Où l'erreur fatidique est commise

Elijah restait coi, le couteau en main, les yeux rivés sur un reflet coquelicot le long de la lame. Il s'y voyait, avec son masque, son regard bleu perçant, ses cheveux bruns, et le dégoût dans sa grimace. Il avait envie de vomir. Ce qu'il fit, au cours d'une quinte de toux. Conor et Conan séparèrent leurs mains et montèrent sur scène à la place des quelques spectateurs et de la fillette qui avait scellé leur sort.
- Sommes-nous vraiment obligés ?, trembla Conan. L'un de nous deux mourra. Peut-être toi, peut-être moi.
Victoria pleurait, au milieu des bras croisés d'Amore et de Falcon, mais ses pleurs étaient couverts par les encouragements des spectateurs.
- Si nous refusons, le propriétaire nous tuera. C'est grâce à l'idée d'un ancien comédien qu'il vit encore. Si nous ne servons plus à rien, alors c'en sera fini de nous deux. Tandis que, si nous le faisons, alors au moins l'un de nous aura la vie sauve.

Le couteau vola à nouveau et se planta dans le bois laqué de la scène.
- Comment peux-tu dire de telles choses ? Conor, je ne te reconnais pas...

Sous les yeux ébahis du public, Conor trancha leur costume blanc, découpant les boutons qui le maintenaient en place.
- Qu'est-ce que tu fais ? Au nom de Dieu, arrête ! Je t'en supplie !
La lame effleura d'abord la chair commune avant de s'y planter d'un coup.
- Lâche ça ! S'il te plaît !

Le sang commença à dévaler, goutte par goutte, l'amas de peau à leur bassin, sous les cris de douleur de Conan et les grognements de Conor.
Le public regardait se dérouler l'opération à vif, sans ciller. Elijah écarta le rideau depuis la loge, parti comme il était venu, et le referma aussi vite, le dos courbé en deux pour vomir à nouveau.

Conor semblait avoir perdu la tête, concentré sur sa tâche, la bouche close. Les larmes de son jumeau diluaient le sang et tombaient sur la scène dans une symphonie régulière.
Falcon et le reste de la troupe s'étaient retirés. Personne ne voulait voir cela. Personne, sauf le public, toujours plus enthousiasmé.
De sa chaise, la fillette bondit :
- Vous y êtes presque ! Bientôt, vous serez comme nous !

- Pourquoi ?, hurla Conan. Pourquoi ?
Plus que quelques coups de couteau et ils seraient séparés à jamais, par la chair et par la mort de l'un des siamois.
- Je suis désolé.
- Tu ne sais même pas qui mourra, Conor !
- Si, je le sais.
- Comment ? Tu mens !

La lame glissa une dernière fois entre eux et tomba sur le sol. Leurs bassins respectifs consistaient désormais en de la chair à vif et des morceaux d'organes violacés visibles.
Conan mit quelques instants à se stabiliser, debout sur la scène, son vêtement pressé contre sa plaie pour arrêter le saignement.
Conor blanchit immédiatement, et tomba à quelques centimètres du couteau sous les sifflements du public.
Le scène ressemblait à un champ de coquelicots. Le sang glissait de son rebord jusqu'aux spectateurs les plus proches, qui le recueillaient avec fébrilité.
Conan, en larmes, s'agenouilla juste au-dessus de Conor, le visage recouvert du résultat de leur opération. Il essayait de s'en remettre, respirant profondément. Brusquement, l'autre se saisit du couteau devant lui, et l'enfonça profondément dans le trou béant qu'il avait créé.
- C'est toi qui vas vivre, Conan, souffla-t-il avant que son visage ne bascule, face contre la scène sous les hurlements de son jumeau.

Ce fut le moment que choisit Elijah pour revenir dans la salle, col taché, les yeux bandés par une chemise, appelant le survivant d'une voix cassée. Conan, faisant fi de la douleur, se rua dans ses bras, et il ne vint pas même à Elijah l'idée de se laver les mains directement. Il enserra son ami, mouillant son pourpoint bleuté, ses gants et son bandeau de fortune. Tous deux disparurent dans la loge, à tâtons, tandis que, dans la salle, le noir et le silence se faisaient peu à peu.

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