☘ 𝐀 ☘

  Une semaine plus tard – mardi.
 

  Lorsque je me suis dirigée vers mon marronnier, ce matin-là, Vanille y était déjà. J'ai souri. La voir me mettait de bonne humeur, et me faisait oublier les moqueries que j'entendais à voix basse sur mon passage, dès mon entrée dans la cour. Depuis une semaine que nous étions amies Vanille et moi, les commentaires allaient bon train : "les deux filles bizarres", "les connasses du marronnier", "la négresse et l'attardée",... Toujours plus, toujours plus près, toujours plus forts. Des mots qui blessaient, qui explosaient comme des bombes dans une lueur rouge sang, et qui laissaient une odeur de cendre et un goût de larmes. Je connaissais ça, mais je ne voulais pas que Vanille subisse la même chose. Et surtout pas par ma faute.

  Mais quand je la voyais, là, sous le marronnier, en train de m'attendre, lorsque je fixais ses yeux nuit-noir et son sourire lumière, ses longs cheveux tressés et sa peau couleur de terre fraîchement retournée, alors je n'avais plus peur de rien. Je me prenais à apprécier l'instant présent, cet instant plein de couleurs, parce que dès que je me trouvais seule avec elle, tout, absolument tout se transformait en un lumineux arc-en-ciel.

  Alors que j'arrivais face à elle, son rire m'a accueillie. Un son semblable au carillon, à l'entrée de la maison, ou au bruit cristallin d'une cascade. Un frisson m'a parcourue, et j'ai posé ma main sur l'arbre, dont j'ai senti l'énergie. C'était pour moi la meilleure façon de me calmer. Toucher un arbre, écouter de la musique, ou m'asseoir un moment au bord de la mer, seule. Mais l'école n'était pas proche de la mer, et je n'étais pas seule. Quant à la musique, je ne pouvais raisonnablement pas en écouter maintenant. Je me suis donc assise contre le tronc du marronnier, tandis que le rire-cascade de Vanille m'accompagnait toujours.

  Je lui ai lancé un regard qui signifiait « qu'est-ce qui te fait rire tant que ça? », et, pour toute réponse, elle a approché sa main de ma tête. J'ai entendu mon cœur s'emballer dans ma poitrine. Elle allait me toucher. J'ai eu un mouvement de recul, mais Vanille avait déjà retiré sa main, après m'avoir simplement effleuré les cheveux, et sur son doigt se trouvait maintenant un joli papillon jaune et noir. Voilà donc ce qui provoquait son hilarité ; l'insecte s'était pris dans mes cheveux. Je ressentais toujours une étrange sensation à l'endroit ou le doigt de mon amie avait frôlé mon crâne. Une sorte de léger picotement, pas tout à fait désagréable, juste... inhabituel. J'ai passé ma main dans mes cheveux, et la sensation a disparu.

  J'ai reporté mon attention sur Vanille, qui tenait toujours le papillon sur son doigt, en faisant bien attention à ne pas toucher ses ailes. Elle m'a expliqué timidement que c'était son animal préféré, et a ajouté qu'il lui avait toujours porté chance. J'ai esquissé un sourire, et on s'est fixées un moment, sans qu'aucune de nous ne songe à rompre ce contact agréable et doux. Le papillon s'est envolé du doigt de Vanille, et j'ai senti son léger courant d'air lorsqu'il est passé près de mon oreille. Nous l'avons suivi du regard jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une minuscule tache dans le ciel azur. Ensuite, la cloche a sonné, et l'heure est venue de rentrer en classe. C'était le moment que je détestais le plus. À chaque fois que je devais laisser Vanille, je ressentais comme un pincement au cœur.

  J'ai écouté les cours d'une oreille distraite, perdue dans mes pensées, occupée à me replonger dans les événements qui s'étaient déroulés avant que la cloche ne sonne. La main de Vanille dans mes cheveux. Le regard qu'on avait échangé. L'envol du papillon. Et puis cette question qui persistait : que m'arrivait-il ? Quel était cet étrange sentiment que je n'avais encore jamais ressenti ? Fort heureusement, l'enseignante ne m'a pas interrogée, et l'heure de la récréation est arrivée - après un temps qui m'a paru infini, mais est arrivée quand même.

  J'allais rejoindre notre marronnier, quand je me suis rendu compte que quelque chose clochait : Vanille n'était pas seule. Autour d'elle, un petit groupe d'élèves menaçants semblaient prendre plaisir à l'insulter et lui donner des coups de pied. J'ai entendu des propos racistes, entrecoupés de "sale conne", de "débile", et de "l'attardée a dû déteindre sur toi !". C'était tout ce qu'il me fallait. Je ne savais pas comment m'y prendre mais j'étais déterminée à agir. Je me suis approchée d'eux, et me suis placée devant Vanille, comme pour la protéger. J'ai voulu parler, mais aucun mot n'est sorti. L'un des garçons présents à fait remarquer que "sa petite copine l'attardée était arrivée", et j'ai reculé. J'ai senti le coup avant de voir la main de son acolyte approcher ma joue. L'instant d'après, l'impact me faisait tomber au pied de Vanille. J'ai articulé un faible « non », mais sans effet. Un cri étouffé est mort dans ma gorge, ne laissant sortir qu'une légère plainte. Ce n'était pas tant le coup, mais la violence du contact qui m'avait fait cet effet-là. Je sentais l'angoisse monter, j'avais peur pour Vanille, je n'arrivais plus à respirer... Ma conscience s'est mise à dériver. J'ai fermé les yeux.

  Soudain, j'ai vaguement entendu un bruit de coup, et le son d'un corps qui chutait. Un corps trop massif pour être celui de mon amie. J'ai entre-ouvert les paupières; les poings de Vanille étaient serrés, prêts à frapper. Et à en croire le corps du chef de la bande par terre, elle l'avait déjà fait. Pas trace de faiblesse sur son beau visage. Seulement de la détermination pure. Droite, sûre d'elle, elle défiait quiconque d'approcher. Le garçon qu'elle avait mis à terre s'est relevé, et a fait un signe discret à ses comparses, qui ont quitté les lieux, non sans un dernier regard assassin. Il est parti le dernier, après nous avoir jeté méchamment qu'on ne s'en sortirait pas comme ça.

  J'ai lancé un regard vers Vanille. Elle s'était assise et ne paraissait plus aussi menaçante. Seulement fatiguée. Elle s'est tournée à son tour vers moi, et a esquissé un sourire las, pas vraiment lumineux, mais rassurant, comme pour signifier que c'était bien elle, qu'elle était toujours là. Elle m'a demandé si j'allais bien, et je me suis relevée, après avoir acquiescé, pour lui prouver que oui. Je me suis adossée au muret, et lui ai murmuré que j'étais désolée. Elle m'a répondu que ce n'était pas ma faute, qu'elle avait l'habitude, et j'ai lu dans ses yeux que c'était vrai. À ce moment-là, j'ai eu envie de crier, et de pleurer, pour toutes ces injustices et les personnes qui les subissaient. Mais je me suis contentée de soupirer, et d'effleurer la main de Vanille, un peu pour la réconforter, et un peu parce que j'avais besoin de sentir que je n'étais pas seule.

  Et peut-être aussi un peu parce que les picotements-frissons me manquaient.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top