Chapitre 38

Je dévisage ma tenue avec un œil critique. Rewind s'est empressé de me la donner avant de déguerpir. Il est bientôt vingt heures d'ici une dizaine de minutes et je ne suis toujours pas en costume.

En fait, mon costume n'en est pas un. C'est une robe totalement noire qui moule la moindre parcelle de mon corps, et la seule touche de couleur forme un morceau rouge abstrait sur le côté droit.

Honnêtement, c'est laid. Rewind m'a confiée les bijoux qui allaient avec et lorsque j'accroche le collier en argent autour de mon cou, je remarque deux petits cœurs qui se complètent.

Sans plus attendre, je m'occupe de mes cheveux. Je les accroche en une queue de cheval volumineuse avant de plaquer mes mèches de devant avec des grosses barrettes.

J'applique un rouge à lèvres de la même couleur que la partie rouge de ma robe, puis j'appose un peu de paillettes sur mes paupières.

D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours aimée apparaître jolie, être coquette. Mon apparence a toujours été un détail clé de ma personnalité.

Et pour le coup, je trouve que cette robe ne me va pas du tout. La coupe pourrait aller, certes, mais qu'est-ce cette forme rouge abstraite ?

J'enfile mes escarpins noirs puis ma pochette. Je vérifie une dernière fois mon reflet, satisfaite de mon maquillage au moins. Vingt heures sonnent, et je m'empresse de sortir de ma chambre.

Les couloirs sont déserts. Les autres seraient-ils déjà là-bas ? Mes talons résonnent contre le marbre tandis que je descends vivement les escaliers. Ma main s'accroche à la rampe, puis mes pas me mènent directement jusqu'à la salle de réception.

Les portes s'ouvrent devant moi et je suis soudainement aveuglée par les lustres brillants comme des étoiles. Je ne m'attendais pas à voir autant de monde.

La salle est bondée. Un garçon s'avance vers moi, me tend un plateau avec des coupes de champagne. J'en saisis une puis m'avance timidement dans l'immense pièce. Je ne suis pas à l'aise avec cette foule.

Je longe les murs, en tentant d'être invisible. Peut-être que les rideaux m'engloutiront ou bien je me ferais avaler par le sol, qui sait ?

— Arynn ! Te voilà !

Bon. Ce n'est pas pour maintenant, apparemment. Au début, je crois qu'il s'agit d'une vaste blague mais non.

Un homme vêtu d'une vieille tunique aux motifs orientaux me fait signe de le suivre. Il porte une perruque aux cheveux crépus, et des lunettes de soleil cache son visage. Des bracelets en or tintent à ses poignets, et du rouge à lèvres orne sa bouche.

Oh, seigneur.

Cet homme n'est autre que Rewind. Habillé en grand-mère. Oups. J'ai parlé à voix haute.

— Je ne suis pas habillé en grand-mère ! proteste-t-il. Je suis déguisé en Mamie.

J'éclate de rire. C'est plus fort que moi. Quand je regarde les autres invités, tous ont revêtu des costumes dignes de ce nom. Vampires, fées ou encore rois et reines, chacun se démarque à sa façon, tout en gardant le caractère sérieux de ce bal.

Mais Rewind n'en a rien à faire. Je m'avance vers lui, en fou rire et mon rire ne s'éteint pas quand je vois Bianca derrière lui, vêtue d'une robe ballon aux rayures jaune et noir. Sur sa tête, un petit chapeau à l'image d'une abeille trône comme si sa place avait toujours été là. Des ailes ont aussi été accrochées dans son dos.

À la tête qu'elle tire, j'imagine que cette blague ne lui plaît pas. Et moi, je me remets toujours de ma crise de rire.

— Ce n'est pas très gentil de se moquer, se plaint Rewind.

Les invités le regardent avec un air intrigué, ou plein de pitié, je ne sais pas. Dans tous les cas, il prend son rôle très à cœur. Il gesticule dans tous les sens pour faire tinter ses bracelets et soudain, il sort sa canne jusque-là caché sous sa tunique.

Il la fait tournoyer en l'air et imite d'une voix chevrotante :

— Je vais tous vous cannader, petits morveux !

— C'est bien la dernière fois que j'accepte de m'habiller selon tes désirs, marmonne Bianca. Non, mais une abeille sérieusement !

Rewind s'approche et l'ensserre de ses bras.

— Mais tu es ma petite abeille, Bee.

Elle se laisse aller et l'embrasse malgré tout. C'est pile à ce moment-là qu'Ander et Eileen font interruption dans la salle de réception. Je repars en fou rire.

Eileen est habillée en fée clochette. Elle a elle aussi des petites ailes dans le dos, et porte une robe verte. Ses chaussures ne sont que des chaussons avec des pompons. Quand elle s'approche de nous, un sourire moqueur s'étire sur ses lèvres.

— Rewind, j'espère que tes deux côtés de l'oreiller seront chauds ce soir.

— Ce n'est pas très gentil, Votre Majesté. J'ai mis du temps à trouver la bonne tenue.

Ander s'approche, dans un costume avec... des écailles. Il tire une tête d'enterrement.

— Tu fais la tête, petit ver de terre ?

— Non.

Ander l'envoie balader et Rewind soupire.

— Être habillé en Patrick est un grand honneur, figure-toi ! C'est pour lui rendre hommage avant qu'il ne périsse malencontreusement.

Un silence s'abat entre nous. Eileen fait tournoyer sa baguette magique entre ses mains tandis que Bianca jette un coup d'œil à ses ailes.

— Où est-ce que tu as même dégoté ça...

— Les greniers sont remplis de surprise, avoue-t-il, fier de lui.

— Et le costume d'Arynn ? Il est censé représenter... quoi ?

Eileen étudie ma robe avec minutue. Au final, quand je vois leurs costumes, je suis bien content du mien.

Les portes s'ouvrent de nouveau et étrangement, mon cœur se met à battre plus vite dans ma poitrine. Mes yeux se posent sur lui.

Et quand je vois sa tenue, je manque de m'étrangler avec ma salive. Eros s'avance vers nous, et son regard se porte sur ma robe. Il ouvre la bouche puis se tourne directement vers Rewind.

— Tu n'as pas osé, lance son cousin.

— Si ! Allez, venez par là les tourtereaux.

Il me prend par les épaules pour me placer juste à côté d'Eros. Eros, qui porte un costume tout en noir avec l'autre moitié de cœur. Côte à côte, nos costumes se complètent et forment un cœur entier.

— Cupidon n'abandonnera pas maintenant ! se félicite-t-il.

Eros hausse un sourcil en le détaillant. Un sourire moqueur s'étire sur ses lèvres.

— Mamie va t'assassiner, tu en as conscience ?

— J'aime le goût du risque.

— Tu vas aussi l'aimer avec moi, espèce de petit...

— Eh, mon amour, tout doux. Je lui jeterai un sort bientôt.

Derrière nous, Morgan et Erkel font leur entrée. L'une habillée en sorcière, elle est la seule visiblement satisfaite de son costume. Son époux, lui, arbore un costard avec... des poils d'ours accrochés.

Rewind sourit de toutes ses dents pendant qu'Erkel l'assassine du regard.

— Tu te crois drôle ?

— Je ne me crois pas drôle, je le suis.

Je détaille la robe de Morgan. Totalement violette, elle met sa crinière rousse parfaitement en valeur. Un sourire mystique étire ses lèvres alors que Rewind s'exclame :

— Eh bien, la seule contente de mon choix semble Momo jusque-là.

Bianca saisit le bras de son bien-aimé et soupire :

— Je suis une abeille, Rewind, comment veux-tu que je sois contente.

— Tu es une abeille parce que tu m'as piquée, Bee.

Il lui fait les yeux doux et elle roule les siens au plafond. Je manque d'éclater de rire.

— J'aimerais toujours comprendre en quoi la fée clochette me correspond.

— Tu as réussi à réparer mon bracelet l'autre jour, Eileen, et la fée clochette est forte pour le bricolage. Je me suis dit que c'était ton jour de gloire.

Eileen cligne plusieurs fois des yeux, au bord de la crise de nerfs. Alors, Morgan s'avance, un air impitoyable au visage et lâche d'une voix mauvaise :

— Je dois avouer que j'apprécie tout particulièrement mon costume puisque, à tout moment, je pourrai planter mes ongles acérés dans le visage de cet idiot. J'ai aussi quelques sorts en réserve, tu veux goûter ?

Elle sort de sa poche une fiole où « poison » est écrit en lettres capitales. Bianca s'esclaffe, tandis que Rewind saisit la fiole, l'ouvre et renifle le contenu.

Puis il la referme sagement et la lui tend.

— Non merci, je n'aime pas le cassis.

— Ce n'est pas du cassis. C'est de la mort-aux-rats.

— C'est pareil. Je n'aime quand même pas le cassis.

Il apporte sa coupe de champagne à ses lèvres alors qu'elle réplique :

— J'en ai déjà versé dans ta coupe de champagne quand tu avais le dos tourné.

Un silence s'écoule. Il garde en bouche le liquide, hésitant, tandis que Morgan le fixe avec un air de défi dans le regard.

Rewind recrache le contenu de sa coupe par terre, comme un éléphant.

— Dommage, soupire Erkel. C'était bien tenté.

— J'aurai d'autres essais, le rassure Morgan.

— Eh ! Ne complotez pas contre moi, c'est méchant et irrespectueux envers la divinité que je suis.

— Le terme est un petit peu exagéré, souligne Ander. Sans vouloir vexer Sa Majesté.

— Ander, il me semble que les lézards ne communiquent pas ainsi. Ssss-ssss, plutôt ?

— Raté. Ce sont les criquets, ça, mon cher.

— Je m'en fiche. Tais-toi.

Et c'est reparti entre les deux. J'ignore s'ils s'apprécient vraiment dans le fond mais ils ne font que se chamailler en permanence.

— Ta répartie s'est envolé ? se moque Ander.

— C'est le costume de Mamie. Elle a moins de répartie que moi, ça doit m'influencer d'une certaine manière.

Rewind se prend alors un chassé. Littéralement. Une silhouette arrive par derrière et le met à terre. Eros et moi éclatons de rire en même temps en voyant Rewind s'étaler comme une crêpe au sol.

Derrière lui, un petit bout de femme se dessine. Vêtue d'une écharpe blanche avec un veston royal blanc et des lunettes de soleil, Mamie nous fait face, un air de conquérante au visage.

— Mamie a autant de répartie que toi, petit scarabée. Ose encore une fois dire le contraire et je te maudis pour les prochaines années !

Rewind se relève et dévisage Mamie. En fait, ils se dévisagent tous les deux.

— Eh, mais ce sont mes vêtements ! s'exclame le petit-fils.

— Et ce sont les miens ! rétorque sa grand-mère. Petit voleur !

— Je suis habillé en toi !

— Et moi, à ton avis ? Je suis aussi habillée en toi !

C'est l'hilarité générale.

Mamie est déguisée en Rewind.
Rewind est déguisée en Mamie.

Les autres invités nous dévisagent avec perplexité tandis que je me tourne vers Eros, en crise de rire. Lui aussi a la même réaction que moi. Je crois qu'il le fait inconsciemment, mais il glisse sa main sur ma taille pour me ramener contre lui.

— Je vois que tu n'avais pas d'inspiration ! s'exclame Mamie. Mais bon, je suis un bon modèle, il faut l'avouer.

— Et toi, alors ! Enfin, il faut dire aussi que tu es sublime en Rewind. Pas aussi sublime que moi, mais il y a de l'idée. J'aime bien.

— L'humilité, fils, l'hu-mi-li-té ! Quand tu auras compris ça, tu auras tout compris !

— Gnagna. Je suis l'humilité en personne.

— J'en doute fort. Et... Oh, Joseph. Qu'as-tu fait à ces pauvres petits !

Elle se tourne vers nous et s'offusque.

— Mais non, Mamie, regarde. Quand ils se mettent à côté, ils forment un cœur. Mon idée était rocambolesque, comme moi d'ailleurs.

Elle se tourne vers lui, lui fait un clin d'œil et je lâche un petit rire. Eros, lui, se penche à mon oreille.

— Tu es sublime, Arynn.

Son murmure provoque en moi un doux frisson. Je ne me trouve pas à mon maximum mais si cela lui plaît à lui, je ne peux qu'être contente.

— Bien, maintenant que tout le monde est là, la deuxième partie du bal peut commencer !

— La deuxième partie ? s'enquiert Eros.

— Je ne vais pas rester en Mamie toute la soirée, cela deviendrait barbant.

Il nous fait un clin d'œil avant de disparaître subitement. Seul lui sait ce qu'il a en tête à ce moment.

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