2.4
Felix fait souvent le même rêve. Tout a été déformé avec le temps, mais il se rappelle de ce petit garçon. Il a les cheveux bruns, les mains sales et les yeux mouillés. Des silhouettes se dessinent devant lui, des ombres qui paraissent se disputer sans un bruit. Pourtant, ils crachent de leurs bouches des lames en argent. Le petit garçon est déchiqueté de part en part, ne laissant derrière lui seulement ses larmes et la boue sur ses chaussures. Lorsqu'il se réveille, le petit garçon est devenu grand. L'une des ombres est partie, Felix ne se souvient plus de son visage. Ensuite, des images apparaissent comme des flashs devant ses yeux. Des mains sur ses hanches, une bouche sur la sienne, des mots jetés en l'air et une observation encrée dans son esprit : assez bien pour être désiré, jamais assez pour être aimé.
Le film dure une éternité. Felix revit les pires moments de sa vie, les souvenirs qu'il préfère enterrer et la douleur dont il évite de parler. D'un coup, il sent ses poumons se vider, et il a du mal à ouvrir les yeux. Il essaie de crier, de respirer, de pleurer. Mais il n'y arrive jamais. Et puis, lorsqu'il peine enfin à entrouvrir ses paupières, il voit son corps flotter dans une mare d'eau claire. Une main se pose sur son épaule, il sent son cœur s'accélérer, et il se réveille.
Il vient de tomber de cent étages. Il a le front luisant, le corps moite, les cheveux sales. Il pose une main sur sa poitrine, sentant son cœur s'affoler. Les volets sont mal fermés et un faible faisceau de lumière s'immisce à l'intérieur de sa chambre étudiante. Il peine à regarder son téléphone, la vision floue et les mains qui tremblent. Il est seize ou dix-huit heures, il n'arrive pas à voir correctement. Il est malade, c'est sûr. Un virus traine dans sa classe depuis une semaine, et avoir passé la soirée sous la pluie n'a pas arrangé les choses. Sur son écran, il peut voir des messages qu'il ne peut réussir à lire. Alors, il se recouche dans la moiteur de sa couette. Il a peur d'exploser comme un volcan en dessous, mais il a si froid qu'il est prêt à prendre le risque.
Il se souvient de l'attente interminable d'hier. Il s'accrochait à ce petit espoir que Hyunjin n'arrive en retard. Vous savez, cette toute petite graine qui ne cesse de grandir dans le creux de votre poitrine. Elle grandit grâce à l'excitation, grâce à un stupide désir d'accomplissement. Mais, elle pourrit en vérité. Plus le temps passe, et plus cette graine devient indésirable, pesante, lourde. Felix savait qu'il n'allait pas venir, il en était persuadé depuis les dix premières minutes de retard. Mais c'est plaisant d'avoir cette graine, qui nous fait penser à des rêves inimaginables. "Lorsqu'il arrivera, on passera un bon moment ensemble !" C'est d'autant plus excitant s'il s'agit d'un type comme Hyunjin. Beau brun, belle gueule ; grand, mignon, intelligent. Même s'il ne sait pas tout le temps ce qu'il veut, il est curieux et marrant. Le genre de type hetero, qui ne se connait pas assez pour s'engager où que ce soit.
Felix a peur de ce genre de type. Il a tout pour plaire, et c'est ce qui est effrayant. Il a peur de trop s'attacher, de trop apprécier, de trop vouloir. Parce qu'à partir de ce moment-là, il sait qu'il aura tout perdu. Il sait que ce sera une partie perdue d'avance. Il sait qu'il en perdra son corps, son âme, son amour-propre. C'est facile avec ceux qui ont des défauts : il ne s'accroche jamais. Avec Hyunjin, il est prêt à s'accrocher à tous les défauts du monde.
Il est malade. Alors il met ça sur le dos de la grippe et il peut pleurer sans avoir de remords. Bientôt, il s'endort avec la morve au nez et les yeux rouges.
Cependant, il entend qu'on sonne à sa porte. Il grogne et essuie ses yeux à sa couverture. Il ne bouge pas pendant quelques secondes, espérant que la personne de l'autre côté de la porte s'en aille. Malheureusement, ça sonne une deuxième fois. Puis ça tape à la porte, aussi. Felix s'assoit d'abord. Il a le crâne si lourd, et le corps si chaud. Il inspire fort avant d'attraper une bouteille d'eau à ses pieds. Elle est presque vide, mais ça suffit à manquer la déshydratation. Il se lève difficilement, en passant sa main dans ses cheveux poisseux. Il a la bouche pâteuse, et il a du mal à avaler sa salive. D'un pas lourd et maladroit, il arrive à attraper la poignée de sa porte. Il s'y prend à deux fois avant de se rendre compte qu'il a fermé à clé. Lorsque la porte s'ouvre et que le soleil de la journée lui frappe les rétines, il tombe presque à la renverse. Dans cet halo de lumière, il y a une silhouette qui lui semble inconnue.
– J'ai passé la journée à te chercher, dit l'ange tombé du ciel. T'as l'air malade.
Sa voix est remplie d'inquiétude. Mais Felix répond malgré lui :
– Non non, je pète la forme.
Le doux rire de l'ange lui enveloppe les oreilles. Felix sent ses mains se poser sur son bras, lui indiquant le chemin à suivre. Si au début il se laisse faire, une petite partie de son cerveau se bat avec l'état fiévreux. Il est malade, oui, mais il n'est pas stupide !
– J'peux pas te faire rentrer chez moi, je sais pas qui t'es.
Encore une fois, un rire mélodieux vient lui caresser l'ouïe.
– C'est moi, Hyunjin.
– Moi c'est Felix, pas Hyunjin.
– Oui je sais, rit-il. Tu dois t'allonger.
Et cette fois, pas de bataille. Le blond se laisse porter jusqu'à son lit.
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