Alastor, comme à son habitude, avançait avec une lenteur mesurée, profitant de chaque instant pour observer Lucifer sous toutes ses coutures, à la recherche du moindre signe de faiblesse. L'occasion parfaite se présenta un jour, alors qu'ils se croisaient dans un corridor désert du palais. L'air entre eux était lourd, tissé de non-dits et de sous-entendus. Alastor, avec sa capacité à manipuler les situations avec une précision presque cruelle, décida qu'il était temps de lancer un piège subtil.
Il savait que Lucifer finirait par baisser sa garde à un moment où un autre.

- "Ah, Lucifer," dit-il d'une voix pleine de faux étonnement. "Je me demandais... Comment s'est passée votre chute du paradis ? Je suis certain que cela a dû être une expérience... inoubliable." Il laissa volontairement ses mots suspendus dans l'air, sa voix jouant sur les nuances de la douleur qu'il savait être là, tapie sous la surface du fardeau éternel de Lucifer.

Lucifer se figea un instant, un frémissement d'inconfort traversant brièvement ses traits. Ses yeux, d'ordinaire glacés et impénétrables, ne trahirent rien, mais quelque chose en lui vacilla. Un frémissement dans l'air. Seule une
larme qui perla lentement du coin de son œil droit trahissait la profondeur de sa douleur. Pas un soupir, ni un geste de faiblesse, rien d'autre que cette larme solitaire qui glissait doucement sur sa peau.

Il leva lentement les yeux vers Alastor. Un sourire étira ses lèvres, mais c'était un sourire différent, plus douloureux que tout ce qu'Alastor aurait pu imaginer. Il n'y avait ni colère ni mépris dans ce sourire, juste une étrange acceptation du fardeau qu'il portait. Le contraste entre cette expression et la douleur intérieure qu'il cachait était d'autant plus effrayant pour Alastor, qui ne s'y attendait absolument pas.

- "La chute... fut la chose la plus douloureuse qui soit", répondit Lucifer, la voix calme et mesurée, comme si cela n'avait été qu'un simple fait, une réalité qu'il avait porté si longtemps qu'il semblait y être accoutumé. Mais malgré ce calme, la larme était là, isolée, comme un aveu de tout ce qu'il retenait.

Alastor, un moment déstabilisé par cette réaction inattendue, perçut un étrange malaise en lui. Il s'était attendu à un sourire glacial, à un dédain presque cruel, à une réponse cinglante, mais il se retrouvait face à une version de Lucifer qu'il n'avait jamais envisagée. Un Lucifer qui, tout en portant ce fardeau, semblait incapable de le rejeter ou de l'ignorer. Un Lucifer qui, malgré sa souffrance, demeurait digne et entier.

Lucifer essuya la larme d'un geste rapide, comme s'il ne voulait pas que cela soit vu, mais Alastor ne put s'empêcher de le suivre du regard. Puis, en un instant, Lucifer se redressa, son regard restant aussi clair et impénétrable qu'auparavant, tandis que le sourire qui marquait encore ses lèvres ne laissait transparaître aucune rancune, ni même de la douleur.

Il comprenait. Il savait qu'Alastor avait voulu le blesser avec ses mots, mais il n'en éprouvait ni colère, ni animosité. Il le regarda un instant, et malgré tout, il lui adressa un sourire bienveillant, comme s'il lui disait qu'il comprenait la nature du jeu et qu'il ne lui en voulait pas.
Il se contenta d'un léger mouvement de la tête, comme un signe d'acquiescement.

- "Je ne t'en veux pas", dit-il, sa voix douce mais ferme. "Je suis bien plus vieux que tu ne le penses, Alastor. J'ai appris à vivre avec des douleurs que tu ne peux même pas imaginer."

Le sourire de Lucifer resta là, un sourire déchirant, rempli de mélancolie. Pourtant, dans cette douleur évidente, il y avait aussi quelque chose de profondément humain, une forme de bienveillance qui s'exprimait sans mot dire.

Alastor, figé par cette réponse, se retrouva déstabilisé. Ce qu'il avait cherché à provoquer, à savoir, avait échappé à son contrôle. Lucifer l'avait vu venir, et il avait réagi d'une manière à la fois inattendue et presque... respectueuse. Il n'avait pas été brisé par la question, ni par la douleur qu'elle éveillait, mais il avait partagé avec Alastor un fragment de lui-même qu'il n'était pas censé voir.

Alastor resta là, sans savoir comment réagir. La scène qui venait de se dérouler avait changé la donne, du moins pour lui. Il ne pouvait qu'admirer, à sa manière froide et calculatrice, la manière dont Lucifer parvenait à dissimuler ses blessures et à les porter comme une couronne.

Lucifer, après un dernier regard, tourna les talons et s'éloigna, laissant Alastor dans un état de confusion, ses pensées tourbillonnant à toute vitesse. Il avait cherché à semer la douleur, mais son piège c'était retourné contre lui.

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