II - Midday

Après un sommeil dit réparateur, Orion se sentit d'humeur joyeuse, cela redonna vie à la maison. Il prit son petit déjeuner, et, pour la première fois depuis longtemps, proposa à Anouk de sortir se balader dans leur magnifique ville. Orion n'avait d'ailleurs jamais vraiment pris le temps d'observer la beauté de leur citadelle, et s'embarqua avec elle dans une balade au bord de la "River Windrush". Ce moment de ressource mit dans la tête du couple un bonheur puissant, cette balade les avait rapprochés, ils s'étaient retrouvés comme ils s'étaient connus autrefois. Après cette longue promenade qui aurait pu ne jamais se finir, ils décidèrent de rentrer chez eux, se poser.

Orion repensa directement à son tableau de la veille qui l'avait tant préoccupé durant la nuit ; il rentra dans l'atelier et vit de nombreuses, pour ne pas dire centaines d'imperfections sur la toile, les couleurs mal choisies et mal placées, le paysage pas peint de la même manière que lui rappelait ses souvenirs. Honteux de cette œuvre peinte sous le coup puissant de la fatigue, il prit sa chaise, ses pinceaux et se remit au travail, il fallait qu'il répare les erreurs faites.

Les pinceaux glissèrent sur la toile, et, malgré le fait qu'elle soit rugueuse, on avait l'impression d'être en face d'un mur de marbre, plus doux que le coton au regard ; les étincelles dans les yeux de l'artiste étaient sans pareille, le bonheur se lisait sur sur visage.

Après de longues minutes de concentration, d'émerveillement et de coup de pinceaux, Orion poussa un cri de joie qui alerta la curiosité de sa femme, Anouk rentrant timidement dans la salle aux merveilles de son mari, vit un tableaux d'une beauté incroyable, et elle reconnut en un coup d'oeil le style du peintre dont elle était amoureuse depuis longtemps.

L'émotion était prenante dans la pièce entière.

"- L'erreur n'est pas Wither, psalmodia Orion avec un mouvement de tête entendu. Je l'avais bien dit."

Il se saisit de sa toile et la déposa sur un des nombreux chevalets trônant dans la pièce. L'atelier possédait un ornement nouveau, aux teintes automnales, qui redonnait à l'ensemble poussiéreux sa pimpante jeunesse. Cela n'était pas sans rappeler les années de gloire du peintre, quand il enchaînait deux œuvres à bout de bras, passant de l'une à l'autre, peignant parfois chaque toile d'une main.

Il avait retrouvé de sa superbe, se sentait presque invincible. Adieu, le Mal invisible qui l'avait atteint par deux fois ; celui-ci appartenait sans nul doute au passé.

Une confiance débordante le prit d'un coup, tellement débordante qu'il décida de peindre une série de portraits représentant sa femme. C'était une idée un peu folle ; mais depuis quelque temps déjà, il souhaitait découvrir cette représentation qui lui était inconnue. Cette série-là serait, décida-t-il, la plus longue, ambitieuse de sa carrière ; la dernière, également, du moins c'était ce qu'il souhaitait.

Alors, il éleva la voix, et celle-ci n'avait pas d'intonation particulière qui aurait pu indiquer une quelconque émotion, si bien qu'Anouk arriva prise de panique dans l'atelier et lui demanda ce qu'il se passait. Orion la regarda avec un grand sourire et lui exposa son idée, une série de tableaux la représentant.

Orion serait portraitiste et Anouk, modèle.

Lui qui ne s'était jamais essayé à la folie du portrait se sentait revigoré et plein d'énergie. Il n'était jamais trop tard pour se lancer corps et âme dans une nouvelle passion, toujours en lien avec sa peinture bien-aimée. Il était affamé de réalisme, de couleurs, de traits de construction en premier lieu, et se sentait capable de représenter tout ce qui pouvait se présenter à lui.

Déjà, il se projetait avec sa collection, plus fier que jamais, les yeux brillants. Et cette image lui plut tant qu'il attrapa un crayon de bois et esquissa des lignes grises très légères sur une toute nouvelle toile.

D'un geste, il commanda à Anouk de s'asseoir sur un tabouret, et corrigea plusieurs fois sa position et son sourire jusqu'à obtenir des angles et un rendu de lumière qui le satisfaisaient. Ce fut bientôt chose faite ; et la main d'Orion Wither tremblait d'impatience.

Croquis, esquisse, brouillon finis, seule la couleur manquait sur la toile. Anouk, peu habituée à rester immobile, écouta les conseils de son mari ; et lui, confiant de son talent, laissa glisser son inspiration vers ses pinceaux. Comme à leur habitude, ceux-ci dansaient sur la toile ; les couleurs vives, presque agressives, des habits sur la peau pâle mettaient en valeur le visage magnifique de la dame.Il y passa quelques jours, ne comptant plus les heures qui défilaient ; ils alternaient les légères collations et tentaient, après celles-ci, de reprendre la position exacte qui avait été adoptée et immobilisée sur le tableau, comme une trace d'éternité.Au bout de quelques jours de dur labeur, le portrait fut achevé. Il serait, avait-on décidé, le premier d'une série de quatre tableaux qu'il peindrait pendant un tiers de l'année à venir ; il irait donc au rythme d'un tableau par mois. Pour lui qui se tuait au travail et avait toujours fonctionné ainsi, cela ne semblait point trop ; et la satisfaction à laquelle il aspirait valait bien ces légers tiraillements au poignet en fin de journée. Anouk recula pour mieux admirer le travail de son mari, qui l'avait merveilleusement bien représentée ; on n'aurait su dire qui, de l'œuvre ou de son admiratrice béate, était la vraie femme de chair et d'os.Orion avait croqué et magnifié chaque petit détail, d'un jeu de lumière peu évident à une boucle blonde qui tombait nonchalamment du chignon. L'œuvre ressemblait furieusement à une goutte de sang, magnifique et cruelle, dont les traits ciselés du visage très blanc auraient été l'éclat de lumière. La soie rouge de la longue robe, dans tous ses plis, accentuait la pâleur du cou du modèle ; et cette dernière souriait tendrement, l'air gêné malgré elle, posant ses mains aux longs doigts délicats sur ses genoux masqués par les jupons. "- C'est superbe, souffla-t-elle, ébahie. - Il me fallait bien te rendre honneur", répondit-il avec une fierté évidente, qui coulait par flots de chacun de ses mots.

Mais Anouk ne prêta pas attention aux paroles du peintre, et coula vers la peinture encore fraîche une main très gracieuse, main qui fut attrapée doucement.

"- C'est encore frais. La peinture à l'huile sèche lentement.

- Je sais, coupa-t-elle avec fermeté. C'est encore plus long si des aplats sont laissés."

Et, alors qu'Orion se demandait comment elle pouvait bien connaître cela, elle l'attira vers lui sans lui laisser le temps de lui asséner quelque réplique trop sèche à son goût ; elle l'embrassa dans l'atelier, devant le tableau qui les observait, témoin silencieux de la scène.

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