Chapitre 26 √

- Où étais-tu passée ? me demande Neyla en fronçant les sourcils.

Refusant de lui dire la vérité, d'une part parce que je n'ai pas confiance en elle (elle pourrait retourner la situation contre moi), je réponds :

- Je suis partie me rafraîchir.

- Où ça ? réplique-t-elle.

- Arrête de poser des questions.

- Tu étais avec le prince ! Qu'a-t-il dit ?

Je soupire et lève les yeux au ciel. L'expression de mon visage me trahit. Je me tourne vers elle et déclare simplement :

- On a juste parlé, rien d'extraordinaire.

- Bien sûr que c'est extraordinaire ! Parlé de quoi ? Tu as rendez-vous ?

Argh.

Mes joues rosissent légèrement, je le sais à cause de la chaleur que j'éprouve en ce moment. Je croise les bras et hausse les épaules. Elle a déjà deviné. Neyla n'est pas idiote et sait reconnaître les signes.

- Quand ?

- Ce soir.

- Oh, je le savais ! Il en pince pour toi.

- N'importe quoi.

- Bien sûr que si ! À ton avis, il t'a donné un rendez-vous pour faire quoi ? Parler de politique ? Cueillir des fleurs ? Vous allez enfin pouvoir vous embrasser à l'abri des regards !

Elle sautille sur place en claquant des mains, heureuse. C'est plus fort que moi, je souris, gênée.

Cette fille est très dérangeante. Je me demande bien comment j'ai fait pour la laisser entrer dans ma vie si facilement. D'ordinaire, c'est plutôt compliqué d'être mon amie et de me comprendre mais Neyla a vraiment l'air différente des autres filles.

• • •

Neyla m'observe, les mains sous son menton, ses jambes se balançant d'avant en arrière. Elle plisse les yeux, penche la tête puis finit par sourire.

- Tu es parfaite. Mais il te manque un bijou.

Elle me désigne un bracelet en or posé sur ma coiffeuse. J'entrouvre les lèvres et secoue frénétiquement la tête.

- C'est celui que m'a offert Aiden, je ne peux pas.

Il m'était presque sorti de la tête. Presque.
Elle lève les yeux au ciel en ricanant.

- On s'en fout de ça. C'est juste un bijou. Tu crois que je ne porte plus les bijoux que m'ont offerts mes exs ? À cette allure là, je n'aurai plus aucun bijou à porter, dit-elle en riant.

- Ça a une valeur sentimentale, rétorqué-je en mettant un autre bracelet, en argent cette fois-ci.

Elle me regarde, l'air de se dire que je suis vraiment pathétique puis reporte son attention sur sa montre.

- Tu es en retard d'exactement onze minutes. L'heure c'est pas ton fort à ce que je vois.

- Contrairement à toi, marmonné-je en rejetant une mèche de cheveux dans mon dos.

Il faudrait vraiment que je songe à les couper. Ils deviennent trop longs et me tiennent beaucoup trop chaud. Peut-être pourrai-je couper quelques centimètres ? Il doit bien y avoir une paire de ciseaux quelque part.

À dire vrai, j'ai peu de fois coupé mes cheveux dans mes dix-sept années d'existence. Depuis toute petite, j'ai toujours eu les cheveux longs. Solenn également. Sauf qu'elle, elle avait de longues boucles soyeuses et une belle masse capillaire. Moi, j'avais l'épaisseur mais je n'avais pas le reste.

Solenn a toujours été plus belle que moi. Une dentition parfaite à chaque sourire qu'elle ébauche, des beaux yeux bleus et des jambes élancées. Et moi, j'ai hérité de dents un peu décalées, des yeux noisette de mon père et d'un petit mètre soixante.

Ça ne me surprend pas au final que ma mère préfère Solenn. Elle est belle, douce, gentille et drôle. Et puis il y a l'enfant de trop. Le vilain petit canard. Celle qui attire des ennuis tout le temps, qui est catégorisée comme une enfant sauvage par le reste du village. Celle qui ne sert pas à grand chose à part créer des soucis à son entourage.

Je parirai que d'ici la fin de cette sélection, Solenn se mariera avec le prince. Ils seront le couple parfait à la vie parfaite. Et moi, je retournerai avec ma mère pour l'aider à payer la fin du mois. Je reprendrai ma vie, ma petite routine et retournerai à mon boulot de caissière pendant que ma sœur sera dans les bras du beau prince. Ça a toujours été comme ça de toute manière. Solenn a toujours tout eu.

Et dernièrement, elle m'a pris celui qui comptait le plus dans ma vie. Elle m'a pris celui qui me soutenait dans les moments difficiles, celui qui a renversé son pot de crème fraîche sur ma chemise, celui que j'ai aimé, idolâtré. Celui que j'ai chéri de tout mon cœur, celui qui me rendait plus forte à chaque moment dur. Elle me l'a pris.

- Arrête de trop penser, Sarah. Arrête de te torturer l'esprit avec des bêtises et va rejoindre le prince qui t'attend. Arrête de penser et profite, me murmure Neyla en me tirant doucement par la main.

Elle me sourit, d'un sourire qui m'avait manqué. Un sourire authentique et naturel.

Neyla, je ne sais pas ce que je ferai sans toi.

Je lui rends son sourire qui est un peu plus triste que le sien et me reprends. J'ai un rendez-vous avec le prince, il faut que je sois présentable.

Je quitte la main de mon amie et sors de la chambre, le cœur lourd. Elle a raison. Il faut que j'arrête de penser, il faut que je me reprenne et tout ira bien. Tout ira mieux dans le meilleur des mondes.

Je continue ma route dans le couloir peu éclairé et tourne à un virage puis m'arrête brusquement à l'écho de voix.

- Votre Altesse Royale...

Je jette un coup d'œil. Solenn. Quand elle n'est pas dans mes pensées, elle se trouve dans la réalité. Elle me suit partout, nom de Dieu !

Ma sœur commence à parler avec le prince et je n'entends pas très bien leur conversation. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien se dire ? Elle finit par rire avec lui tout en posant sa main sur son avant-bras.

Il ne la repousse pas et au contraire, est assez tactile avec elle à mon goût. Mon ventre se tord lentement et progressivement. Mon cœur, lui, tambourine dans ma poitrine. Ma respiration devient saccadée et je comprends alors ce qu'il m'arrive.

Je suis atteinte d'une jalousie pitoyable. Avec Aiden, j'étais peu souvent jalouse. C'était plutôt lui qui l'était. Dès qu'un garçon posait le regard sur moi, il était hors de lui.

Et maintenant, c'est à mon tour d'éprouver ce sentiment.

- Allons nous promener, déclare le prince.

La seule phrase que j'ai réussi à entendre est la pire. Ils me tournent le dos et se dirigent vers le jardin. Et maintenant ? Il va lui apprendre à faire une révérence ? Quoique, elle sait déjà la faire. Il n'a pas grand chose à lui apprendre, elle sait faire une révérence, sourire et marcher le dos droit.

Tout ce que je ne sais pas faire. Tout ce qu'il a dû m'apprendre à moi, la fille incapable que je suis. Les larmes me montent aux yeux et je finis par me diriger vers ma chambre où Neyla m'attend.

Peut-être va-t-il lui montrer ce qu'il devait me montrer à moi ce soir ? C'est probablement ça.

J'ouvre la porte dans un coup de vent et la claque de la même manière. Je m'assois à côté de Neyla en soupirant.

- C'est déjà fini ?

- Non. Je n'y suis pas allée. Il a emmenée Solenn dans le jardin, je ne pense pas qu'il veuille me voir.

Elle me scrute, ses yeux noirs fixés sur l'expression de mon visage.

- Tu n'y es pas allée parce qu'il y avait Solenn, n'est-ce pas ?

- Je n'y suis pas allée parce que je n'en avais pas envie ! m'énervé-je en retirant ces talons qui me faisaient un mal de chien depuis tout à l'heure.

Je me lève et attrape une paire de ciseaux posés sur ma coiffeuse. Il est grand temps de me faire une bonne coupe. Je m'apprête à couper une mèche quand un cri de Neyla me retient.

- Mais non ! Ne fais pas ça, Sarah.

- Et pourquoi pas ? J'ai besoin de changement dans ma vie. En ce moment, si tu ne l'avais pas remarqué, plus grand chose ne va.

- Attends avant de faire une bêtise que tu vas regretter.

Elle se lève et s'approche de moi, déclarant calmement :

- Je sais que tu es en colère contre Aiden, Solenn, le prince et le monde entier mais ne répercute pas ta colère sur ce que tu aimes. Tu penses que tu te sentiras mieux après, mais tu finiras par regretter, Sarah. Et je sais ce que tu ressens, je...

- Non, tu ne sais pas ! m'écrié-je, la voix noyée de colère et de chagrin. Personne ne sait ce que je ressens ! Va-t-en, Neyla. Tu es comme les autres, au final. Tu ne comprends pas. Personne ne comprend !

Elle recule, le regard brillant puis me tourne le dos. La main sur la poignée de la porte, elle répond :

- Comme tu voudras.

Puis elle ouvre la porte pour la refermer doucement. Je relâche les ciseaux qui tombent sur le sol dans un bruit métallique. Je m'effondre par terre, fondant en larmes, le cœur rempli de désespoir.

J'ai été abandonnée par tout le monde. J'ai face à moi ma plus grande peur.

La solitude.

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