C H A P I T R E 6
La bouche pâteuse, j'éprouve des difficultés à reprendre conscience. Mes sens sont alourdis au point qu'en écartant les paupières, je ne distingue rien d'autre que des masses floues et inquiétantes. Cette sensation d'être prise au piège m'est familière notamment à l'instant où je ressens une résistance autour de mes poignets liés.
Je me revois, ligotée à une chaise face à l'Alpha de Russie qui n'a pas hésité une seule seconde à m'envoyer ici. Une décision portée par un dessein que je me force encore d'ignorer à l'heure actuelle. Je ne désire pas être considérée comme un objet.
Un loup demeure un loup, même enfermé dans une cage ou dressé, il reste un prédateur.
Malheureusement, je suis entouré de personnes qui partagent ma nature ainsi que ma manière de penser. Il sera bien difficile de duper des sauvages et des vagabonds. Contrairement à la meute en Russie, j'ai appris à vivre la peur au ventre. Tout comme eux.
Je ne distingue pas mes ravisseurs, mais la situation dans laquelle je me trouve m'indique qu'ils ne se sont pas contentés de me coincer. Ils m'ont neutralisé afin de me traîner dans un nouvel endroit contre mon gré pendant mon inconscience. Mes bras sont bloqués dans mon dos dans le but d'empêcher toute tentative de transformation.
Les sens aux aguets, je ne tarde pas à identifier une odeur en plus de la mienne. Peu de temps après, mon ouïe affinée m'amène à conclure qu'un individu est juste derrière moi. Ma tête dévie légèrement sans que je ne puisse apercevoir cette silhouette. Le silence pesant m'aide à régulariser ma respiration. L'inconnu se décide à intervenir en constatant que cette situation ne provoque aucun effet de mon côté.
— D'habitude, le silence dérange. Les détenus sont nerveux, ils causent et racontent de la merde juste pour combler les blancs, relève une voix caverneuse.
De marbre, mon dos est plaqué contre le dossier du siège dans le but de m'empêcher de bouger en révélant par la même occasion un tic nerveux. Celle qui partage mon subconscient et qui d'habitude est revêche, possède à présent le même calme. Il s'approche d'une démarche confiante, sa main frôle ma peau nue quand il prend appui contre mon assise.
— Vous étiez obligés... articulé-je avec froideur.
— Tiens, finalement elle parle, susurre-t-il au creux de mon oreille.
— C'était nécessaire de me retirer le manteau ? grincé-je.
— Je t'ai enfilé des sous-vêtements parce qu'il était en miettes, tu devrais être plus reconnaissante, me nargue ce même individu pendant que son souffle chaud s'écrase contre ma nuque.
Suite à mon brusque mouvement de sursaut, il déloge son visage puis recule. Mon cœur s'accélère enfin avec colère lorsqu'il effleure ma chevelure.
— Ne me touche pas ! réagis-je.
Ses doigts se mêlent à mes mèches. Je m'emballe avec peur, en gesticulant sur ma chaise tout en essayant de me débattre.
— Lâche-moi ! hurlé-je.
Mon esprit quitte mon corps et me porte dans un souvenir bien plus lointain. Mon souffle se raréfie en distinguant une silhouette familière s'en prendre physiquement à moi. J'ai ressenti les impacts contre mon corps et ma respiration s'est accélérée comme si je percevais encore les coups. Une poigne ferme avait agrippé mes cheveux. Tétanisée, je n'étais pas parvenue à contrôler mon souffle, ma tête et ma poitrine n'allaient pas tarder à exploser. Mes organes vitaux étaient en proie à la même terreur qui a accentué ma crise d'angoisse. Il était bien plus fort que moi. Le second loup que j'ai croisé sur ma route avant d'être placée seule dans une ville russe. Il s'agissait d'un endroit de transition où les plus jeunes sont envoyés. À genoux, mes larmes ont brouillé ma vue pendant que ma figure avait heurté son entre-jambe suite à son action brutale afin d'obtenir ce qu'il désirait.
Pour surmonter un traumatisme, il y a deux options. Soit on se souvient de tout dans les moindres détails ou notre esprit se focalise sur un élément. Quelque chose qui efface tout le reste tant le choc est violent.
Et quel est l'instant que mon âme a conservé ? Le moment où j'ai perçu un grincement métallique sur la table juste à côté. Sa main s'était resserrée autour de mes mèches colorées. J'avais vu le couteau se lever, mais j'ai fermé les yeux. Ma gorge s'était asséchée au point qu'aucun filet d'air ne pouvait s'y infiltrer pour alimenter mes poumons. D'un geste vif, sans la moindre émotion, son bras armé avait fendu l'air. Un cri s'était échappé de ma gorge au moment où l'acier a rencontré mes mèches bleutées afin de mutiler la seule chose qu'il me restait. Mon apparence.
— Respire, putain, mais qu'est-ce qu'il te prend ?! s'époumone le traqueur qui me ramène à la réalité.
Les joues rougies par le manque d'oxygène, la peur que je décèle dans ses pupilles me déstabilise. Mes lèvres s'entrouvrent et je bascule mon crâne en arrière pendant que plusieurs larmes dévalent ma peau. Pour la première fois, je remarque que mon interlocuteur s'est extirpé de l'ombre. Son inquiétude s'éclipse, remplacée par un air impassible qui ne fait que se renforcer au fur et à mesure que je me calme. Je décèle que lors de mon moment de divagation, il a touché mes liens. Mes bras sont positionnés de manière symétrique à mon corps dans l'espoir que je ne me désarticule pas si je ne contrôle pas ma transformation. Le métamorphe récupère son air supérieur, mais demeure en alerte. Je m'imprègne de son apparence, interloquée par la cicatrice qui longe son arcade sourcilière gauche
— Tu fais des crises d'angoisse ? s'étonne-t-il.
Il me lorgne, les sourcils froncés en essayant d'interpréter la situation au vu de mon silence. De mon côté, après avoir retrouvé mes esprits, je réalise que je ne me suis pas rendu compte à quel point cette odeur me paraît familière. Je tente d'afficher un rictus plus confiant dans l'espoir d'effacer ce premier aperçu qu'il a eu de moi. Ma voix porte encore les vibrations du choc, mais elle est bien plus ferme.
— Le traqueur, deviné-je.
Je profite de sa forme humaine afin de mémoriser à mon tour ces nouveaux traits. Son pouce est posé à l'endroit précis où l'air pulse dans ma gorge, je reconnais dans ses iris la même détermination et obsession qui l'ont animé au moment de sa traque. Il m'a eu et il s'en réjouit.
— Comment tu t'appelles ? me questionne-t-il.
Son interrogation roule sur sa langue et je ressens son contentement dans cette situation inconfortable. D'autant plus quand il exhibe sous mon nez une feuille qu'il secoue. Une courte fiche d'identité.
— On nous a ramené ceci du train. Tu n'es évidemment pas au courant mais les enfoirés qui nous enferment en huit clos ont à chaque fois la gentillesse de nous fournir des informations sur les nouveaux transferts. Comme s'ils voulaient s'assurer qu'ils entrent bien dans le rang, ajoute-t-il muni de son air cynique. Il ne faudrait surtout pas qu'une rébellion se forme dans ces murs alors c'est plus pratique pour eux de nous monter les uns contre les autres.
— De ce que j'ai vu, vous vous débrouillez très bien tout seuls, rétorqué-je avec dégoût au souvenir de ce corps mutilé suspendu dans un de leurs petits camps.
— Calysta Karev, débute-t-il. Tu as vingt-trois ans et tu viens de Russie.
En soi, le fait qu'il connaisse mon prénom n'a rien d'effrayant. Je dirais plutôt que le plus déstabilisant est le plaisir qu'il semble en tirer. Les muscles noueux des épaules du traqueur roulent sous le tissu qui laisse ses bras apparents. Il prend appui sur les accoudoirs de ma chaise en me permettant d'observer de plus près la teinte de sa peau hâlée. Je me noie dans ses prunelles aussi sombres que les plumes d'un corbeau. J'y cherche désespérément une source de lumière qui pourrait témoigner de l'humanité. Son comportement provocateur et frénétique peut laisser deviner qu'il s'agit de quelqu'un d'assez extraverti, mais cela ne colle pas avec la profondeur de son âme que je lis dans ses yeux.
Comment un regard peut-il paraître aussi vide ?
Sa peau regorge des senteurs de la forêt. Ses cheveux mi-longs sont maintenus derrière son crâne par un élastique qui laisse seulement échapper de courtes mèches qui retombent devant son visage aux traits sévères. Seul une cicatrice orne ses traits de sa pommette jusqu'à son arcade sourcilière. Une marque de griffure.
Nous nous apprivoisons mutuellement avec méticulosité, tels deux animaux craintifs. J'entrevois ses narines à peine osciller, signe qu'il s'imprègne de mon odeur.
— Où sont les autres ? hasardé-je.
— Le fait qu'on soit seuls te met mal à l'aise ?
— Le plaisir dure trop à mon goût. Tuez-moi de suite qu'on en finisse, quémandé-je en tirant de plus belle sur mes liens.
Un rictus moqueur s'étire sur ses traits parsemés d'une fine barbe, il mord sa lèvre inférieure en retenant un rire puis recule. Il me libère de la tension naissante et de cette atmosphère étrange entre nos deux êtres échauffés.
— Tu vas me supplier de le faire, mais pas immédiatement, petite louve.
Le traqueur me contourne, je ne parviens pas à discerner correctement ce qu'il fabrique dans mon dos. La résonance et le son du métal me font penser qu'il s'agit encore de chaînes. Je balaye les alentours visuellement, mais il fait trop sombre pour que je puisse distinguer quoi que ce soit. Ma louve est extrêmement silencieuse et cela ne lui ressemble pas, tout comme son comportement depuis que j'ai rencontré cet homme. Elle est effrayée par quelque chose, néanmoins elle n'est pas d'humeur à me faire part de ses craintes. Cet endroit regorge d'humidité et ma petite tenue me rappelle que malgré ma capacité à me réchauffer naturellement, cela ne suffira pas. Mon ravisseur est occupé, je perçois un cliquetis comme s'il venait d'accrocher quelque chose qu'il déroule afin de le relier jusqu'à moi. Je tressaille à l'instant où sa poigne brûlante effleure mon épaule. Il m'encercle avec son second bras et je n'ai pas le temps de percuter son geste, qu'une sangle en cuir enroule ma gorge. Surprise, je gesticule sur mon assise en le sentant refermer les points de pression derrière ma nuque. Il vient littéralement de m'attacher comme une chienne. Nous avons franchi un nouveau seuil dans cette humiliation qu'il tente de m'infliger dans un unique but. Me briser.
C'est la raison pour laquelle la femme que j'ai rencontré dans ce petit camp m'a affirmé qu'elle souhaitait voir si j'allais résister à la pression. Je suis une nouvelle venue et ils me testent.
— J'ai une question à te poser, Calysta.
— Va te faire foutre, sifflé-je entre mes dents.
— Es-tu ici pour les bonnes raisons ?
Nous y sommes.
— Les bonnes raisons ? répété-je avec agressivité. Tu crois que j'ai eu le choix de venir ?
— Ce que je pense, c'est que ces derniers mois, on a eu pas mal d'embrouilles avec des transferts qui étaient des espions envoyés par les enfoirés qui nous enferment ici.
— Je ne suis pas un de leur sbire. Et toi ? me défendis-je avec courage.
Un rire s'échappe de sa bouche. Face à ma répartie, un éclair de surprise traverse momentanément ses prunelles.
— Si c'était le cas, je serais pendu avec le traitre qui a refusé d'obéir. Alors, je te pose la question une dernière fois, appuie-t-il. As-tu une mission ?
— Non, fulminé-je.
Il m'est facile d'arborer un ton convaincu. J'ai maîtrisé au plus possible mes battements cardiaques, consciente qu'il doit les écouter. C'est simple de mentir puisque c'est en parti la vérité. L'Alpha m'a bien approché parce que cette organisation qui se forme ici l'obsède, mais je n'ai pas déclenché mes souvenirs. Donc je n'ai pas véritablement de mission. Je ne crois pas à l'offre qu'il m'a faite. Il faut être inhumain pour enfermer ses congénères et les condamner à l'oubli et à l'exil pour des fautes qui, pour certains, sont pardonnables.
Sérieusement ?
Je n'ai fait aucun mal à l'homme face auquel je me suis transformée. De plus, la seconde partie de ma condamnation est illégitime. Il m'a dévoilé avoir eu son mot à dire sur mon transfert à Novinka pour la simple et bonne raison que mes parents lui étaient redevables.
J'ai été une pauvre monnaie d'échange.
Je ne vois pas comment l'Alpha pourrait m'ôter mes chaînes en l'échange de renseignements car même dehors, je n'étais pas véritablement libre.
Je n'ai fait que quitter un enfer pour en rejoindre un autre.
— Pourquoi as-tu essayé de nous échapper en sautant du train ?
— Le territoire est immense, commencé-je en arborant un ton plus posé. J'avais pour espoir de continuer en solo comme je l'ai toujours fait.
— L'une des règles qui nous ont été imposées était de ne pas nous regrouper. Tu n'as pas eu envie d'appartenir à quelque chose de plus grand ?
— Vous massacrez vos congénères, vous n'êtes pas si différents des Alphas qui nous ont respectivement condamnés, le contredis-je.
La mine renfrognée, son visage se ferme suite à mes propos. Ses prunelles luisent avec colère dans la faible luminosité.
Touché.
Je n'ai pas besoin d'effleurer son torse pour percevoir le rythme irrégulier de son palpitant. À travers le tissu, j'entends le son de cette mélodie qui s'affole. La haine est un bon détenteur après tout. Nous disposons des mêmes armes pour nous déstabiliser l'un l'autre, c'est justement ça le problème. Mais à la fin de cet échange, il ne réside plus qu'une question.
— Et maintenant, que va-t-il se passer ? conclus-je.
— On va devoir trancher afin de savoir si tu représentes une menace ou non. Une rédemption ou une exécution.
— Une sentence digne des exilés qui se prétendent différents de nos bourreaux, ironisé-je en m'affalant avec nonchalance contre le dossier de mon assise.
— Ce qu'ils nous ont fait est pire que la mort, me détrompe-t-il.
Le bois de mon siège grince. Sa poigne l'encercle fermement, ses ongles se positionnent à l'endroit même où des marques de griffures rongent les fibres.
— N'aies pas peur, je peux t'assurer que ce sera rapide, souffle-t-il. Il te suffit de me le demander gentiment.
La gorge nouée, ma louve lutte de toutes ses forces afin de ne témoigner aucun signe de subis son souffle chaud qui s'écrase contre ma joue. Tout comme la première fois où nous nous sommes rencontrés, je ressens le poids écrasant de l'emprise qu'il essaie d'avoir sur moi. Un pouvoir bien trop fort contre lequel j'éprouve des difficultés à résister. Je baisse à contrecœur mes iris vers le sol, sans parvenir à soutenir l'étau de cette tension qui me broie de l'intérieur. Réduite au même statut que mon alter ego, je m'incline.
— Et ensuite ? En imaginant que tout se passe bien, où suis-je censée aller ? Vous avez des camps pour la chair à canon qui débarque ?
— Il y a de la place partout.
— Où, plus précisément ?
Il me contemple, appuyé contre le mur sans perdre ce foutu air supérieur et mesquin.
— Sur mes cuisses, par exemple.
Il semble prendre son pied devant ma réaction. Il ne cache nullement son sous-entendu railleur et se délecte du rougissement incontrôlable de mes joues.
Une fois son petit jeu terminé, il passe derrière moi pour détacher la chaîne sans m'ôter le collier ni mes liens. Le traqueur me permet de me lever et tout en serrant l'emprise qu'il a sur mon attache, il me guide hors de ma geôle après avoir bandé mes yeux. Il jette quelque chose contre mon corps et je tressaillis en le réceptionnant gauchement. Il m'assiste pour m'enfiler les vêtements pour me couvrir puis m'entraîne à sa suite. À travers les fibres, je distingue un filet de lumière, mais rien de plus. Le froid présent devient insoutenable au fur et à mesure qu'il m'oblige à grimper des escaliers, signe que nous quittons un sous-sol.
L'ouïe et l'odorat, les seuls sens qui me sont utiles, m'aident à aviser la présence d'au moins sept loups lorsque je passe près d'une salle commune. Mon ravisseur analyse le mouvement de ma figure vers cette direction et me tire de plus belle dans une nouvelle aile. Le temps passe et les bruits s'atténuent, néanmoins mon appréhension est à son apogée. Il m'oblige à couper ma progression après quelques secondes en exerçant une pression sur mon bras. La tête légèrement penchée, j'hume une nouvelle senteur masculine.
— C'est elle ? tonne l'individu.
Bientôt, le bandeau qui voilait ma vision disparaît. Je cligne plusieurs fois des paupières afin de m'habituer à la lumière.
— On l'a retrouvée au campement de Noovik, soit à dix kilomètres de l'endroit où je l'ai trouvé la première fois, l'informe le traqueur.
— Elle a réussi à nous duper en sautant du train et en plus de ça, elle a échappé à notre meilleur pisteur, énumère-t-il avec calme. Comment est-elle ?
— Où suis-je ? le coupé-je.
— Tais-toi, m'intime l'unique visage qui m'est familier ici.
— Tu es en sécurité, répond l'autre inconnu.
— Vous êtes des tueurs.
— Tais-toi, me répète le traqueur entre ses dents en serrant mon bras un peu plus fort.
— Je dirais plutôt visionnaire. Mon nom est Reagan.
— L'Alpha, deviné-je au vu de sa confiance et de l'insistance du traqueur pour que je le laisse parler.
— Le meneur, me corrige-t-il.
— Quelle est la différence ?
— Ce terme me rattache trop à ceux qui nous ont enfermés, tu ne trouves pas ?
Sa manière de s'exprimer est calme, sa voix est profonde, mais la première impression que j'ai ne correspond pas avec ce que je m'étais imaginée. Je m'attendais à quelqu'un de... différent. Je fronce les sourcils, interloquée avant de contempler pour la première fois le visage du métamorphe qui me questionne. C'est un homme de la trentaine, probablement du même âge que celui qui me surveille encore en ce moment même. Mais en reluquant sa figure zébrée partiellement de trois entailles profondes au niveau de son front jusqu'à sa mâchoire, je me rends compte d'un détail.
Il est aveugle ? réagit aussitôt ma louve.
Bien que son visage soit tourné dans ma direction et ses sens aiguisés par ma présence, il ne me voit pas réellement. Ses iris sont voilés, comme injectés de sang. Sa main s'avance vers moi, mais je recule par réflexe en heurtant le traqueur qui s'est positionné dans mon dos quelques secondes plus tôt.
Le son de mes chaînes alerte le nouveau venu pendant que la main du second se positionne contre mes reins afin de me décoller de son torse et me pousser vers l'avant.
— Je lui ai fait peur, s'amuse-t-il.
— Elle est de taille moyenne, un teint hâlé, brune avec des mèches bleues, des yeux de la même teinte, lui décrit brièvement le loup. Sa bête a le poil argenté.
« La bête va lui arracher la gorge », s'emporte ma coéquipière suite à ce terme.
Tu as déjà eu l'occasion de le faire, songé-je suite à ses échecs.
Quelque chose l'a retenu de commettre ce geste. Cependant, pour une fois, je me suis montrée davantage impulsive. Il ne peut pas avoir d'emprise sur mon côté humain. J'ai rarement côtoyé des loups. Mon approche avec la meute de Russie qui m'a envoyé ici a été différente. Aucun être surnaturel n'a eu un quelconque pouvoir sur moi, je n'ai jamais ressenti ça. Pourquoi est-ce divergeant avec lui ?
C'est le genre de mystère dont j'aurais aimé être au courant. Cependant j'ai été arrachée à ma famille trop jeune sans aucun tuteur ni repère face à cette découverte de moi-même. Je pensais avoir tout exploré, mais il y a visiblement des choses qui me sont encore inconnues. Des sensations inexplorées.
J'affronte ma peur face à ma proximité avec l'homme qui s'apprête à poser sa main sur son visage comme pour approfondir les descriptions du traqueur. Ses doigts effleurent mes pommettes, l'arête de mon nez puis la pulpe de mes lèvres. Des décharges électriques me parcourent lorsqu'il frôle mes tempes.
Ses gestes ralentissent comme s'il venait de percevoir un nouvel élément. Dans mon dos, le membre de sa meute ne cesse de remuer. Un acte qui me paraît anodin, mais qui semble interloquer cet homme. De marbre, je me contente de détailler ses blessures de plus près en me focalisant sur autre choses que ses prunelles vitreuses.
— Elles t'effraient ? m'interroge-t-il.
— Quoi donc ?
Perturbée, je me ressaisis en constatant qu'il a perçu ma fixation par je ne sais quel moyen.
— Mes cicatrices.
— Pourquoi elles n'ont pas guéri ? m'interrogé-je. Normalement, elles sont censées ne pas être aussi... visibles. Même si c'est profond.
— Elles me rappellent le prix que j'ai payé pour mes péchés. Nous en avons tous, certaines sont seulement plus marquées que d'autres, Calysta. Elles peuvent être plus...ancrées.
La gorge nouée, je suis incapable d'émettre le moindre son en devinant qu'il a dû percevoir mes échanges avec son acolyte. Notre conversation ainsi que ma réaction lorsqu'il a touché mes cheveux. Déstabilisée, je mets du temps avant de me rendre compte qu'il s'est décalé de moi afin de rejoindre la lucarne à travers laquelle il contemple le paysage blanc extérieur.
— Désolé pour cette démonstration brutale, c'était nécessaire pour juger dans quel camp tu te tenais.
Son excuse m'interpelle. L'espace d'un instant, je me demande s'il s'agit d'une manigance ou d'une fausse apparence parce que jusqu'à maintenant, il ne correspond nullement aux descriptions faites par les gens à l'extérieur de ce mur. Je m'attendais à un chef sans pitié, à l'image de ses congénères, qui eux, n'ont pas camouflé leur nature barbare.
— C'est au cadavre qui est suspendu à Noovik auquel vous devriez présenter des excuses.
Le traqueur derrière moi exprime une réaction amusée pendant que son supérieur demeure concentré dans sa contemplation sans daigner me faire face.
— Nous suspections Dereck d'appartenir à la résistance qui se forme à cause de la Congrégation des Alphas. Nous les appelons ainsi, se justifie-t-il en devinant mon air interrogateur. Les Alphas de chaque pays sont conscients de ce qu'il se passe derrière ces murs. Ils continuent d'envoyer les condamnés parce qu'ils ne savent plus où les enfermer, mais bientôt cet enclos ne les protègera plus.
— Comment pouvez-vous savoir tout ça ? l'attaqué-je.
— Nous en avons démasqué plus d'un. Ils ont été torturés, mais ce sacrifice nous a permis d'obtenir de précieuses informations pour cerner notre ennemi. C'est la raison pour laquelle un jugement aura lieu, mes membres n'ont pas vu ta fuite d'un très bon œil et tu as suscité de nombreuses réactions contradictoires.
— Et vous qu'est-ce que vous en pensez ? lancé-je afin de gagner du temps avant que le loup derrière moi ne m'enferme de nouveau.
— Tu le sauras bien assez vite, Calysta. Cela ne dépend que d'une chose. La crédibilité de ton histoire.
— Mais vous ne savez rien de moi, protesté-je.
— Knight t'a parlé du papier, non ? Celui où sont inscrites les informations sur ton transfert.
Je dévie la tête vers le principal concerné, à présent capable de positionner un nom sur ce visage qui est obsédé par ma présence depuis mon arrivée. Ce contact visuel me paraît interminable et pour une raison qui m'échappe, le son de voix de mon geôlier s'estompe puisque mon âme a décidé de se focaliser sur un autre élément. Lui. Mes sens me projettent plus loin que d'habitude. Mon esprit s'imprègne avec avidité de ses pulsations vitales comme si elles étaient nécessaires au bon fonctionnement de mes pensées. Ma curiosité sur cette expérience inhabituelle avec un loup s'écourte au moment où la conversation reprend.
Aucun d'eux n'a perçu mon égarement.
Aussi étrange que cela puisse paraître, j'oublie la raison pour laquelle je suis ici et ma condition est bien le cadet de mes soucis. Un changement s'opère en moi et je ne contrôle absolument rien. Je ne peux que me contenter de sentir le précipice s'agrandir. Le traqueur fronce les sourcils en percevant mon expression déroutée pendant que je l'analyse visuellement. Je m'extirpe aussitôt de cet état second en replongeant dans la réalité.
— La meute de Russie t'a vendu et nous a exposé absolument tout ton passif dans l'espoir que l'on utilise ces informations contre toi. C'est leur manière d'alimenter les tensions ici et de semer le chaos. Tu ne comprends donc pas ? C'est eux qui créé cette atmosphère étouffante. Nous ne faisons que lutter face à leurs attaques invisibles.
— Qu'est-ce qu'il y a d'écrit, exactement ? frémis-je, peu intéressée par sa propagande.
Il pivote enfin, armé de son expression neutre qui ne le quitte pas.
— Quelle vérité t'effraie le plus ?
— Que suite à une exaltation très prononcée, je me suis transformée face à un humain, rétorqué-je avec cynisme.
Les deux hommes sourient.
— Knight, l'interpelle Reagan.
— Ils ont parlé de la raison pour laquelle tu as été isolée dès ton transfert, intervient-il. Tes parents étaient redevables envers ton Alpha, il t'a élevé loin de tout. Aucune trace de loups dans ta ville. Il t'a préservé de tout ce qui constitue ta nature et de toutes les sources d'informations extérieures. Tu as vécu neuf ans avec des œillères. Quel est l'intérêt de faire ça à ton avis ?
— Pour mieux me manipuler, compris-je. Vous pensez que je fais partie des leurs.
Aucun d'eux n'exprime un quelconque signe suite à mon raisonnement. Les poings serrés, ma respiration s'accélère au vu de mon malaise. Tout joue contre moi. Mon dossier et mon évasion qui ne font que renforcer les doutes.
— Nous sommes dans une situation délicate et j'ai bienpeur que pour toi, il s'agisse d'une impasse, conclut le meneur
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