V - Amore

— Combien, pour une autre nuit avec toi, ma belle ?

Amore se tira du lit et replaça ses cheveux, portant une attention particulière à la mèche châtain qui lui tombait négligemment devant les yeux. L'homme nu la lui replaça derrière l'oreille, tirant de sa bourse au sol le nombre de scudi nécessaires pour la payer. 

– La même somme, fit-elle distraitement en se repoudrant devant son miroir de poche. Mes tarifs sont fixes, Andrei, peu importe combien de fois tu reviendras me voir. 

Derrière son dos, elle sentit qu'on l'étreignait, et cela lui plut. Andrei était, de loin, le plus doux de ses clients, et, si elle avait pu choisir, elle se serait enfuie avec lui pour commencer une nouvelle vie. Mais Amore était coincée dans cette maison close à Malte, et ce, depuis l'âge de seize ans, pour rembourser des dettes que sa famille n'avait pas pu couvrir avant de mourir tragiquement. La tâche lui revenait, désormais ; elle n'avait pas le choix. Non, Amore Ladestra n'avait jamais rien fait d'autre que ce que l'on attendait d'elle.  

Elle agrippa sa nuisette, et Andrei l'aida à nouer le cordon derrière son dos.

— Tu t'es amaigrie depuis la dernière fois, Amore. Tu sais que si tu as besoin de quelque chose, tu peux toquer à ma porte. J'habite à deux pas du théâtre. Si c'est toi, j’ouvrirai. 

Il se rhabilla, tandis que la jeune femme restait pensive, assise sur le bord du lit. Lui vint lui claquer un baiser sur le front, et quitta la pièce. Elle ne tarderait pas à quitter cette pièce exiguë pour une autre qui l'était encore plus, présent du notaire pour qu'elle puisse disposer d'un espace à elle malgré les dettes sous lesquelles elle croulait.

Elle pouvait y faire quelques pas, tout au plus, mais cela lui suffisait. Elle survivait, après tout.

Elle se leva comme un automate, jeta un dernier coup d'œil à la petite chambre, et partit en route pour rejoindre la sienne. 

Il faisait froid, dans la rue, et la lune était déjà bien haute. Elle claquait des dents, n'ayant sur elle au mois de décembre qu'un vêtement léger pour la nuit. Le moindre mouvement derrière elle l'effrayait, et elle dût s'armer de courage pour continuer à avancer. Plus que quelques pas. Elle craignait que son maquillage ne soit trop visible, et révèle sa présence à quelque personne douteuse. 

Une voix lui fit comprendre que c'en était fait d'elle, et elle ne prit pas même la peine de se retourner.

— En voilà une, fit un homme à l'haleine empuantie par l'alcool. 

Une main courut le long de son dos. 

— On sent tous tes os. 

Les doigts s'aventurèrent un rien plus bas, et, avec la force du désespoir, elle hurla :

— Andrei ! 

Réussissant à se défaire de la poigne de l'inconnu, elle courut. Droit vers le théâtre, sans se retourner. Elle aperçut une silhouette longiligne, s'apprêtant à ouvrir la porte d'une maison. Elle le reconnut aussitôt : 

— Andrei ! 

L'homme la rejoignit, et ils ne s'arrêtèrent pas avant d'avoir atteint l'intérieur du théâtre. 

Ils se trouvaient dans une loge, visiblement : le plafond était bas, la lumière, faiblarde. Amore s'apaisa, enfin hors de danger. Andrei remit sa manche en place, et lui prit doucement le poignet.

— Cherchons le propriétaire des lieux. Il t'autorisera à rester. C'est le Droit d'asile. Il ne saurait refuser l'ordre de Dieu. 

Timidement, elle le suivit. Ensemble, ils traversèrent un dédale de couloirs, pour déboucher sur un salon blanc. Ils empruntèrent chacune des voies, jusqu'à toquer à une porte quasiment invisible.

Andrei s'agenouilla pour lui embrasser la main.

— Je suis désolé, ma jolie. Je t'aurais accueillie à la maison s'il n'y avait pas ma femme. 

— La détestes-tu, pour passer autant de temps avec moi ?

Il lui sourit, sous les reflets du lustre. 

— Je ne l'aime pas, non. 

Alors, Andrei l'étreignit une dernière fois, et, lorsqu'Amore abaissa la poignée, l'homme avait déjà quitté le théâtre et sa vie. 

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