LES ARCANES DE PARIS

Paris, années 2042. L'air puait la confidence et les cachoteries. La ville, embaumée par les mânes d'autrefois, brûlait dans le clair-obscur du feu nocturne. La Dame de Fer se dressait comme une déesse au-dessus des flammes pétillantes qui léchaient ses bases ancrées dans le sol. Elle toisait la Mer de Braise de sa puissante et imposante hauteur, et comme les océans dans leurs plus âpres état d'âme, la Mer de Braise s'agitait sous les rossées du vent; sur son passage ne restait que des cendres. Ainsi, Paris s'enflammait dans la solitude qui allait de pair avec les villes fantômes.

Paris, un an plus tard, années 2043. Les Flots de Feu moururent au printemps, épuisés par les attaques et les coups bas des tempêtes. Dans le secret des boulevards et le silence des venelles, parmi les grandes ombres des avenues et les mystères des galeries, la mort semblait reculer dans l'épais brouillard qui entourait la Dame de Fer, seule grande survivante de Paris. Par-delà l'horizon, on se murmurait entre les murs que des chemineaux arpentaient les escarbilles de la cité à l'image de troubadours ambulants, chantant avec courage la mélodie de l'espoir. Dans les banlieues de la métropole épargnées par l'enfer de l'an 2042, les rumeurs disaient que quelques vagabonds s'étaient perdus à jamais dans le brouillard. Des mois durant, la chanson des vaillants raisonna dans les sombres ruelles entachées par les cendres. Puis aux aurores d'un beau jour, la musique se tue, soufflée dans l'ultime chant du dernier vagabond, marquant la fin des courageux.

Paris, huit mois plus tard, années 2044. Des joues creuses se montraient au clair de lune sous l'édifice élevé en mémoire des troubadours ambulants, or, plus personne ne chantait la chanson des vaillants; on comprit que l'espoir s'était perdu. Les gens dépérissaient, noyés sous le désespoir. Mais au dessus des angoisses et de la détresse, les silhouettes de funambules nocturnes ornaient le ciel ténébreux, dressés sur les fils accrochés au pinacle des derniers édifices de Paris. Ils marchaient, marchaient, échappaient au cours du temps. Tout de noir vêtu, ils se fondaient dans la nuit et disparaissaient au lever du soleil. On les présenta comme les messagers de la liberté, comme les fantômes de charbons de Paris. On les regardait, fasciné, errer en silence. Le désespoir avait été bien vite oublié.

Paris, un an plus tard, années 2045. Affaiblis, empoisonnés par la faim et les malheurs, les survivants souillaient les quartiers de sang et de dépouilles. Les habitants, condamnés dans leur propre folie, se mouraient à petit feu. Il ne resta à la fin plus qu'une trentaine de personnes. Les blessures en emportèrent trois au crépuscule, on les appela les trois martyrs du demi-jour, symboles de la démence qui prenaient racines chez les plus vils. Cinq autres s'en allèrent sans un regard, s'évanouissant dans la brume dont le voile opaque ne les avait pas recrachés les jours suivants. Ils furent considérés comme mort.

Paris, six mois plus tard, années 2046. Sur les toits des bâtiments encore debout, on jurait apercevoir des danseurs qui semblaient briller si ardemment que leurs farandoles pouvaient remplacer les étoiles. Toutes les nuits, ils dansaient, dansaient, brillaient comme le soleil. On pouvait les observer sans la crainte de les voir s'éteindre, les étoiles de Paris.

Paris, un an plus tard, années 2047. Un petit groupe mené par un homme farouche et un peu stupide s'était aventuré dans le dédale des rues de la ville. Personne ne les revit depuis leur départ. Les gens prirent peurs, on chuchotait que la ville était maudite, que là-bas, par-delà le brouillard, les cendres et les pierres, une chose happait les âmes et les entraînaient dans les catacombes. L'interdiction de s'éloigner des banlieues fut une évidence, mais pourtant, seul les échos du silence se répercutèrent contre les bâtisses en ruine.

Paris, l'hiver suivant, années 2048. Des vagues de froid s'échouèrent contre la ville. Les survivants de la Mer de Braise se terraient dans les sous-sol tandis que leurs doigts gelés s'activaient à rassembler des résidus de tissus. L'hiver fut cruel et sournois, emportant dans son sillage nombre d'êtres. Il dura, dura, longtemps, longtemps... La neige couvrait de blanc les vestiges de la cité, digne d'un grand désert de glace. On ne compta pas les morts cette saison là, dans le vain espoir d'oublier les puissantes bourrasques qui avaient battues les tuileries chaque jour et chaque nuit.

Paris, quatre mois plus tard, années 2049. D'étranges missiles s'abattirent dans les ultimes quartiers habités de la ville, ne laissant d'autres choix à la population que de s'aventurer dans les grandes avenues désertes de la ville. A chaque année sa tragédie, semblait-il. Les petites communautés se séparèrent. Tous voulaient rentrer chez eux, retrouver les vestiges de ce qu'ils avaient fuis. Ils voulaient tâcher de se souvenir des beaux jours heureux, de l'avant. D'avant le Grand Froid, d'avant même la Mer de Braise, d'avant les morts et les drames. Tous étaient partis d'un commun accord pour espérer ne serait-ce qu'encore un peu. Sauf qu'au-dessus de leurs têtes, au-dessus même des funambules et des danseurs, la Dame de Fer mourrait. Son cri d'agonie sonnait comme une triste sérénade à la lune. La déesse qui avait autrefois régné sur la métropole en captivant tout les regards dépérissait dans la solitude et le secret des ruines de la capitale. L'année du Grand Trépas fut la plus cruelle de toutes.

Paris, un an plus tard, années 2050. Le son de tambours enveloppaient la cité pendant son deuil. On se plaisait à dire que le lent tambourinement des instruments provenaient des disparus qui s'étaient égarés dans le brouillard. Entre chacune des vibrations, les épaves d'un rire et les reflets de pleurs s'écrasaient contre les bâtisses. Paris renaissait peu à peu de ses cendres, recollant bout à bout ses parties morcelées, à l'écart du monde, derrière le rideau qui la séparait de la scène, aidée par les spectres de la brume.

Paris, l'automne suivant, années 2051. La nuit, les fantômes de charbons marchaient, les étoiles de Paris dansaient, les spectres de la brume frappaient lentement et sereinement leur tambour, et la chanson des vaillants résonnait de nouveau dans la cité. Une file de loupiotes déambulait dans le secret des boulevards et le silence des venelles, parmi les grandes ombres des avenues et les mystères des galeries. Paris allait renaître, on festoyait. Au coin du feu, les plus anciens contaient aux plus jeunes l'avant, les beaux jours heureux. Sous l'édifice des troubadours ambulants, on écrivait de nouvelles mélodies à la gloire de la ville. Et devant les tombes des trois martyrs du demi-jour, on murmurait les tragédies de la décennie et on cultivait l'espoir d'un futur sans Mer de Braise ni Grand Froid.

Paris, années 2052. Dix ans après la Mer de Braise, derrière la scène, Paris se reconstruisait dans les entrailles du monde, entre les ombres.

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