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Vendredi.
J'ai tergiversé toute la journée. En réalité, je ne savais pas comment m'y prendre.
Le soir, j'étais dans mon lit, mes écouteurs vissés dans mes oreilles, la nuit rassurante autour de moi, et je fixais le mur en face de moi. J'y devinais malgré la pénombre un dessin de licorne que j'avais fait, étant petite, et que je n'avais jamais enlevé. Une musique que je ne n'avais pas l'habitude d'écouter a commencé. C'était probablement un problème avec mon lecteur, car j'écoutais toujours les mêmes chansons, dans le même ordre. Je détestais l'imprévu. Pourtant, au moment de rétablir ma liste habituelle, une phrase en anglais m'a frappé, et j'ai regardé le titre de la chanson ; il s'agissait de Friday I'm in love, du groupe "The Cure", une chanson que mon père aimait bien. J'ai soudain été saisie par une sensation étrange. Une sorte de révélation. J'ai délicatement retiré mes écouteurs, une fois la chanson terminée, puis je me suis levée, et j'ai ouvert la fenêtre. L'odeur printanière et la douceur de l'air ont envahi ma chambre, et j'ai entendu les bruits réconfortants de la nature. J'ai caressé de la main la branche du chêne dans lequel je grimpais, étant petite. J'aimais sentir son énergie, alors que je me blottissais contre son écorce, dans son feuillage. Sans bruit, je me suis hissée sur le rebord de la fenêtre, et me suis précautionneusement laissée tomber sur l'arbre. À partir de ce point, les mouvements me sont venus naturellement, comme par réflexe. J'avais tant de fois pris ce chemin... Une fois en bas, mes pas m'ont naturellement conduite vers le bas du village. Vers la mer.
Je suis bientôt arrivée dans la forêt, et j'ai débouché dans une petite crique, où j'allais parfois avec ma mère. Je me suis assise sur un rocher plat, près de l'eau, et j'ai attendu. Quoi ? Je n'en savais rien. Mais j'avais le sentiment que j'étais exactement à l'endroit où je devais être.
J'ai observé le paysage, autour de moi. La petite plage de sable, la forêt, derrière, et l'océan infini et noir devant. Le fin croissant de lune se reflétait sur les eaux calmes, et de minuscules vagues venaient lécher mes pieds. Leur doux et régulier clapotis me berçait. Le ciel était clair, et je pouvais apercevoir les étoiles qui scintillaient au-dessus de moi, des milliers de petites flammes qui semblaient me faire des clins d'œil. L'odeur iodée de la mer se mêlait à celle des fleurs du lilas qui poussait près de la lisière des bois. J'ai commencé à somnoler.
Soudain, j'ai entendu un bruit. Un léger craquement qui provenait du couvert des arbres, sûrement du sentier que j'avais emprunté pour venir ici. Je ne me suis pas retournée, pourtant. Je savais déjà de qui il s'agissait. C'était inconsciemment la raison pour laquelle j'étais venue.
Je n'ai pas fait un geste quand j'ai perçu une présence derrière moi, pas plus que lorsqu'elle s'est assise à mes côtés. Je l'ai sentie sourire, et, n'y tenant plus, j'ai tourné mon regard vers la nouvelle venue. Je l'ai regardée comme je n'avais encore jamais regardé qui que ce soit. J'ai détaillé sa peau brune, ses cheveux sombres rassemblés en une multitudes de petites tresses, et ses iris noirs comme les grains de la vanille dont elle portait le nom, et qui se détachaient sur leur fond blanc. J'ai admiré son sourire qui éclairait la nuit encore plus que la lune, et contemplé chacun de ses traits imparfaits mais pourtant parfaits à mes yeux. Je l'ai dévorée du regard, elle, si familière, et pourtant nouvelle, dans la nuit, sur la plage. Je l'ai sentie faire de même, et une impression de chaleur m'a envahie. Je me suis sentie rougir sous mes taches de rousseur, et j'ai vu son sourire s'agrandir encore. Nous nous sommes observées longtemps, puis avons détourné les yeux, un peu par gêne, et un peu pour garder des choses à admirer plus tard. Alors, nous avons contemplé le même ciel, le même océan, la même crique, d'un regard nouveau, un regard qui était passé sur l'autre, un regard amoureux.
Au bout d'un moment, j'ai senti sa main se poser sur la mienne, sa main chaude et douce, et j'ai senti les picotements-frissons. Mais ce n'était pas désagréable. C'était différent. Spécial. Parfait. Les papillons dans mon ventre ont repris leur envol.
Nous ne nous sommes pas dit un mot. Nous n'en avions pas besoin. Nous n'en avions jamais eu besoin. Nous nous étions toujours comprises différemment, à notre manière. Cette nuit-là, nous nous sommes dit des milliers de choses sans ouvrir la bouche, avec pour seuls spectateurs la lune, les étoiles et le ciel. Nous avons parlé des ponts. Nous nous sommes confié des secrets. Nous nous sommes révélé que nous nous aimions, mais sans mots, sans gestes. Juste en fixant la même chose, nos mains se frôlant, reliées par des picotements-frissons.
Au terme de cette soirée, nous n'étions plus les mêmes. Après ce qui nous a paru une douce éternité, nous sommes rentrées chez nous, chacune de son côté. Mais nos pensées sont restées liées, nos cœurs ont persisté à battre au même rythme. Quelle que soit la distance qui nous séparait, nous étions ensemble. Et cela n'a jamais changé.
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