Chapitre 61
Je ne suis pas aussi jolie que dans mon rêve. J'aurais aimé que Kereya me poignarde réellement en plein cœur, pour que je n'ai plus à sentir cette douleur inonder mes veines.
Je prends une grande inspiration. Morgan m'attend à la porte, un air confiant au visage.
— Tu l'emmerdes ce type. Il ne vaut pas mieux que les autres.
— C'est plus facile à dire qu'à faire, je murmure.
Elle sourit, s'approche et pose ses mains sur mes épaules.
— Mais non, regarde. Respire un bon coup et répète après moi. Je ne laisserai pas Eros me mettre le moral à zéro. Je suis belle et forte, et je n'ai pas besoin d'un homme dans ma vie pour avancer. Je suis la propre héroïne de mon histoire.
J'éclate de rire et elle me fait un clin d'œil.
— Les hommes sont un supplément, ma chère. Je suis heureuse avec Erkel, mais je le serais aussi seule. Il est mon partenaire, mon compagnon de jeu, mais ce n'est pas pour autant qu'il est indispensable à ma vie.
— Aoutch, je suis touché en plein cœur.
Erkel apparaît dans l'embrasure de la porte, suivi d'Ander et de Rewind. Tous les trois portent des costumes incroyables, et n'ont jamais été aussi élégants qu'aujourd'hui.
— On est en retard, soupire Ander en passant une main dans ses cheveux.
— Si je puis me permettre, être en retard au mariage d'un abruti fini à la pisse ne me dérange pas plus que ça, souligne Rewind en ajustant son nœud papillon.
— Ce n'est pas très gentil ça, se moque Erkel. Toujours respecter ses ennemis, la règle d'or !
Rewind se tourne vers lui en faisant une grimace et l'inspecte de haut en bas.
— Ça n'a pas été trop dur pour toi de quitter tes fourrures d'ours pour ce costume ?
— Dit le type qui porte des écharpes en peau d'animal.
Rewind se désintéresse de lui pour s'approcher de nous. Il m'offre un sourire réconfortant.
— Tout ira bien, Arynn. Tu n'as qu'un mot à dire pour qu'Ander et moi allions lui casser sa tronche de veau.
Je lâche un rire et me mets debout. Je lisse les pans de ma robe avant de jeter un coup d'œil dans le miroir. J'ai opté pour une robe bustier, la plus simple possible.
— Je ne sais même pas pourquoi on assiste à ce mariage, marmonne Ander.
— Le protocole, blabla, le Jeu des Roses, et puis Eileen est obligé de soutenir ce mariage. Il faut croire qu'on est obligé d'y passer aussi.
Je suis Morgan en-dehors de ma chambre et sans un bruit, nous suivons les garçons. Enfin, ce sont plutôt les garçons qui font un boucan infernal. Eileen est maîtresse des festivités et Bianca doit sûrement être déjà là-bas.
Les garçons tournent au bout d'un couloir, et je me tourne vers Morgan.
— J'ai oublié mon sac, j'arrive tout de suite. Je vous rejoindrai.
Elle hoche la tête et je refais le chemin inverse. Quelle cruche je suis d'avoir oublié ma pochette !
Je me hâte dans les couloirs, mon rythme est pressé. Je manque de défaillir quand j'aperçois Eros au bout du couloir.
Je veux baisser la tête mais quelque chose me retient. Il avance vers moi, tout en remettant correctement sa chemise. Nous allons nous croiser, c'est indéniable.
Je tente de reprendre un peu de contenance, mais c'est mon corps entier qui se désagrège quand je le vois, pour la première fois depuis une décennie, poser les yeux sur moi.
Nos regards s'accrochent et ne se quittent plus. Le sien exprime un millier d'émotions que je n'arrive pas à décrypter. J'aimerais lui parler mais aucun son ne sort de ma bouche.
Je détourne le regard pour ne pas pleurer. Plus que quelques secondes et je ne le verrai plus. Quand il m'effleure, je crois que mon monde entier a cessé d'exister.
Sa main touche la mienne et je suis au bord du malaise. Mon cœur va exploser. Je vais m'enflammer.
Il s'en va. Il poursuit sa route sans s'arrêter une seule fois. Les larmes me piquent les yeux et j'avance jusqu'à ma chambre.
Je me retourne une dernière fois, plus par tristesse qu'autre chose. Sa silhouette disparaît au bout du couloir et je dois me faire violence pour ne pas éclater en sanglots.
J'ai entendu dire que celui qui se retourne pour regarder l'autre partir est celui qui aime le plus. Je crois que c'est cela. Eros ne m'a jamais aimée comme moi, je l'ai aimé. Notre histoire n'aura été que l'illusion la plus totale.
Je baisse les yeux vers le sol et mes sourcils se froncent. Il y a un papier par terre, en boule, mais il est bien là. Peut-être qu'Eros l'a fait tombé de sa poche en passant.
Je m'avance et le ramasse, puis je referme la porte de ma chambre derrière moi. Je déplie le papier et mon cœur chavire.
Pour Arynn.
Les battements de mon cœur sont incertains. Alors, je comprends. Il ne l'a pas fait tomber par inadvertance. Quand sa main a effleuré la mienne, c'était pour relâcher sa lettre.
Sa lettre qui n'attend plus que moi. Ai-je sincèrement envie de la lire ? Ai-je envie de me torturer l'esprit à lire quelque chose qui me brisera sûrement le cœur ? Ne devrais-je pas plutôt tourner la page ?
Le mariage est sur le point de commencer et moi, je reste cloîtrée dans ma chambre. Entre assister à une union entre une fille et mon premier amour, et lire la dernière chose qu'il m'a donné, le choix est vite fait.
Je m'assois sur mon lit, et déplie complètement le papier. Mes yeux se perdent sur les mots, et les larmes obstruent ma vue. Lentement, elles coulent et tache l'encre noire de sa lettre.
Arynn,
Quand tu liras cette lettre, il sera déjà trop tard. Trop tard pour Mamie signifie sûrement balivernes. Mais je ne suis pas elle, je ne l'ai jamais été. Je ne suis pas capable de me battre comme elle ou Rewind l'aurait fait.
Il y a tellement de choses que j'aimerais te dire, tellement de regrets que je garde en moi. Tellement de mots non-dits, mais je te dois au moins une explication.
J'ai agi bêtement. J'ai fait les pires erreurs possibles. Je n'aurais jamais dû embrasser Willa, et j'en paie les frais aujourd'hui. Kereya m'a menacé de te tuer si je ne coupais pas les ponts avec toi. Des menaces, des menaces et encore des menaces, si bien que je me suis enfermé dedans.
Je n'y avais pas cru à l'époque. Jusqu'à ce que la fille que j'aimais se fasse égorger en public. Arynn, tu n'y es pas passée loin, et c'est bien pour cela que ce n'est pas possible.
Pas tant que Kereya foulera ce sol. Je préfère te savoir en sécurité à Lucrenda qu'en danger avec moi à Calington. Je pourrais fuir, je pourrais te rejoindre et vous vivrions heureux, c'est vrai. Mais Kereya nous retrouverait.
Elle a brûlé les lettres que je t'ai données, elle s'en est vantée le lendemain de ton départ. Si tu savais comme j'ai eu envie de lui crever les yeux à ce moment-là.
Je suis désolé. Je t'en ai écrites pendant ces deux semaines. Je te les ai envoyées mais tu ne les as jamais reçues. Kereya les a interceptées et m'a encore menacé.
Si tu savais à quel point je m'en veux.
J'aurais aimé pouvoir changer les choses. J'aurais aimé pouvoir te dire à quel point tu as changé ma vie. À quel point tu l'as illuminée juste de par ta présence.
J'aurais aimé que tu saches à quel point tu m'es chère.
Je suis tombé éperdument amoureux de toi, Arynn, et je ne te l'ai jamais dit. Ces mots n'ont jamais franchi la barrière de mes lèvres.
Là est mon plus grand regret.
Alors je te le dis, à travers ces mots,
Je t'aime
- Eros
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