Chapitre 46

ARYNN
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La soirée est arrivée plus vite que prévu. En réalité, je ne me suis même pas changée. Je ne sais pas si Eros voudra de ce moment avec moi, s'il m'accordera la moindre attention et cela me tue de me poser sans cesse des questions.

Je tourne en rond dans ma chambre. Il est bientôt vingt heures, je n'ai pas encore dîné. Je devrai descendre d'ici quelques minutes, assister à un repas désastreux en compagnie d'un homme qui me déteste presque, devant supporter les railleries en tout genre. Puis j'irai tranquillement rejoindre le spa, là où Eros ne daignera même pas mettre les pieds.

Je l'ignorais, mais Eileen a fait construire un espace détente au rez-de-chaussée, tout au fond du palais. J'imagine qu'avec Ander, ils ont dû y aller plusieurs fois.

Nerveuse –ou plutôt triste, je ne sais pas–, je vérifie une dernière fois mon reflet dans le miroir. Ma robe noire est bien trop jolie pour l'occasion, qui n'est qu'un repas en famille tout compte fait. Mon collier en or me tombe pile poile au-dessus de la poitrine et j'ai attaché mes cheveux en chignon.

Je ne sais pas pourquoi, mais je veux prouver à Eros qu'il rate quelque chose. Je veux lui prouver qu'il a pris la mauvaise décision. Quand j'y réfléchis, je n'essaie de le montrer qu'à travers mon physique, ce qui n'est pas tellement valorisant. Mais je saurai aussi le lui montrer par d'autres façons.

Je jette un coup d'œil à ma montre puis ouvre la porte de ma chambre. Un courant d'air frais balaie mes mèches de devant en arrière et je me fige.

Malheur. Sapristie.

Eros sort de sa chambre au même moment. Son regard me traverse de toute part. Il s'attarde sur ma robe une seconde de trop et je jurerais voir sa bouche s'ouvrir. Il se ressaisit aussitôt et m'ignore.

Il s'éloigne, et je le vois serrer le poing. Alors, c'en est trop.

— Quelle attitude ! C'est ainsi que tu me salues ? En m'ignorant ?

Il s'arrête dans sa marche et se retourne lentement. Ses yeux sont teintés d'une émotion nouvelle. Du désir.

Je n'ai pas de temps à perdre, nous sommes déjà en retard pour le repas auquel cas tu n'aurais pas remarqué.

Je le rattrape sans difficulté et me pointe à ses côtés alors qu'il continue d'avancer. Non, mais je rêve. Je marche à côté de lui comme s'il ne m'avait pas repoussé le matin plus tôt ! Quelle empotée je fais.

— Ton comportement est totalement injuste. Je peux comprendre que Kereya... ou je ne sais qui, ait tenté de te menacer, mais ce n'est pas en m'ignorant que tu vas régler les choses !

Il s'arrête une nouvelle fois et hausse un sourcil, surpris.

— Qui te dit que je suis menacé ?

Mes yeux s'accrochent aux siens. Eros est un piètre menteur, mais il joue bien son rôle. En revanche, ce qu'il ignore, c'est que je suis une détective hors-pair ! Je ne me laisserai pas abattre de la sorte.

— Peut-être parce qu'hier soir tu dansais et m'embrassais sans retenue, alors qu'aujourd'hui, tu me repousses comme la peste ? Deux options s'offrent à moi : ou bien tu es, en effet, menacé par quelqu'un ; ou bien tu es lunatique ! Ce qui m'étonnerait fortement, au vue de comment tu agis en ma présence.

Il ouvre la bouche une nouvelle fois. Puis regarde ailleurs. Il se passe une main sur le visage, et finit par soupirer.

— Écoute, Arynn. Je ne te le dirai pas deux fois. Je ne veux pas de toi, et je suis... désolé, si tu as pris mon amitié pour autre chose. Maintenant, tu dois tourner la page. Tu comprendras donc que je ne peux pas effectuer cette... soirée spa ou que sais-je encore, avec toi. Pour notre bien commun. Ni maintenant, ni jamais.

Je le dévisage. Il se détourne et accélère le pas, comme s'il voulait me fuir. Il me fuit actuellement. Et moi, j'ai envie de fondre en larmes. Je vais fondre en larmes. En fait, non. Ce type ne mérite pas mes larmes. Mais j'ai quand même envie de pleurer.

Je ne le ferai pas. Pour mon maquillage.

Au lieu de ça, je lui crie :

— Tu m'expliqueras un jour où tu as vu que deux amis s'embrassaient ! Et se tripotaient aussi !

Je me retiens de lui brandir mon majeur. Retenue, Arynn. On inspire. On expire.

Eros ne se retourne pas. Bien sûr qu'il ne se retourne pas. Il n'a aucun courage. Cet homme est lâche.

Et je le déteste.

• • •

C'est faux. Je ne déteste pas Eros. Pas quand je le vois aussi maussade pendant le repas. Pas quand je suis là, à guetter le moindre de ses gestes. En réalité, il m'obsède. C'est ça, de l'obsession.

Je suis assise en face de lui. Le hasard fait mal les choses. Kereya n'est mystérieusement pas là, et Bendy manque aussi à l'appel. Les enfants ont demandé à quitter de table pour aller jour dehors. Nous nous retrouvons ainsi entre adultes.

Et le pire arrive.

À la porte, se dessine la silhouette de Therys. Sans demander la permission, il s'avance et prend place à ma droite alors que nous en sommes déjà au dessert.

Eros ne m'adresse aucun regard.

— Ta présence n'est pas voulue, lance Rewind d'une voix guillerette.

Therys relève la tête, le foudroie de ses yeux avant de répliquer :

— Je pensais pouvoir me joindre à vous pour le dessert. Tu n'y vois aucun inconvénient, mon cher.

— Pour le coup, si. J'y vois un tas d'inconvénients. Tu veux que je te les cite ?

Rewind se penche en avant, menaçant. Therys tente de ne pas se démonter et rétorque d'un ton froid :

— Merci, mais ça...

— Je te les dirai quand même. Cette table n'accueille pas les bouseux dans ton genre. Ta bassitude n'a rien à faire avec notre suprématie. En plus de ça, je te rappelle que non, tu n'es pas chez toi, et que par conséquent, tu ne fais pas tout ce qui te plaît. Inclus dans cette phrase le mariage forcé et ta présence non-désirée.

Eros jette un coup d'œil à son cousin. Son intervention laisse un froid dans la pièce.

C'est Mamie qui s'exclame pour briser le silence :

— Allons, allons ! Rewind, montre-toi un peu plus courtois avec nos invités. Comme un grand sage l'aurait dit, invitons à notre table nos ennemis pour mieux les empoisonner !

Sur ses mots, Morgan sort de sa poche un petit flacon. En fait, non. Elle en sort un autre. Et encore un et... Six petits flacons sont sur la table en ce moment.

Elle s'adresse à Therys avec un grand sourire machiavélique :

— J'ai différents parfums pour toi. Au thé vert, au citron pressé, j'en ai un autre à la violette, il fait des ravages en ce moment. Je te conseille celui au citron, tu as juste besoin de glisser quelques gouttes dans ton vert et la mort te frappera au bout de deux minutes à peine.

Therys la regarde comme si elle était folle. Moi, je vois seulement qu'Eileen se retient de pouffer de rire. Ander aussi. Ces deux-là sont de vrais gamins !

— De vrais psycopathes ceux-là, marmonne Therys.

Et il se tourne vers moi et me sourit. Je me crispe. Étonnamment, les discussions reprennent. Légères, mais elles sont bien là. Ce qui fait que Therys ne me quitte pas des yeux.

Il place sa main sous sa joue et fait mine de me contempler. Gênée, je triture ma cuillère pour m'occuper.

— Tu es vraiment jolie ce soir.

Il dit ça bas et les autres ne l'entendent pas. Je ne le remercie même pas. En fait, je le fuis. Je cherche une échappatoire. Bianca discute avec Eileen et Ander se dispute encore avec Rewind.

Quand je jette un coup d'œil à Eros, je vois qu'il a les yeux braqués sur nous.

— Alors, cette soirée avec... lui, tu iras quand même ?

— Il ne veut pas, je réplique.

Therys fait mine d'être attristé mais je vois bien la lueur d'amusement dans son regard. Je me racle la gorge et regarde ailleurs, de nouveau.

Quand une main se pose sur ma cuisse nue, je me fige. Ma tête se tourne vers lui, et j'articule :

— Tu peux enlever ta main, s'il te plaît.

Il obéit sans rechigner. Puis il me dit quelque chose mais je n'écoute pas. Eros ne le lâche pas des yeux.

Therys continue de blablater et sa main se pose de nouveau sur ma cuisse, mais plus haut cette fois-ci. Je suis tétanisée. Son autre main replace une de mes mèches en place et j'ouvre la bouche, sans voix.

Le monde autour de moi disparaît. Je ne l'ai pas autorisé à me toucher. Comment se permet-il de le faire sans même me le demander ? Qui plus est quand je lui ai demandé d'enlever sa main.

Je veux parler mais aucun son ne sort. Ses doigts remontent le tissu de ma robe. Je vais pour me lever mais le temps semble se figer.

Au ralenti, je vois Eros se redresser d'un coup, et se pencher par-dessus la table. Je le regarde prendre un élan, ses muscles se contractant vivement. Son poing s'enfonce dans le visage de Therys et un craquement sourd retentit.

— Bien fait, ricane Mamie avant tout le monde.

Puis le temps reprend. Therys pousse un hurlement en repoussant sa chaise. Il trébuche en arrière et s'étale de tout son long au sol. J'entends Bianca pousser un cri, surprise, tandis que Morgan, elle, éclate de rire.

C'est la première fois que je la vois rire. Et elle part en ce moment même en fou rire. Erkel, lui, fixe la scène avec un air de pitié dans le regard. Ander hausse un sourcil, et Rewind se met debout, la bouche grande ouverte.

— Waouh ! Même moi je n'aurais pas osé. Tu lui as mis une de ces patates, cousin, c'était phénoménal ! N'hésite pas à réitérer ton coup.

Therys est une chochotte mais il a sa fierté à défendre. Il se redresse en titubant et contourne la table, le nez en sang. Et bien de travers. Je crois qu'il est cassé. En vrai, je ne souhaite le malheur de personne mais... je suis secrètement, bien contente pour lui.

Il s'approche d'Eros et va pour le frapper quand ce dernier le saisit par le col et le pousse contre le mur. Therys contre-attaque et lui donne un coup de genou dans l'entrejambe, et Eros le relâche en poussant un juron.

Alors, Rewind s'avance et avant que Therys n'ait le temps de lui faire mal, lui envoie à son tour son poing dans la figure.

Deux coups en une soirée ça fait mal.

— On ne touche pas à la famille, articule Rewind. Tu en veux un autre ?

Therys l'insulte avant de quitter la pièce en laissant des traînées de sang derrière lui.

— Bon, est-ce qu'on peut finir ce dessert maintenant ? s'agace Mamie.

En réalité, elle est la seule avec Erkel à ne pas avoir terminé son moelleux au chocolat. Tranquillement, comme si rien ne s'était passé, elle prend une autre bouchée et savoure son gâteau.

Eros, lui, remet correctement sa chemise en place avant de se rasseoir à table sans un mot.

— Maintenant que le spectacle est terminé, lance Rewind, quelqu'un peut-il m'expliquer ce qui vient de se passer ?

— Je crois qu'Eros a frappé Therys, souligne Ander en se moquant.

Rewind se tourne vers lui, et lui brandit son majeur avant de pousser un profond soupir de soulagement.

— Quatre ans que ça me démange, Ander, des centaines de fois à le faire dans ton dos, mais aujourd'hui, j'assume enfin mon geste.

Ander ricane.

— Une raison particulière ?

— Non, aucune. Tu m'as l'air juste plus chiant que d'ordinaire. Revenons à nos coquelicots. Eros ?

Eros se tourne vers Rewind et hausse les épaules.

— Therys se comportait mal, c'est tout.

— Dis plutôt qu'il touchait à ta petite protégée, lâche Morgan avec un demi-sourire.

Eros lui lâche un regard sombre. Erkel, en face de lui, reste de marbre. Il finit aussi paisiblement son dessert sans se soucier le moins du monde de la conversation.

— Alors ? poursuit Morgan. Tu n'as rien à dire ?

— Je ne te connais pas, que veux-tu que je te dise ? Je ne vais pas m'épancher sur mes sentiments avec une inconnue.

— Ah ! Donc tu affirmes avoir des sentiments pour Arynn.

Pitié. Enterrez-moi.

Eros ne se laisse pas abattre et se penche vers elle :

— Je n'ai pas dit cela.

— Pourquoi mentionner des sentiments si tu n'en as aucun dans ce cas ? C'est tout ou rien, mon beau. Il n'y a pas de demi-mesure dans l'amour.

— Mon beau ? se réveille Erkel.

Morgan pose sa main sur son bras pour l'apaiser.

— Cette discussion n'a pas lieu d'être, rétorque Eros.

Tout le monde se tait. J'ai l'impression que quand Morgan est dans la place, plus personne n'a le courage de prendre la parole. Elle détruit tout le monde à coup de mitraillettes.

— Ah oui ? Quand Arynn se retient de pleurer toute une journée ? Quand tu agis comme un bel étalon avant de prendre lâchement la fuite ? Que ce soit avec elle ou avec une autre fille, c'est du pareil au même. Tu es d'une lâcheté aberrante.

— Pour le coup, je suis d'accord, renchérit Rewind. Momo, tu as dit les termes.

— Alors quoi, c'est ma fête c'est ça ? s'agace Eros. Je n'ai pas besoin de me justifier. Et puis, aux dernières nouvelles, c'est un repas et pas la Cour des Cœurs brisés.

— Eros, arrête d'être idiot et de t'inspirer d'Ander, soupire Rewind. On voit bien que quelque chose cloche. Ce n'est pas un procès, mais... l'occasion pour toi de te confier à nous. On est une famille après tout. On se serre les coudes.

Eros croise mon regard et se mord la lèvre. Pitié, faites qu'il parle. Pitié, faites qu'il parle. Pitié...

— Je sais régler mes affaires tout seul. Je n'ai pas besoin d'une pseudo famille se mêlant de tout et n'importe quoi.

Eros se lève et se dirige vers la porte, quand Mamie intervient, juste après avoir fini son dessert :

— Au fait, j'ai malencontreusement enfermé Kereya dans sa chambre. Elle ne sortira pas avant demain matin.

Eros se fige. Mamie se tourne vers lui, un immense sourire aux lèvres :

— Tu auras donc tout le temps de profiter de ta soirée avec Arynn. Si tu n'es pas dans l'eau dans trente minutes, je viendrai te chercher par la peau des fesses, mon petit.







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helloo

le prochain chapitre sortira ce soir
j'en posterai 2 par jours (voire plus)
j'espère que ce n'est pas trop 💀

voilà voilà

bizz bizz

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