Chapitre vingt-trois. ༄

⸺ 𝕯𝖊𝖇𝖔𝖚𝖙 ! lança narquoisement une voix au milieu du silence, tirant difficilement du sommeil les deux prisonniers des cachots désaffectés de l'école de sorcellerie Poudlard.

Hermione se redressa tant bien que mal en position assise, se frotta les yeux avec les manches de son pull épais, passa ses doigts dans sa tignasse emmêlée. Aucune autre lueur que le feu bleu magique qu'on leur avait fourni ne venait éclairer la pièce, faute de fenêtre et de la transmission de la véritable température du dehors sous terre. La Gryffondor aperçut, d'abord déformée, la silhouette floue et épaisse de Mulciber, qui portait un plateau ébréché dans ses mains, l'air furieux comme à son habitude. Le jeune Serpentard marchait d'un air assuré, la tête haute, convaincu jusqu'à la moelle de la justesse de ses actes et des opinions qu'on lui avait créées. Il déposa sans vraiment de douceur le repas des prisonniers de son Maître dans un coin des cachots, se retourna vers les deux sorciers. Épuisé, n'ayant pas réussi à trouver le sommeil de la nuit, le jeune Malefoy était encore allongé sur le sol de pierre, les yeux grands ouverts, la respiration calme. Trop calme. Mulciber lui décocha un violent coup de pied dans l'abdomen, réitéra cette action lorsque le blond laissa échapper un cri de douleur, à mi-chemin entre une protestation et un râle de souffrance.

⸺ Arrête ! finit par hurler Hermione, se laissant trop vite prendre par la panique alors que l'adepte de Jedusor laissait échapper un ricanement sec. Arrête !

Brutalement, elle poussa sur ses jambes et se mit debout, avant d'attraper le Serpentard par les épaules pour le faire partir.

⸺ Arrête ! répéta-t-elle une nouvelle fois.

Le jeune garçon, furieux, se retourna vers la Gryffondor et, sans prévenir la poussa violemment contre le mur le plus proche, laissant Drago recroquevillé sur lui-même, respirant par à-coups, laissant échapper des gémissements impuissants.

⸺ Qui es-tu pour me donner des ordres, sale Sang-de-Bourbe ? éructa le sorcier joufflu, appuyant son avant-bras sur le haut de la poitrine d'Hermione. La seule personne à qui j'obéis, ici, c'est au Maître. Je te conseille de faire attention à ton comportement, Granger. Jedusor n'est pas toujours très patient avec les gens, malgré ce qu'il peut parfois laisser paraître. Les actes que tu as pu mener contre lui ne resteront pas impunis. Pour le moment, il souhaite qu'il ne te soit fait aucun mal, mais sache que ton heure viendra.

Un étrange rictus vint tordre les lèvres du Serpentard et il pencha la tête. Prenant une expression faussement compatissante, il prit avec une douceur étonnante les pointes des cheveux d'Hermione, haussa les sourcils. La jeune fille le fixait avec une fureur non dissimulée.

⸺ C'est dommage, d'ailleurs. Il est réellement dommage qu'une jolie fille comme toi ne soit au final... qu'une Sang-de-Bourbe. Si tu ne l'avais pas été, j'aurais sans doute pu un jour tout mettre en œuvre pour te séduire – et j'aurais réussi, sois-en sûre, personne n'a jamais rien pu me refuser–, mais ton impureté ternit tout le tableau. Ne l'oublie pas. N'oublie pas que tu n'es rien de plus qu'une Sang-de-Bourbe. N'oublie pas que tu ne seras jamais l'égale des Sang-Purs.

Trop concentrée sur sa colère et ses tremblements furieux, Hermione n'aperçut pas tout de suite la silhouette longiligne de Drago se redresser en se tenant le ventre d'une main. Mulciber l'observait avec un sourire satisfait, un peu cruel.

⸺ Dégage, Mulciber. Dégage !

Le brun se retourna, darda le jeune Malefoy d'un regard venimeux, et finit par relâcher la pression de son coude pointu sur le torse de la Gryffondor. La jeune fille serra les dents. Elle aurait tout donné pour frapper Mulciber, l'injurier et lui jeter un grand discours complètement improvisé au visage afin de lui faire comprendre son sentiment vis-à-vis de ses propos.

⸺ Tu n'es personne non plus pour me donner des ordres, sale idiot. Tu n'es rien de plus qu'un traître, tu es indigne de la nouvelle chance que le Maître te donne !

Crachant aux pieds de Drago pour ponctuer ses dires, Mulciber laissa échapper un ricanement mal venu – ainsi qu'assez ridicule, il fallait le dire – et finit par sortir des cachots, ne laissant derrière lui que le bruit des multiples cadenas en acier qui se verrouillaient seuls.

Sans vraiment savoir quoi dire, Hermione secoua la tête, tâchant de rester à une distance respectueuse du Serpentard.

⸺ Merci, bredouilla-t-elle, encore furieuse.

⸺ C'est normal, Granger, asséna le jeune homme d'une voix froide. J'ai vécu ce genre de scènes de nombreuses fois durant ma détention dans la Chambre des Secrets. Tu finiras par t'habituer à l'immense bêtise de ce phénomène de foire. Il n'est pas dangereux, ce n'est qu'un cerveau fanatisé à la violence à l'intérieur d'un corps trop maladroit pour effectuer la moindre tâche correctement.

Étonnée du calme et de la lassitude avec laquelle Drago s'exprimait pour parler de sujets aussi graves, la brune laissa tomber son regard vers le plateau de nourriture que Mulciber leur avait apporté, à grands renforts d'insultes. La jeune fille se sentait gênée, incroyablement honteuse. Comment pouvait-elle, comment devait-elle, se comporter avec Drago après ce qu'il s'était passé la veille ? Le jeune homme entrouvrit la bouche et inspira une grande quantité d'air, comme lorsque l'on fait quand on s'apprête à parler, mais Hermione ne voulait rien entendre : elle n'avait aucune envie d'échanger avec le blond sur des sujets autres que l'évasion qu'il fallait réussir, pour le moment. Elle s'accroupit et ramena le plateau près du jeune homme, découpa la miche de pain en deux tranches inégales, commença à en mâcher une. Le pichet d'eau qui leur avait été ramené était en verre, renvoyant la lumière du feu bleu à sa surface.

⸺ Granger... commença le jeune Malefoy, hésitant.

⸺ Non, Malefoy, le coupa-t-elle brusquement.

⸺ On peut... en parler ? osa-t-il sans écouter la jeune femme résolue qui se tenait assise en face de lui.

Il était confus, un peu peiné, aussi. Le comportement de la Gryffondor ne lui ressemblait pas, et, même si, après l'avoir embrassé, elle lui avait crié, paniquée, que Jedusor l'avait droguée à l'Amortencia et qu'elle n'avait plus aucune volonté propre, le fait qu'elle ait catégoriquement refusé de lui adresser la parole après ça était en quelque sorte vexant. Il avait des choses à lui dire, à mettre au clair, même si pour le moment ce n'était en rien leur priorité numéro une, ça restait un moment qui avait remué en lui des émotions qu'il avait il y a longtemps, assez inconsciemment, tenté d'enfouir au plus profond de lui.

⸺ Non, Malefoy, répéta-t-elle, bornée, buvant un verre d'eau trop glaciale en fuyant son regard. C'est ce que Jedusor veut. Il veut qu'on se désolidarise l'un de l'autre, ou bien qu'on s'attache trop et qu'on en oublie ce qui nous arrive. Il veut qu'on s'aime mais qu'on s'abîme, ou bien qu'on se voue une haine insensée. Mais on n'arrivera jamais à s'en sortir si on tombe dans tous ses pièges. Pour le moment, restons des alliés, mettons toute notre énergie à tenter de nous échapper, d'accord ? Si tu tiens vraiment à parler des conséquences du fait qu'il m'ait droguée à l'Amortencia, ce sera... ce sera plus tard. Une fois qu'on sera en sécurité, tous les deux.

Même si les pensées d'Hermione se transformaient en une nuée d'auto-félicitations à savoir garder la tête froide malgré les effets grisants du filtre d'Amour qui fourmillait dans ses veines, elle savait au fond d'elle que chacun de ses mots n'était que facticité.

⸺ Je... si tu y tiens, bredouilla Drago, désarçonné par cette réponse inattendue.

Il baissa la tête, puis la secoua, sans toucher à la nourriture qu'on leur présentait. Le jeune homme finit par repousser le plateau et arracha de la main d'Hermione l'assiette de porridge qu'elle s'apprêtait à engloutir.

⸺ Ne mange pas ça. La seule fois où j'y ai goûté, j'ai été pris de maux de tête insupportables pendant les trois heures qui ont suivi.

Empoisonner la nourriture semblait être un des passe-temps favoris de Jedusor, dirait-on... eut le temps de penser Hermione avant qu'elle ne comprenne le geste de solidarité de Malefoy.

⸺ Je ne souhaite pas te parler, Drago. Ce n'est pas possible. J'en suis désolée, mais...

⸺ Mais quoi ? la coupa-t-il. Je me fous bien du fait que tu m'aies embrassé, Granger ! Tu le dis toi-même, tu es sous Amortencia. Il ne faut pas qu'on laisse de la glace se former entre nous, il faut se faire confiance et qu'on communique ! As-tu confiance en moi ? Oui ? Alors tu vas m'écouter, Granger : la prochaine fois que Mulciber viendra nous apporter à manger, on va le forcer à nous faire sortir d'ici. J'ai ma baguette magique, ajouta-t-il comme si c'était la solution à tous leurs problèmes.

Drago se coupa brusquement dans son laïus. Il venait de se rendre compte d'une chose. Bien évidemment qu'il avait raison, bien évidemment qu'il fallait déjà déjouer les pièges de Jedusor. Mais sa première phrase respirait un mensonge un peu trop évident à ses yeux. Il avait beau se dire que ce n'était pas voulu, et qu'il ne devait pas se conduire et penser comme l'espérait Tom... il n'arrivait pas à ne prêter aucune importance au geste qu'Hermione avait eu. Pourtant, ça lui semblait être la dernière des idioties à laquelle il devait penser.

⸺ Tu ne peux pas l'utiliser contre Mulciber, Malefoy. C'est impossible, et tu le sais aussi bien que moi.

⸺ Alors tu préfères te soumettre au bon vouloir de l'horrible garçon à cause duquel nous sommes ici, pourrir ici avec le pauvre type que je suis pendant des jours entiers, et servir de marionnette dans les plans de Jedusor sans avoir ton mot à dire, tout ça pour te retrouver pointée du doigt, à te prendre en pleine tête la haine qui devrait lui être destinée ? Il faut au moins essayer, Hermione ! Sans espoir, on n'y arrivera pas.

Dans un élan amical, comme pour compléter sa phrase sans plus de mots, le Serpentard prit son alliée dans ses bras. La seconde d'après, il regrettait amèrement son geste, mais ne lâcha pas la jeune Granger pour autant.

⸺ Promets-moi qu'on y arrivera, lui murmura-t-il à l'oreille. Promets-moi qu'on ne se laissera pas tomber.

⸺ Excuse-moi, Drago, je... je suis vraiment trop bête, je te fais toutes mes excuses... Je te le promets, je te le jure. On s'en sortira.

Mais comme on dit, les bonnes nouvelles n'arrivent pas seules. Ç'aurait été bien trop facile, pas vrai ? Se libérant de l'étreinte de son ami, Hermione tira le journal quotidien qui servait de support aux assiettes. Son regard se posa sur les gros titres ; alors elle comprit que Drago et elle n'avaient pas compris à quel point il était urgent de contrecarrer les plans de Jedusor. Le temps des paroles était révolu, il fallait passer à l'acte.

Elle fourra le papier sous le nez du Serpentard et se prit la tête dans les mains. Quelques secondes plus tard, à son tour, le jeune homme laissa tomber la liasse de feuilles sur le sol. Si l'on était suffisamment proche, on pouvait lire les volutes d'encre trop insouciantes se dessiner sous nos yeux.

« Meurtre d'une famille moldue aux abords de Pré-au-Lard » clamait le journal.

À quel point Jedusor avait avancé dans ses plans sans qu'ils n'en aient conscience ? À quel point était-il urgent de le mettre une bonne fois pour toutes en état de nuire ? Mais surtout, surtout, comment sortir de là ?