Chapitre 5
Le mois de juin arriva à grands pas, apportant avec lui les examens de fin d'année. Et Leta savait peut-être faire des fleurs de lys, mais toujours pas la moindre pâquerette à l'horizon.
- C'est pas vrai ! s'énerva-t-elle lors d'une énième séance d'entraînement avec Norbert. J'y arriverai jamais ! J'essaie, vraiment, mais je n'y arrive pas. J'en ai marre, j'en ai marre, j'en ai marre, j'en ai marre.
Elle était lasse et à bout de nerfs. Voilà maintenant deux heures qu'elle essayait de lancer ce pauvre sortilège, debout dans l'herbe du parc, et le soleil commençait à se coucher. Tous les élèves de son année le jetaient désormais sans problème, mais elle, non. Elle ne comprenait pas, et ne voulait pas chercher à comprendre, parce que ça l'énervait. Un point c'est tout.
Norbert, lui, avait toujours tendance à être optimiste, et à se dire que si Leta travaillait encore, elle pourrait y arriver. Mais là, il devait bien avouer qu'il commençait à douter de ses propres convictions. Depuis le mois d'avril, elle travaillait le sortilège sans relâche, et sans le moindre résultat. En plus, il voyait bien que malgré son apparente persévérance, Leta commençait vraiment à désespérer.
- Écoute, Leta, s'avança Norbert. Peut-être que tu devrais... Enfin...
Il inspira.
- Peut-être que tu devrais laisser tomber, lâcha-t-il. Et te faire à l'idée que tu n'auras peut-être pas tous les points à la pratique de ce sortilège. Tu leur donneras un lys, et puis c'est tout. C'est déjà bien. Le travail de ce sortilège te prend beaucoup d'énergie, les examens arrivent à grands pas et je pense que tu devrais utiliser cette énergie pour autre chose, parce que là, j'ai l'impression que -sans vouloir te vexer- elle part dans le vide.
Il y eut un blanc le temps que Leta médite ces paroles.
- Sans vouloir me vexer, hein ? rit-elle légèrement.
Norbert grimaça.
- Non, non, le rassura Leta en souriant, ne t'en fais pas, c'était pour t'embêter. Tu as raison, je dois être réaliste. Il faut croire que les pâquerettes ne m'aiment pas.
Elle soupira.
- Je vais laisser tomber. C'est pas si grave. Je ferai en sorte que personne ne l'apprenne à la maison.
Norbert lui fit un petit sourire désolé. Il n'avait jamais eu l'indiscrétion de demander à Leta comment ça se passait dans sa famille, mais il se doutait bien qu'être une Lestrange ne devait pas être rose tous les jours, d'autant plus qu'il n'ignorait pas les relations houleuses que la jeune fille entretenait avec son père et sa belle-mère. Il aurait voulu faire quelque chose. Leta était bonne actrice, mais il avait l'impression qu'elle cachait de lourds secrets. Que chaque rire, chaque sourire de sa part, était d'autant plus précieux qu'il était rendu éphémère par une ombre qui la guettait, celle-là même qui dansait en permanence tout au fond de ses yeux, semblant attendre le moindre instant de faiblesse, la moindre faille, le moindre moment de vulnérabilité, pour engloutir la jeune fille toute entière. Leta était rongée de l'intérieur, pour une raison qui échappait à Norbert. Et tout ce qu'il pouvait faire, c'était essayer de la faire sourire un peu plus, un peu plus sincèrement, chaque jour.
Alors une idée lui vint.
- Viens, dit-il en lui prenant la main.
Leta en fut surprise, mais le suivit sans piper mot, en essayant de penser à autre chose qu'à la chaleur de la main du garçon dans la sienne.
Il l'entraîna à travers les dédales des couloirs. Ils descendirent vers les cachots, passèrent devant les cuisines et derrière la tapisserie d'Helga Poufsouffle. Arrivés dans la pièce qui leur servait de refuge, Norbert lui expliqua :
- Ça fait maintenant plus de deux mois que Gunter est là. Il a bien grandi, il a repris du poids, et il a même appris à voler. On ne... Enfin on... Il n'a... Il n'a plus vraiment besoin de nous. En fait, ce que je veux dire c'est que... C'est que je pense qu'il est temps pour nous de...
- De lui dire au revoir, souffla Leta, compréhensive. De le relâcher.
- C'est ça, murmura Norbert, la voix nouée par l'émotion.
Ils tournèrent simultanément leur tête vers le nid, au fond de la pièce. Là où se tenait il y n'y avait pas si longtemps un oisillon, aujourd'hui, c'était un majestueux corbeau au plumage noir et soyeux qui les fixait d'un œil vif. L'oiseau se redressa et s'ébroua dans son nid. Leta tendit un bras, et il vint s'y poser à renfort de grands battements d'ailes.
- Bonjour, toi, sourit-elle.
Norbert s'avança pour caresser délicatement le haut du crâne du corbeau. Puis il s'adressa à Leta :
- Qu'est-ce que tu penses de faire ça depuis la tour d'Astronomie ?
- C'est sûrement le meilleur endroit qu'on puisse imaginer, approuva-t-elle. On aurait pu lui préférer la volière, mais faire un adieu au milieu de fientes d'oiseau me paraît inapproprié, plaisanta-t-elle.
- Je suis plutôt d'accord avec ça, rit Norbert.
C'est donc tranquillement qu'ils se dirigèrent vers la plus haute tour du château de Poudlard. Leur pas était assez lent, comme pour retarder ce moment, pourtant inévitable. Tout au long du trajet, ils se racontaient leurs dernières anecdotes, comme si Gunter pouvait les comprendre, lui aussi. À cette heure-là, tous les élèves attendaient patiemment le dîner dans leur salle commune, et malgré les bavardages des deux amis, leur trajet leur parut étrangement silencieux, comme si le château lui aussi respectait leur moment. Ils gravirent un grand nombre d'escaliers sans croiser personne. Arrivés à la tour d'Astronomie, ils eurent un instant de pause, comme pour accepter l'idée de ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Puis, d'un accord silencieux, ils se dirigèrent vers la rambarde qui les séparait de l'extérieur, Gunter toujours sur le bras de Leta.
- Il est l'heure, Gunter, chuchota cette dernière. Tu es grand maintenant.
- Tu va nous manquer, ajouta Norbert, mais tu dois vivre ta vie. Profite bien de ta liberté, d'accord ?
L'oiseau les regarda longtemps, comme s'il comprenait ce qui allait se passer. Il mordilla affectueusement l'oreille de Leta, avant que cette dernière ne lève son bras vers l'extérieur. Aidé par l'élan, l'oiseau s'envola majestueusement vers le ciel orangé, dans le soleil couchant. Norbert attrapa la main de Leta et la serra. Derrière la rambarde, ils le suivirent des yeux longtemps, longtemps, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un point noir dans le ciel, jusqu'à ce qu'il soit avalé par l'immensité des cieux. Et alors, malgré la tristesse de l'adieu, ils ressentirent la fierté de ce qu'ils avaient accompli. La fierté d'avoir rendu la santé à cet oisillon, la fierté de le voir épanoui et désormais capable d'être autonome, et de vivre. La fierté d'avoir pu lui rendre la liberté.
Les jours suivants, tout s'accéléra, et à la sortie de son dernier examen, celui sur l'arithmancie, Leta se dit que, finalement, ce fut la seule matière qui lui avait posé un réel problème, et elle devait bien s'avouer qu'elle redoutait quelque peu les résultats. L'examen de sortilèges s'était bien passé. Elle avait suivi les conseils de Norbert et avait donné un lys à son professeur, ce qui, finalement, n'était pas un si mauvais résultat. Dans l'ensemble, elle trouvait qu'elle s'en était plutôt bien sortie. Elle passerait en cinquième année sans encombres.
Norbert et elle avaient convenu de se retrouver dans le parc après la dernière épreuve, et c'est tranquillement que Leta sortit du château pour se diriger vers le saule pleureur qu'ils affectionnaient tant. Elle longea les rives du Lac Noir en croisant plusieurs groupes d'élèves qui, comme elle, profitaient du soleil de juin et de la fin des cours. Elle rencontra également Roby Parkinson flanqué de ses deux acolytes, Thomson et Avery. Il l'interpella, mais elle l'ignora purement et simplement. Elle n'avait plus envie de se prendre la tête, l'examen d'arithmancie lui avait amplement suffi. Elle aspirait juste à profiter tranquillement de ses derniers jours à Poudlard avant la fin de l'année scolaire. Elle continuait de marcher, appréciant la sensation de la pelouse qui lui chatouillait les chevilles, de l'odeur vivifiante de l'eau du lac et de la chaleur du soleil sur sa peau. Quand elle atteignit sa destination, elle se fraya un passage à travers les branchages et les feuilles pour aller s'installer bien confortablement sur le rocher creux. Puis elle attendit Norbert, qui ne tarda pas à arriver en écartant le rideau de feuillage.
- Norbert ! s'exclama-t-elle gaiement.
- Bonjour, sourit-il en venant prendre place aux côtés de Leta.
- Alors, comment s'est passé l'arithmancie pour toi ? s'enquit la jeune fille.
- Pas trop mal, je pense pouvoir m'en tirer avec un peu plus que la moyenne. Et toi ? Tu n'as pas eu trop de mal ?
Pour toute réponse, Leta grimaça.
- Ah, fit Norbert. C'était si horrible que ça ?
- Je crois bien, oui, soupira Leta. Le pire, ça a été la dernière démonstration. Non seulement mon opération était sûrement complètement fausse, car je n'avais pas compris grand-chose, mais en plus je suis persuadée d'avoir fait des fautes de calcul ! Cette matière n'est vraiment pas mon fort, termina-t-elle avec les épaules basses.
- S'il n'y a que ça, tu n'as pas à t'en faire, tu passeras aisément ! la rassura gentiment Norbert. Moi, c'est l'histoire de la magie qui m'a posé quelques problèmes, ce matin. Je ne vois pas trop comment est-ce qu'il est possible de se souvenir d'autant de dates.
- Ne t'inquiètes pas, rit Leta, tout le monde se pose la même question ! Sur ce coup-là, on est tous dans le même bateau. L'histoire de la magie, c'est le truc le plus ennuyeux de tous les temps ! affirma-t-elle d'un air dramatique.
Norbert eut un petit rire, avant de déclarer :
- Si tu dis ça, c'est que tu n'as pas entendu les discours de mon frère sur le rôle important des aurors, leurs capacités, leur grandeur d'âme, leurs nobles sacrifices ou que sais-je.
- C'est vrai. Pauvre Norbert, faites un don, plaisanta Leta. Ce n'est pas comme si ton frère devait supporter tes discours sur le mode de vie des botrucs, le taquina-t-elle.
- Si on y regarde d'assez près, c'est très intéressant je te signale.
- Je sais, Norbert, sourit Leta. Intéressant pour toi, ou pour moi. Mais pour ton frère, tu conviendras que c'est aussi intéressant que les cours de M.Binns.
- C'est vrai, admit-il. Mais il faut bien que je me venge de temps en temps.
Leta éclata de rire.
- Par Merlin, Norbert ! Je déteins sur toi !
Une semaine plus tard, dans son dortoir vert et argent, Leta terminait de boucler ses bagages. Elle s'y était prise juste après le petit-déjeuner, le départ étant à onze heures. Elle tassa ses vêtements pour que le tout rentre et ajouta sur le tas son manuel de potions qu'elle avait laissé dans un coin, avant de s'affaler sur son lit. Faire ses valises pour repartir d'un internat où l'on était resté toute l'année n'était pas une mince affaire, et Leta était soulagée d'être quasiment au bout de ses peines. Elle prit un moment de pause pour souffler. Puis elle se releva et s'assit sur le bord de son lit, avant d'ouvrir le tiroir de son chevet. Dans un mouchoir dont elle écarta les bords se trouvait une pâquerette séchée.
Leta l'avait gardée.
Elle l'observa un instant avant de refermer le mouchoir et de le soulever délicatement. D'une main, elle ouvrit son manuel de potions à une page quelconque pour y déposer la fleur bien enveloppée, puis elle referma le livre en s'assurant de ne pas froisser la pâquerette. Enfin, elle ferma sa malle.
La jeune fille descendit dans le Grand Hall, ses bagages en main, et chercha Norbert des yeux. Elle l'aperçut adossé à une statue de chevalier en armure, les yeux en l'air, le regard rêveur, et elle sentit son cœur fondre. Il était vraiment adorable, comme ça.
Elle le rejoignit lentement, ne voulant pas interrompre sa rêverie. Mais quand elle arriva près de lui, Norbert perdit tout de suite son air rêveur pour fixer son regard clair sur elle, et son visage s'éclaira d'un doux sourire.
- Bonjour Leta, la salua-t-il.
- Salut Norbert, lui sourit-elle en retour.
- C'est bon, tes bagages sont prêts ?
- J'ai eu un peu de mal à tout faire tenir dans ma malle, avoua Leta, mais oui, ils sont prêts. Et les tiens ?
- Tout est là-dedans, assura Norbert en désignant une grande malle de cuir marron gravée des initiales N.D.
- Super.
- Tu es prête ? Il est temps de remettre toutes nos créatures dans leur habitat naturel.
- Totalement prête, affirma Leta.
Les deux amis déposèrent leurs bagages dans la Grande Salle, puis marchèrent en direction des cachots. Ils franchirent la tapisserie d'Helga Poufsouffle pour pénétrer dans leur refuge, et observèrent les nombreuses créatures dans la pièce.
- Bon, se lança Leta, par qui on commence ?
Ce fut un long travail, mais ils parvinrent au bout avant onze heures moins le quart. Bob le strangulot était retourné à l'eau, l'arachnide Cal était retournée à ses toiles, et Titus le botruc était de nouveau dans son arbre. Il ne manquait plus que Norbert et Leta, et tout le monde serait chez soi. C'est pourquoi ils allèrent récupérer leurs bagages avant de prendre une diligence pour la gare de Pré-au-Lard. Bien installés sur la banquette du véhicule, ils fixèrent l'imposant château jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus le voir.
Poudlard manquerait à Leta durant ces deux mois de vacances. Puis, en se tournant vers son meilleur ami, elle songea que ce ne serait pas la seule chose qui lui manquerait.
À onze heures moins cinq, ils montaient dans le Poudlard Express pour rentrer chez eux.
Tout au long du trajet, ils bavardèrent gaiement, les sujets de conversation semblant ne jamais s'épuiser. La plupart du temps, ou plutôt avec la plupart des personnes, Leta n'avait tout simplement pas envie de parler. Il n'y avait qu'avec Norbert que la conversation lui venait aussi naturellement.
"-... en plus, j'aurais adoré visiter la France. Ce serait bien qu'il y ait un échange scolaire avec Beauxbâtons, il paraît que c'est une super école.
- Moi je compte bien visiter la France. En fait, je voudrais faire un tour du monde pour découvrir tout ce qu'il y a à découvrir sur les créatures fantastiques. Peut-être même en faire un livre, tu imagines ?"
"-... hors de question, je ne touche plus jamais à des dragées surprises de Bertie Crochue !"
"-... comprends pas pourquoi les premières années vont au château en barque. C'est vrai, qui leur dit qu'ils n'ont pas peur de la noyade à cause du naufrage de leur bateau qui allait en Amérique ?"
"-... L'Amérique, c'est tellement loin..."
"-... Newt, tu as intérêt à m'envoyer des lettres pendant les vacances, sinon je risque de mourir d'ennui."
"- Tu vas me manquer, soupira Norbert.
- Tu vas me manquer aussi, répondit Leta."
Et le train rouge filait vers King's Cross.
- Je pense qu'on ne va pas tarder à arriver, affirma Leta.
- Oui, je pense aussi, acquiesça Norbert, ça doit bientôt faire huit heures qu'on est dans ce train.
Et alors que le moment de leur séparation se rapprochait, la même interrogation que les années précédentes vint turlupiner Leta.
Et si elle lui avouait ? Et si elle trouvait la force de lui dévoiler ce qu'elle ressentait ? Que ça allait au-delà, bien au-delà de l'amitié. Que c'était si énorme que ça lui paraissait trop grand pour elle. Que chaque fois qu'elle le voyait, son cœur ratait un battement, que chaque contact lui donnait l'impression que de la lave en fusion se déversait dans ses veines, que chaque fois qu'il lui souriait, elle en avait des papillons dans le ventre. Que le simple fait de penser à lui faisait brûler un brasier au creux de son estomac. Qu'elle le respectait, qu'elle l'admirait, qu'elle avait confiance en lui comme en personne. Qu'elle était prête à tout, absolument tout, si c'était pour lui.
Mais comment dévoiler des sentiments d'une telle ampleur ? C'était ouvrir son âme, ouvrir son cœur d'une façon que Leta était trop pudique pour faire. Alors, comme chaque année, elle remit l'interrogation dans sa boîte qu'elle ferma à clé, et cacha la boîte dans un coin de sa tête. Peut-être la retrouverait-elle l'année prochaine.
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