Chapitre 3

Il est sept heures du matin quand je rouvre les yeux. Aussi fraîche qu'un fruit exotique, j'ouvre les rideaux et les portes-fenêtres avant de m'introduire sur le balcon. La rosée du matin perle sur l'herbe du jardin, et le soleil est déjà levé depuis une heure.

Je suis une fille matinale. Me lever tard ne fait pas partie de mes objectifs. L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt et c'est totalement vrai. J'ai l'impression de vivre des moitiés de journée si je me réveille tard.

Je rentre dans ma chambre avant d'en sortir. Je tombe nez à nez avec Anna, ma domestique, qui s'agenouille maladroitement.

— Votre Altesse, dois-je faire monter le petit-déjeuné ?

— Ce ne sera pas nécessaire, Anna, je te remercie. Nous embarquons ce matin, et tu viens avec moi !

Je lui souris alors qu'elle fronce les sourcils, perturbée par mes mots.

— Comment ça, Votre Altesse, je ne comprends pas très bien.

— On part pour Imir tout à l'heure, prépare tes valises.

Je la laisse plantée là alors que je me dirige tout droit vers la suite royale de ma mère. Il fait un froid de canard dans les couloirs du palais, peut-être que le temps à Imir sera meilleur. Je n'ai aucun doute là-dessus, Eileen a vendu du rêve quand elle m'a raconté son périple.

Je prends soin de toquer avant même de rentrer. J'entends ma mère tousser de l'autre côté de la porte alors je me permets de passer la porte. Il fait jour dans sa chambre et je vois qu'elle a tiré les rideaux. Elle a réussi à se lever, c'est un bon point.

Ses cheveux bruns ont été tressés et elle porte sa chemise de nuit ordinaire, couleur lavande. Ses cernes sont creusées, son visage a vieilli, je trouve.

Lorsqu'elle pose les yeux sur moi, mon cœur se serre. Elle se met à tousser dans son mouchoir et lance d'une voix éraillée :

— Ça va, ma chérie ?

Je perçois la fatigue dans son ton. À la façon dont elle peine pour se redresser, j'ai envie de pleurer. Mais je retiens mes larmes. Elle tapote le lit, me fait signe de venir. Je m'assois au bord et saisis ses mains.

— Je vais partir avec Rewind et Bianca pour Imir, maman. On ne se reverra pas avant un moment. Et... Si tu veux que je reste, je peux. Je n'ai pas envie de m'éloigner de toi aussi longtemps mais... Ander a pensé que cela serait une bonne idée pour moi de voyager un peu.

Elle tousse de nouveau dans son mouchoir. Je vois son front briller de sueur, ses yeux injectés de sang.

— Ton frère a raison, murmure-t-elle. Ne te préoccupes pas de moi, Arryn. Vis tes propres aventures. J'ai vécu les miennes, il ne me reste plus qu'à voir mes enfants s'épanouir sur cette terre.

— Ne parle pas comme ça...

— Comme quoi ? sourit-elle faiblement.

Je m'approche et la serre dans mes bras.

— Comme si tu allais partir.

— On part tous un jour, tu sais.

— Tu ne partiras pas maintenant. J'ai encore besoin de toi.

Je recule. Je vois dans ses yeux une sorte de tristesse, comme si elle se savait condamnée. Mais ma mère est forte, elle s'en sortira. J'y crois avec ferveur.

— Profite de ton voyage, ma chérie. Nous nous reverrons en temps voulu.

— Je t'aime, maman.

— Je t'aime aussi.

Elle dépose un baiser sur mon front avant de se rallonger. Je me remets sur pieds et me glisse en-dehors de la pièce. Je tente de retenir mes larmes mais je sais d'avance que le combat qu'elle mène sera plus compliqué que tous ceux qu'elle a vécus dans sa vie.

J'essaie de supprimer l'image de son mouchoir en sang, mais je n'y arrive pas.

• • •

— Bientôt une heure que nous sommes sur mer.

Je lève les yeux vers Bianca qui me sourit d'un air rassurant. J'ai le mal de mer, c'est bête mais je sens que ce voyage ne va pas être de tout repos. Bianca m'a rassurée et m'a dit que nous irions dans une cabine pour calmer mes maux.

Ça a plutôt bien fonctionné. J'ai dû vomir une seule fois depuis le début. Le trajet de Lucrenda jusqu'au port a été plutôt éprouvant. Rewind n'arrêtait pas de jacasser en permanence, et de se plaindre du temps. Mamie Danïa lui a cloué le bec plein de fois et c'était plutôt drole à entendre.

Mais il a raison sur un point : le temps est immonde. Il a plu, et il continue de pleuvoir encore maintenant. Le ciel est chargé de gros nuages gris et j'ai dû entendre le tonnerre gronder quelques fois depuis notre embarcation. La route en cheval n'a pas été de tout repos.

Au moins, maintenant, nous sommes à l'abris. Je joue à la bataille contre Julio et je suis en train de perdre piteusement. Rewind est assis près de Bianca sur une banquette tandis que Danïa, elle, inspecte la mer à travers le hublot.

— Je parie qu'ils sont en train de saccager ma maison, marmonne-t-elle.

— Ah, parce qu'ils sont déjà là ? s'écrie Rewind en faisant mine de se ventiler.

— Ta tante m'a appelée hier pour me dire qu'ils visitaient le palais. Elle a critiqué ma décoration, bien sûr, alors que cette vieille peau n'est même pas capable de choisir son propre tapis. Toujours à chouiner dans les jambes des conseillères.

— Pourquoi viennent-ils si vous les détestez tant que ça ? interviens-je.

Mamie se tourne vers moi et frappe le sol de sa canne.

— C'est compliqué. Depuis la mort de mon fils, la famille s'est éparpillée aux quatre coins des royaumes. Cecilia est retournée à Calington après sa défaite cuisante contre Eileen. Elle a dû se plaindre comme d'habitude, et ils ont décidé de s'inviter eux-mêmes à la fête.

— Calington ? m'enquis-je.

— La principale puissance du Royaume d'Arros, m'explique-t-elle. Calington est aussi grand qu'Ecclosia et Lucrenda réunis, c'est impressionnant à voir.

— Ce que je ne m'explique toujours pas, commence Rewind, c'est pourquoi ils ne sont pas venus nous aider l'an passé. Un continent entier est en pleine guerre et ils s'en fichent ?

Mamie éclate d'un rire de sorcière avant de plisser les yeux.

— Mon petit, tu as encore beaucoup de choses à apprendre. Si Calington ne bouge pas, personne ne le fera. La géopolitique est parfois étonnante mais c'est tout à fait logique. On préférera toujours suivre le berger plutôt que d'aller de son propre chef voir le chaos dehors.

— Et pourquoi les détestez-vous tant ? questionne Bianca. Achid et Dean étaient plutôt gentils quand je les ai vus la dernière fois.

— Achid et Dean sont des démons, marmonne Rewind. Le problème, ce n'est pas eux. C'est du côté de mon oncle. Il est marié à une pimbêche de première et leurs gosses sont aussi insupportables que leurs parents. La dernière fois que je les ai vus, Eros me tirait les cheveux et Lolya n'était qu'un nourrisson. Le pire reste Benjy. Il est tellement... odieux !

— Benjy est une sacrée tête, confirme Mamie. Jaloux depuis tout petit, il ne pouvait supporter son frère cadet. C'est totalement absurde puisque c'est Benjy l'héritier au trône de Calington. Il a tout pour lui, mais non, il faut qu'il sème la discorde autour de lui.

— À quand remonte la dernière fois que vous les avez vu ?

— Au moins dix ans, murmure Rewind. J'espère qu'ils auront changé d'ici là. Il me semble qu'Eros a un an de moins que moi. Benjy doit avoir quelques années de plus.

C'est beaucoup d'informations à retenir. Si j'en crois Rewind, ses cousins ont à peu près son âge. Je suis sûre qu'ils auront changé avec le temps. Je reste même persuadée qu'il s'entendra bien avec eux.

Toujours voir le positif, les choses n'iront qu'en s'améliorant.

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