I - Morning

Orion rentré chez lui, ayant passé l'entrée de son humble demeure, se rendit dans son atelier et, surpris, y vit sa femme l'attendant, d'une part ravie, et de l'autre inquiète. Orion, semblant fatigué, s'avachit sur sa chaise, devant sa toile et ses pinceaux. Anouk et lui commencèrent donc à discuter.

" - Tu m'as l'air bien fatigué, mon pauvre. Qu'est-ce qui t'arrive ? demanda Anouk. - Tout cela m'est sûrement dû à un coup de fatigue, rien ne sert de s'inquiéter pour si peu, lui répondit-il .

- Ta journée n'a pas été bien dure, pourtant. "

En réponse, Orion grommela quelques paroles inintelligibles, et sa femme comprit qu'il était vain de chercher à en savoir plus. Il se taisait, comme à son habitude, quant à ce qui pouvait bien rythmer ses journées ; alors, elle faisait de même, gardant pour elle ses secrets et ses nombreux tracas. Ainsi, ils étaient quittes, l'un comme l'autre faisant preuve de trop de discrétion ; ou sans doute était-ce là affaire de fierté.

Le couple reposait donc sur des non-dits, et un commandement implicite ; si une mésaventure conséquente touchait l'un d'entre eux, celui-ci se devait d'en faire part à l'autre, et au diable toute question d'honneur !

Bien que Orion ne sorte pas beaucoup, le peu de fois où il était dehors, il n'y restait pas longtemps mais c'était toujours tard le soir.

Il avait, en cette soirée pluvieuse, ramené une toile vierge alourdie par la pluie. Celle-ci fut placée non loin d'une bougie pour y sécher lentement ; bientôt, elle rejoindrait toutes les autres, déjà placées sur des chevalets et achevées depuis des lustres. Dans l'atelier aux tons bruns chauds, trônaient des dizaines de peintures, toutes réalisées à Londres ; la vie fastueuse d'artiste qu'avait menée Orion Wither avait fait ses preuves, et, dorénavant, il vivait au milieu de ses créations dans une maison quelque peu isolée.

Une de ses plus illustres œuvres, "Big Ben au matin", représentait la grande horloge élevée en haut d'une tour une quarantaine d'années auparavant. Cette toile était un petit bijou de jeu de lumière et de perspective jusque dans ses détails, si bien qu'elle avait rapporté au peintre une fort coquette somme lorsque des curieux l'avaient observé se mettre à l'ouvrage. Il ne l'avait pas vendue, oh non ; mais, parfois, des passants aimaient le voir peindre, et il leur accordait bien ce droit.

Tout cela appartenait au passé, au temps de sa prime jeunesse ; à présent âgé d'une cinquantaine d'années, il ne recherchait plus cette vie de bohème mais une existence paisible avec sa femme.

La toile enfin sèche, son esprit naviguant entre les brumes du passé et les éclairs fugaces de clarté de sa ville d'enfance, il prit ses pinceaux, et commença un nouveau tableau, ses coups de pinceau erratiques se dispersaient sur la toile blanche, le bleu, le rouge et le jaune se mélangèrent pour donner vie à de nouvelles couleurs tout aussi jolies, ses instruments dansant sur leur scène s'arrêtèrent, laissant la place au regard de déguster l'oeuvre accomplie, mais avant le verdict de l'artiste, Anouk rentra dans l'atelier, franchissant la porte, les yeux de plus en plus grands devant ce nouveau tableau .

"- Cela va faire quinze minutes que le repas est servi en haut et que je t'appelle, je me suis inquiétée, tu ne répondais pas, dit Anouk d'un ton préoccupé.

- J'ai juste eu un moment d'égarement pendant que je peignais, je te l'ai dit pas plus tard que tout a l'heure, il ne faut pas s'inquiéter, j'arrive dans deux minutes souper avec toi", répondit Orion.

Orion surprit le regard inhabituel d'Anouk face à cet art et se questionna, ce tableau était pourtant bien réussi selon lui, ne l'était t-il surement pas assez comparé à ses meilleurs ? se dit-t-il.

Après quelques instants, il recula, et découvrit une ébauche assez distordue. Il avait eu, pendant qu'il peignait, l'impression d'un tracé net et précis, mais dût se rendre à l'évidence. Quelque chose clochait. Peut-être sa main avait-elle tremblé. L'œuvre finale ne ressemblait pas à ce qu'il avait voulu représenter : son village. Alors, contrit, il laissa choir son pinceau et vint se masser l'arête du nez, geste qu'il exécutait souvent lorsqu'il se trouvait en proie à la lassitude ou au manque d'inspiration. Orion Wither devait être honnête avec lui-même : il était fatigué.

Mais, avant de partir se coucher, Orion partit rejoindre Anouk pour le souper. Elle avait préparé un repas simple pour une fois, elle était sûrement elle aussi fatiguée, seuls un steak grillé, des pommes de terre et trois légumes étaient disposés dans l'assiette. Quant à lui, le dessert paraissait avoir été légèrement plus compliqué ; Anouk avait préparé un pudding au caramel avec un petit thé, et Orion, en plongeant dans ses plus profonds souvenirs, ne se rappelait pas avoir goûté un pudding au caramel, cela devait certainement être la première fois qu'il en mangeait un.

Épuisés, ils ne tarèrent pas à aller se coucher. Anouk se dirigea directement vers la chambre, tandis que Orion en route vers son lit, s'arrêta devant la porte de l'atelier, toujours aussi soucieux au sujet de ce tableau.

Mais la fatigue, plus puissante que sa volonté ce soir-là, l'emmena au plus vite dans sa chambre.

Cependant, il ne trouva pas immédiatement le sommeil, tracassé par ce qu'il considérait être une erreur, un échec cuisant dont la simple pensée le faisait rougir de honte. Lui n'avait jamais été contraint de recommencer un tableau, pas même à ses débuts ; et si, par hasard, cela avait pu lui arriver, il jurait ne pas s'en souvenir. Le repas lui avait laissé un goût amer dans la bouche ; visiblement, il n'était pas le seul à avoir échoué à produire quelque chose de satisfaisant. Cette pensée le détendit ; l'erreur était humaine, et il avait toujours persisté à croire qu'elle n'était pas Wither ; arrogance ou inconscience, nul ne le savait. Peu à peu, Orion dériva dans un sommeil sans songes.

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