𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐
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RAION デモ泳
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Le pinceau caressa la peau fine de mes paupières pour les colorer de marron aux sous-teintes orangées. Je complétai cela avec un trait d'eyeliner et de faux cils. Ce maquillage renforçait mon air constamment fatigué, une des rares choses que j'appréciais chez moi. Mon flegme naturel était la chose la plus séduisante chez moi selon d'anciens amis et quelques amants. Le plus dur était maintenant de choisir le rouge à lèvres que j'allais appliquer sur ma bouche pour achever ce look. J'optai pour un gloss carmin et brillant qui ressortit à la perfection sur ma peau pâle.
Je n'avais pas mis le nez dehors après le coucher du soleil depuis que nous étions arrivés à Shinjuku. Je comptais bien réparer cette erreur. Je brossai une dernière fois ma longue chevelure obsidienne avant de récupérer un petit sac à dos en cuir dans lequel je jetai mon porte-monnaie et mes clopes. Une mince vaporisation de parfum pour achever ma préparer et j'étais prête à quitter ma chambre pour rejoindre l'entrée. Ma mère et Ryûnosuke se trouvaient sur le canapé, blottis l'un contre l'autre devant la télévision.
— Où tu vas ? m'interpela ma génitrice. Et c'est quoi ce look déplorable ?!
— Ça t'intéresse ? lui retournai-je d'un ton acide sans prêter attention à sa dernière pic.
Je n'avais aucune envie de lui dire où je me rendais – d'autant plus que je ne le savais pas moi-même. Et j'étais persuadée qu'elle n'en avait rien à faire. Cette femme cherchait seulement un motif pour que nous nous prenions le bec comme ça arrivait si souvent. La preuve résidait déjà dans le fait qu'elle ait critiqué mon apparence.
— Tu es obligée de te montrer toujours aussi désagréable ? intervint Ryûnosuke à son tour.
Je ne m'abaissai même pas à lui répondre pendant que j'enfilai une paire de bottes montantes avec d'épaisses semelles. Ils prononcèrent d'autres paroles auxquelles je ne prêtai guère attention, claquant la porte derrière moi après l'avoir franchie. Me retrouver dans la rue alors que la nuit supplantait le jour produisait l'effet d'une panacée, trop longtemps attendue, dans mon esprit. Comme s'il s'en trouvait délesté d'un poids écrasant.
Je m'évadai de notre quartier pour me rendre au cœur de Shinjuku. Je ne savais pas vraiment où mes pas allaient m'emmener et je n'en avais pas grand-chose à faire en réalité. Je voulais seulement dénicher un endroit où je pourrais boire jusqu'à plus soif et, peut-être, faire quelques rencontres. Shinjuku était LE lieu de la vie nocturne tokyoïte, il ne devrait donc pas être trop difficile de trouver mon bonheur dans ces rues. Je marquai une halte durant mon périple dans un coin fumeurs pour en griller une.
Ma balade nocturne me guida finalement à Kabukicho.
En vérité, j'avais déjà mis les pieds dans cet endroit, lorsque je n'étais qu'une adolescente, à la suite d'une fugue. Ce lieu était le quartier chaud de Shinjuku. Il avait mauvaise réputation, à cause des yakuzas, et autres gangs, qui y traînaient. Mais également des arnaques en bandes organisées qui visaient surtout les étrangers. Les bars côtoyaient les love hôtels et divers clubs à hôtes et hôtesses qui faisaient raquer leurs clients jusqu'aux plus petit centime pour les plus influençables. Et même plus encore lorsque cela était possible.
Je me sentais à ma place dans un endroit comme celui-ci. Je me fondais dans la masse dans cette surenchère de musiques, de panneaux néons pour attirer l'oeil et de personnes peu recommandables. Il y avait d'autres moutons noirs dans le troupeau de laine blanche.
Je n'avais besoin de rien de plus pour rejoindre les têtes qui s'amassaient de plus en plus au fil des minutes, franchissant le panneau aux écriteaux écarlates sur fond blanc, entouré de lumières rouges, qui indiquait l'entrée des lieux. La nuit nous autorisait à exhumer tout ce que nous cachions au fond de nous tant que le soleil demeurait haut dans le ciel. Mes iris sombres analysaient attentivement chaque porte qui me passait sous le nez pour ne pas risquer de m'aventurer dans un antre pourri. À force de sortir, je savais repérer les plans foireux. Je m'étais faite avoir quelques fois, mais c'était en commettant ce genre d'erreur qu'on apprenait à se méfier. Je snobai des rabatteurs qui tentèrent de m'attirer dans leurs filets.
Mon choix s'arrêta sur un établissement qui avait une devanture propre et aucun guignol en train d'essayer de pêcher le gros poisson. Je passai la porte d'entrée et la musique occulta soudain le moindre bruit provenant du dehors. La température était également plus haute que celle à l'extérieur, résultat des nombreux corps vivants qui se réunissaient à l'intérieur du bar aux lumières tamisées. En parlant de bar, j'allais rejoindre le comptoir pour entamer la beuverie qui me faisait fantasmer depuis des heures.
Que dis-je ! Des jours entiers !
Le barman, un type avoisinant la quarantaine, s'approcha de moi et me scanna d'un air dubitatif. Avant qu'il ne puisse m'interroger sur mon âge, je lui balançais ma carte d'identité.
— Satisfait ? le questionnai-je d'une manière presque condescendante.
Il s'empara de ma pièce d'identité pour la lire, tout en me jetant des œillades suspicieuses, avant de me la rendre et finalement se montrer professionnel.
— Qu'est-ce que je vous sers ?
— Donnez-moi une bouteille de whisky.
— La bouteille ?
— C'est ce que je viens de dire.
Pour le convaincre plus rapidement, je déposais un peu plus de vingt-mille yens sous son nez. Cela fut suffisant pour qu'il daigne enfin coopérer de manière plus amicale. L'argent détenait vraiment des pouvoirs fabuleux. Je me mis alors à analyser les yeux à la recherche de fumeurs pour savoir si cet établissement acceptait encore qu'on fume à l'intérieur. Je repérais quelques salariés avec la clope au bec, ce qui m'apporta ma réponse. Je me fis donc le plaisir de m'en allumer une à mon tour tout en remplissant le verre qui accompagnait la bouteille que j'avais commandée un peu plus tôt.
Il y avait pas mal d'étrangers dans le coin aussi. Shinjuku était réputé pour ça, beaucoup de monde des pays asiatiques voisins pour commencer et ensuite d'un peu partout dans le monde. Touristes, résidents permanents et étudiants se côtoyaient ici de ce que je savais. Et le mélange hétéroclite dans la salle le confirmait. C'était probablement une autre des raisons pour lesquelles j'avais la sensation d'être comme un poisson dans l'eau. Ma clope en bouche, je sentis qu'on me tapotait sur l'épaule. Je lançai un regard vers l'arrière pour tomber nez à nez avec un type d'environ mon âge à la peau mate et un beau rictus aux lèvres.
— Excuse-moi, me dit-il dans un japonais presque parfait, est-ce que je peux te prendre une cigarette ? J'en ai plus.
— Ouais, vas-y.
Je lui présentais mon paquet pour qu'il puisse piocher dedans. Ma bonté lui arracha un sourire encore un peu plus large. Il avait l'air sympa, l'idée de m'en faire un copain de beuverie me traversa alors l'esprit. Mais au moment où j'allais lui proposer de se joindre à moi, une fille s'accrocha à son bras. Petite, les cheveux teints en roux et un look très « girly » qui tranchait avec le mien presque composer que de noir.
— Je suis là, Ethan ! s'exclama-t-elle d'un ton enjoué. J'espère que tu ne m'as pas trop... Oh ! Pardon, je dérange quelque chose ?
— Non, je venais seulement demander une cigarette, la rassura le garçon.
— Je voulais te proposer de picoler avec moi, m'exprimai-je à mon tour, mais tu es visiblement déjà en bonne compagnie.
Je haussai les épaules comme pour dire « tant pis ».
— Oh, mais on peut boire ensemble ! Je m'appelle Sakuya Nanami et lui, c'est Ethan, et son nom bien français, Leroy.
— C'est bon, tu t'es encore moquée de mon nom, t'es contente ?
En le voyait lever les yeux en direction du plafond, il n'était pas difficile de deviner qu'il n'en était pas à sa première raillerie vis-à-vis de ça. Au moins, avec deux spécimens comme ça, j'étais certaine de ne pas m'ennuyer le reste de la soirée.
Deux pour le prix d'un.
— Et toi, continua Ethan, comment tu t'appelles ?
— Kim Raion.
— Tu es coréenne ? s'étonna Sakuya.
— À moitié seulement.
Et « Kim » n'était pas le nom de famille inscrit sur ma carte d'identité. Je portai celui de ma mère, Matsumoto. Chose que, sans surprise, je n'appréciais pas du tout. Alors, quand je rencontrais des gens, je leur donnais le nom de famille de mon père. Mais je n'étais pas venue pour parler de mon arbre généalogique, je fis signe au barman d'apporter deux verres supplémentaires avant de tendre mon briquet à Ethan qu'il puisse enfin griller sa clope.
— À la soirée, dis-je en portant un toast et après avoir rempli les leurs.
— À la soirée ! lâchèrent d'une même voix les inséparables.
Comme je l'avais prévu, je n'eux pas le luxe de m'ennuyer avec ces deux-là pendant les heures suivantes. Ils parlaient énormément, ce qui m'arrangeait. Je pouvais me contenter de les écouter débiter et en dire le moins possible de mon côté. Nous avions élu domicile dans un coin du bar, sur des canapés d'angle confortables. Au milieu de cette mer d'informations, j'avais appris que la fausse rousse était coiffeuse et qu'elle vivait seule dans un petit studio qu'elle payait avec son salaire, mais qu'elle se faisait quelques extras à côté, sans précisé quoi exactement. Quant à Ethan, lui était un étudiant nous venant de France, enfant d'un couple franco-ivoirien. Ils ne sortaient pas ensemble, ils étaient juste devenus de bons amis à force de se côtoyer à maintes reprises.
Les bouteilles s'enchaînèrent à toute vitesse, même si on se rabattit bien vite sur des boissons moins coûteuses que le whisky. J'avais planifié de partager avec une seule personne à l'origine. Alors elle avait été descendue bien plus vite que prévu. Mais du spiritueux restait du spiritueux, qu'il soit de luxe ou bon marché. Je n'étais pas le type d'alcoolique qui faisait la fine bouche. Du moment que je pouvais avoir l'esprit étouffé par les vapeurs d'alcool, tout m'allait.
Aux alentours de minuit, nous décidâmes de changer de coin. Ce fut donc en titubant quelque peu sur nos jambes que nous regagnâmes l'extérieur. L'air frais de la nuit fut salvateur et chassa les brumes dans lesquelles s'était égaré mon esprit. Pour marcher dans la rue, il valait mieux avoir les idées claires, surtout qu'en quelques heures les clients s'étaient mis à pulluler. Si j'appréciais l'ivresse, la pensée de me faire potentiellement agresser à cause d'elle s'avérait bien moins séduisante. En opérant un demi-tour, je me heurtai à une surface solide et chaude, un torse. Je marmonnai des excuses avant de lever les yeux en direction du propriétaire de ce large buste et mon état second se dissipa comme si on m'avait injecté un produit de sobriété.
L'homme que je venais de percuter n'était autre que mon beau-père.
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