Chapitre 21 √
— On peut faire une pause ? demandé-je, à bout de souffle.
Si j'avais su qu'en venant ici, je passerai mes journée à lire des livres –que j'adore au passage– apprendre à faire des révérence qui ne me serviront plus à rien d'ici quelques heures, courir après une servante et me faire courir après un prince mais aussi apprendre à me battre... Eh bien, je serai venue plus tôt.
Le prince m'observe, les poings serrés, en position. Je m'abaisse pour poser mes mains sur mes genoux, suant comme un bœuf en ayant la respiration d'un phacochère. Je me redresse, levant l'index dans un geste de pitié et disant d'une voix saccadée :
— On peut... s'arrêter... là ?
— Tu es si faible que ça ? s'amuse-t-il.
— Non mais... vous êtes trop grand... Comment voulez-vous que... je vous frappe... si ma tête vous arrive à peine... à l'épaule...
Et en plus, j'ai raison. Il est deux fois plus grand que moi, une armoire de muscles face à une brindille d'herbe. J'ai tenté de nombreuses fois pendant nos petits combats de ne pas loucher sur ses muscles, en vain. Il est terriblement sexy.
— Tu te plains souvent pour un rien, tu le sais n'est-ce pas ?
Je fronce les sourcils, grimace puis me détourne de lui pour attraper la bouteille posée par terre. Avant d'arriver ici, je suis allée chercher quelques affaires de rechanges parce qu'il faut se l'avouer : se battre en robe n'est pas très pratique. Il nous a ensuite emmenés dans une sorte de vieux grenier à la fois cave et salle d'entraînement. La pièce est assez sombre et doit sûrement faire office de salle de boxe pour le prince et les soldats puisque des dizaines de sacs sont suspendus via le plafond. Avant de commencer l'entraînement, le prince a cogné dans un de ces sacs de sable puis est revenu vers moi, tout sourire.
Enfin peu importe. Je pose mes lèvres sur le goulot et il finit par dire :
— C'est ma bouteille ça.
Oups.
Je fais mine de l'ignorer et commence à boire, les yeux moqueurs. Je repose la bouteille et réplique :
— Vous avez soif ? Non, donc laissez boire la pauvre fille que je suis.
— En fait, j'ai soif. Je suis assoiffé même.
Il traverse la pièce pour attraper la bouteille et poser ses lèvres lui aussi sur le goulot, tout en me fixant. Je ne le quitte pas du regard, hypnotisée. Il le fait exprès, il s'amuse de me voir rouge cramoisie en ce moment même. Il est tellement...
Mes yeux descendent jusqu'à sa pomme d'Adam qui tressaille à chaque gorgée avalée. Je réprime un coup de chaud et secoue vivement mes mains pour enlever toute cette moiteur accumulée.
C'est lui qui produit ça sur moi ? C'est impossible.
Il faut que j'arrête d'y penser. Ce soir, je serai enfin dans une limousine en direction de la maison. Je retrouverai mon petit train-train et surtout, Aiden.
— Vous emmenez les autres filles ici ?
— Elles sont toutes obnubilées par leurs cours de danse, répond-il.
— Mais vous passez du temps avec elles, non ?
— Il le faut. Cela m'occupe l'esprit, et je dois avouer qu'en ce moment, mes pensées ne m'appartiennent plus.
Quand il dit ça, ses yeux croisent les miens.
— Bien que mon temps passé avec toi, je le prends sur mon temps de travail. Je devrais en ce moment même être en train de rédiger d'affreux discours ou encore parler avec mes conseillers de futurs plans à adopter.
— Donc je nuis à votre vie professionnelle.
Il ne répond pas mais je sais qu'il ne le pense pas. Je suis la première à détourner le regard. Je n'arrive pas à soutenir ses yeux.
Puis soudainement, je me mets à réfléchir, à me torturer l'esprit. De quoi peut-il bien parler avec les autres sélectionnées ? Du beau temps ? Prend-il le temps de les connaître ? Elisa m'a peut-être aiguillé l'autre jour, il n'en demeure pas moins que mon esprit est embrumé.
Je meurs d'envie d'en savoir plus. Je suis trop curieuse. Je déteste ne pas obtenir de réponses à mes questions.
— Pourquoi vous n'apparaissez jamais aux côtés de vos parents ? l'interrogé-je.
— Ils essaient de me laisser prendre mon envol. Ils sont de moins en moins présents autour de moi afin de me laisser prendre mes propres décisions. Et puis, je pense que la présence de vingt filles dans leur demeure ne doit pas arranger les choses.
— Mais ce sont eux qui ont instauré cette sélection pourtant...
— C'est plutôt mon grand-père. Il a fondé cette sélection pour ma mère qui a choisi mon père comme époux.
Je reste figée face à sa déclaration. Pourquoi n'étais-je pas au courant de tout ça ? Je devrais le savoir pourtant, cela fait partie de l'histoire de mon pays !
— Ma mère n'apprécie pas le fait que vingt femmes me tournent autour. Elle veut que cette sélection se termine au plus vite, elle m'a même dit que si j'étais sûr de mon coup de cœur pour une fille, tout pouvait s'arrêter.
Quand il dit ça, ses yeux brillent en me regardant. Je déglutis.
— Pourquoi elle ne veut pas attendre ?
— Elle veut des héritiers au plus vite pour faire prospérer notre dynastie. Les affaires vont plutôt mal dans le pays en ce moment, les gens sont en proie à une colère sans nom. Longue histoire qu'il vaudrait mieux ne pas étaler.
Il se redresse comme pour mettre fin à cette conversation. Je ne veux pas, j'ai encore plein de questions à lui poser moi ! Les gens seraient donc en colère ? Mais pour quelle raison !
— On reprend ?
— Mais je suis nulle... protesté-je.
— Tu es molle, Sarah, pas nulle. Je déteste entendre quelqu'un se désigner comme nul. Tu es sûrement douée dans certains domaines où je suis une quiche et inversement. Tout est question d'objectivité !
J'éclate de rire mais mon regard devient noir lorsqu'il me donne une tape dans l'épaule.
— Concentre-toi.
— Je suis concentrée.
— À moitié alors.
Il se met en position de combat, son visage caché par ses mains. Je vais me prendre une patate.
— Essaye de me toucher l'épaule avec une de tes mains. Si je te touche en retour, tu as perdu.
Je soupire et me mets moi aussi en garde. J'avance vers lui, ma main s'abattant sur son épaule et la sienne sur la mienne. Je suis déplorable.
— Énergique, Sarah.
— Eh bien c'est plus facile à dire qu'à faire !
— Ta position est incorrect.
Il baisse les poings et s'approche de moi. J'en profite pour lui toucher l'épaule ce qui le fait rire.
— Je vais d'abord corriger ta position et après tu pourras me toucher l'épaule, souffle-t-il, le regard pétillant d'une lueur d'amusement.
Il remonte mes poings plus hauts puis décale légèrement ma jambe droite vers l'arrière.
— Quand tu frappes, vas-y franchement. N'hésite pas. Et avec de l'aplomb !
Il m'attrape le bras qu'il remue frénétiquement. Cet homme m'agace. Pour toute réponse, d'un mouvement qui se veut franc, je lui décoche mon poing dans son épaule, enfin un peu trop haut pour que cela soit l'épaule...
Mon poing s'abat sur son visage et je retiens mon souffle. Il porte sa main à son œil et je n'arrive pas trop à deviner s'il est énervé ou toujours de la même humeur.
— Euh... J'ai mal visé, je crois.
— Tu crois ?
Je m'approche de lui et attrape sa main pour le décaler. Il n'a pas l'air en colère... mais pas très joyeux non plus. Tu m'étonnes. Il vient de se prendre un coup de poing en pleine face, ça m'étonnerait qu'il soit très heureux.
— Vous m'avez dit que je n'étais pas assez énergique, je vous prouve le contraire, dis-je en essayant de me justifier.
Il me fixe, ne sachant pas trop quoi penser de moi je présume.
— C'est ça ton excuse ?
— Non. Je n'ai pas fait exprès, vraiment, bredouillé-je. Je voulais viser votre épaule mais j'ai mal vu et... Je suis désolée.
— Sarah, c'est bon, je n'ai rien, sourit-il.
— Mais votre visage est rouge. Vous voulez des glaçons ? Ou de l'eau ?
— Je veux tout autre chose. Serais-tu prête à me le donner ?
Il se contente de me fixer, les lèvres entrouvertes, son regard pénétrant le mien comme pour sonder mon âme. Je le vois approcher d'un pas et baisser sa tête vers la mienne. Je n'ose pas bouger pas, pétrifiée, le cœur battant à mille à l'heure.
Sa main frôle la mienne puis effleure ma hanche dans un mouvement délicat. Je le vois saisir mon visage et rester là, immobile, nos deux souffles se mélangeant. Je recule brusquement et m'éloigne le plus possible de lui et de cette atmosphère plus que troublante.
Au moment où la situation devient maladroite, la porte s'ouvre brusquement et Wilson apparaît. Il me dévisage moi puis ses yeux se reportent sur le prince.
— Excusez-moi de vous déranger, Votre Altesse Royale, mais votre Sa Majesté aimerait s'entretenir avec vous.
Le prince se tourne alors vers moi, hésitant. Il finit par se tourner vers Wilson pour lui déclarer :
— J'arrive.
Wilson referme la porte derrière lui, me laissant seule avec le prince. Je lui jette un regard. Et s'il avait l'idée de me garder dans cette sélection ? Et s'il ne souhaitait pas m'éliminer ? Qu'allais-je faire ?
Sans un mot, il attrape sa bouteille et ses affaires puis avance vers la porte. Alors qu'il actionne sa main sur la poignée, je lui demande dans un dernier espoir :
— Comptez-vous m'éliminer ?
Il ne se retourne pas et quelques secondes s'écoulent où j'entends mon cœur tambouriner dans ma poitrine. Je ne peux pas. Je ne veux pas entendre sa réponse. Je voudrais disparaître en ce moment même. Il se retourne lentement, ses yeux s'accrochant aux miens comme un naufragé à une bouée. Un sourire se dessine sur ses lèvres et il me répond simplement, comme si c'était une évidence :
— Jamais l'idée de t'éliminer ne m'avait une seule fois effleuré l'esprit, Sarah.
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