Chapitre 31
— L'épreuve est simple ! La première d'entre vous qui réussira à assembler les douze pièces dans le sac remportera le défi, et par conséquent, un dîner romantique avec Son Altesse Royale. Les douze morceaux devront être posés à plat sur votre pupitre, et formeront une figure abstraite. Cette épreuve vous demandera réflexion et logique, des qualités nécessaires pour emporter le cœur d'un prince. Que le jeu commence !
Sir Caster nous demande ensuite de nous poster devant nos pupitres respectifs. C'est à ce moment qu'Eros apparaît non loin de nous et ses yeux se posent sur moi. Je l'ignore volontairement, faisant mine d'être concentrée. Je ne veux juste pas l'affronter maintenant. Mais mon corps entier se fige quand je vois sa silhouette s'avancer, vers moi.
Je relève la tête, le cœur au bord du gouffre. Il pose les mains sur mon pupitre, et plonge ses yeux dans les miens. Les autres filles sont trop loin pour entendre les quelques mots qu'il m'adresse.
— Peu importe l'issue de l'épreuve, j'ai quelque chose pour toi. Balade ce soir ? Je te donnerai ton cadeau en même temps.
— En quelle honneur ?
— Il n'y a pas besoin de raison particulière pour offrir des cadeaux. Alors, balade ?
— J'ai des choses à faire, Eros. Peut-être une autre fois.
J'ai mis les pieds dans le plat indirectement. L'épreuve démarrera dans quelque minutes, il ne peut pas rester indéfiniment ici. Il fronce les sourcils et se penche, un air sérieux au visage.
— Arynn ?
— Tu devrais y aller.
Il y a un instant de flottement entre nous. Je remarque que ses deux premiers boutons de chemise sont défaits. Ses boucles lui tombent sur le front. Il n'a même pas l'air d'avoir chaud, alors que moi je suffoque dans ma robe.
Il finit par sortir une cigarette de sa poche et l'allume sans la moindre hésitation. Avant, les cigares. Maintenant les cigarettes ? Je fronce les sourcils.
— Je ne savais pas que tu fumais.
— Que dans les situations extrêmes.
— La situation n'est pas extrême, pourtant, je rétorque.
— Tu refuses de me voir pour je-ne-sais quelle raison. La situation est extrême.
— Ce n'est pas la fin du monde. Je t'ai dit une prochaine fois, non ?
Il fronce les sourcils comme si mes mots n'avaient aucun sens. Il tire un coup, puis cligne plusieurs fois des yeux.
— Je ne comprends pas, avoue-t-il. Est-ce que c'est par rapport à la dernière fois ?
— Non. L'épreuve va commencer, va-t-en.
Il recule d'un pas, un air circonspect au visage. Il a effectué un mètre à reculons avant d'ouvrir grands les yeux. Et il revient vers moi.
— Arynn, ne me dis pas que c'est par rapport à...
— À quoi ? Ou qui, plutôt.
— J'y crois pas ! Tu refuses de me voir pour une petite discussion avec une prétendante.
— Je vais aller discuter avec Therys aussi tout à l'heure. Tu vois, balade impossible.
Je suis méchante, je m'en rends compte. Son sourire mauvais disparaît et son expression se refroidit. Une minute s'écoule, il ne dit rien mais ses yeux sont perdus dans le vide. Puis il finit par lâcher :
— Bonne chance.
La voix de Sir Caster résonne dans le micro alors qu'il s'en va rejoindre les tribunes. J'aperçois Mamie et Rewind qui me font des grands signes. Ils sont mes plus grands supporters. Ander ne tarde pas à les rejoindre et il se glisse aux côtés de Rewind. Eileen, elle, doit rester sur l'estrade avec Kereya et Sir Caster. Comme d'habitude, elle est resplendissante.
— Pour rappel, vous devez assembler le puzzle de douze pièces le plus vite possible !
La corne de brume résonne. Les autres se jettent sur les pièces, mais moi, mes yeux ne quittent pas ceux d'Eros. Il a un air distant au visage, et je sais au fond de moi que je ne me permettrais pas de me donner à fond en sachant ce froid entre nous.
Je quitte mon pupitre, cours vers lui (heureusement qu'il n'est pas très loin) et me hisse sur la pointe des pieds pour lui glisser à l'oreille :
— OK pour la balade, on en parlera après.
Je l'embrasse furtivement sur la joue et retourne à mon pupitre, le cœur un peu moins serré. Je lui jette un dernier coup d'œil et manque de rire devant son air cramoisi au visage.
Il n'y a plus de temps à perdre. Je sors mes douze pièces tandis que les autres ont déjà commencé à assembler. Je sépare les douze morceaux en deux puis rassemble les pièces qui ont le même motif : des sortes de vaguelettes noires. Je trie mes pièces de la sorte. Il faut réfléchir méthodiquement.
Les combinaisons sont multiples. Mais si je commence par le bord de la figure, j'aurais déjà un aperçu des pièces à emboîter. Je m'exécute. Les secondes défilent, je suis perdue dans mes réflexions alors que Sorya pousse des plaintes à ma gauche. Je crois qu'elle n'aime pas tellement les puzzles.
J'en faisais beaucoup quand j'étais petite mais celui-ci est beaucoup plus complexe. Un seul morceau mal emboîté et c'est tout le dessin qui est faux. Je fais des hypothèses dans ma tête.
Si je mets celle-ci ici, et celle-là là, alors je pourrais mettre celle-ci. Mais ce morceau-là sera tout seul. Il faudrait que... Que je l'emboîte ici. Mais alors ce morceau ne rentrerait pas.
Je pousse un profond soupir et jette un coup d'œil sur les autres pupitres. Aucune n'a avancé. Cette idée me réconforte à m'y remettre.
Je commence à assembler selon ma méthode. Cela fonctionne, mais il y a une seule pièce qui ne rentrera toujours pas. Je sens des coups d'œil appuyés sur moi, mais n'y prête pas attention. Seulement quand la voix de Sorya résonne, je me fige.
— J'ai terminé !
Sir Caster quitte l'estrade pour venir vérifier et moi, je n'ai jamais été aussi déçue de toute ma vie. Sorya m'adresse un clin d'œil mesquin et je comprends alors. Les coups d'œil venaient d'elle. Cette peste a triché !
— La gagnante de cette épreuve est encore une fois Sorya !
Mais au loin, la silhouette de Mamie se lève. Je la vois boiter en s'appuyant sur sa canne alors qu'elle s'avance vers l'estrade, saisit le micro et annonce d'un ton bourru :
— La soi-disante gagnante n'est qu'une tricheuse. Nous avons tous vu qu'elle a copié sur sa voisine de droite, Arynn !
Kereya s'interpose, et arrache le micro des mains.
— Toujours à défendre ta petite protégée, vieille vache ! Sorya a gagné, nous l'avons vu.
— Tu sais ce qu'elle te dit la vieille vache ? s'égosille Mamie. D'aller voir en Enfer si j'y suis ! Tu ne me trouveras pas, bien évidemment, j'ai déjà une place VIP au Paradis. Toi, en revanche, je vais te faire rôtir sous le feu des damnés !
Elle lève sa canne et menace Kereya qui recule d'un pas. Le public s'exclame, s'affole, pousse des grands murmures buyants.
Alors, contre toute attente, Eros s'avance, saisit le micro et déclare d'un ton calme :
— Je refuse d'accorder la récompense à une tricheuse. Nous avons tous vu qu'Arynn était celle la plus proche du but. Je dînerai donc avec elle.
— Tu n'as aucun droit ! s'époumone Kereya.
— Par pitié, faites-la taire, soupire Mamie.
Kereya s'avance alors d'un air menaçant et lui intime quelques mots avant de déguerpir. Je n'arrive pas à lire sur ses lèvres mais Mamie tire soudain une tête d'enterrement.
Cette histoire ne sent pas bon.
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