~ Chapitre 3 ~
Eté 2017, Chapitre 3
Ce fut donc cet été-là qu'une histoire commença.
Dès le lendemain du premier jour où je parlai à Titouan, on se rejoignit tous les jours à ce chêne, sans se donner rendez-vous, mais on savait que l'autre serait là, même si on attendait parfois une heure ; l'autre viendrait.
Les premiers jours, ce fut toujours moi la première au lieu de rendez-vous.
Et le soir, je m'endormais en pensant à lui.
Nous n'avions pas beaucoup de conversation, on parlait un peu, je lui racontais mon école dans le nord de la France, des histoires sans importance.
C'était surtout moi qui parlais, mais souvent, je m'arrêtais de parler, manquant d'inspiration, et nous écoutions le silence sans gêne.
Évidemment, je n'avais que onze ans. Je ne savais rien à ce qu'était l'amour.
J'avais déjà lu quelques romances bien sûr, moi qui aimais lire, mais jamais je ne m'attendais à cet amour que j'allais ressentir pour lui.
Vers notre sixième rendez-vous, ou je l'attendis peu devant notre arbre, il arriva, boitant vers moi.
Je me souviens de ce sourire qu'il m'a fait, ses fines lèvres courbant vers le haut, laissant apparaître un millimètre de ses dents. Il avait pourtant le regard absent.
Je lui demandais si tout allait bien, et il me répondit : « Ça va, ne t'inquiète pas. Je suis juste tombé. »
Encore ces mots, ces mots qui m'avaient pourtant l'air de sonner vrai.
Je ne m'en souciai pas plus. Seulement notre amour m'importait.
Je me souciais seulement que mes cheveux ne soient pas trop décoiffés, et que mon sourire ne fasse pas trop ridicule...
Je recommençai à parler de mes ragots habituels, inintéressants, et puis revint un trou de silence. Et je lui demandai pour la première fois :
« - Et toi alors ?
- Moi ?
- Oui, toi, tu aimes quoi ? Tu fais quoi ? »
Je me rendis compte que je ne savais rien de lui. Peut-être seulement où il habitait à-peu-près.
« - J'aime bien... j'aime bien passer du temps ici.
- Et c'est tout ? Tu aimes bien le collège ? Tes amis ? Ta famille ?
- Oui j'aimes bien mes amis...et travailler »
Ce fut tout ce que je sus de lui ce jour-là. Mais je ne lui en voulais pas. Il était « timide ».
Je me remis à parler de moi. Peut-être aurais-je dû le forcer à parler plus...
Il ne me restait que quatre jours chez ma grand-mère. J'avais déjà oublié Clara, la voisine, que je laissais chez elle. Et quand elle me demandait de venir me baigner ou prendre le goûter avec elle, je demandais à ma grand-mère de dire que j'étais malade.
Elle n'était pas forcément d'accord, mais elle ne me dit jamais non.
Elle était ma plus grande amie et confidente, et pourtant, jamais je ne lui ai dit que je sortais tous les jours pour aller voir Titouan. Mais je pense qu'elle savait, elle savait tout, sans que je ne lui dise rien.
Bien qu'on ne se voyais qu'une fois par an avec ma grand-mère, j'étais son seul petit-enfant, et elle m'aimait. Je l'aimais moi aussi. Je ne pouvais me lasser de ses câlins réconfortants, elle me comprenait. Quand j'avais un problème, c'était à elle que j'écrivais ces lettres, celles qui parlent de tristesse et de grande joie, celles qui disent tu me manques en lettre italique ou encore celle qui disent simplement je t'aime.
Ma grand-mère était simple, mais c'était la meilleure des grand-mère. Elle ne parlait pas énormément, sauf quand elle me racontait ses anecdotes du passé, ou quand elle me réconfortait. Sinon c'était moi qui parlais, parlais, parlais. Encore aujourd'hui, je suis une vraie pipelette, quoi que cela s'est atténué.
Un de ces derniers jours des vacances chez ma grand-mère, j'allais vers notre chêne, et on a bien dû parler de mon départ. Ce sujet qu'on avait évité ces deux semaines nous faisait maintenant barrage, on ne pouvait pas éviter le sujet et je dus en parler.
« - Je vais partir. Jeudi matin. Ma grand-mère va m'accompagner à la Gard. »
Titouan regarda ses chaussures. Je continuai.
« -Tu sais, je ne viens qu'une fois par an. Quand on se reverra, j'aurais 12 ans.
- Quand tu seras là-bas...Tu m'oublieras ? »
Ces paroles me firent bizarre. Je ne voyais même pas comment Titouan l'avait posé.
Ne voyait-il pas que je tenais à lui ? Est-ce que je ne montrais pas assez d'affection pour lui ?
Je ne sus pas quoi répondre. Je me sentis coupable. Coupable qu'il puisse se sentir mal à cause de moi.
« - Jamais de la vie. Je ne t'oublierais jamais.
- Promis ?
- Promis »
Cette promesse était si clichée. Je me crus dans un film à ce moment-là. J'avais l'impression de récité un texte par cœur, sans sens.
Pourtant cette promesse ne fut jamais brisé.
On se regarda quelques secondes dans les yeux, pour la première fois.
Le mercredi soir, avant de partir, je tenais à lui dire au revoir une dernière fois. On s'était donné rendez-vous à 23 h. C'est ainsi que je sortis de la véranda, en short et t-shirt, et je me faufilai dehors, le chant des grillons camouflant mes bruits de pas.
La lune était presque entière et éclairait mon chemin. Je me souviens que j'avais peur, seule la nuit, en traversant le petit bois pour arriver près de la rivière, et de la plaine d'herbe.
Le bruit de l'eau était cette fois inquiétant, et j'avais l'impression que l'eau coulait dix fois plus fort que d'habitude.
Mais quand je le vis éclairer par la lune adossé à l'arbre, j'en oublia mes craintes.
On s'enlaça naturellement, et je cachai mes sanglots derrière son épaule.
Après des simples mots d'au revoir, un dernier câlin, je lui tournai le dos une dernière fois cet été et repartit.
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