Chapitre 1
❝Fucked up.❞
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La peur. C'était une émotion des plus étranges quand on y pensait. Tapie dans l'ombre de notre âme, elle persistait à nous observer de ses yeux tranchants, à l'affût de la moindre occasion pour nous enserrer la gorge et ne plus jamais nous lâcher. Cette peur prenait un malin plaisir à nous regarder suffoquer alors que notre corps paralysé se déconnectait de notre cerveau paniqué. La peur était, en soi, le prédateur de l'humain et de bien d'autres choses encore.
La peur, elle était là, aux côtés de Yerin, assise comme une vieille amie qui attendait patiemment le retour de temps plus orageux pour entrer en scène. Comme la copine attirant l'attention, la peur était toujours prête à saisir son heure de gloire, peu importe l'endroit, le temps. Recroquevillée sur elle-même, la tête posée sur ses genoux égratignés, la jeune asiatique regardait droit devant elle mais finalement sans vraiment observer quoique ce soit. La camionnette se secouait de temps à autre à cause d'un chemin irrégulier, faisant cliqueter les chaînes entravant ses poignets et ses chevilles.
Parfois, quelques couinements de peur et de surprise lui parvenaient aux oreilles mais ils étaient si proches et à la fois si lointain que la brune les confondaient souvent avec les complaintes des amortisseurs du véhicule. Son coeur battait lentement, comme s'il avait déjà abandonné toute volonté de se battre.
La peur attrapa l'épaule de Yerin et déposa sa tête contre celle-ci, la câlinant avec une affection toute particulière alors que la jeune femme inspira plus profondément encore en faisant abstraction de l'odeur d'urine qui régnait ici. Peut-être cette odeur était-elle aussi accompagnée de celle de quelques cadavres.
Quand elle y repensait, il était fascinant de voir à quel point notre vie pouvait changer d'une seconde à l'autre. Depuis combien de temps était-elle dans cette camionnette ? La notion de cette chose si abstraite, le temps, lui avait échappé bien rapidement à partir de l'instant où elle avait été entassée parmi toutes ces femmes aux apparences peu glorieuses. Dans un rayon de lumière alors que ses ravisseurs la poussaient à l'intérieur, Yerin avait entraperçu des visages effrayés aux lèvres parfois fendues. Et elles, depuis combien de temps étaient-elles là, à se faire embarquer comme du bétail ?
Son coeur se compressa dans sa poitrine et son visage s'enfouit dans ses cuisses tremblantes et bien serrées alors qu'elle se retenait de simplement crier. Car c'était bel et bien ce qu'elle avait envie de faire là, tout de suite. Hurler à la mort en frappant les parois de cet endroit trop étroit, jusqu'à ce que la vieille tôle se plie pour les laisser sortir. Mais à chaque fois que cette idée passait dans son esprit embrumé par la peur, l'image des révolvers aux ceintures des deux hommes qui les emmenaient parvenait à la convaincre de rester là à ne rien faire.
— Excuse-moi... ?
Yerin ne réagit pas sur l'instant. C'était peut-être encore une hallucination et elle ne voulait pas passer pour une folle. Cependant, une main se posa délicatement sur son épaule et la secoua brièvement pour la sortir de sa torpeur. Surprise, la brune papillonna des yeux et se redressa doucement pour poser son regard sur une silhouette qui se découpait dans la pénombre à ses côtés. A force de passer autant de temps ici, cachée du soleil, Yerin avait fini par habituer ses yeux aux ténèbres et elle pouvait maintenant distinguer les traits d'une petite fille. Elle n'avait même pas remarqué que la personne qui se trouvait à côté d'elle ne devait même pas avoir plus de treize ans.
— Tu... veux de l'eau ?
Doucement, elle lui montra la bouteille en piteux état qu'elle tenait dans la main. Le plastique était torturé et l'étiquette à moitié arrachée mais il restait encore un fond d'eau qui faisait clairement de l'oeil à la jeune Yerin qui déglutit doucement. Cependant, ses yeux se reposèrent sur la petite dont les lèvres étaient gercées à un point que de la peau s'en détachait. Elle lui faisait clairement de la peine.
Avec délicatesse, elle repoussa la bouteille vers la petite.
— Bois, toi.
La plus jeune écarquilla un peu ses grands yeux de biche et finit par les poser sur le reste d'eau qu'elle détenait entre ses mains. Ici, c'était un précieux butin que beaucoup enviaient mais la plupart des prisonnières ici étaient si apathiques qu'elles ne se rendaient sûrement pas compte que leur salut se trouvait à quelques mètres de là, dans les mains d'une gamine déshydratée, tout comme le reste d'entre elles.
— Vas-y, souffla Yerin pour effacer ses doutes.
La petite hocha finalement la tête avant d'avaler les dernière gorgées de la bouteille. Quand ses lèvres se détachèrent du goulot, un petit soupir satisfait lui échappa et elle cacha la bouteille de plastique dans son dos, histoire que personne ne puisse s'apercevoir que ce liquide si précieux circulait dans les rangs. Par la suite, elle leva le regard vers Yerin qui l'observait toujours. Habillée d'une robe lilas aux bordures de perles qui semblait coûter bien cher, la petite était bien mal en point, comme elles toutes : le visage crasseux, les mains égratignées, les genoux en sang. Même son vêtement de marque n'arrivait pas à faire bonne figure.
— Comment tu t'appelles ? lui demanda alors la jeune femme.
— ... Byeol.
— Je suis Yerin.
Doucement, la dénommée esquissa un sourire qui ne tarda pas à lui être rendu. Dans un tel contexte, il était étrange pour Yerin d'y trouver un instant aussi léger que celui-ci. Mais plus elle regardait le visage de la petite Byeol, plus la peur dans son dos grandissait. Non pas pour sa personne mais bel et bien pour la plus jeune, qui ne devait sûrement pas comprendre la moitié de ce qui était en train de lui arriver. Dans son esprit passaient les images de ses parents qui devaient être inquiets, provoquant un scandale au poste de police le plus proche. Comment la petite était-elle arrivée ici ?
— J'ai peur Yerin.
— Je sais. Moi aussi j'ai peur.
— Est-ce qu'on va mourir ?
La brune tiqua, la peur lui hurlait que oui, c'était ce qui les attendait au bout du chemin. Mais il était tout simplement hors de question d'amplifier cette sensation ténébreuse dans le coeur de Byeol qui l'observait les yeux grands ouverts, comme si elle allait croire religieusement à chaque mot qui sortirait de sa bouche. Alors Yerin sourit une nouvelle fois, passant sa main contre la joue poussiéreuse de son interlocutrice.
— On ne va pas mourir.
Byeol sembla se détendre d'un coup, comme s'il s'agissait des seuls mots qu'elle désirait entendre actuellement. Avec un air détendu, elle posa sa tête tout contre l'épaule de Yerin, comme la peur quelques instants plus tôt, puis elle ferma ses yeux sombres pour se reposer un peu. Dès que la petite ne put plus la voir, le sourire de l'aînée se fana comme une fleur. Elle-même n'arrivait pas à croire à ce qu'elle disait mais peut-être que la gamine pourrait y croire pour elle. Elle balaya alors du regard le reste des femmes qui se trouvaient ici et découvrit avec quelques surprises qu'elles représentaient toutes tranches d'âge. Byeol était sûrement la plus jeune mais Yerin constata rapidement que beaucoup étaient presque tout aussi jeunes.
La brune déglutit puis pencha la tête en arrière, celle-ci s'appuyant contre la paroi du camion alors que son coeur battait un peu plus vite cette fois. La jeune femme n'avait jamais voulu découvrir cette facette du monde qui n'arrivait qu'aux autres. Elle n'avait jamais pensé qu'un jour, elle se retrouverait là, enchaînée comme un animal à attendre l'arrivée à l'abattoir. Son monde, en l'espace de quelques secondes, avait basculé dans la partie sombre de l'existence.
Et c'est avec ces pensées que Yerin s'assoupit.
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— Debout là-dedans ! Sortez, et que ça saute !
Yerin sursauta brutalement à l'entente de ce cri autoritaire, semblant sortir tout droit de l'Enfer. Le coeur battant la chamade et les yeux grands ouverts à présent, des cris de peur lui parvinrent aux oreilles et inondèrent sa tête sans qu'elle ne le désire. La camionnette se secouait, les corps bougeaient, d'autres non. Les femmes ayant tenu le voyage descendaient du véhicule dont l'arrière était ouvert, laissant entrer le faible éclat du croissant de Lune et des lanternes tenues par les deux hommes.
— Vous allez-vous bouger oui ?! Vous êtes attendues !
Attendues ? Attendues où exactement ? Yerin fronça les sourcils et son regard s'attarda sur les deux hommes. Alors qu'ils l'avaient emmené, elle n'avait pas pris le temps de les détailler mais maintenant qu'elle le pouvait, elle se fit la réflexion que leurs airs de tueurs était loin de la rassurer quant à leur destination. L'un, les cheveux coupés très court et les traits secs, ne parlait pas alors que le temps avait fait des ravages sur son faciès fatigué. Cependant, la sévérité de ses yeux ne trompait personne : il était sûrement toujours assez vif pour tuer l'une d'entre elles d'une balle entre les deux yeux. Quant à l'autre, plus bourru, il était chauve et beuglait dès que quelqu'un sortait du rang. Il était violent, sans aucune délicatesse et n'hésitait pas à pousser les femmes par terre pour qu'elles se dépêchent d'avancer.
Jusqu'ici, Yerin n'avait pas bougé, trop dans la Lune pour pouvoir ordonner à son corps de le faire. Ce fut l'homme criard qui remarqua son inaction, avec très peu d'appréciation. Grognant, il entra dans la camionnette et attrapa son bras avec une telle force que la brune lâcha un couinement de douleur bien audible.
— Tu m'as pas entendu ?!
Comme si elle ne pesait rien, il la tira vers l'extérieur sans se soucier des complaintes de la jeune femme.
Soudain, un bruit sourd.
Le coeur de Yerin rata un battement et ses yeux se tournèrent automatiquement vers là où elle se trouvait. C'est ainsi qu'elle découvrit, avec horreur, le corps inanimé de Byeol dont la tête venait de cogner le sol, les yeux grands ouverts et vides, la peau pâle comme un fantôme venu tout droit de l'haut-delà.
Les yeux ronds et bientôt embués de larmes, Yerin ne put plus s'en empêcher et un cri s'échappa d'entre ses lèvres.
— Non, non, non...
Elle était si jeune. Elle lui avait dit qu'elles n'allaient pas mourir. Elle lui avait dit ! Avec une force sauvage, la brune s'opposa à l'homme qui la tenait, tirant dans l'autre sens pour rejoindre le cadavre de la petite fille vêtue de lilas.
— Byeol ! cria-t-elle, les joues trempées de larmes.
La petite ne répondit jamais.
— Mais tu vas la fermer oui ?! grogna son ravisseur en tirant plus fort.
— Byeol ! Byeol !
Farouche, Yerin se secouait dans tous les sens pour rejoindre la petite fille qui dans ses yeux vides, semblait appeler à l'aide pour qu'on vienne la réconforter une ultime fois. La fatigue, la peur, la tension avaient rendu la brune à fleur de peau et maintenant, la simple vision de sa dernière lumière maintenant éteinte dans cette face ténébreuse du monde la rendait presque folle. Elle pensait peut-être que les enfants, les innocents, étaient immunisés face au drame de cette Terre.
Aujourd'hui elle avait la preuve que c'était loin d'être le cas.
Brutalement, l'homme attrapa ses deux bras par derrière et la souleva. Elle battit des pieds, désespérée et finalement elle fut sortie de la camionnette avant qu'un canon de métal glacial se pose contre son front, ce qui eut pour effet de la calmer d'un seul coup par un électrochoc de peur. L'autre homme qui était silencieux jusqu'ici la menaçait de son arme sans qu'aucune émotion ne passe dans ses yeux. Sa main ne tremblait pas alors qu'au bout de celle-ci se trouvait la mort.
— Tu la fermes et tu fais ce qu'on te dit sans plus d'histoires si tu ne veux pas rejoindre cette gamine.
Le souffle court et la bouche entrouverte, Yerin fixait l'homme avec de grands yeux étonnés, comme si elle réalisait qu'elle était à deux doigts de se faire tuer, le crâne prêt à être explosé par le plomb d'une balle. La bouche sèche, elle serra les poings pour empêcher ses mains de trembler et violemment, le plus épais lui assena une claque dans le dos pour l'obliger à rejoindre les autres femmes. La brune manqua de tomber et dans un dernier regard, elle observa le corps de Byeol qui était accompagnée de quelques autres. Les deux ravisseurs fermèrent les portes de la camionnette avec froideur.
— Vous attendez ici, quelqu'un va venir vous chercher.
Et sans plus d'explications, les deux hommes contournèrent la camionnette et remontèrent dans celle-ci avant de partir. Alors que les femmes autours d'elle s'agitaient en murmurant entre elles, Yerin fixait le véhicule s'éloigner, les larmes roulant sur ses joues. Byeol ne méritait pas ça. Doucement, elle baissa le regard vers son poing fermé et le rouvrit.
Une perle de sa robe se tenait là, pure et brave dans l'obscurité. La nacre irisée brillait vaillamment dans la nuit.
Alors que des pas approchaient, Yerin referma son poing et fourra le petit objet dans sa poche.
Apparue alors d'entre les ombres une femme magnifique. Vêtue d'une robe blanche et fluide découvrant ses épaules et s'arrêtant au-dessus du genou, ses cheveux roux ondulant en de fines boucles étaient posés sur son épaule alors que la lumière dorée de la lanterne les enflammait presque, comme si sa tignasse était un véritable incendie de splendeur. Ses traits asiatiques étaient fins, délicats et sa peau sans défaut alors que ses yeux de chat aussi noirs que la nuit observaient chaque nouvelle venue d'un oeil attentif. Ses lèvres rosées s'étirèrent alors en un sourire poli.
A sa poitrine se tenait une rose blanche.
— Je vous souhaite la bienvenue mesdames. Les Juges vous attendent, suivez-moi.
Et sans un mot de plus, elle se retourna et s'aventura sur un chemin sombre de gravillons qui s'enfonçait dans la forêt. Avec hésitation, plusieurs femmes se mirent à la suivre. De toute façon, que pouvaient-elles faire d'autre ? Yerin pinça les lèvres et ne réagit pas tout de suite, les regardant s'éloigner. Elle sortit un nouvelle fois la perle et l'observa, de la tristesse dans le regard et finalement, ses yeux se levèrent vers le ciel étoilé.
Peut-être que finalement, Byeol était mieux là où elle était.
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