Chapitre 36
Tout à coup, il me fait peur. Il ne m'inspire pas confiance, loin de là. L'ami qu'il était, le confident que je m'étais fait autrefois n'est plus.
Ce soir, j'ai l'impression qu'il me vole toute l'air de la pièce. Il entre sans me demander la permission.
— Bonsoir, Arynn.
Je ne réponds pas. Mes doigts serrent si fort l'enveloppe que j'ai peur de l'abîmer. Je tente de me calmer, mais Therys poursuit d'une voix trop douce :
— Votre histoire ne pourra pas continuer ainsi, tu le sais, n'est-ce pas ?
Je cligne plusieurs fois des yeux. J'ai l'impression d'être en plein cauchemar. Il y a vingt minutes à peine, je mangeais en compagnie d'Eros et maintenant, je me retrouve face à un... chieur de première.
Pardon du terme.
— Qu'est-ce que je t'ai fait ? je murmure.
— Pardon ?
Un temps s'écoule. Je garde l'enveloppe dans mes mains en guise de rempart.
— Je dois bien avoir fait quelque chose pour que tu m'empêches de vivre ainsi. Je ne veux pas t'épouser, Therys, et je suis désolée.
— Tu es trop douce pour ce monde, Arynn. Ce mariage est une bonne chose et tu te dois de le respecter. Tu devras aussi arrêter de le fréquenter.
Je brûle d'envie de lui répliquer tout ce que j'ai sur le cœur. Je suis une femme libre et indépendante. Je suis maîtresse de mes propres décisions et en aucun cas, il n'a le droit de choisir à ma place.
— Des sentiments ne se contrôlent pas, je bredouille.
Bon. J'ai fait de mon mieux.
— Parce que tu penses que ce sont des... sentiments ? Ne sois pas stupide. Nous savons tous qu'Eros ne te désire que pour une seule et unique chose. Une chose que tu lui donneras bientôt si tu continues de jouer à la dévergondée en sa présence.
Je suis peut-être stupide, et lâche et faible, mais je ne supporte pas son attitude, et encore moins l'emploi de ses mots.
Je m'avance d'un pas vif, et le pousse gentiment dehors. Étonnamment, il ne proteste même pas.
— Tu devrais aller te coucher, Therys. Il se fait tard.
Je claque la porte sans lui accorder une seconde de plus. Je respire enfin, de nouveau.
Mes pieds me conduisent jusqu'à mon lit et je m'y assois calmement. J'ai gardé son enveloppe pendant tout ce temps. Mes yeux dévient vers le papier froissé. J'hésite à l'ouvrir.
Les mots de Therys résonnent dans mon esprit. Et s'il avait raison ? Et si depuis le début, je n'étais qu'un trophée de plus à ajouter à sa collection ? Mais Bendy m'a affirmé qu'Eros n'avait jamais eu de grande relation. Et pourtant, il paraissait si... ouvert avec Willa. Il lui souriait comme il me sourit à moi.
Je suis peut-être stupide. Et si j'étais aveuglée depuis le début ? Eros et moi nous sommes si vite rapprochés... Cela ne peut pas être une évidence entre nous. L'amour est-il une évidence ?
Parce que tu penses que ce sont des sentiments ?
J'arrache le bout de l'enveloppe et un tas de petits papiers s'éparpillent sur mon lit.
Eros ne te désire que pour une seule et unique chose.
Je me rends compte que ce sont chacune des enveloppes. Et sur celles-ci, une phrase est écrite à répétition. La fin change, en revanche.
Je fouille dans les enveloppes jusqu'à trouver la bonne.
« Lis cette lettre quand tu recevras mon enveloppe. »
Je reste quelques secondes les yeux dans le vague, sur son écriture. Ses mots forment une calligraphie presque parfaite.
Sans attendre une minute de plus, j'ouvre avec la plus grande délicatesse possible la petite. Et mes yeux se perdent sur ses mots. Ses mots qui me sont adressés.
« Arynn,
Les règles sont simples :
1) Ouvre une des enveloppes quand tu le désires.
2) Évite de brûler mes lettres si elles te déplaisent, mets-les à la poubelle directement, elles seront ainsi recyclées.
E-
Je souris bêtement, comme une idiote. Je range délicatement sa lettre dans l'enveloppe avant de lire les titres des autres. Il y en a dix au total. Dix lettres pour dix occasions différentes.
Les larmes me montent aux yeux. Pas de tristesse, loin de là. Je crois que j'ai rarement pleuré de joie mais quand je vois ces dix enveloppes qui m'attendent, mon cœur se met à fondre.
J'ai envie de le serrer dans mes bras, mais il n'est pas là. Sincèrement, je ne vais pas attendre demain matin pour le remercier.
Je me lève, et quitte ma chambre à pas feutrés. La chambre d'Eros n'est pas loin, et c'est tant mieux pour moi. Le palais est silencieux, il commence à faire nuit.
L'adrénaline pulse dans mes veines tandis que je toque à sa porte, le cœur au bord de l'infarctus. Il m'ouvre au bout de quelques secondes et son expression se fige quand il baisse les yeux pour me regarder.
— Arynn, qu'est-ce que tu...
Alors, mes mots se confondent en pensées absurdes, déviant le principe que ma bouche est incapable de dire ce que mon cerveau veut :
— Oublie ce que j'ai dit tout à l'heure. Sur nous. Je veux dire, tes lettres... Je ne les ai pas encore lues, bien sûr, mais... Personne n'a jamais fait ça pour moi, Eros. Pas que cela soit important, loin de là, mais...
Je fais de l'hyperventilation. Je suis en suffocation. Je crois qu'Eros a touché une corde sensible de mon cœur.
Je me mets à pleurer comme une chochotte. La honte. Depuis nos débuts, je suis attachée aux maladresses comme un vieux pansement qui ne se décolle pas.
Eros lâche un rire et s'avance pour me prendre dans ses bras. Son contact est réconfortant, chaleureux.
— Je ne savais pas que tu écrivais, je murmure contre son torse.
Sa peau est chaude, et ses doigts s'amusent à triturer mes cheveux. Sans m'en rendre compte, nous avons franchi le pas de sa porte.
— Je suis un homme plein de surprises, tu sais.
Un rire s'échappe de ma bouche et je romps le contact sans le vouloir vraiment. Il recule d'un pas et me sourit d'un air charmeur.
— J'écris seulement quand j'en ai envie, c'est ma règle d'or.
— Et si l'inspiration ne vient pas ?
Un silence s'écoule. Ses yeux s'accrochent aux miens et son sourire s'efface lentement.
— Avec toi, elle vient toujours. Mes mots glissent sur le papier quand je pense à toi.
Je suis comme un glaçon au soleil. Mon cœur s'est arrêté. Je crois qu'il n'a jamais vraiment pu garder un rythme régulier en sa présence.
— D'ailleurs, je suis désolé d'être parti si... brusquement, tout à l'heure.
— J'ai fait quelque chose de mal ?
Il sourit simplement et se détourne pour aller éteindre la lumière de son bureau.
— Si seulement tu savais, Arynn...
Ce n'est qu'un murmure dans sa bouche et pourtant, je l'ai entendu. Il faut que je reprenne de la contenance. Je ne peux pas me liquéfier à chacune de ses paroles.
— J'ai croisé Therys, je dis pour changer de sujet. Enfin, il s'est plutôt imposé dans ma chambre.
Eros se met à froncer les sourcils, un air inquiet au visage.
— Il n'a rien fait d'incongru, je le rassure. Il m'a seulement... informé que notre histoire était inexistante. Toi et moi, je veux dire. Ensuite, il m'a dit que je devrai arrêter de te fréquenter, et que j'étais stupide... et trop douce aussi ? Que tu ne me voulais que pour une seule chose aussi.
Eros a un sourire moqueur aux lèvres avant de revenir vers moi. Il se laisse tomber sur son lit, et lâche d'une voix grave :
— Je ne suis pas d'accord avec lui sur tout, sauf une chose. Allez, une et demi peut-être.
— Lesquelles ?
Je m'avance et le rejoins. Contrairement à lui, je reste parfaitement droite.
— Sur le fait que tu es trop douce. Je le suis sûrement aussi d'ailleurs, auquel cas j'aurais déjà envoyé balader Kereya depuis longtemps. Mais c'est différent chez toi. C'est attirant.
Je me retiens de partir en vrilles. Eros joue clairement avec mes sentiments. Mais pas dans un sens négatif, bien sûr.
— Et le demi ?
— Demi parce que je suis à moitié d'accord. Oui, je te veux pour ça aussi mais non, je ne te veux pas que pour ça uniquement.
— Ça quoi ?
Oh, enterrez-moi. J'ai osé. Non. Je vais m'enterrer moi-même. Je m'organiserai des funérailles digne de ma stupidité.
Il se redresse et son regard plein de malice m'empêche de respirer. En fait non, même pas. C'est quand il s'approche et que ses lèvres effleurent mon oreille que je comprends réellement le terme « en apnée ».
Je suis nulle en apnée. Ma prestation de course à pieds témoigne de ma non-capacité à respirer correctement.
Alors quand ses doigts se faufilent le long de mon bras, jusqu'à l'ourlet de mon t-shirt, mon souffle s'accélère. Sa main effleure mon ventre et je crois que je chavire.
Je veux l'embrasser. C'est un besoin vital pour ma survie. Mon cœur n'a jamais battu aussi fort qu'à l'instant T.
— Tu veux une petite démonstration ? susurre-t-il au creux de mon oreille.
Oh, saperlipopette. J'oubliais qu'il était le cousin de cet énergumène de Rewind. Ils ont tous le sang salace dans la famille.
Les mots restent bloqués dans ma gorge.
Oui, Eros.
Je t'en prie, Eros.
Tout ce que tu veux, Eros.
Je suis toute à toi, Eros.
Au lieu de ça, je me tais. Cela vaut mieux pour moi. J'essaie de contrôler ma respiration. Inspiration. Expiration. Méditation.
Mais ses doigts se montrent curieux, un peu trop aventuriers. Et je finis par tomber en arrière sur le lit. Je manque d'air.
Eros éclate de rire.
— Je crois bien que même les coquelicots de Mamie ne sont pas aussi rouge que ton visage.
Je prends un coussin et m'empresse de crier dedans.
La honte. Encore une fois.
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