s a m e d i
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Le volume de la radio est bas, si bas que Lilo a l'impression que le chanteur, peu importe son identité, ne fait que chuchoter dans les enceintes de mauvaises qualités dont dispose la voiture de sa mère. Son regard est fixe. Elle tourne le dos à la femme qu'elle ne considère plus vraiment comme sa maman. Les petites maisons en pierre du centre ville défilent devant ses yeux. Lilo s'amuse à penser à la petite vie que pourrait mener chaque personne habitant derrière ces façades.
Ont-ils une petite vie calme et paisible ?
Le genre de vie où les parents viennent chercher leurs enfants à l'école, où ils leurs préparent toutes sortes de plats. Le genre de vie où un enfant s'endort après avoir reçu un baiser de ses parents sur le front.
Lilo méprise cette vie, même si elle l'a déjà eu. Elle déteste secrètement toutes ces familles à l'allure parfaite.
Elle les déteste pour s'empêcher de les envier.
Pourtant elle sait que ces potentiels vies de familles ne sont que de strictes apparences, et que rien n'est en réalité parfait. Elle sait que dans chaque famille des vérités amers sont dissimulées derrière des tonnes de faux sourires, jusqu'au jour où elles surgissent au grand jour.
Ensuite, arrive ce moment fatidique où certaines familles affrontent le problème, avancent main dans la main du mieux qu'elles le peuvent, remplis de bonne volonté. Alors que d'autres se brisent car elles n'avaient, en réalité, jamais été fortes et soudées.
Celle de Lilo avait implosé. La laissant dans l'incompréhension et la colère la plus totale.
Son ventre gargouille, elle oriente son regard sur le profil de sa mère. La femme de quarante ans semble concentrée mais lorsqu'elle s'arrête à un carrefour, sa fille voit nettement que son regard est perdu dans le vide. Le feu rouge se reflète dans ses yeux. Elle est cernée, sa mâchoire est crispée, ses mains agrippent le volant.
Lilo s'enfonce dans son siège et laisse les lumières de la ville l'aveugler. L'attitude de sa mère l'angoisse.
L'odeur des pizzas qui l'attendent sur la banquette arrière vient chatouiller ses narines. Elle se plaît à penser que cette soirée se finira bien, et que pour une fois depuis longtemps, mère et fille pourraient partager un moment ensembles. Mais cette foutue angoisse l'en empêche. Elle a un mauvais pressentiment.
Le feu passe au vert, et les hypothèses de Lilo s'affirment comme justes lorsque sa mère annonce d'une voix neutre :
— J'ai reçu ton bulletin.
Lilo se mort la lèvre jusqu'au sang, elle n'ose rien répondre.
— Tu ne m'as rien fait signé de tout le trimestre. Rajoute-elle.
Lilo serre les poings et choisit la répartie du contre argument :
— Tu ne m'as rien demandé.
— Je suis ta mère.
— Pas vraiment. Marmonne la brune en lançant un regard noir au tableau de bord.
La mère de Lilo ouvre et referme la bouche, sidérée. Elle ne se retourne même pas vers sa fille, elle met seulement plus de pression sur l'accélérateur.
— Tes résultas sont inquiétants d'après ton professeur principal.
— C'est lui qui devrait s'inquiéter de sa capacité à oser mettre des notes pareils. Répond-elle d'un ton sec.
La tension monte dans la voiture, sa mère prend un dos d'âne sans ralentir, Lilo grince des dents.
— Je ne t'ai pas appris à répondre comme ça.
Lilo ne sent pas coupable, tout ce qu'elle veut faire, c'est balancer ses quatre vérités à sa mère. Ça fait des semaines qu'elle ne lui a pas proprement adressé la parole, ne lui a pas demandé comment s'était passée sa journée, ou comment elle allait, tout simplement. Si ne ce sont que ces notes qui l'intéresse, elle aurait su que Lilo rencontrait beaucoup de difficultés au lycée depuis pas mal de temps.
Bien sûr, Lilo était intelligente, elle n'arrivait juste plus à se concentrer et sa volonté s'était envolée. Lilo avait abandonné et beaucoup trop de gens l'avait jugé. Il l'avait jugé en l'étiquetant comme stupide, de mauvaise fréquentation et dépressive. Voilà pourquoi elle détestait le lycée. On lui avait menti en lui faisant croire que les gens seraient plus matures. C'étaient toujours les mêmes gosses dans une différente cour de récré, avec les mêmes préjugés. Pourtant ils prétendent tous être grand, seulement car ils se revendiquent enfin en âge d'oser se bourrer la gueule en soirée
— T'as pensé à ton avenir ? Lui assène en guise de coup fatal sa mère.
La brune inspire et expire, elle ne veut pas craquer devant sa mère.
— Est ce que tu as au moins une idée de ce que tu veux faire plus tard ? Des études que tu aspires à faire ? Ou bien tu veux peut-être terminer au chômage, je te préviens qu'il est hors de question que je t'entretienne.
S'en est trop pour Lilo. La jeune fille pleure. En silence elle maudit sa mère. Celle-ci prend un tournant sans ralentir. La tête de sa fille heurte la fenêtre.
— Répond moi ! Ordonne-elle en haussant le ton.
— TA GUEULE, hurle Lilo. Si seulement tu étais concentrée sur autre chose que sur ton propre nombril, tu serais que j'aime dessiner ! Que je veux faire des études d'art. Mais tu n'en sais rien. Et tu sais pourquoi ? Toi qui prétend avoir la science infuse ?
Sa mère ne répond pas. Ses yeux semblent être sur le point de sortir de ses orbites. Lilo renifle bruyamment. Sa voix est mal assurée mais elle continue, toute sa rage et toute sa tristesse se déversent sur cette femme qu'elle ne reconnaît plus.
— Parce que depuis que papa est parti, tu n'oses même plus me parler, tu m'as abandonné ! Tu es encore plus lâche que lui. Tu n'oses plus me regarder dans les yeux, tu ne me prends plus dans tes bras et tu m'ignores. Alors ne vient pas après des mois me foutre la pression sur mon avenir. Ça fait des mois que je ne peux plus supporter cette vie, que je ne peux plus te supporter, me supporter, je veux juste tout arrêter...
Sa voix se brise. Lilo veut arrêter. Elle voudrait fermer les yeux pour ne plus jamais les ouvrir. Son âme, toute sa personne entière se sent trahie, abandonnée, souillée. Mon Dieu qu'est ce que ça fait mal de voir qu'on a tout perdu, et qu'il n'y a plus vraiment grand chose qui nous rend heureux.
Mais tu as Angèle, lui chuchote une voix intérieure.
Sa mère se gare devant leur petite maison, elle est bouche bée et cherche à ajouter quelque chose. Lilo ne lui en laisse pas le temps. Avant de claquer la porte de la voiture, elle lui lance en essayant de paraître la plus froide possible :
— Ne m'attend pas pour manger.
Elle se précipite ensuite en courant vers l'arrière de sa maison, plus précisément juste en dessous de la fenêtre de sa chambre
Sourire et larmes se mélangent dès qu'elle aperçoit Angèle, appuyée contre le mur, l'allure pensive. Le visage de la blonde s'illumine mais se rembrunit aussitôt face à l'état de Lilo. Celle-ci ne réfléchit pas et se jette dans ses bras.
Angèle est tout d'abord surprise mais elle ressert bien vite son étreinte atour de la taille de la jeune fille. Elle sait que la seule chose dont elle a besoin, à cet instant, c'est un peu de chaleur humaine, tout simplement un peu d'amour. La voir dans un tel état lui brise le cœur, ça ne lui été jamais arrivée avant. Si elle le pourrait, Angèle prendrait toute la douleur de Lilo pour la soulager de tout ce poids. Elle se sacrifiait pour son bonheur. Mais elle est dans l'incapacité de le faire et cela tue la jeune fille rien que d'y penser.
Les pleurs de Lilo se calme, elle enfouit son visage dans le cou de la blonde, hume son odeur, laisse ses doux cheveux lui caresser les joues. Elle inspire, expire, essaye de contrôler sa respiration autant qu'elle le peut.
Lorsqu'elle relâche son étreinte, elle laisse ses yeux rencontrer ceux d'Angèle. Tout va mieux, elle se sent apaisée, cette fille est un antidote humain. Lilo ne veut pas la laisser partir, jamais. Alors elle lui propose de venir un peu dans sa chambre, elle n'a pas envie de se balader.
À l'intérieur, Angèle admire toutes les peintures de Lilo. Elle savait qu'elle avait un don, mais toutes ces couleurs et ces personnages l'émerveillent.
La fille recroquevillée au cœur de l'océan.
Les larmes d'un coquelicot.
La guitare désaccordée.
Le centre de l'univers.
Le sourire du soleil.
Les deux filles sont allongées dans le lit de Lilo, dans les bras l'une de l'autre. Le silence n'est pas lourd mais réparateur. Le lien n'est pas étouffant mais unique. Les mots s'écrivent tous seul dans le carnet.
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[ Samedi tous ces moments ressemblent à de vieilles photographies.
Des sourires et des larmes capturées à jamais,
Ou du moins jusqu'à Dimanche ]
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