chapitre quinze

SON VOL POUR NICE EST ARRIVÉ TARD DANS LA NUIT, et Charles n'a que très peu dormi, pensif quant à cette décision prise à la hâte. Chaque seconde, il se demandait si c'était une bonne idée que de couper court, quitter cette relation pas forcément saine mais qui lui faisait du bien. À chaque fois qu'ils se voyaient, il purgeait sa frustration et ses démons disparaissaient quelques heures, tout au plus.

Mais qu'est-ce que le silence dans son crâne lui faisait plaisir.

Le réveil est difficile pour le monégasque, qui jure en prenant conscience qu'il s'est rendormi après avoir entendu son réveil sonner. Il grogne et quitte ses draps chauds pour l'air ambiant de la pièce bien plus frais. Dans son placard traînent quelques vêtements de sport qu'il attrape avant de les enfiler hâtivement. Pas le temps de mettre de la musique afin de décompresser, à peine le temps d'avaler un petit déjeuner, que le voici déjà en train de se chausser afin de regagner sa voiture dans le parking de sa résidence.

Monaco est ensoleillé ce matin, et Éric lui a donné rendez-vous pour une course dans les hauteurs de la principauté pour profiter des rayons du soleil, avant une séance d'entraînement plus complète. Charles ne respecte que très peu les limitations de vitesse lors du trajet, ne voulant pas se mettre en retard plus qu'il ne l'est déjà. L'envie de retrouver son entraîneur est au plus bas, cependant, il n'a pas le choix. Le pilote gare sa Pista à la va-vite avant de retrouver le quarantenaire qui ne fait que fixer sa montre en regardant en les alentours, mécontent.

Le brun déglutit en fermant sa voiture, laissant son sac contenant toutes les affaires dont il n'a pas besoin dans celle-ci. Éric l'aperçoit et son regard sombre ne rassure pas le moins du monde le pilote qui le rejoint d'un pas lent, le faisant s'impatienter encore plus.

— Quand je te dis un horaire, c'est pour le respecter, on a un programme chargé ce matin.

— Bonjour, excuse-moi, je suis rentré de Londres tard dans la nuit.

— Allez on y va, il ignore royalement son excuse et se met en route, suivi de près par le monégasque.

Charles ne parvient pas à lâcher une parole durant le footing. Il se limite à l'écoute des conseils, ou plutôt aux reproches de son entraîneur face à son échec, comme d'habitude. Peut-être est-ce la fatigue qui tiraille ses muscles, mais aujourd'hui encore, il a plus de mal à courir avec facilité. Il ne peut s'empêcher d'haleter plus fort que les fois précédentes, arrivé au sommet de la Tête de Chien, de loin son endroit préféré afin d'admirer le rocher, son rocher qu'il chérit tant.

Ses prunelles si claires se perdent dans l'étendue bleutée à perte de vue. La Méditerranée n'a jamais autant brillé qu'en cet instant et le monégasque inspire un grand coup afin de calmer ses pensées négatives qui s'infiltrent dans son crâne. Un raclement de gorge vient le couper brutalement dans son admiration.

— Je ne sais pas ce que tu as en ce moment, mais ça ne peut plus durer. Tu ne peux pas te permettre d'avoir des résultats aussi médiocres, comment est-ce que tu vas tenir le coup dans ta monoplace ?

— Je suis juste fatigué Éric, c'est bon.

— Non, ce n'est pas bon, il mime des guillemets, comme tu le dis. Ce que tu ne comprends pas, Charles, c'est que tu dois prouver au monde ce que tu vaux, parce que toi, tu es encore en vie pour le prouver.

Et ces paroles lui font l'effet d'un poignard s'enfonçant profondément dans son cœur avant d'en ressortir précipitamment, coupant sa respiration au passage. Éric a toujours été un peu méchant, méprisant, c'était sa méthode de travail peu concluante, mais étonnemment, il parvenait à le tirer vers le haut, comme il le faisait avec Jules. Aujourd'hui, il ne fait rien d'autre à part le traîner vers les bas-fonds. Cette phrase résonne dans son crâne. Que dire ? Que répondre à cette offense profonde ?

Ses yeux se gorgent de larmes sans qu'il ne puisse le contrôler. Cette culpabilité qui l'assaille le heurte tellement, qu'il vient à se poser une question :

Pourquoi est-il vivant ?

Son silence indiffère son entraîneur qui le fixe avec dédain, attendant un semblant de réponse qui ne traverse pas la barrière de ses lèvres à présent tremblantes.

— Tu vas pas te mettre à chialer non plus, allez on doit faire le retour avant d'aller à la salle.

Une tape sur l'épaule et le voilà reparti pour la descente. Charles semble déconnecté de la réalité. Une colère démesurée le prend et le torture, et c'est avec un rythme éffréné qu'il redescend le chemin menant vers la Tête de Chien. Éric le regarde faire d'un air satisfait. C'est ce qu'il recherche ; le titiller suffisamment afin de rechercher une performance adéquate.

Comment lui dire que ce n'est pas la solution ? Charles meurt d'envie de le laisser en plan, alors qu'il arrive à sa voiture avec au moins deux bonnes minutes d'avance sur l'entraîneur. Sa rage l'anime, et les veines saillantes sur son cou ainsi que ses poings fermés et crispés le prouvent. Pourtant, jamais il ne dépasse la limite. Éric regarde sa montre et affiche un immense sourire qui répugne l'athlète.

— Une minute de mieux que ton meilleur chrono. Tu vois, quand tu veux ! On va se le faire cet entraînement maintenant ? Il questionne, comme si ses propos étaient banals.

Sans un mot, il indique le côté passager de son véhicule au quarantaine venu à pied, avant de quitter son emplacement et de retrouver le cœur de la principauté pour une séance d'entraînement bien méritée. Charles ne s'est jamais senti aussi mal depuis un long moment. Cette sensation de poids sur son estomac est tout bonnement insupportable, il en a la nausée tant le souvenir de ce propos lui retourne les entrailles. Les yeux larmoyants, il essaie de ne pas se laisser déconcentré, mais les larmes floutent sa vision. Cette oppression qu'il ressent est terrible et il se sent obligé de s'arrêter sur le bas-côté, sous les râles de son préparateur physique. 

Il aimerait hurler. Ses membres tremblent et l'envie d'alcool est si puissant qu'il voudrait abandonner son entraineur afin de rentrer chez lui et de s'enquiller bouteilles sur bouteilles pour se mettre minable ; oublier cette phrase qui tourne en boucle dans sa tête est primordial. Jules. 

Jules. 

Il se sent soudainement responsable. Comme si c'était lui le coupable, lui qui occupait la place de la grue sur ce circuit détrempé en cette sombre journée d'octobre. Il est encore en vie. Oui, est-ce que cela le rend légitime de sacrifier sa santé dans l'objectif de satisfaire les désirs de son entraineur ? Il ne le sait pas. Peut-être a-t-il raison, au fond. Après tout, il a pris sa place dans l'écurie rouge. C'est ce qu'Éric est en train de lui reprocher.

— Charles ! Qu'est-ce que tu fous ? il raille depuis la place passager de la Ferrari.

— Désolé, je ne me sentais pas bien, j'arrive. 

Il prend une grande inspiration afin de tenir le coup et grimpe dans son véhicule. Le chemin jusque la salle de sport est infiniment long, et la vision d'un voiturier est synonyme de consécration pour le brun. Les deux adultes pénètrent dans la salle de sport, un peu plus remplie cette fois-ci. Et Charles jure en reconnaissant une nouvelle fois Charlotte dans un coin de la salle de sport, en compagnie de sa coach. Aujourd'hui, il se sent maudit.

La séance est interminable. Éric aperçoit bien que le monégasque est plus distant, mais il ne relève pas. Il se contente de lui dire quels exercices effectuer et c'est sûrement mieux ainsi. Pour une fois, il n'a rien à redire au pilote à la fin de la dernière série, certainement parce que la rage est toujours présente dans son corps. Il veut lui prouver qu'il a eu tort.

Tort de lui avoir parlé ainsi. Si bien que même si en lui, la rage luit, il ne peut s'empêcher de croire en ses propos remplis de mépris.

D'un coin de l'œil, il l'observe quitter la pièce bondée après un debriefing express. Charles se lève, prêt à partir à son tour afin de rentrer chez lui et s'apitoyer sur son sort. Tellement plus simple que de sortir la tête de l'eau, après tout. Une voix l'interpelle, et le monégasque soupire en la reconnaissant parmi milles. L'envie de lui parler est proche de zéro, surtout en ce moment, lui qui s'éloigne de tout le monde et retombe dans ses lourds travers.

— Charlotte, ça va ? il grimace en apercevant la brunette en face de lui.

— Très bien, je voulais savoir comment ça allait depuis la dernière fois, surtout concernant Éric. Je sais que c'est idiot vu qu'on ne se doit plus rien, mais je m'inquiète.

Le brun se pince les lèvres. Il n'a pas besoin de ça, pas besoin de ressasser ces trois années de souvenirs qui se sont soldées par des disputes à répétitions, des paroles trop violentes et une séparation inévitable. Il n'a plus la force de se battre contre les démons de cette relation brisée.

— Ça va, tu le connais, un peu sur les nerfs. Tu... tu t'en vas quand déjà ?

— J'ai promis à Marta et Riccardo de partir après la naissance de leur fille... elle murmure, comme si elle ne voulait pas que cela devienne trop réel. Peut-être courant avril, dans le pire des cas début mai.

— Oh je vois.

— Pourquoi tu me demandes ça ? Tu connais très bien les dates que je t'avais données.

— Je sais pas tu aurais pu changer d'avis pour ne plus nous planter ici comme des merdes, il crache, ce qui surprend la brune.

— Charles on en a déjà discuté, j'avais besoin d'air et ce stage supplémentaire c'est l'opportunité d'une vie ! Toi tu vis déjà de ta passion, laisse-moi vivre de la mienne et me donner les moyens d'y arriver.

— L'Australie hein... t'avais besoin de prendre un aller simple pour un pays à quinze mille kilomètres d'ici.

— Oui j'en avais besoin ! Tu es content ? Sachant que c'est très gonflé de ta part puisque tu passes ton temps partout ailleurs qu'à Monaco et que c'est toi qui as mis un terme à notre relation.

— Ça fonctionnait très bien, ON fonctionnait bien comme ç-

— Ça fonctionnait bien pour toi, elle remarque. De toute façon c'est trop tard, et puis apparemment tu t'amuses déjà à aller voir ailleurs, je me trompe ?

— Je te signale que le début de notre relation était similaire, pour commencer, et ensuite je n'ai pas tourné la page, non. Je ne sais pas ce que Marta t'a foutu dans le crâne.

— Tu ne peux pas rester célibataire bien longtemps de toute manière.

— Dit celle qui a trahi sa meilleure amie.

Un silence plane sur eux et ils se fixent, le regard navré de cette conversation tournant au cauchemar. Se blesser de la sorte n'était pas ce qu'ils souhaitaient. Pas du tout. Charles n'est jamais parvenu à passer outre le fait que Charlotte allait passer une année entière à l'autre bout du monde, sans la possibilité de rentrer à Monaco. Il est vrai qu'être pilote l'empêche d'être souvent présent dans la principauté pour ses proches, mais en ajoutant sa compagne qui partait s'exiler en Océanie, il ne pouvait pas le supporter.

De fil en aiguille et de disputes en disputes, le brun a préféré mettre douloureusement un terme à leur relation. Pas seulement à cause de sa mauvaise saison.

— Je... je dois y aller, je suis désolé, il ment, et Charlotte ne le retient pas, tout aussi contrariée que lui.

Le pilote lui offre un simple sourire qui ressemble à une grimace avant de s'éclipser rapidement. Le voiturier lui rend son véhicule et ses clefs, et une fois esseulé dans sa voiture, les larmes se mettent à rouler inlassablement sur ses joues. Un surplus d'émotions qui le transperce, sans aucun doute.

Il le sait.

Qu'en arrivant à son appartement, il ouvrira une énième bouteille.

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hello, j'espère que vous allez bien ! personnellement très contente que ce soit une semaine de course, même si on sait que l'on va souffrir encore une fois

vous avez aimé le chapitre ? sachez qu'au chapitre dix-huit, l'histoire prendra un tout autre tournant ;)

-alcools

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