♡ 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐭𝐫𝐞𝐢𝐳𝐞 ♡
Chapitre treize. ༄
𝕮𝖊 soir-là, tout semblait calme, en apparence. Mais, comme on dit, les apparences sont parfois trompeuses : c'était sans doute le cas ici. Au travers de l'unique fenêtre de la salle commune de réunion des Préfets-en-chef, la lumière métallique des étoiles tombait, semblant s'acharner sur le tapis poussiéreux. La pièce était sûrement vide à cette heure-ci, Hermione et Drago devant patrouiller dans l'immense château durant la nuit, à part s'ils étaient trop épuisés pour cela - le dortoir des Préfets-en-chef était à leur disposition s'ils devaient piquer un somme durant quelques heures afin de recouvrer force et vigueur. Le silence était total, le bruit habituel des roucoulements animaux du parc s'était lui aussi tu. L'ambiance paraissait froide, pesante, presque surnaturelle... et s'étendait dans tout le château. Comme à chaque fois qu'elle se rendait compte de la chose - plus d'une dizaine de fois en deux mois de cours -, Hermione se figeait, prudente, observant tout autour d'elle comme si elle était une proie cherchant à échapper à son prédateur. La jeune Gryffondor haïssait ces tours de garde étranges, elle ne se sentait jamais en sécurité, et avait fortement raison, sans imaginer à quel point elle était vulnérable.
⸺ Encore, murmura-t-elle à Drago lorsqu'elle le croisa vers onze heures quarante-neuf à un croisement de quatre couloirs.
Le jeune homme hocha la tête froidement, et, comme d'un commun accord étrangement tacite, les deux sorciers s'arrêtèrent, l'un à côté de l'autre. Hermione secoua la tête, inspira puis posa un pied devant elle, mais elle sentit une main agripper son bras. Elle se retourna.
⸺ Crois-tu que nous aurions dû parler de ces moments étranges à la directrice ? gémit Drago d'une voix anxieuse, bien plus effrayé qu'il ne voulait bien l'admettre. J'ai l'impression de connaître ces ambiances, et la peur me fait mal au ventre...
Relâchant ses muscles tendus, Hermione se rapprocha de son collègue, agacée. Elle tentait de ne pas laisser transparaître l'appréhension qu'elle partageait avec lui, sans beaucoup de succès. Serrant les dents, elle reprit contenance : il était impératif de garder un calme et une objectivité forts, pour la tâche qu'ils étaient en train d'effectuer.
⸺ Tu as peur ? Peur du silence ? Et dire que je te pensais un minimum courageux d'avoir su survivre à la domination et au joug de Voldemort... fit-elle, déçue.
La remarque fit mouche, et, une nouvelle fois, le Serpentard se braqua.
⸺ Ce silence n'est pas naturel, et je le redoute. Et puis je le suis, tu aurais également peur si tu avais vécu toutes les épreuves que j'ai enduré... espèce d'idiote, je me demande bien pourquoi je t'ai remerciée ! Tu ne m'as aidé que pour te donner bonne conscience et te payer une bonne image auprès de McGonagall ; c'est ce que je comprends au travers de tes paroles, Granger...
La jeune fille entrouvrit les lèvres, puis les referma, baissant la tête. Elle avait peut-être été bien plus sèche et cassante que ce qu'elle n'avait voulu, mais, après tout, Malefoy exagérait... ce n'était qu'un silence. Un silence quelque peu étrange, certes, mais... pas de quoi, en faire des tonnes.
Si ?
⸺ Bon, excuse-moi Malefoy, mais je vais arrêter cette conversation ici. Il faut bien qu'un de nous deux reste réaliste et raisonnable. Dis-moi si tu vois quelque chose d'inhabituel autre que ce silence pesant, d'accord ?
Une ombre de défi, discrètement teintée de colère, vint obscurcir les yeux du Serpentard, et il toisa sa collègue quelques instants, visiblement déçu. Ses poings se serrèrent avant de se relâcher ; un soupir traversa le corps du jeune homme et il baissa la tête. Les dents serrées, il fit vibrer ses cordes vocal dans un effort intense pour ne pas laisser les larmes de rage lui brûlant les yeux se déverser sur son visage.
⸺ D'accord, Granger. N'hésite pas à faire de même.
La jeune fille hocha la tête et entrouvrit les lèvres pour présenter des excuses, puis se ravisa. Elle contourna le Serpentard avec des mouvements saccadés avant de s'éloigner dans le couloir, ses pas résonnant faiblement contre les murs de pierre, seul signe de vie au milieu de l'obscurité monstre. Sans vraiment le vouloir, avec Malefoy, Hermione semait des rimes de défiance et de froideur. Comment se comporter avec cet homme qui lui faisait ressentir tant d'émotions contradictoires ? Voulant rester fidèle à ses valeurs, elle sentait un élan irrépressible lui dictant de l'aider face à chaque dur moment enduré, mais l'instant d'après lui rappelait tout le mal qu'il lui avait fait, toutes les difficultés qu'il lui avait causées, et elle n'avait plus qu'une envie : lui vouer une haine colossale. C'était trop perturbant pour son esprit subversivement vif ; la jeune fille serra son poing autour de sa baguette jusqu'à ce que les jointures de ses doigts se teintent de blanc.
De son côté, Drago n'avait pas bougé. Dès qu'Hermione ne l'avait plus regardé, des larmes incontrôlables avaient commencer à se déverser sur ses joues : tel un chat jouant avec les ténèbres, ses yeux brillaient. Il ferma les yeux. Fort. Plus fort que la réalité, pour tenter d'oublier son existence ; mais c'était trop. Trop. Ce mot se répercuta sur les parois de son être et un cri enfla dans son ventre : il le fit taire en se mordant la langue, avant de passer un bras négligent devant ses yeux humides afin d'assécher ses cils furtifs.
Drago secoua imperceptiblement la tête avant de poser un pied devant lui : cette idiote ne méritait pas qu'il prête attention à ses paroles. Il ne pouvait compter que sur lui-même pour repartir à zéro et recommencer une nouvelle vie loin de tous les problèmes de ce monde. C'était une certitude. La confiance, il l'avait compris depuis longtemps, n'était que la jumelle du mensonge : il ne pouvait se fier qu'à lui. Uniquement à lui. Et à personne d'autre.
Depuis sa plus tendre enfance, ses géniteurs avaient placé en lui objectifs mirobolants et tâches à accomplir bien trop lourdes pour ses frêles épaules. Il avait été habitué au stress, à la pression, à la crainte de décevoir, à la frayeur des punitions que son père lui infligeait lors de ses échecs. Il s'était toujours tu, avait serré les dents, s'était accommodé de son état, avait vécu avec les attentes placées en lui, avait sans cesse tâché de satisfaire son paternel. Il n'avait jamais songé à la révolte : après tout, certains enfants étaient dans une situation bien pire que la sienne ; qui était-il pour oser contester l'autorité de ceux qui l'avaient élevé et donné logis et couverts ? Drago avait toujours accepté d'effectuer ce qu'on lui disait d'effectuer, pas une fois il n'avait désobéi alors que l'objectif demandé était trop écrasant, jamais il n'avait reculé devant l'inaccessible. Même lorsque la crainte des représailles du Seigneur des Ténèbres le faisait souffrir bien plus que celles de son géniteur, il hochait la tête, se soumettait et travaillait sans relâche, donnant sueur et sang pour n'obtenir qu'une attention factice et négligente. Il n'avait jamais souhaité qu'une chose, sans oser se l'avouer, de crainte de se juger lui-même et de penser être un lâche. Une simple et unique chose. C'était au-delà de l'attention, au-delà des gratifications, au-delà des remarques menteuses.
Il ne souhaitait qu'être aimé. Sincèrement aimé. Peu importe que ce fût de manière amicale, adelphique, amoureuse ou familiale : il voulait simplement une preuve qu'au moins une personne sur cette Terre tenait à lui de manière désintéressée. Ça, personne ne le lui avait jamais offert. C'était trop onirique, comme un rêve inaccessible.
Mais après tout, qui pourrait aimer un monstre ?
Le jeune Malefoy secoua la tête, une nouvelle fois, une énième fois. Il avait l'impression de se faire consumer par la routine, de se perdre dans le cercle infernal de la répétition des jours, de ne faire que répéter sans cesse chaque geste qu'il effectuait. Il luttait, luttait, luttait, luttait tant et tant que, parfois, l'opposition qu'il proposait à la tempête lui paraissait risible, vide de sens. Ce soir-là, il n'arrivait plus à trouver de sens à rien. Ni à la vie, ni à la mort, ni aux sourires, ni aux larmes, ni à l'obscurité, ni à la lumière, ni aux pages des livres poussiéreux, ni à la beauté d'un point-virgule, ni aux biscuits à la citrouille que sa mère lui confectionnait durant son enfance, ni au passé, ni au temps, ni au futur, ni au silence, ni aux murmures, ni aux promesses, ni à l'amour, ni au désir, ni à la chaleur, ni à l'enseignement, ni à la poésie, ni aux revendications, ni aux rêves, ni aux préjugés, ni au mépris, ni, ni, ni. Le sens ne lui paraissait que comme une illusion, et la gravité lui rappela le présent lorsqu'il plia une jambe sous le poids de ses pensées immatérielles et se retrouva à terre, le genou écrasé par la masse de son corps. Il n'avait plus qu'une envie en ce moment-même : partir. Aller courir dans les champs, seul, hurler à s'en déchirer la gorge, rire à s'en faire mal au ventre, pleurer jusqu'à ne plus avoir de larmes, danser jusqu'à enfin se sentir vivant.
Il s'était trop longtemps refusé ce droit. Vivre pour lui. Pas pour les autres.
Drago se releva, difficilement. Il se mordit la lèvre, et sentit les coins de ses lèvres se soulever, tristement. Il ne fallait pas qu'il se laisse abattre ; il leur montrerait, à tous, que la bourrasque de jugements, gestes, insultes et remarques qui lui était adressée à chaque instant de son existence n'aurait pas raison de lui. Jamais. Plus jamais.
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