☘ 𝐗 ☘
Lundi.
Alors que je pénétrais dans l'antique bâtisse qui servait d'école au village, j'ai été saisie par le mal de tête habituel. Les néons qui éclairaient le couloir et les trois salles de classe ainsi que la pièce prévue pour le sport agressaient toujours mes yeux, que j'étais obligée de baisser continuellement pour me protéger de cette lumière trop vive. Lorsque j'avais un jour expliqué la raison de mon étrange comportement à un élève qui m'interrogeait à ce sujet, il avait ri et répondu que je devais être un genre de vampire, et depuis, lui et ses amis s'obstinaient à me surnommer de la sorte.
De plus, le brouhaha des conversations résonnait dans ma tête et me fatiguait considérablement.
J'allais entrer en classe, lorsque j'ai aperçu un attroupement d'élèves, au fond du couloir, près des escaliers qui menaient à la salle de sport. J'ai replacé une mèche de mon abondante chevelure rousse derrière mon oreille d'un geste nerveux. La foule m'angoissait, l'inconnu et l'inhabituel également. Or, il semblait que l'un comme les autres se soient donnés rendez-vous en ce lieu. La curiosité me tenaillait mais je n'avais aucune envie de m'approcher davantage de cette masse de gens. J'ai donc pénétré d'un pas résolu dans la classe, et me suis assise à ma place.
Les cours, ce matin-là, se sont déroulés normalement, aussi ennuyeux que d'habitude, jusqu'à la sonnerie de la récréation. Avant que nous ne sortions, la professeure nous a informés qu'une nouvelle élève était arrivée dans la classe parallèle, et nous a demandé de lui faire bon accueil. C'est à ce moment-là que j'ai compris la raison de l'attroupement que j'avais aperçu en arrivant.
J'ai songé à cette fille, et me suis remémoré le jour funeste où j'étais arrivée dans cette école. Je me demandais si c'était aussi dur pour les autres que ça l'avait été pour moi, et si cela le serait autant pour elle...
Alors que les élèves se précipitaient au-dehors, je marchais, tentant d'apercevoir cette fameuse nouvelle, mais je n'ai vu que les têtes habituelles des enfants habituels. Des couleurs vives, joyeuses, insouciantes, et pourtant capables d'une cruauté sans limite lorsqu'il s'agissait de tyranniser certains de leurs camarades. Ceux qui n'étaient pas comme eux. Ceux qui étaient différents. J'en savais quelque chose...
J'ai fini par sortir, et j'ai gagné mon coin de prédilection, près d'un petit arbre, un marronnier, d'où on avait une vue d'ensemble sur la cour. Je venais toujours ici. J'aimais observer les autres, regarder à quoi ça ressemblait d'avoir de vrais amis, j'aimais la tranquillité, l'abri et l'ombre de mon arbuste, et par dessus tout, j'aimais mes habitudes. Mais ce jour-là les a bousculées. Parce que je l'ai vue.
Comme moi, elle était seule. Assise à l'autre bout de la cour. Elle ne ressemblait pas aux autres. Elle devait avoir été traitée plusieurs fois de "différente", elle aussi... Mais le plus étrange était la façon dont je la percevais. J'avais généralement une facilité instinctive à voir les couleurs des gens, mais je n'arrivais pas avec certitude à déterminer la sienne. Elle semblait trop complexe, et je me suis dit que toute les belles couleurs du monde pourraient lui convenir. Et surtout, j'ai eu l'impression qu'elle pourrait me libérer.
Elle me regardait, comme pour m'inviter à la rejoindre. Elle avait l'air gentille. Mais j'hésitais encore. Et puis, j'ai décidé qu'elle ne pouvait pas être une mauvaise personne. Alors, j'ai longé le mur de la cour, et je me suis assise face à elle. Je n'étais encore jamais allée si facilement vers quelqu'un. Elle n'a rien dit. Elle a juste fait un grand sourire, qui a éclairé son visage chocolat. J'ai tout de suite aimé son sourire. Pourtant, ce n'est pas la première chose qui m'a plu chez elle. Parce que j'avais d'abord vu ses yeux. Ses yeux, plus lumineux encore. Ces deux billes d'ombre aveuglantes, si profondes qu'on aurait pu s'y noyer. Et noires.
Noires comme l'écharpe de maman.
Comme les bonbons à la réglisse qu'elle me donnait, avant qu'elle ne nous quitte.
Noires comme cette nuit d'hiver, cette nuit où elle est partie. La dernière fois que j'ai vu son sourire, quand elle m'a serrée contre elle, qu'elle m'a dit que tout irait bien, juste avant de s'éteindre, comme avait dit papa. S'éteindre, comme la flamme de la bougie, à son chevet.
Maman s'était consumée.
Noir...
La fille, elle fixait aussi mes yeux. Mes yeux verts. Elle pensait peut-être, elle aussi, en regardant mes billes vertes, comme moi en regardant les siennes, noires. Elle y voyait peut-être les prés, la forêt, et les feuilles d'oxalis qui m'avaient donné mon nom. Ou encore d'autres choses, plus personnelles, comme moi. Plus enfouies.
Nous ne nous sommes pas parlé de toute la récréation. Peut-être par timidité, peut-être par crainte de briser le silence confortable qui nous entourait, ou peut-être, tout simplement, parce qu'il n'y avait rien à dire. C'était inutile.
Pourtant, lorsque vingt minutes plus tard, la cloche a sonné, c'était comme si nous nous connaissions depuis des années. Juste avant de nous séparer pour retourner en classe, elle m'a glissé son nom, à l'oreille : Vanille. Je lui ai répondu de la même manière, en murmurant le mot Oxalis. Elle m'a de nouveau fait son sourire éclatant, et j'ai eu l'impression qu'une nuée de papillons, comme ceux que je voyais dans les champs près de chez moi, prenait son envol dans mon ventre. J'ai toujours aimé les papillons. Ceux-ci m'ont fait sourire comme je n'avais pas souri depuis bien longtemps, et alors que j'adressais un dernier regard à Vanille, j'ai senti mon cœur battre plus vite que d'ordinaire dans ma poitrine...
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