Chapitre 26

— Espèce de sorcière mal poudrée ! Je t'aurais déjà fait charcuter en boucherie à Imir ! Attaque, Tic !

Mes pas me ramènent dehors où le monde s'est dissipé. Il ne reste que trois silhouettes en face de moi, Willa, Sorya et... Rewind. Celui-ci croise les bras sur son torse, un air accusateur au visage. Ses sourcils sont tellement froncés que ses paupières ont disparu.

Il y a aussi ses deux chiens à ses pieds, mais visiblement, Tic n'a pas l'envie d'attaquer. Au contraire, il lèche la main de son maître, des étoiles dans les yeux, ce qui me fait presque rire. Tac, lui, remue de la queue en aboyant sur Sorya qui recule d'un pas, mauvaise.

— Je ne vous permets pas, s'offusque-t-elle, indignée.

— Que tu me donnes ta permission ou non ne change strictement rien, réplique l'intéressé.

— Vous m'avez jeté des cailloux vous et votre... ancêtre de la préhistoire !

— Insulte encore une fois Mamie et j'envoie Morgan t'assassiner dans ton sommeil.

Sorya écarquille les yeux et c'est plus fort que moi, j'éclate de rire. Elle tourne la tête vers moi, et son regard redevient empli de fureur. Elle fait un pas, comme pour me menacer, mais la voix de Rewind résonne encore :

— Je suis à ça (et il mime le geste de quelques centimètres), de l'appeler. Crois-moi, tu n'aimerais pas avoir affaire à elle...

— Je vais me plaindre ! geint Sorya. Je me plaindrais à l'organisation, à Sir Caster, je...

— ... Elle déchiquète les gens de ses dents, et leur fait avaler leurs propres boyaux. Oh, ils ont des coutumes étranges à Meridia, mais c'est plutôt utile dans certaines occasions.

— Tu as oublié de préciser que je donne les yeux de mes victimes à manger aux poissons.

Morgan s'avance derrière, telle une reine insaisissable, et son sourire est tellement maléfique que Sorya prend ses jambes à son cou, suivie de sa petite esclave. Cette pauvre fille ne mérite pas une peste comme elle en amie.

Morgan lève le menton, satisfaite, alors que Rewind pousse un profond soupir.

— Ces pestes étaient insupportables. Elle a osé me menacer. Me menacer, non mais tu te rends compte ? Moi, le roi d'Imir ? Pour qui se prend-elle ? De la chair à pâté ? Elle n'est rien de plus qu'une bouillie indigeste tout droit sortie des égouts.

Il passe la main sur son front, comme si cette situation l'avait épuisé. Il en fait trop, comme d'habitude. Je m'avance, me rendant enfin visible à leurs yeux, et Morgan s'exclame :

— Arynn !

Elle me sourit chaleureusement. Je crois que je l'apprécie. Elle a cette force de caractère que je n'ai pas, mais d'un autre côté, elle a l'air aussi gentille et bienveillante envers ses proches.

— Viens là, allons marcher.

Elle glisse son bras derrière mes épaules mais Rewind s'immisce entre nous pour, à son tour, passer un bras de chaque côté. Oh, non. Je sens que je vais encore passer au grilloir.

Mais c'est Morgan qui prend la parole :

— Alors, avec Eros ? Comment se passent vos petites affaires ?

— Pourquoi diable tout le monde semble-t-il si intéressé par ma vie privée ! je ronchonne en fixant mes pieds pendant que nous avançons.

— Mais c'est parce que ta vie est intéressante, réplique Morgan.

— Pas moins que la mienne, intervient Rewind. Hier soir, j'étais dehors quand j'ai vu une coccinelle par terre. Deux options se sont offertes à moi : l'écraser ou bien la sauver. Vous me connaissez maintenant, je n'aurais jamais pu tuer cette pauvre petite bête. Enfin, Bianca ne me l'aurait juste pas pardonné mais... Peu importe. Je l'ai ramassée quand, bam ! Tout à coup, j'ai malencontreusement trébuché sur le sol et... La pauvre coccinelle a perdu la vie. J'ai essayé de la réanimer, en vain. Je lui ai au moins offert un enterrement digne de ce nom, enveloppée dans une petite feuille et...

— Rewind, tout cela est vraiment, mais passionnant, mais par pitié, ferme-la. Cette discussion est à propos d'Eros et Arynn.

— J'aimais bien son histoire, moi.

— Ah, merci Arynn, de reconnaître l'étendue de mes talents, que dis-je, de mes prouesses, de ma capacité à me montrer si altruiste et bienveillant envers des petites bêtes. Je suis sûr qu'au pays des coccinelles, on parle de moi, de mon geste héroïque, de...

— Pas si héroïque que ça puisque ta bête est morte. Passons. Arynn, je tiens à te prévenir quant au comportement des hommes, certains se montrent grossiers et très...

— Mon cousin n'est pas comme ça, le coupe Rewind en s'offusquant.

— Tu ne le connais pas, réplique-t-elle. Jusqu'à quelques semaines à peine, ta dernière image de lui était un garçon de dix ans.

Nous nous arrêtons en pleine route et Rewind ouvre la bouche, outré.

— Comment es-tu au courant de cela ?

Morgan hausse vivement les sourcils, un air moqueur au visage.

— Je suis mieux renseignée que n'importe qui.

— Tu te balades encore avec tes clous ?

— Non, ça c'est Erkel. Il en a au moins quatre dans sa poche intérieure. Moi, c'est les fils étrangleurs ma spécialité.

— Ah, oui ! J'oubliais. Vous êtes vraiment tordus à Meridia. Au moins, je sais que je n'y mettrai jamais les pieds.

— On ne veut pas de toi non plus, ricane Morgan.

— Vous manquez quelque chose dans ce cas-là. Ma beauté éblouirait vos paysages aussi ternes que le derrière de Mamie.

Un bruit sourd retentit soudainement et Rewind pousse un cri d'indignation. Mamie surgit tout à coup, me faisant presque avoir une crise cardiaque.

— Espèce de petit chenapan ! s'écrie-t-elle. Comment oses-tu parler de mon adorable fessier musclé et rebondi après les années !

— Après les années à être restée assise sur une chaise ?

Vlam. Nouveau coup de canne. J'éclate de rire alors que Morgan s'approche discrètement.

— Je te laisse gérer ces deux-là. Nous reparlerons du sujet Eros, je n'ai pas oublié.

Je hoche la tête et quand je me retourne pour voir où elle est partie, elle n'est plus là. Envolée. Cette fille est un vrai fantôme.

— Jeune insolent ! Je ne t'ai pas élevé ainsi ! Tu seras privé de dessert ce soir pour la peine.

— Mais Mamie, c'était une blague.

— Je m'en fiche. Être roi et avoir la capacité intellectuelle d'un têtard, c'est décevant.

Elle fait mine d'être en colère mais je vois bien l'éclat rieur dans son regard. Elle se tourne alors vers moi, et me prend par le bras pour m'entraîner ailleurs. Bien évidemment, Rewind nous suit, attentif à la conversation.

— Dis-moi tout, Arynn chérie, comment cela se passe-t-il avec mon tendre petit-fils ?

J'oublie parfois qu'elle est aussi la grand-mère d'Eros...

— Eh bien, cela se passe...

— Cela ne se passe pas, intervient Rewind.

Il vient marcher aux côtés d'elle et ajoute :

— Aucun baiser. Rien. Nada. Pas même l'ombre d'un serrage de main.

— Pas même un effleurement de lèvres ? s'offusque Mamie.

— Tu m'espionnes ? je m'exclame envers son petit-fils.

— Non.

— Si, tu m'espionnes.

— Je me renseigne, ce n'est pas la même chose.

— Ont-ils, ne serait-ce, qu'eu un simple contact ? se questionne Mamie comme à elle-même. Les jeunes de nos jours sont friands de contact humain.

— Nous avons un titre, je proteste, on ne peut pas faire n'importe quoi.

Mais les deux m'ignorent en se parlant à travers moi.

— Je crois qu'Eros se retient, par pudeur envers elle.

— C'est mal. Je vais devoir avoir une discussion avec lui, soupire Mamie. Il faut qu'il prenne les devants !

— Mais... J'y crois pas, je murmure, bredouille.

— Mais Arynn n'est pas très démonstrative non plus.

— Je crois qu'elle a peur. C'est la seule explication logique.

— Eh, oh, j'existe ?

— On doit trouver un plan, concède Mamie. Quelque chose qui les poussera dans les bras l'un de l'autre. Quelque chose d'inédit.

— Je vais aussi parler à Eros, ajoute Rewind en parallèle. Il m'écoutera, j'en suis sûr. Qui ne m'écouterait pas, de toute manière ?

— Moi, je ne t'écoute pas, fils. Les inepties sortent de ta bouche à la vitesse de la lumière. Même Kereya n'étale pas son fond de teint aussi vite que la bêtise qui t'échappe.

Rewind fait mine d'être touché en plein cœur, de s'être pris une balle et il s'étale au sol comme une crêpe.

Mamie l'observe, penche la tête et sourit d'un air maléfique.

— Tu ressembles à Kereya dans cette angle.

Rewind ne s'est jamais levé aussi vite que maintenant. Il écarquille les yeux et s'écrie :

— Quoi ? Vraiment ?

— Non. À la limite du possible, tu ressemblais juste à un têtard sans cervelle.

Elle s'éloigne, s'appuyant sur sa canne et il s'exclame :

— Tu as un problème avec les têtards, hein !

— Pas ma faute, j'en vois un tous les jours !

Et elle ricane comme une sorcière en rentrant dans le palais. Rewind se met à marcher à reculons, tout en faisant mine de me suivre des yeux.

— Je vous ai à l'œil, les tourtereaux.

N'importe quoi. Nous, des tourtereaux ? Ils ont raison. Il suffirait déjà qu'Eros et moi ayons, ne serait-ce, qu'un petit contact physique, pour pouvoir partir sur cette base.

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