Je suis seul
Dans les recoins les plus obscurs de l'Enfer, là où même les âmes damnées n’osent errer, des créatures invisibles se glissaient, insaisissables. Elles n’appartenaient ni aux démons, ni aux ombres ; elles étaient autre chose, des présences anciennes qui avaient précédé les Enfers eux-mêmes. Seuls de rares élus pouvaient en percevoir les murmures étouffés, les mouvements imperceptibles, et Lucifer comptait parmi ces élus. Ces créatures vivaient dans un équilibre délicat, préférant se fondre dans les ténèbres, à l'abri des regards, pour observer et veiller, en silence, sur l’enchevêtrement de secrets qui constituait le royaume infernal.
Un jour, dans l’intimité d’une salle obscure, Lucifer écouta leurs voix, chuchotements éthérés qui semblaient émaner des ombres elles-mêmes.
— Je sais que vous êtes la. Vous m’observez depuis un moment, n’est-ce pas ? reprit-il avec un léger sourire amusé. Que se passe-t-il ?
Une brise légère répondit à son appel, et il sentit des regards perçant sur sa personne.
— Nous avons vu des choses, Lucifer. Des choses qui se cachent dans les ténèbres tout comme nous, mais dont les intentions ne sont pas bienveillante. Vous devez faire attention, nous savons que votre curiosité devient de plus en plus dangereuse à ce sujet
Lucifer hocha la tête, il savait, comme elles, que certaines de ces choses n’étaient pas destinées à être dévoilées, que certains mystères devaient rester tapis dans l’obscurité, au-delà de la compréhension des âmes damnées. Ces entités étaient les gardiennes de connaissances interdites, de souvenirs enfouis sous des couches de poussière et de cendres, des fragments d’un passé que l’Enfer lui-même préférait ignorer.
— Difficile de résister à leur murmures, surtout lorsqu'elles m'annonce des vérités sur ce monde et d'autres
Les créatures invisibles frémirent, leurs formes éthérées semblant se contracter sous l’angoisse. L'une d'elles, s'approchant légèrement, fixa Lucifer d'un regard perçant, presque palpable, bien que son apparence restât dissimulée dans le néant. Sa voix résonna, plus grave et vibrante, comme un écho d’époques révolues.
— Méfiez vous Lucifer. Nous avons vécu avant même la création des Enfers. Nous possédons un savoir capable de briser l'esprit de n'importe lequel d'entre vous.
Nous avons été spectateurs de batailles anciennes, entre des entités si puissantes que même les plus grands démons d’aujourd’hui trembleraient. Ce royaume dans lequel vous régnez... n'est qu'une ombre de ce qui a été, un fragment d’une guerre colossale. Ne vous y aventurez pas
Leurs paroles éveillaient en lui une inquiétude profonde, une curiosité dévorante qu'il peinait à contenir. Il avait entendu parler de légendes et de mythes, mais jamais dans de tels termes. Ces êtres parlaient d'un passé où les Enfers eux-mêmes n'étaient qu'une esquisse, un lieu modelé par d'autres forces. Des forces que même lui, malgré sa puissance, n’osait invoquer.
— Qu’est-ce que vous avez vu ? demanda-t-il, le regard perçant, presque suppliant.
Une autre créature, plus distante, murmura à voix basse : — Des abîmes plus anciens que le monde, des créatures sans nom. Nous les appelons les Anciens. Ils ne dorment pas, Lucifer. Ils attendent. Si vous persistez dans vos recherches, vous risquerez d’attirer leur regard.
Dans l'obscurité oppressante de cet endroit oublié, les petites créatures frémissaient, leurs formes indistinctes se repliant comme si prononcer ces mots les effrayait. Elles savaient, bien mieux que quiconque, que Lucifer pouvait percevoir les ombres qu’elles-mêmes voyaient, ces mystères dissimulés aux yeux des autres. Leur silence pesait, un écho du danger omniprésent qui les liait. Finalement, l’une des créatures, frêle et minuscule, osa s’approcher davantage, ses yeux noirs et profonds trahissant une inquiétude rare et sincère.
— Lucifer... vous ne semblez pas bien. Nous observons votre état depuis un moment. Vous vous épuisez, et cela met en péril bien plus que votre propre existence. Votre équilibre maintient celui de ce monde. Si quelqu'un devinait votre faiblesse…
Lucifer tourna lentement son regard vers la petite créature, une mélancolie voilant ses traits.
— Je sais que vous vous inquiétez pour moi, mais ma place est ici. Mon devoir m’appelle, et des choses restent à accomplir.
La créature inclina légèrement la tête, son regard se teintant d'une anxiété palpable, une émotion rare pour ces entités silencieuses et neutres.
— C'est en vous que repose la stabilité fragile de cet endroit. Votre présence ici n'est pas seulement celle d’un roi, mais celle d’un gardien, d'un rempart contre des forces bien plus grandes et anciennes que nous-mêmes. Il serait préférable que vous retourniez à votre château, là où vous pourriez regagner des forces.
Lucifer ferma un instant les yeux, absorbant leurs mots. Il ressentait cette fatigue sourde, ce poids de responsabilités accumulées, mais il savait qu’il ne pouvait se détourner de ce chemin. Ses obligations allaient au-delà de sa propre survie.
— Je dois voir ma fille, murmura-t-il d'une voix chargée de regret. Cela fait bien trop longtemps que je ne l’ai pas vue, et je refuse de laisser l’Enfer s’interposer davantage entre elle et moi. Même si mon corps se fatigue, même si ma puissance vacille… certaines choses méritent que je m'y attarde.
Les créatures échangèrent des regards nerveux, leurs formes vacillant, comme si elles absorbaient son désespoir silencieux. L'une d'elles, plus proche, murmura, sa voix vibrante d'une inquiétude que même elles ne parvenaient plus à dissimuler.
— Nous comprenons, Lucifer. Mais si vous tombez, si votre équilibre se brise… ce monde pourrait sombrer dans un chaos inimaginable. Ne vous oubliez pas, nous vous en supplions. Vous êtes plus vulnérable que vous ne l’admettez.
Lucifer, d'un geste lent et résigné, tourna son regard vers l'horizon, là où les ombres s’étendaient comme un voile sans fin. Au loin, il voyait la silhouette indistincte de ses propres doutes, une obscurité au-delà de tout contrôle. Ses compagnes silencieuses reculèrent prudemment, leurs regards encore remplis d'inquiétude. Elles savaient que, même si elles demeuraient neutres, le sort de l'Enfer dépendait de cet homme brisé qui refusait d'abandonner sa quête.
Une peluche plus jeune, plus frêle que les autres, s’avança lentement, d’un pas timide. Plus petite et délicate, elle avait une fourrure encore duveteuse, d’une douceur irréelle, et des yeux d’un éclat inhabituel, presque cristallin, qui semblait capturer la lueur des ténèbres elles-mêmes. Elle hésitait, ses petites pattes tremblant légèrement, mais son regard trahissait une résolution intense, comme si elle portait sur elle un fardeau secret, une promesse qu’elle se devait d’accomplir.
Elle s'approcha de Lucifer, laissant l'air nocturne frémir autour d'elle, jusqu’à s’arrêter à quelques pas de lui. Elle leva alors ses yeux brillants, remplis d’une tendresse et d’une inquiétude sincères, étonnantes pour un être si fragile. Sa voix, douce mais hésitante, brisa le silence.
— Lucifer… murmura-t-elle d’un ton presque enfantin mais empreint d’une force inattendue. Si… si quelque chose devait se produire ici, je serai là. Je ne laisserai personne vous blesser. Pas tant que je suis là.
Surpris par ces mots, Lucifer tourna son regard vers elle, un sourire à peine perceptible flottant sur ses lèvres. Il restait figé, troublé par la sincérité et l'innocence de cette petite créature qui, en dépit de sa vulnérabilité, semblait décidée à le protéger. Pendant un instant, cette simple déclaration lui apporta un réconfort qu’il n’aurait jamais cru possible, comme une lueur d’apaisement dans la tempête de ses pensées.
Avant qu’il ne puisse répondre, la petite peluche s'approcha davantage, et dans un geste plein de douceur et de pudeur, elle enroula ses pattes autour de lui dans un câlin timide, mais empreint d'une tendresse infinie. Ce geste le prit de court, le figeant sur place, son cœur s’alourdissant sous la chaleur de cet élan inattendu.
— Nous serons là, promis, souffla-t-elle en se détachant, un sourire malicieux éclairant son visage. Maintenant, reposez-vous, Lucifer. Ne laissez pas ces ombres vous emporter trop loin.
Elle recula alors lentement, ses yeux brillants d’une lueur protectrice. Sa silhouette fragile s'effaçait progressivement dans l’obscurité, tandis qu’un étrange sentiment d’apaisement flottait dans l’air. Lucifer la regarda disparaître, ressentant pour la première fois depuis longtemps la chaleur d’une présence à ses côtés. Malgré l’ombre et les secrets qui pesaient sur lui, il savait désormais qu’il n’était pas aussi seul qu’il le croyait. Ces créatures invisibles, ces témoins des mystères éternels, avaient choisi de veiller sur lui. Et dans ce moment fugace, il réalisa que même dans l'abîme de l'Enfer, une lumière douce pouvait encore briller pour lui.
Alors qu'il se préparait à quitter cet espace d'ombre, Lucifer sentit la présence de Charlie s'approcher derrière lui. Elle observait la pièce, intriguée.
— Papa ? dit-elle en scrutant les lieux. Tu es... seul ? J'étais certaine de t'avoir entendu parler.
Lucifer lui adressa un sourire calme et énigmatique.
— Oui, Charlie, je suis seul, répondit-il avec une douceur détachée.
Il la rejoignit alors et sortit de la salle à ses côtés, laissant derrière lui les ténèbres et les murmures invisibles qui continuaient à veiller, invisibles aux yeux de sa fille.
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