant, mais celui d'un ami ; c'était une étreinte silencieuse, un moment suspendu dans une douceur fragile.

Angel, figé, sentit son cœur s'emballer, et malgré l'innocence du geste, ce baiser fit vibrer en lui quelque chose de profondément enfoui. Ce contact, si délicat, éveillait une chaleur douce-amère qui s'étendait jusque dans ses entrailles, dissipant peu à peu le trouble qui le hantait. Venant presque à se demander, cette scène n'était pas un mirage.

Lorsqu'ils se séparèrent, Lucifer le regarda avec une infinie tendresse, ses yeux étincelant d'une bienveillance rare, mais aussi d'une pointe d'inquiétude. Il posa une main douce sur l'épaule d'Angel et, d'une voix calme, murmura :

- Alors, est-ce que tu es enfin ancré dans la réalité ?

Angel cligna des yeux, comme s'il émergeait d'un rêve, et une sensation de paix inconnue apaisa son cœur agité.
Angel, toujours sous l'effet de cette proximité, cligna des yeux plusieurs fois. Ses pensées semblaient se remettre peu à peu en place, mais une partie de lui flottait encore dans ce brouillard. Pourtant, il esquissa un sourire moqueur, comme pour alléger la situation, tout en reprenant lentement pied dans la réalité.

- Ouais, je suppose. C'est un peu comme un bad trip finalement, dit-il avec un rire nerveux, comme pour se rassurer lui-même, bien que la profondeur de ce qu'il venait de vivre le perturbait secrètement. C'était un mélange de sensations contradictoires : de l'émerveillement, de la peur, et une curiosité insatiable.

- Le pire des bad trip... Plaisanta Lucifer qui fit de nouveau tomber le masque face à l'araignée.

Angel, ne put s'empêcher de sourire, toujours aussi moqueur, mais cette fois d'une manière plus apaisée.
Toujours dans un état d'esprit entre la dérision et la curiosité, il fixa Lucifer avec un sourire en coin.

- Alors, y'a d'autres objets aussi terrifiants que ce livre, ou est-ce que je viens de toucher le pire du pire ?

Lucifer, qui avait observé Angel avec une bienveillance teintée de gravité, se figea un instant. Un léger rouge monta à ses joues, un rare signe de gêne qui contrastait avec son habituel calme souverain. Il se passa une main dans les cheveux et, dans un souffle, il baissa légèrement la tête. C'était presque comme si la question d'Angel l'avait pris de court. Il semblait hésiter un instant, mais lorsqu'il croisa le regard d'Angel, ce dernier comprit immédiatement qu'il y avait bien plus.

- Il y en a d'autres, dit Lucifer finalement, sa voix prenant un ton légèrement embarrassé, un contraste frappant avec son air habituellement si implacable. - Mais..." Il se tut un instant, ses yeux fixant un point invisible dans l'espace. Puis il ajouta, presque comme une confession - J'ai tendance à l'oublier...

Angel, qui avait toujours trouvé un moyen de détendre la situations, éclata de rire, même si une petite angoisse persistait au fond de lui. Il s'avança un peu plus près de Lucifer, un sourire malicieux toujours sur ses lèvres.

-- D'accord, je vois. Je pensais qu'avec toi, ça allait déjà être assez... "intense", mais je pensais pas autant.

Angel resta un instant silencieux, son regard se perdant dans les détails du décor, mais ses pensées revenant sans cesse à cette scène étrange. Ce n'était pas seulement ce livre maléfique, ni la noirceur qu'il avait perçue en l'ouvrant, mais bien quelque chose de plus intime, plus dérangeant : ce qu'il avait vu dans les yeux de Lucifer. Comme si, l'espace d'un battement de cœur, un être différent s'était manifesté derrière ce visage familier.

Pourtant, en observant Lucifer à présent, il ne remarquait aucun signe de cette transformation inquiétante. Le démon semblait aussi calme et indifférent que d'habitude, le regard posé sur Angel avec une légère curiosité. Cette normalité apparente ne faisait qu'accentuer l'inquiétude d'Angel, qui ne pouvait s'empêcher de se demander : avait-il vraiment vu ce changement, ou bien son esprit, influencé par les sombres secrets du livre, lui avait-il joué un tour ?

- Tu as l'air pensif, Angel, fit remarquer Lucifer d'un ton léger. Aurais-tu vu quelque chose de trop... intense dans ce livre pour tes nerfs humains ?

Angel reprit contenance, forcé de masquer son malaise derrière son sourire habituel.

- Oh, je dirais que ça allait... Mais il y avait juste quelque chose de... bizarre, lâcha-t-il en haussant les épaules, espérant que sa voix paraisse détachée. En fait, je crois que j'ai juste besoin de me changer les idées, tu sais ? L'enfer, les secrets, les démons... ça fait beaucoup pour un gars comme moi.

Lucifer n'avait visiblement rien remarqué de son propre changement d'attitude, et cette ignorance n'avait rien de rassurant. Le démon qui se tenait devant lui redevenait l'être énigmatique et presque bienveillant auquel il s'était habitué. Pourtant, il savait désormais qu'une facette inconnue, une fissure effrayante existait derrière cette façade.

Alors qu'il observait Lucifer, une étrange résolution s'empara d'Angel. Peut-être devrait-il laisser tomber et mettre cette vision sur le compte du livre, mais il savait que l'idée le hanterait tant qu'il ne comprendrait pas ce qu'il avait vraiment vu. Il s'efforça de sourire, décidant de garder ce secret, au moins pour l'instant.

- Bon, je te laisse à tes artefacts flippants, lança-t-il d'un ton léger pour couper court. Moi, je vais aller chercher un peu d'air, si ça ne te dérange pas.

Alors qu'Angel se dirigeait vers la porte, Lucifer l'interrompit, sa voix plus douce que d'habitude.

- Angel, attends...

Angel se retourna, surpris de voir Lucifer hésitant, presque vulnérable, une expression sincèrement désolée sur son visage.

- Je suis désolé, reprit Lucifer en baissant légèrement les yeux. Je n'aurais jamais dû te laisser entrer dans cette chambre sans t'avertir des risques. Ce... ce livre, il a une conscience propre et sait s'introduire dans l'esprit de ceux qui l'ouvrent. Je te demande pardon, Angel.

Un silence se fit, et Angel se sentit pris au dépourvu devant cette attitude de Lucifer, bien différente de l'arrogance et de l'assurance auxquelles il était habitué. Quelque part, cette sincérité lui donna envie de sourire. Il avait rarement vu Lucifer avec une telle honnêteté.
Mais Angel, bien qu'amusé par la situation, sentit aussi qu'il ne pouvait pas entièrement rejeter la faute sur Lucifer.

- Je... je suis désolé aussi, admit-il, ses yeux se détournant brièvement avant de revenir vers Lucifer. J'ai touché ce livre sans te demander la permission, je n'aurais pas dû.

Un mince sourire s'esquissa sur les lèvres de Lucifer. Il hocha la tête, l'air reconnaissant, et un poids sembla s'alléger entre eux, un équilibre restauré.

- Eh bien, la prochaine fois, peut-être que tu pourras me faire un petit topo avant de me plonger dans les ténèbres de ton monde, lança Angel, mi-sarcastique, mi-réellement soulagé.

Lucifer répondit par un sourire entendu, une promesse silencieuse de veiller à l'avenir. Mais alors qu'Angel s'apprêtait à partir pour de bon, un souvenir flou, presque irréel, refit soudain surface dans son esprit. Il s'arrêta, les sourcils froncés, son esprit en plein questionnement.

- Attends... Ce... Ce n'était pas une hallucination, pas vrai ? lâcha-t-il en hésitant, évitant à moitié le regard de Lucifer. Quand on... enfin, quand on s'est embrassé... C'était... c'était réel, non ?

Lucifer, surpris par cette question inattendue, releva les yeux, une lueur amusée dans le regard.

- C'était bien réel, Angel, répondit-il, l'air taquin. Tu avais l'air d'en avoir envie plus que tout. À moins que tu ne préfères penser que c'était un mirage ?

Angel resta figé une seconde, avant de lâcher un juron, les yeux écarquillés.

- Bordel... J'ai vraiment embrassé le diable ? Non mais là, j'ai touché un sacré niveau de péché !

Il passa une main dans ses cheveux, son esprit vacillant entre choc et amusement. Ses joues, rougies malgré lui, trahissaient sa gêne, mais il essayait de maintenir une façade décontractée.

- Putain, c'est officiel, je suis fichu pour l'éternité, ajouta-t-il, secouant la tête avec un sourire nerveux.

Lucifer laissa échapper un rire, appréciant la réaction authentique d'Angel. Sa propre expression se radoucit, presque complice.

- Bon, conclut Angel, feignant la désinvolture, je vais vraiment aller chercher de l'air cette fois. Et évite de laisser traîner d'autres livres maudits, d'accord ? lança-t-il, mi-blagueur, mi-prudent.

Lucifer leva les mains, faussement innocent.

- Promis, aucun livre cette fois. Prends soin de toi, Angel.

Ce dernier lui lança un dernier sourire mi-apaisé, mi-gêné, avant de s'éloigner. Mais le souvenir de leur baiser restait, cependant Angel comme Lucifer avait bien conscience qu'il s'agissait d'un échange dépourvue de désir charnel. C'était un contact aussi doux que le câlin que lui avait donné l'ange. Quelque chose d'aussi pure qu'une promesse d'amitié. Rien de plus.

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