❝The first rose❞

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— C'est elle. La favorite de Taehyung.

Un murmure constant prit place dans l'immense réfectoire, alors que chaque jeune femme présente se passait le mot. Il s'agissait là du dernier ragot, l'information qu'il fallait avoir pour ne pas être sur la touche. C'était le nouveau sujet de discussion qui allait animer bien des journées et Yerin s'en rendit compte lorsque tous les regards se tournèrent vers l'étudiante qui venait de franchir les portes en compagnie du Juge tant admiré.

Les favorites, au sein de cette école, avaient du pouvoir. Elles étaient les femmes choisies par les Juges eux-mêmes, des femmes qui partageaient leur lit, leurs secrets et bien plus encore. Être favorite était peut-être bien le seul repos que l'on pouvait accorder à une étudiante, avant qu'elle ne tombe dans un avenir incertain. Une période de prospérité, où l'on espérait et désirait l'intérêt de son Juge pour l'éternité.

Taehyung tenait sa main comme on tenait la main d'une demoiselle qu'on invite à danser alors qu'elle était élégamment vêtue d'une robe violette, la couleur du Juge. Tout dans son accoutrement criait qu'elle était la propriété du blond et que quiconque oserait la défier le défierait.

— Anastasia.

Yerin sursauta et se tourna vers Daeun qui s'était penchée vers elle, le regard fixé vers le sujet de toutes les conversations.

— Elle s'appelle Anastasia.

Yerin se tourna une nouvelle fois vers la dénommée Anastasia qui souriait simplement, guidée par son partenaire. Un visage lisse, sans défaut et qui respirait une beauté presque surnaturelle. Elle semblait à l'aise, sous les regards d'une centaine de personnes alors qu'elle remontait la grande allée jusqu'à la table des Juges. Comme si au final, elle était faite pour ça.

Une rose rouge fraîche était accrochée fièrement à sa poitrine.

Yerin pinça les lèvres et sentit la marque dans le creux de son cou brûler de façon déplaisante, comme une manifestation de son trouble. Depuis cette nuit dans la roseraie où tant de choses étranges s'étaient passées, elle n'avait plus parlé à Taehyung. Elle ne l'avait vu que de loin, lors des repas, par exemple, où il venait s'assoir à la table principale en se contentant d'avoir un air pensif sur le visage.

Et aujourd'hui, il la rejoignait en compagnie d'une favorite.

— Hm, je ne vois pas pourquoi elle fait la fière. Elle sera remplacée bien vite.

— Tu as raison. Personne n'attise son intérêt bien longtemps, ici.

Les discussions allaient bon train alors que le nouveau couple s'assit au centre de la table. Cassandre, qui accompagnait Jin, n'eut aucune expression. Elle demeurait toujours fidèle à l'étiquette qu'elle tenait tant à respecter. Cependant, quand Yerin jeta un nouveau coup d'œil, elle vit que ce n'était pas le cas pour les favorites de Jimin et Hoseok qui foudroyaient du regard Anastasia. Leur jalousie était plus qu'évidente mais cela ne sembla pas importuner ni Jimin, ni Hoseok. Ce dernier avait d'ailleurs un sourire ravi et l'espace d'un instant, Yerin crut le voir poser son regard sur elle, provoquant une flopée de frissons à la surface de sa peau.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de si merveilleux à être choisie comme favorite, souffla Daeun, l'air renfrogné. Je n'aimerais pas rester aux côtés de ces types en permanence.

— Daeun, s'ils apprennent que tu as dit ça... 

— Alors quoi ? Ils vont me kidnapper ? C'est déjà fait.

Les deux amies ne purent s'empêcher d'échanger un sourire complice. Effectivement, rien de pire, à part la mort, ne pouvait les frapper en ces lieux. Surtout quand elles savaient pourquoi elles étaient là et le destin qui les attendait.

— Yerin, ne devrais-tu pas t'inquiéter un peu ?

La concernée se retourna. A la table derrière elle se tenait une jeune femme qu'elle avait vu brièvement dans les couloirs, ou même à certains cours. Assise de façon nonchalante à sa chaise, elle avait à la poitrine une fleur orange fanée. Cassandre leur avait expliqué que les étudiantes tombées en disgrâce ne voyait pas leur fleur renouvelée, d'une quelconque manière que ce soit.

— Je peux savoir où tu veux en venir ? demanda Yerin, les sourcils froncés.

— Là où je veux en venir c'est que je vois que maître Taehyung a le temps pour aller se trouver une favorite pendant qu'à toi, il ne t'a même pas donné ta première rose.

Le groupe ricana et malgré le fait que Yerin ne voulait pas prendre part à ces jeux de roses et de pouvoir, elle ne put s'empêcher de laisser s'insinuer les paroles de la jeune femme dans son esprit. Il était vrai qu'elle avait presque l'impression d'être abandonnée à son sort, dans tous les sens du terme. Vu qu'elle ne répondait rien, l'autre reprit de plus belle.

— Peut-être que tu devrais songer à faire tes valises et tenter la grande échappée de ta vie. Je pense que c'est le seul moyen pour toi d'avoir une existence décente.

— Attends un peu... Tu serais pas Helly ? fit soudainement Daeun.

L'étudiante écarquilla les yeux et n'eut même pas le temps de répondre que la blonde se tournait vers elle avec un sourcil haussé, croisant élégamment ses jambes.

— Mais oui, je me souviens. Le petit joujou que Taehyung n'a pas rappelé depuis... Hm ça fait quoi maintenant... ? Trois semaines ? 

— Comment tu-

— Tu ne devrais pas t'entêter à porter cette rose qui n'a plus aucune valeur.

— Mesdemoiselles.

La salle tomba dans le silence le plus total alors que Cassandre s'était levée de sa chaise, le regard sévère. Les Juges, quant à eux, continuait leur repas comme s'ils n'étaient pas concernés.

— Déjeunez dans le calme. Je ne me répèterai pas deux fois.

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Yerin n'était pas sereine. Ce que lui avait dit Helly raisonnait dans sa tête, encore et encore. Ça l'obsédait alors que la peur s'emparait une nouvelle fois d'elle. La brune ne voulait pas mourir et elle n'était pas prête à sacrifier sa vie pour avoir un peu de reconnaissance auprès de personnes qu'elle n'estimait pas. Au final, peut-être que l'autre avait raison. Peut-être devait-elle essayer de partir d'ici, sans un regard en arrière et en misant tout sur cette décision.

Elle ne devait pas se voiler la face. Bien que ce constat lui donnait envie de vomir, elle avait espéré que l'intérêt que lui portait Taehyung serait son bouclier dans cet endroit. Mais maintenant qu'elle l'avait vu en compagnie d'Anastasia, hypnotisé par sa beauté et sûrement bien d'autres talents, elle ne pouvait plus compter que sur elle-même. 

Le ciel était clair, cette nuit là. L'herbe était fraîche sous ses pieds nus, mais ça ne la faisait pas frissonner. Yerin, le nez en l'air, observait les étoiles, la perle de Byeol dans sa main serrée. Elle voulait vivre pour cette petite partie bien trop tôt. Elle voulait vivre décemment : pas dans la peur et l'attente d'une mort certaine. Elle voulait vivre libre et heureuse et cet endroit était bien l'opposé de tout ce à quoi elle aspirait. 

— Abandonne. Tu ne pourras pas t'échapper.

Yerin sursauta, son cœur s'emballant à l'instant même où la voix s'était adressée à elle. Elle pouvait sentir la présence dans son dos se rapprocher d'elle. Alors qu'une main s'apprêtait à attraper son épaule, la brune se retourna et se saisit du poignet de Jungkook qui écarquilla les yeux, la bouche entrouverte.

— Abandonner ? Est-ce que ce ne serait pas rester ici, qui serait synonyme d'abandon ? Abandonner ma vie, mon avenir, pour ce dans quoi vous projetez de me jeter ?

— C'est donc comme ça que tu vois les choses. Je suppose que c'est juste.

Jungkook ricana puis dégagea son poignet d'un geste ferme qui fit vaciller Yerin. Ce simple geste lui avait permis de comprendre que le Juge possédait une force qu'il ne fallait sans doute pas défier.

Insouciant, il s'étira puis regarda lui aussi le ciel avec un sourire apaisé.

— Cependant il faut que tu saches que mes frères et moi ne sommes pas du genre à être semés par une humaine en quête de liberté. Rien ne peut nous échapper et j'ai bien peur qu'une fois sortie d'ici, tu ne puisses profiter de ta nouvelle vie que quelques jours.

Il baissa son regard perçant sur elle puis s'approcha, en un pas, avant d'écarter sans retenue le col de la robe de Yerin, dévoilant la marque qui s'agitait sur sa peau. Un air sombre se glissa sur les traits de Jungkook à sa vue.

— Surtout quand tu as ça. 

— ... Qu'est-ce que c'est ?

Le Juge papillonna des paupières et se tourna vers Yerin qui le regardait avec le peu d'espoir qui lui restait. Peut-être que c'était une erreur de croire que Jungkook était le plus clément des Juges, celui qui accepterait de l'écouter, mais elle avait besoin de savoir que quelqu'un de puissant ici était de son côté. La brune était au bord des larmes et par réflexe, elle accrocha la manche de Jungkook.

— C'est quoi cette marque ? Pourquoi il m'a fait ça ? Pourquoi il m'a fait ça alors que je n'ai même pas reçu cette rose dont tout le monde parle ?!

— Je ne peux rien te dire. Je n'en ai pas le droit.

— Pas le droit ?! C'est Taehyung qui en a décidé ainsi, hein ?!

Elle finit par le lâcher, s'éloigna de quelques pas puis lui tourna le dos, craquant en un rire nerveux alors qu'elle essuyait les larmes au coin de ses yeux.

— On me met cette marque sur la peau, tout le monde refuse de me dire quoique ce soit, le principal concerné ne me dit rien non plus et je dois tout accepter avec le sourire alors que je n'ai même pas la chance d'être normale ici ?!

Yerin se tourna vers Jungkook qui arborait un air surpris, l'écoutant en silence. Son regard se posa sur ses yeux brillants de larmes, ses joues humides et ses lèvres qui s'agitaient avec l'énergie du désespoir.

— Vous n'avez pas le droit de me traiter comme un jouet ou un animal de compagnie ! Même si j'ai bien compris que nous sommes différents, vous et moi, je veux être une personne ! Qu'on me regarde telle que je suis !

Telle qu'elle était à cet instant précis, Jungkook la trouvait magnifique. Sur la toile de fond étoilée, sa silhouette dans le vent était majestueuse alors qu'elle se laissait gagner par une tristesse profonde et pure.

— Je ne veux pas de tout ça et je ne veux pas croire qu'en ce monde il existe des êtres aussi vils ! Quand je pense à la détresse de toutes ces femmes, aux familles et aux avenirs brisés qui auraient pu se montrer merveilleux, j'étouffe et je veux que tout ça s'arrête !

— ... Peut-être aurais-je dû te sevrer ce jour là. 

—Quoi... ?

Yerin eut un hoquet de surprise alors qu'elle n'arrivait plus à contenir ses pleurs. Jungkook lui souriait simplement, ses boucles brunes flottant sur les courbes du vent qui venait caresser leurs joues. Quand elle voyait ainsi, elle avait presque l'impression qu'elle et lui étaient les mêmes. Et pourtant, Yerin était sûre que si elle le lâchait du regard, elle allait prendre conscience, encore une fois, du ravin qui les séparait.

— Ta pureté et ton altruisme te perdront. Ici, tu vas devenir folle.

— Je l'ai déjà dit. Je refuse de devenir quelqu'un d'autre. Ce lieu et les horreurs qui s'y profilent ne me changeront pas.

Jungkook déglutit. Il sentit quelque chose remuer en lui, une excitation imprégner ses veines. Il la désirait, là, tout de suite. Elle était comme une étoile dans un ciel nocturne, brillante et inatteignable, dont la fin était inévitable mais pourtant si belle. Il voulait partager un sentiment, une extase avec elle. Il voulait goûter à cette pureté qui lui brûlait les yeux.

Il fit un pas, puis deux, puis trois. Trois pauvres pas qui avaient suffi à les rapprocher. Maintenant il pouvait entendre sa respiration saccadée, son cœur qui battait vite. La fragilité de Yerin l'obsédait.

Il fallait que ce soit à lui.

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Cela faisait plusieurs jours. Plusieurs jours que Yerin s'était isolée, passant ses journées à pleurer dans des draps bordeaux. On lui avait laissé le temps. On avait été patient avec elle. La brune se doutait bien que cela n'allait pas être sans conséquences mais elle s'en fichait.

Elle avait un allié.

C'était l'heure du déjeuner et il était temps pour elle de revenir. De montrer qu'elle n'avait plus peur. Qu'elle n'allait pas perdre ce défi qui finalement, régissait toutes ses relations avec les Juges. 

—C'est l'heure.

— C'est l'heure, répéta-t-elle en soufflant.

Les portes du réfectoire s'ouvrirent et devant Yerin se dévoila la grande allée, les tables qui l'entouraient et enfin, la grande table des Juges en haut de quelques marches. Au départ, personne ne fit attention puis quelqu'un leva les yeux. Un hoquet de surprise. Puis une deuxième personne. Puis trois.

L'agitation gagna la salle, attirant l'attention des Juges et de leurs favorites.

Un verre se brisa, une chaise tomba.

—Qu'est-ce que... ? grogna Jin.

Jungkook esquissa un sourire puis se tourna vers Yerin, dont il tenait la main. Elle le regarda en retour, résolue et l'air fier. Son regard n'était plus le même que cette nuit là et le Juge fut gagné par un sentiment de fierté quand il réalisa qu'il était le seul à connaître cette Yerin là.

Ce soir là, Yerin avait décidé d'arrêter de pleurer. Et Jungkook allait être son meilleur allié.

Vêtue d'une longue robe rouge, la couleur du plus jeune frère, elle se tourna ensuite vers la table des Juges. Tous étaient interloqués et Yerin savait que ce n'était pas parce qu'elle était entrée aux côtés de Jungkook comme le ferait une favorite. Quand elle vit les yeux ronds de Taehyung et la façon dont il s'était figé, elle esquissa un sourire.

Car à la poitrine de Yerin se tenait une rose rouge sang.